EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 4 mars 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de M. Khalifé Khalifé rapporteur, sur le projet de loi (n° 352, 2024-2025) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen de l'avis de notre commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.
Je précise que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond, nous a délégué l'examen des articles 40 et 41. Cela signifie qu'au moment d'établir le texte, elle s'en remettra à notre avis et à nos éventuels amendements pour les articles en question, sans les instruire au fond.
Ce projet de loi sera examiné en séance les 10 et 11 mars. Dans la même logique, nous nous réunirons pour examiner les amendements relatifs aux articles délégués à notre commission, s'il y en a, le 10 mars en début d'après-midi.
Je donne sans attendre la parole à notre rapporteur pour avis, Khalifé Khalifé.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes qui nous réunit cet après-midi est, comme son intitulé le laisse pressentir, un texte large et composite.
Le projet de loi porte 44 articles touchant à divers champs de notre droit national. Tous sont présentés par le Gouvernement comme nécessaires pour mettre notre droit en conformité avec le droit de l'Union européenne ou tirer les conséquences, dans la loi, d'évolutions normatives intervenues au niveau européen.
Deux de ces articles concernent la santé : l'article 40 porte sur les conditions de reconnaissance des qualifications professionnelles des infirmiers formés en Roumanie ; l'article 41 sur l'approvisionnement en dispositifs médicaux. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable en a délégué l'examen au fond à notre commission.
Commençons, si vous le voulez bien, par l'article 40 relatif à la reconnaissance des diplômes roumains d'infirmier.
Il faut d'abord rappeler que la reconnaissance des qualifications constitue le corollaire des principes de libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union européenne et de liberté d'établissement pour les activités non salariées. Ces principes sont consacrés par les traités européens et nécessaires à l'instauration d'un marché unique.
En conséquence, une directive européenne de 2005 a instauré deux régimes de reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union, bénéficiant aux ressortissants des États membres.
D'une part, le régime général permet l'exercice d'une profession réglementée dans l'Union aux personnes titulaires d'un diplôme décerné par l'un des États membres et autorisant, dans cet État, l'accès à cette même profession, sous réserve de mesures de compensation en cas d'écart substantiel entre la formation de l'intéressé et la formation exigée dans le pays d'accueil.
D'autre part, la directive de 2005 établit pour certaines professions un régime de reconnaissance automatique, plus favorable aux diplômés puisque n'impliquant pas de comparaison de leurs qualifications avec les exigences nationales du pays d'accueil. Ce régime est notamment applicable à sept professions, pour lesquelles la directive fixe des conditions minimales de formation : les infirmiers, les médecins, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les vétérinaires et les architectes.
Les professions de santé bénéficiant du régime de reconnaissance automatique figurent parmi les professions réglementées ayant le plus recours à cette procédure. D'après la Cour des comptes européenne, entre 2017 et 2021, plus de 25 000 infirmiers et plus de 25 000 médecins auraient bénéficié d'une reconnaissance des qualifications.
Venons-en maintenant aux conditions spécifiques de reconnaissance des diplômes infirmiers délivrés par la Roumanie.
Lors de l'intégration de cet État à l'Union européenne - je rappelle que la demande d'intégration, formulée en 1995, a été actée en 2005, pour une application en 2007 -, la formation des infirmiers ne respectait pas les exigences portées par la directive de 2005. Celle-ci prévoit, notamment, des durées minimales de formation théorique et pratique, donnant la garantie que l'étudiant dispose d'une expérience clinique adéquate et soit capable d'assurer la qualité des soins infirmiers de manière indépendante.
Toutefois, la directive européenne a prévu une exception, permettant aux titulaires de diplômes roumains obtenus avant l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne de bénéficier de la reconnaissance automatique des qualifications, lorsque ces diplômes sont accompagnés d'un certificat attestant de l'expérience professionnelle de l'intéressé. L'expérience requise a été abaissée par une directive de 2013, ramenant la durée de formation à trois ans, au lieu de cinq initialement.
Ces règles ont été transposées dans le code de la santé publique, qui confie à l'ordre des infirmiers le soin de contrôler les demandes de reconnaissance.
Une directive de 2024, enfin, a de nouveau assoupli ce régime en permettant la reconnaissance des diplômes roumains ne satisfaisant pas aux exigences européennes, lorsque ces derniers sont accompagnés d'un titre de formation sanctionnant la réalisation d'un programme spécial de mise à niveau. Ce programme, mis en place par la Roumanie entre 2014 et 2019, aurait bénéficié à plus de 3 000 diplômés.
L'article 40 qui nous est soumis vise à transposer cette dernière évolution en droit national. Je vous proposerai de le soutenir, sous réserve d'un amendement rédactionnel, dans la mesure où il est nécessaire pour mettre notre droit en conformité avec celui de l'Union européenne, et souhaitable compte tenu de la qualité reconnue du programme de remise à niveau.
Il est de l'intérêt de notre système de santé de faciliter la mobilité en France des professionnels formés au sein de l'Union européenne. Leur nombre demeure aujourd'hui modeste : 3 % seulement des infirmiers exerçant en France ont été formés à l'étranger et, selon le ministère, 684 infirmiers titulaires d'un diplôme roumain seraient inscrits au tableau de l'ordre.
Le second article qui nous est soumis vise à sécuriser l'approvisionnement en dispositifs médicaux.
Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), que j'ai auditionnée, le nombre de signalements de ruptures de dispositifs médicaux et de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro a considérablement augmenté au cours des dernières années. Alors que l'ANSM recensait 104 signalements en 2022, elle en a reçu 149 en 2024.
Les tensions constatées toucheraient une grande diversité de dispositifs et seraient multifactorielles. D'après l'Agence, l'ensemble des aires thérapeutiques sont concernées. Parmi les signalements reçus, 37 % seraient dus à des difficultés d'approvisionnement et 28 % à un arrêt de commercialisation.
Il faut rappeler, à cet égard, que les règlements européens de 2017 ont profondément renouvelé le cadre juridique applicable au secteur et imposé aux exploitants d'obtenir un nouveau « marquage CE » pour chacun de leurs dispositifs, destiné à démontrer leur conformité. Notre commission a plusieurs fois relayé les craintes d'engorgement mises en avant par les entreprises et le risque que certaines d'entre elles renoncent à la commercialisation de dispositifs dans l'Union européenne compte tenu des coûts associés.
En réponse à ces difficultés, la France et l'Union européenne ont progressivement mis en place des outils de sécurisation de l'approvisionnement en dispositifs médicaux au cours des dernières années.
L'ANSM a établi, depuis 2021, une procédure de gestion anticipée des ruptures, impliquant les opérateurs dans l'évaluation et la maîtrise des risques associés.
Sur l'initiative de notre commission, le législateur a fait obligation en 2023, aux exploitants identifiant un risque, d'agir pour éviter sa réalisation et d'informer l'ANSM, sous peine de sanction financière. En l'absence de décret d'application, ces dispositions sont toutefois restées inappliquées.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a récemment porté des dispositions visant à permettre l'identification et la prise en charge de dispositifs alternatifs en cas de rupture.
Enfin, un règlement européen de 2024 fait obligation aux fabricants anticipant une interruption ou une cessation d'approvisionnement, susceptible d'entraîner un préjudice grave pour les patients ou la santé publique, d'informer l'autorité nationale compétente, ainsi que les opérateurs économiques, les établissements et les professionnels de santé auxquels ils fournissent directement le dispositif concerné.
L'article 41 tire les conséquences de ce règlement en droit national en soumettant à des sanctions financières les fabricants qui ne respecteraient pas leurs obligations déclaratives. Il permet en outre à l'ANSM de prendre, dans de telles circonstances, des mesures de police sanitaire nécessaires et proportionnées afin d'assurer la continuité des prises en charge.
L'Agence devrait publier sur son site internet les informations relatives à l'interruption ou à la cessation d'approvisionnement. Elle pourrait également émettre des recommandations à destination des professionnels et des patients, et soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre l'exploitation, l'exportation, la distribution, le conditionnement, la mise sur le marché, la détention, la publicité, la mise en service, la prescription, la délivrance ou l'utilisation d'un dispositif.
Cet article, nécessaire pour assurer l'application du règlement européen de 2024, permettrait donc également de confier à l'ANSM des outils de lutte contre les pénuries de dispositifs médicaux proches de ceux dont elle dispose dans le secteur des médicaments. Cette évolution correspond à une proposition ancienne de notre commission. C'est pourquoi je vous proposerai de soutenir l'article, sous réserve de deux amendements rédactionnels et de coordination juridique.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les deux articles qui nous sont soumis, de portée inégale, me semblent faire oeuvre utile pour notre système de santé. Toutes les organisations que j'ai auditionnées ont confirmé leur pertinence. Dans ces conditions, je vous proposerai de les adopter sans modification de fond.
Il me revient enfin de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Pour les dispositions relevant du champ de compétence de notre commission, je considère que ce périmètre comprend les dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne relatives à la reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union et à l'approvisionnement en dispositifs médicaux.
Mme Émilienne Poumirol. - Je ferai deux remarques très brèves sur ce texte large et fourre-tout, dont on ne comprend pas très bien le fonctionnement.
Tout d'abord, il apporte une belle reconnaissance pour les infirmiers, et c'est, me semble-t-il, une marque d'humilité bienvenue que d'admettre que nous ne sommes pas les seuls à savoir en former. Mais je regrette que ce même principe ne s'applique pas aux médecins, qu'ils soient formés en Roumanie, en Belgique ou ailleurs. Nous avons pu constater, lors d'une visite en Roumanie, que les étudiants en médecine avaient toutes les difficultés du monde à venir exercer en France ; même à la fin de leurs études, il est plus simple pour eux d'aller faire l'internat en Suisse ou en Allemagne que dans notre pays. Je regrette que ce sujet n'ait pas été évoqué.
Par ailleurs, l'ANSM a de plus en plus de dossiers à suivre, de plus en plus de sanctions à prendre. Les moyens évoluent-ils en conséquence ? Comment l'Agence pourra-t-elle remplir toutes ses missions sans cela ?
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Nous sommes d'accord sur le constat, ma chère collègue, mais la question des médecins formés en Roumanie n'entre pas dans le cadre de ce texte. On connaît les difficultés qu'ils rencontrent, notamment pour ce qui concerne la psychiatrie. Je pense que nous reviendrons sur ce sujet important, lorsque nous entamerons la deuxième phase de notre « marathon » sur les études médicales, qui concernera la suite des études. Ajoutons qu'il existe déjà des dispositions pour les médecins roumains et que certains points ayant trait à la qualité des formations méritent d'être revus, non pas tant sur le plan de la théorie que sur celui de la pratique. J'en veux pour preuve que certains étudiants essaient de quitter la Roumanie pour s'inscrire en quatrième année en France. Le système n'est donc pas tout à fait satisfaisant.
Si vous me permettez, monsieur le président, je profite de cette réponse pour évoquer un rapport du ministère de l'agriculture sur la formation des vétérinaires, faisant remonter des cas de figure similaires : les restrictions en Belgique conduisent de nombreux étudiants à partir pour la Roumanie, l'Espagne ou ailleurs. Seuls 7 % ont réellement choisi de partir à l'étranger ; les autres n'ont pas eu le choix. C'est donc tout le système qui mérite d'être revu, et c'est notre rôle d'alerter le Gouvernement sur la situation.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 40 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-88 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 40 ainsi modifié.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-89 est un amendement de coordination juridique visant à insérer les dispositions relatives aux prérogatives de police administrative spéciale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans le nouveau chapitre du code de la santé publique relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement en dispositifs médicaux. Je profite de sa présentation pour répondre à la question relative à une éventuelle surcharge de l'ANSM. Lors des auditions, nous n'avons pas senti de malaise de la part de ses représentants sur les évolutions envisagées. Nous pourrons en savoir plus à l'occasion du prochain conseil d'administration, au sein duquel nous sommes plusieurs sénateurs à siéger.
L'amendement COM-89 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-90 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 41 ainsi modifié.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous en venons à l'amendement COM-16 de Mme Imbert, qui concerne l'inscription à l'ordre des pharmaciens exerçant la fonction de personne qualifiée responsable dans des entreprises de médicaments vétérinaires et, à ce titre, nous semble sortir du périmètre du texte.
Mme Florence Lassarade. - Tous les vétérinaires font de la parapharmacie...
Mme Émilienne Poumirol. - Cet amendement a déjà eu une histoire à l'Assemblée nationale...
M. Philippe Mouiller, président. - Tout à fait. Il a été adopté en commission et supprimé en séance publique. Pour ce qui nous concerne, il nous apparaît irrecevable au regard du périmètre du texte que nous examinons.
M. Khalifé Khalifé, rapporteur pour avis. - Il y a néanmoins un sujet, suscitant un malaise important. C'est une question qu'il faudra examiner.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de déclarer l'amendement COM-16 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous transmettrons l'ensemble de nos propositions à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable afin qu'elle les intègre à son texte.
TABLEAU DES AVIS
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
|
Article 40 |
||||
M. KHALIFÉ, rapporteur pour avis |
COM-88 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
|
Article 41 |
||||
M. KHALIFÉ, rapporteur pour avis |
COM-89 |
Amendement de coordination juridique |
Adopté |
|
M. KHALIFÉ, rapporteur pour avis |
COM-90 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
|
Article additionnel après l'article 41 |
||||
Mme IMBERT |
COM-16 |
Inscription à l'ordre des pharmaciens exerçant la fonction de personne qualifiée responsable au sein d'une entreprise de médicaments vétérinaires |
Irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |