N° 350
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 février 2025
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux,
Par M. Daniel GUERET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci, Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Marc Delia, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Didier Mandelli, Damien Michallet, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Jean-Marc Ruel, Mme Denise Saint-Pé, M. Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, MM. Paul Vidal, Michaël Weber.
Voir le numéro :
Sénat : |
124 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le 18 février 2025, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, sur la proposition de Daniel Guéret, rapporteur pour avis, sous le bénéfice de l'adoption des dix amendements.
Considérant que la sobriété foncière constitue une ardente obligation du fait des conséquences environnementales de l'artificialisation des sols, la commission a jugé nécessaire d'apporter des assouplissements et des évolutions au cadre normatif régissant la lutte contre l'artificialisation. Cette stratégie n'a en effet de sens et d'utilité que si les objectifs qu'elle fixe sont atteignables par les collectivités chargées de les mettre en oeuvre.
La commission souscrit pleinement à l'objectif d'un aménagement du territoire durable, plus économe en foncier, tout en estimant que, pour y parvenir, il est nécessaire d'inverser la logique et de repenser les méthodes qui ont prévalu jusqu'alors. C'est en partant des territoires et en associant plus étroitement les élus locaux à la définition des cibles intermédiaires ainsi qu'à la territorialisation des trajectoires que la sobriété foncière peut devenir un objectif commun et partagé, et non plus une stratégie qui exaspère les collectivités, voire qui génère une concurrence territoriale aux effets délétères.
En apportant des évolutions relatives à la comptabilisation des projets fonciers et en instaurant une gouvernance de la sobriété foncière où chaque élu peut faire valoir les spécificités et les dynamiques de son territoire, la commission estime qu'il n'est pas trop tard pour trouver le bon chemin vers la sobriété foncière et faire de l'ambition fixée par la loi « Climat et résilience » de 2021 en matière de lutte contre l'artificialisation des sols un des vecteurs de la transition écologique.
Pour ces raisons, la commission a ainsi émis un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi.
I. LA SOBRIÉTÉ FONCIÈRE, UNE EXIGENCE SCIENTIFIQUE ET UN OBJECTIF POLITIQUE FAISANT L'OBJET D'UN LARGE CONSENSUS
La gestion économe de l'espace constitue une préoccupation politique depuis plus d'un quart de siècle. Le législateur a été amené, au début des années 2000, à affirmer ce principe pour lutter contre l'étalement urbain et dissuader les pratiques extensives d'aménagement du territoire, dont les effets négatifs sur l'environnement et les paysages sont devenus de plus en plus visibles.
Source : Cerema, portail de l'artificialisation
Après une diminution marquée jusqu'en 2015, la trajectoire nationale des consommations foncières marque le pas depuis une décennie, pour atteindre un plateau haut de l'ordre de 20 000 hectares artificialisés chaque année.
La sobriété foncière n'est pas un luxe, ni une mode urbanistique, mais une nécessité dûment attestée par les études scientifiques.
A. LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX DE LA SOBRIÉTÉ FONCIÈRE
La France est pionnière dans la connaissance et la cartographie de ses sols : nous disposons du plus important réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS), réunissant des scientifiques à la pointe de l'expertise pédologique. En outre, notre pays possède une remarquable diversité de sols, à l'échelle européenne et mondiale, constituant une richesse patrimoniale qu'il fait sens de chercher à préserver.
1. Les sols, des milieux écologiques fondamentaux mal pris en compte par notre droit
On ne protège efficacement que ce que l'on connaît. Cet adage est particulièrement vrai s'agissant des sols : cet « épiderme de la Terre » remplit de nombreux services directement utiles à l'homme et assure des fonctions écologiques qui renforcent la résilience de notre société.
Source : Indiquasols, Inrae
Pendant longtemps, notre corpus juridique n'a pas appréhendé les sols comme des milieux fonctionnels, au profit d'une approche réduite au prisme foncier, considérant les sols uniquement comme des supports de culture et d'aménagement. Plutôt qu'un volume, le droit n'y a vu qu'une surface.
La progression des connaissances scientifiques relatives aux sols a cependant permis de diffuser l'idée que la protection des sols de l'altération, qu'il s'agisse de pollution, d'imperméabilisation ou d'artificialisation, constituait une démarche économiquement rationnelle.
La préservation des sols se situe en effet au croisement des trois principaux enjeux environnementaux : biodiversité, régulation de l'eau et atténuation climatique. Plus l'on protège les fonctions écologiques des sols, meilleurs et plus efficaces sont les services écosystémiques rendus et la préservation de leur potentiel agronomique.
2. Les conséquences négatives de l'altération des sols
Les effets, directs et indirects, induits par la dégradation des sols coûtent de plus en plus cher à la société : la baisse de la capacité d'infiltration de l'eau entraîne une augmentation du ruissellement de surface, ainsi qu'une charge polluante accrue dans les milieux naturels et à traiter par les réseaux d'assainissement. La baisse de la capacité de stockage de CO2 réduit notre capacité à limiter les effets du changement climatique et rend plus difficile l'atteinte de nos objectifs climatiques et de baisse de gaz à effet de serre. L'artificialisation concourt également à la perte et à la fragmentation d'espaces naturels, avec des effets négatifs pour les conditions de production agricole et la biodiversité.
L'artificialisation des sols génère également des risques à court terme pour la santé humaine, par l'augmentation de l'intensité des épisodes d'inondation et de dôme de chaleur. Ainsi, lutter contre l'artificialisation constitue une stratégie d'atténuation efficace pour faire face aux événements plus fréquents et intenses projetés par les modélisations climatiques, à l'instar des inondations ou des incendies de grande ampleur.
Ces constats doivent d'autant plus inciter à la sobriété foncière que la pédogenèse (i.e. la formation du sol) est particulièrement lente : la formation d'un sol moyennement profond se déroule sur une période allant de 10 000 à 100 000 ans, faisant du sol une ressource rare et non renouvelable à l'échelle de temps humaine. En outre, un sol et un écosystème artificialisés ne recouvrent jamais l'ensemble de leurs propriétés et qualités, même au terme d'opérations de restauration poussées.