N° 426
SÉNAT
• SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
• Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 avril 2014 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , pour l' égalité réelle entre les femmes et les hommes ,
Par Mme Michelle MEUNIER,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Patricia Bordas, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
Voir le(s) numéro(s) :
Première lecture : 717 , 788 , 794 , 807 , 831 , 808 et T.A. 214 (2012-2013)
Deuxième lecture : 321 (2013-2014) |
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Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
Première lecture : 1380 , 1631 , 1657 , 1663 et T.A. 282 |
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat s'apprête à examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes qui comporte, au terme d'une première lecture par chaque assemblée, 103 articles , dont 10 ont été adoptés sans modification par l'Assemblée nationale.
Partant du constat que les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent dans l'ensemble des sphères de la société et qu'elles se renforcent les unes les autres, ce texte vise à les combattre non plus par une approche sectorielle - méthode qui prévalait jusqu'ici - mais par une approche transversale ou intégrée , démarche totalement novatrice.
Il couvre ainsi plusieurs grandes thématiques qui sont au coeur des inégalités entre les sexes : le meilleur partage des responsabilités parentales pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; la poursuite du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise ; la lutte contre la précarité des femmes, notamment celle des mères isolées ; la protection des femmes contre toutes les formes de violences ; la concrétisation de l'objectif constitutionnel de parité.
Saisie pour avis, la commission des affaires sociales s'est vue déléguer par la commission des lois l'examen au fond de 32 articles relevant de son champ de compétence (articles 2 A à 2 bis C, articles 2 bis E à 2 ter , articles 4 à 5 quinquies , article 6, articles 6 bis à 6 septies et article 23 bis A), les débats au Sénat comme à l'Assemblée nationale ayant considérablement enrichi le volet « droit social » du projet de loi initial.
A l'initiative de votre rapporteure, votre commission s'est attachée à la fois à préciser la rédaction de ces articles et à enrichir leur contenu.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LES DISPOSITIONS RELATIVES À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES DANS LA VIE PROFESSIONNELLE
A. LE PARTAGE PLUS ÉQUITABLE DES RESPONSABILITÉS PARENTALES
1. La réforme du complément de libre choix d'activité (CLCA) devenu la prestation partagée d'éducation de l'enfant (Prépare) (articles 2 et 2 bis)
En instaurant une période de partage du complément de libre choix d'activité (CLCA) entre les deux parents, l'article 2 vise d'une part, à inciter les pères à réduire ou interrompre leur activité professionnelle pour s'occuper de leur enfant et permettre ainsi un partage plus équilibré des responsabilités parentales, d'autre part, à améliorer le retour à l'emploi des mères qui le souhaitent.
Le dispositif initial
Applicable à compter du 1 er juillet 2014, la réforme proposée par le Gouvernement consiste à instaurer un partage des droits au CLCA entre les parents.
Est ainsi posé le principe selon lequel le CLCA est versé pendant une durée fixée par décret, variant en fonction du rang de l'enfant : cette durée initiale sera de six mois pour un enfant de rang 1, de trente mois pour un enfant de rang 2 et plus.
Un droit à l'allongement de cette durée initiale est institué lorsque chacun des parents fait valoir son droit au complément. Cette durée supplémentaire, fixée par décret, pourra être modifiée en fonction de la capacité de la réforme à atteindre ses objectifs. Elle sera, dans un premier temps, fixée à six mois. La durée totale de versement du CLCA sera donc de douze mois pour un enfant de rang 1, de trente-six mois pour un enfant de rang 2 et plus.
Les familles monoparentales ne sont pas concernées par ce nouveau dispositif et leur situation reste inchangée par rapport au droit actuel.
Les modifications adoptées par le Sénat
En première lecture, le Sénat a apporté quatre modifications substantielles au dispositif initialement prévu à l'article 2.
A l'initiative de votre rapporteure, il a tout d'abord modifié le nom du CLCA, considérant que le recours à cette prestation n'était pas toujours l'expression d'un libre choix dans la mesure où 96,5 % de ses bénéficiaires sont des femmes. Le nouvel intitulé proposé, « prestation partagée d'accueil de l'enfant », met en évidence l'incitation au partage de la prestation entre les parents.
A l'initiative du Gouvernement, le Sénat a procédé à l'ajustement du dispositif sur trois aspects.
Il a tout d'abord décidé d'inclure le congé de maternité dans la durée totale de versement du CLCA. Votre rapporteure avait en effet alerté sur la nécessité, pour les parents de deux enfants et plus, de prendre en compte le congé de maternité dans le décompte de la durée de la prestation, au risque sinon de réduire la période de partage des droits.
Le Sénat a ensuite introduit une mesure de « jonction » avec le calendrier scolaire visant à faire face aux situations mettant certaines familles en difficulté du seul fait que leur enfant est né en début d'année. Le bénéfice de la prestation est désormais prolongé jusqu'à l'entrée de l'enfant à l'école maternelle pour les familles modestes ayant au moins deux enfants et ayant bénéficié d'un congé parental partagé jusqu'aux trois ans de l'enfant. Ces familles devront toutefois avoir entrepris des démarches de scolarisation ou d'inscription dans une structure d'accueil collectif du jeune enfant, restées insatisfaites pour les quelques mois en cause, et l'un des deux parents devra exercer une activité professionnelle.
Enfin, dans un souci de lisibilité et de simplification, le Sénat a procédé à l'harmonisation des règles de versement du complément optionnel de libre choix d'activité (Colca), dispositif qui permet aux parents de trois enfants et plus de bénéficier d'un congé parental d'une durée plus courte et mieux indemnisé, avec celles de la prestation partagée d'accueil de l'enfant. Une période de partage est désormais prévue afin d'inciter le second parent à prendre un congé parental.
Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a, outre plusieurs coordinations et précisions rédactionnelles, complété le dispositif sur quatre principaux points .
A l'initiative conjointe du rapporteur de la commission des lois et de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, elle a tout d'abord modifié le nom de la prestation, considérant que la dénomination adoptée par le Sénat pouvait entraîner une confusion avec la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), dont elle constitue l'un des quatre volets. La prestation s'intitule désormais « prestation partagée d'éducation de l'enfant » ou « Prépare ».
Toujours à l'initiative conjointe des deux rapporteurs, elle a ensuite exclu les parents d'un premier enfant de la règle d'inclusion du congé de maternité dans la durée de la prestation. Compte tenu de la durée plus courte de versement de la prestation pour un premier enfant, cette disposition aurait en effet constitué un recul par rapport au droit existant. En cas de naissance (ou d'adoption) d'un premier enfant, la durée de versement de la prestation sera donc de six mois par parent, en sus du congé maternité postnatal (ou du congé d'adoption), dans la limite d'un certain nombre de mois qui sera précisé par décret (vraisemblablement entre quinze et dix-huit mois après la naissance de l'enfant).
A l'initiative de la rapporteure pour avis, l'Assemblée nationale a également introduit une disposition excluant du champ de l'obligation de partage des droits à la Prépare les couples dont l'un des deux membres n'est pas éligible à cette prestation, faute d'avoir exercé une activité professionnelle dans les conditions exigées par l'article L. 531-4 du code de la sécurité sociale. Elle a en effet estimé qu'il n'était pas envisageable de faire peser une obligation de partage aux couples dont l'un des membres n'est pas éligible à la prestation.
Toujours à l'initiative de la rapporteure pour avis, l'Assemblée nationale a adopté un amendement permettant, en cas de naissances multiples d'au moins trois enfants ou d'arrivées simultanées d'au moins trois enfants adoptés, de mettre en cohérence la durée du congé parental d'éducation - actuellement limitée à trois ans - avec la durée de versement de la prestation partagée qui est de six ans au maximum. Compte tenu des difficultés organisationnelles majeures auxquelles sont confrontés les parents de « multiples », il est introduit à l'article L. 1225-48 du code du travail une disposition permettant de prolonger le congé parental jusqu'au sixième anniversaire des enfants. Cette initiative, qui aurait pu être jugée contraire à l'article 40 de la Constitution, a reçu le soutien explicite de la ministre lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, ce qui a rendu possible son dépôt.
Enfin, à l'initiative du Gouvernement, les députés ont introduit une disposition précisant que les droits des parents d'enfants nés ou adoptés avant le 1 er juillet 2014, date à laquelle la réforme doit entrer en vigueur, demeurent inchangés.
Votre rapporteure salue l'ensemble de ces dispositions qui améliorent le dispositif initial.
Les amendements adoptés par votre commission
A l'initiative de votre rapporteure, votre commission a adopté six amendements à l'article 2, dont cinq sont de nature rédactionnelle .
Le sixième amendement vise à permettre aux familles monoparentales de bénéficier de la durée étendue de versement de la Prépare, quand bien même une remise en couple interviendrait à l'issue de la période initiale de versement de la prestation.
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A l'initiative du rapporteur de la commission des lois, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 2 bis , introduit en séance publique par le Sénat 1 ( * ) , qui prévoyait la remise annuelle d'un rapport au Parlement sur les effets de la réforme prévue à l'article 2. Elle a mis en avant le caractère peu normatif de cette disposition et rappelé qu'il revient en premier lieu au Parlement de réaliser un travail d'évaluation des lois qu'il adopte.
2. L'expérimentation du versement du montant majoré de la prestation partagée d'éducation de l'enfant aux parents de deux enfants (article 2 bis E)
A l'initiative du rapporteur de la commission des lois, l'Assemblée nationale a introduit un article 2 bis E qui prévoit l'expérimentation du versement aux parents de deux enfants du montant majoré de la Prépare (anciennement complément optionnel de libre choix d'activité ou Colca) . La durée de cette expérimentation est fixée à dix-huit mois, par cohérence avec la durée des autres expérimentations prévues par le projet de loi.
En l'état actuel du droit, seuls les parents de trois enfants ou plus peuvent, s'ils le souhaitent, bénéficier du Colca, prestation au montant majoré en contrepartie d'une durée de versement plus courte.
L'ouverture, à titre expérimental, du montant majoré de la Prépare aux parents de deux enfants vise à faciliter le retour à l'emploi des parents qui cessent temporairement leur activité professionnelle pour s'occuper de leur enfant. Cette mesure est donc favorable aux femmes qu'elle éloignera moins longtemps du marché du travail.
Pour cette raison, votre rapporteure la soutient pleinement .
A son initiative, votre commission a adopté un amendement visant, d'une part, à prolonger de six mois la durée de l'expérimentation afin de mieux mesurer l'incidence d'une telle mesure sur le retour à l'emploi de ses bénéficiaires à l'issue du congé parental, et d'autre part à reporter au 1 er janvier 2015 son lancement pour laisser suffisamment de temps aux caisses d'allocations familiales (Caf) pour préparer sa mise en oeuvre.
3. La conclusion d'une convention entre Pôle emploi et la caisse nationale des allocations familiales en faveur des bénéficiaires de la prestation partagée d'éducation de l'enfant non titulaires d'un congé parental d'éducation (article 2 ter)
Issu de l'adoption par le Sénat d'un amendement du Gouvernement, l'article 2 ter prévoit la conclusion d'une convention entre Pôle emploi et la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) portant sur l'accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires de la Prépare qui étaient précédemment en inactivité .
D'après la Cnaf, environ 96 000 bénéficiaires du CLCA sortent chaque année du dispositif sans disposer d'un congé parental d'éducation (car ne satisfaisant pas aux conditions d'éligibilité requises) et n'ont, par conséquent, aucune assurance de retrouver un emploi.
Au cours des débats au Sénat, la ministre des droits des femmes a fait valoir que cette nouvelle disposition visait à « créer les conditions d'un véritable droit à l'accompagnement professionnel de ces femmes - ce sont en effet essentiellement des femmes - » et que la convention était porteuse de trois avancées décisives :
- en premier lieu, les femmes concernées seront invitées, un an avant l'échéance de leurs droits, à préparer leur retour à l'emploi avec l'aide d'un conseiller de Pôle emploi au moyen d'un accompagnement personnalisé, qui s'ouvrira par un bilan de compétences, sans que puisse être opposé à ces bénéficiaires le fait qu'elles n'étaient pas inscrites jusqu'alors sur la liste des demandeurs d'emploi ;
- en deuxième lieu, des formations adaptées seront offertes aux bénéficiaires, que ce soit dans le cadre de leur emploi initial ou d'un projet de reconversion ;
- enfin, le Gouvernement s'est engagé, en lien avec les régions, à ce que des solutions ponctuelles d'accueil des enfants soient apportées afin que ces femmes puissent effectivement suivre les formations proposées.
En première lecture, l'Assemblée nationale a simplement apporté des précisions rédactionnelles à cet article, que votre rapporteure juge très important pour ces femmes éloignées du marché du travail.
* 1 Amendement de Mme Catherine Génisson et des membres du groupe socialiste et apparentés.