C. LA PROPOSITION DE LOI POURSUIT CETTE ORIENTATION EN LUTTANT CONTRE L'OBSOLESCENCE LOGICIELLE.
L'obsolescence logicielle 26 ( * ) renvoie au phénomène d'incompatibilité entre les dernières versions d'un logiciel et les capacités du terminal sur lesquelles elles sont installées. Cette notion fait actuellement l'objet d'un rapport des services de l'État demandé par le Parlement dans la loi « AGEC ». Si la notion est contestée par les principaux acteurs du secteur, selon l'eurobaromètre précité, le fait que certaines applications ou logiciels ne fonctionnent plus sur son smartphone serait le principal motif de rachat d'un nouveau smartphone dans près de 20 % des cas .
Quelques cas emblématiques ont pu faire la une des médias, comme les mises à jour concernant les iPhones et des smartphones Samsung, les deux sociétés ayant été condamnées par l'autorité de la concurrence italienne en 2018 pour avoir poussé les consommateurs à installer des mises à jour du système d'exploitation de leur smartphone alors qu'elles dégradaient leurs performances. En février dernier, la société Apple a également conclu une transaction pénale suite à une poursuite de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour n'avoir pas informé les consommateurs que deux mises à jour étaient susceptibles de conduire à un ralentissement du fonctionnement de leur appareil 27 ( * ) . La proposition de loi entend lutter contre l'obsolescence logicielle à travers deux leviers.
1. Renforcer le délit d'obsolescence programmée.
La définition du délit d'obsolescence programmée figure à l'article L. 441-2 du code de la consommation 28 ( * ) , qui le punit de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, montant pouvant être porté à 5 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits. La rédaction de l'article exige un double standard de preuve de l'élément intentionnel qui rend délicate la caractérisation du délit : il faut prouver que le responsable de la mise sur le marché entendait réduire délibérément la durée de vie du bien et qu'il visait également à en augmenter le taux de remplacement. Cette difficulté avait déjà été identifiée par le rapport d'information sénatorial de 2016. De fait, dans l'affaire Apple, la DGCCRF n'est pas passée par cette qualification juridique mais par celle de pratique commerciale trompeuse 29 ( * ) , plus facile à mobiliser 30 ( * ) . C'est pourquoi l'article 6 proposait, comme le Conseil national du numérique l'avait également suggéré, de renverser la charge de la preuve en la matière, en la faisant peser sur le fabricant. Néanmoins, une telle présomption de culpabilité serait en contradiction avec la présomption d'innocence applicable en droit pénal.
La commission propose donc de substituer à ce dispositif un amendement qui facilite la preuve en supprimant l'une des deux exigences pour caractériser l'élément intentionnel du délit, à savoir l'intention d'augmenter le taux de remplacement ( AFFECO-2 ). Cette mesure est de nature à renforcer la lutte contre l'obsolescence programmée, laquelle comprend l'obsolescence logicielle , ce que l' article 7 de la proposition de loi entend rappeler.
2. Confier de nouveaux droits aux consommateurs dans le cadre de la réforme de la garantie légale de conformité.
Le second levier utilisé par la proposition de loi concerne la garantie de conformité, qui fait actuellement l'objet d'une réforme en droit européen en cours de transposition par le Gouvernement dans le cadre d'une habilitation qui lui a été confiée en ce sens dans la loi « Dadue » 31 ( * ) . Comme expliqué par le rapporteur de ce texte Laurent Duplomb, le droit européen édicté en 2019 confère en effet de nouveaux droits au consommateur en ce qui concerne les biens comportant des éléments numériques. La proposition de loi complète ou modifie, sur ce point, trois articles introduits par la loi « AGEC » pour transposer par anticipation la directive européenne de 2019 sur les contrats de vente de biens 32 ( * ) et renforcer autant que possible la protection du consommateur dans ce cadre, dans l'objectif d'allonger la durée de vie du bien :
- l' article 8 de la proposition de loi reprend la recommandation, formulée par de nombreux rapports, visant à obliger les fournisseurs de service à dissocier les mises à jour correctives et les mises à jour évolutives, afin de renforcer l'information du consommateur, mais dans un sens relativement restrictif : il propose d'obliger les vendeurs à dissocier les mises à jour de sécurité des autres mises à jour de façon à permettre au consommateur de n'installer que les premières s'il le souhaite, sans que cela porte atteinte à la garantie de conformité. Cette disposition vise à lutter contre les « obésiciels », ces logiciels qui ne sont pas dimensionnés pour les performances du terminal ;
- l' article 9 entend rallonger à cinq ans la durée durant laquelle le vendeur est contraint de fournir les mises à jour nécessaires à la conformité du bien ;
- l' article 10 entend poser un principe de réversibilité, en contraignant le vendeur de permettre au consommateur de rétablir des versions antérieures de logiciels pendant une période d'au moins deux ans ;
- enfin, l' article 11 propose étendre la présomption d'antériorité du défaut à cinq ans pour les équipements électroniques et électriques.
Ces propositions rejoignent celles émises par le Parlement européen le 25 novembre dernier.
Afin de s'assurer, autant que possible, de la conformité des dispositions de la proposition de loi au droit européen en vigueur, la commission des affaires économiques a adopté trois amendements . Ainsi, il est proposé de retenir la terminologie de la directive sur la vente de biens quant à l'obligation de fournir séparément les mises à jours correctives et évolutives, en faisant référence aux mises à jour nécessaires - qui vont au-delà des mises à jour de sécurité 33 ( * ) - ou non nécessaires à la conformité du bien ( AFFECO-3 ). Il est également proposé que l'obligation de réversibilité ne s'applique qu'aux mises à jour pouvant être qualifiées de non nécessaire à la conformité du bien dans la directive européenne, car il serait contradictoire d'imposer la réversibilité pour les mises à jour nécessaires à la conformité du bien alors même que celles-ci doivent être fournies pendant cinq ans au titre de l'article 9 sauf à perdre le bénéfice de la garantie de conformité ( AFFECO-7 ). Enfin, l'article 11 proposait de prolonger à cinq ans la période durant laquelle le consommateur n'a pas à prouver que le défaut est imputable au vendeur. En l'état, il n'était pas conforme au droit européen, qui ne permet pas d'allonger cette présomption d'antériorité du défaut au-delà de deux ans. Un amendement propose donc que l'allongement à cinq ans porte sur la garantie légale de conformité , lequel peut être allongé au-delà de deux ans en application du droit européen. Autrement dit, le consommateur pourra demander la réparation ou le remplacement du bien comportant des éléments numériques en cas de défaut durant cinq ans à compter de la délivrance de ce bien 34 ( * ) ( AFFECO-9 ). Grâce à cette modification, il peut être estimé que l'article 9 peut étendre à cinq ans la durée durant laquelle le vendeur est obligé de fournir les mises à jour nécessaires à la conformité du bien sans risque de contradiction avec le droit européen 35 ( * ) : les articles 9 et 11 sont donc à comprendre comme un tout, l'article 9 justifiant le recours à l'allongement de la durée de garantie à l'article 11.
La commission a également adopté des amendements visant à aligner l' entrée en vigueur de ces dispositions sur la date d'entrée en vigueur de la directive européenne relative aux contrats de vente de biens, à savoir 2022 ( AFFECO-5 , AFFECO-6 , AFFECO-8 et AFFECO-9 ). Enfin, la commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à renforcer l'information du consommateur quant aux caractéristiques essentielles des mises à jour qui lui sont fournies : espace de stockage nécessaire, impact prévisible sur les performances du bien, évolution des fonctionnalités qu'elle comporte ( AFFECO-4 )...
L'impact d'un allongement du délai durant lequel le consommateur peut agir en conformité, c'est-à-dire demander la réparation ou le remplacement du bien (article 11), et de la durée durant laquelle les mises à jour nécessaires à la conformité du bien doivent être fournies (article 9), devrait être marginal dans la mesure où, faute de pouvoir allonger le délai de présomption d'antériorité du défaut au-delà de deux ans, il restera toujours à la charge du consommateur de prouver que le défaut de conformité est imputable au défaut de mise à jour.
Par ailleurs, la question de savoir si l'allongement de la durée de conformité permet d'obtenir in fine des biens plus durables reste ouverte, aucune étude n'établissant clairement ce lien de causalité, à la connaissance de la rapporteure. Il en va de même à propos de la question des effets d'un tel allongement sur les prix. De plus, la garantie de conformité porte sur le vendeur du bien. L'avantage de cette solution est de rendre un seul interlocuteur responsable envers le consommateur. Mais la chaîne de valeur étant particulièrement complexe, il conviendrait de s'assurer que le vendeur est bien en mesure d'exercer l'action récursoire auprès des autres acteurs de la chaîne (fabricant, éditeur du système d'exploitation, etc.) 36 ( * ) . Les dispositions de la proposition de loi permettent cependant d' envoyer un signal sur ce sujet, notamment quant à la nécessité de réfléchir à l'opportunité d'allonger la durée de la présomption d'antériorité du défaut.
Ces orientations pourront être défendues au niveau européen car, en mars dernier, la Commission européenne a publié son plan d'action pour l'économie circulaire , qui comprend notamment deux initiatives prévues pour l'année prochaine : l'une visant à rendre les produits électroniques plus durables en les incluant dans le champ d'application de la directive écoconception de 2009 (qui s'applique aux fabricants quel que soit l'acheteur - et donc à la fois aux équipements électroniques grand public et aux équipements électroniques professionnels -, contrairement à la garantie de conformité, qui s'applique au vendeur d'un équipement à destination des consommateurs), l'autre visant la création d'un droit à la réparation des produits électroniques, qui comprendrait le droit à la mise à jour des logiciels obsolètes. Reprenant une orientation de la loi « AGEC », la Commission européenne entend également proposer la mise en place d'un indice de réparabilité standardisé au niveau européen. Dans ce cadre, la rapporteure invite le Gouvernement à défendre divers instruments d'information du consommateur, comme la création d'un compteur d'usage pour les équipements électroniques qui, à la façon du compteur kilométrique des voitures, permettrait à l'utilisateur souhaitant acquérir un bien d'occasion de connaître le degré d'utilisation du bien qu'il achète. L'initiative annoncée par la Commission européenne de créer un « passeport produit » numérique permettant d'assurer la traçabilité des équipements est également bienvenue.
* 26 Elle se distingue de l'obsolescence matérielle, qui renvoie à l'usure et de l'obsolescence culturelle, qui renvoie au souhait des consommateurs de détenir un terminal dernier cri, plus ou moins influencé par les stratégies marketing. Le sujet de l'achat de téléphones subventionnés est souvent cité comme incitant au renouvellement des terminaux, mais cette pratique ne concerne plus, selon l'Arcep , que 22 % des abonnements en 2019, contre la quasi-totalité en 2010.
* 27 https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/transaction-avec-le-groupe-apple-pour-pratique-commerciale-trompeuse .
* 28 « L e recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d'un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement ».
* 29 Définie aux articles L. 121-4 à L. 121-7 du code de la consommation.
* 30 Le 22 septembre dernier, l'UFC-Que choisir a cependant déposé sa première plainte pour obsolescence programmée contre Nintendo, en ce qui concerne les manettes de la console de jeux vidéo Switch.
* 31 L'article 1 er de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière habilite le Gouvernement à transposer les directives 2019/770 relatives à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques et la directive 2019/771 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens. À l'occasion de la transposition, le Gouvernement pourra conférer toute leur portée aux dispositions adoptées dans le cadre de la loi « AGEC » (articles L. 217-22 et -23 du code de la consommation) et modifiées par la proposition de loi, en les inscrivant dans le cadre de la garantie de conformité.
* 32 Au-delà de la garantie de conformité, la loi « AGEC » impose à tout fabricant de biens comportant des éléments numériques d'informer les vendeurs de la durée au cours de laquelle les mises à jour des logiciels fournis au moment de l'achat du bien restent compatibles avec un usage normal de l'appareil.
* 33 À l'inverse, la directive semble laisser la place à une interprétation selon laquelle toute mise à jour de sécurité n'est pas une mise à jour nécessaire à la conformité du bien : on peut ainsi penser que des fonctionnalités « premium » de sécurité n'entreraient pas nécessairement dans cette catégorie.
* 34 Comme évoqué dans le rapport de Laurent Duplomb sur le projet de loi Dadue, le Gouvernement envisage, dans le cadre de la transposition de la directive sur les contrats de vente de biens, de dissocier délai de garantie et délai de prescription, pour aligner ce dernier sur le droit commun, à savoir cinq ans à compter de la survenance du dommage. Le délai de garantie prévu pour l'ensemble des biens resterait de deux ans à compter de la délivrance du bien.
* 35 Le considérant 31 de la directive précise en effet que « la période pendant laquelle le consommateur peut raisonnablement s'attendre à recevoir des mises à jour (...) est au moins équivalente à celle durant laquelle le vendeur est responsable pour un défaut de conformité », sauf pour des cas très particuliers (« par exemple en ce qui concerne les biens comportant des éléments numériques dont la finalité est limitée à une certaine période, l'obligation du vendeur de fournir des mises à jour devrait normalement s'éteindre à l'expiration de cette période » .
* 36 Le Cigref a en effet attiré l'attention de la rapporteure sur l'absence de coresponsabilité entre l'éditeur et le constructeur sur un engagement pérenne du couple matériel/logiciel.