B. LE RENFORCEMENT DE L'INDÉPENDANCE ET DES POUVOIRS DE L'ARJEL
1. Octroyer la personnalité morale
La commission de la culture et de la communication s'est souciée de renforcer l'indépendance et les pouvoirs de l'autorité de régulation. À cet égard, les apparences et les symboles ne doivent pas être négligés. Il faut rendre manifeste l'indépendance et l'autonomie du régulateur, tant vis-à-vis de l'Etat et du pouvoir politique, que des opérateurs économiques soumis à sa surveillance. Toute capture par l'une ou l'autre partie doit être évitée, sous peine de vider le dispositif de sa substance. Toute suspicion même doit être étouffée grâce à l'adoption de règles claires et rigoureuses.
L'octroi de la personnalité morale présente des avantages sur les deux plans technique et symbolique. Elle permettrait à l'ARJEL de gagner une pleine capacité juridique, sur le modèle de l'Autorité des marchés financiers que loi du 1 er août 2003 de sécurité financière définit comme une autorité publique indépendante. Elle pourrait ainsi ester en justice sans recourir à l'artifice de donner qualité à son président, personne physique. De même, elle pourrait contracter et disposer d'un patrimoine propre.
Enfin, symboliquement, l'octroi de la personnalité morale témoigne de la volonté du législateur d'affirmer avec force l'autonomie de l'autorité de régulation et de clarifier sa séparation avec les services de l'Etat. Comme le soulignait Mme Marie-Anne Frison-Roche dans une étude commandée par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation : « au-delà de la flexibilité technique nouvelle ainsi offerte aux autorités administratives indépendantes, l'affaire est symbolique. La personnalité est synonyme juridique d'autonomie, puisque la philosophie de l'autonomie de la volonté se réfère à la puissance, la liberté et la rationalité de la personne. En donnant aux autorités administratives indépendante, la personnalité morale, le législateur fait signe qu'il veut fortement l'indépendance de celles-ci. » 1 ( * )
L'accroissement des pouvoirs et de l'autonomie d'une autorité de régulation ne peut aller sans l'obligation de rendre des comptes. Sur ce point également, conférer à l'ARJEL la personnalité morale marquerait un progrès puisqu'elle deviendrait pleinement responsable de ses décisions. Les personnes estimant avoir souffert des dommages du fait d'une faute de l'ARJEL pourront se retourner contre elle en justice. Le risque de devoir supporter des pénalités financières nécessitera d'être couvert par un contrat d'assurance. L'Etat ne se substituerait à l'autorité qu'en cas de défaillance de l'autorité. La probabilité de contentieux ne doit cependant pas être surestimée. L'Autorité des marchés financiers, potentiellement soumise à des risques plus lourds au regard de ses responsabilités et de l'étendue de ces pouvoirs de sanction, supporte sans difficulté particulière cette contrainte qui va nécessairement de pair avec la personnalité morale.
2. Garantir la crédibilité de l'autorité de régulation
Le secteur des jeux d'argent et de hasard souffre d'une réputation douteuse, issue pour partie de représentations collectives fantasmatiques nourrie par le cinéma et la littérature de Dostoïevski à Martin Scorsese. Ne peuvent cependant être niés ni le développement du jeu pathologique et excessif jusqu'à l'addiction comportementale pure et simple ni la réalité de comportements délictuels, voire criminels, allant de la fraude aux moyens de paiement et du truquage d'épreuves sportives à l'évasion fiscale et au blanchiment de capitaux. Le régulateur des opérateurs de jeux d'argent et de hasard en ligne doit donc bénéficier, dès sa création, d'une crédibilité inattaquable et insoupçonnable.
L'introduction d'un délai de viduité empêchant les membres de l'ARJEL de rejoindre ou de lier intérêt avec une entreprise du secteur des jeux en ligne à la cessation de leur mandat paraît à cet égard essentielle . Si les membres pouvaient par un biais quelconque bénéficier a posteriori des décisions qu'ils ont prises au cours de leur mandat, c'est toute l'action du régulateur qui serait dès l'origine entachée d'un vice rédhibitoire. La même interdiction devrait pour les mêmes raisons viser le directeur général de l'ARJEL, que son rôle dans la préparation des dossiers fait partiellement participer aux décisions du collège.
La crédibilité de l'autorité prend ses racines dans la compétence et l'indépendance des membres qui la composent. Compétence et indépendance se renforcent d'ailleurs mutuellement, puisque la connaissance approfondie des dossiers permet de prendre le recul nécessaire pour analyser les informations qui viennent des entreprises et qu'inversement un esprit indépendant saura se garder d'être trop sensible aux discours des opérateurs ou de l'Etat et cherchera à appuyer ses positions sur des arguments techniques. À bien des égards, l'indépendance d'une autorité ne se décrète pas. Elle relève plutôt d'une tournure d'esprit ou d'une façon d'être de ses membres, qui leur est propre en tant que personnes et que la loi ne peut que soutenir et protéger sans la susciter.
Les règles encadrant la nomination des membres et l'exercice de leur mandat doivent être suffisamment contraignantes pour prévenir tout conflit d'intérêt et toute interférence extérieure, sans toutefois gêner le recrutement de personnalités compétentes en décourageant les bonnes volontés. Sans doute les garanties d'indépendance des membres de l'ARJEL peuvent-elles être encore renforcées en s'inspirant des dispositions régissant d'autres autorités de régulation sans que votre rapporteur puisse appréhender de risques concrets de manquer de candidats pour intégrer le collège. Un double principe d'irrévocabilité et de non-renouvelabilité des mandats des membres de l'autorité devrait être respecté afin de sécuriser leur exercice et d'écarter toute ingérence extérieure dans les décisions de l'ARJEL.
L'indépendance de l'autorité, si elle ne va pas jusqu'à lui accorder pour l'instant une pleine autonomie financière et budgétaire, passe en revanche par la faculté de recruter elle-même, selon ses besoins, des personnels compétents sans se les voir imposer. Il est particulièrement bienvenu de laisser l'ARJEL recruter des agents contractuels, ce qui lui permettra en particulier de gérer avec souplesse les pics d'activité auxquels elle sera nécessairement confrontée, surtout dans les premiers temps de son installation, puis au moment de la certification définitive et du renouvellement des agréments au bout de cinq ans. Etant donné le rôle clef qu'occupera le directeur général de l'autorité, il serait également souhaitable que sa désignation soit du ressort du collège de l'autorité, sur proposition du président plutôt que de celui du ministre chargé du budget.
3. Renforcer la lutte contre les sites illégaux
L'impératif de lutter contre l'offre illégale rend préférable de conférer à l'ARJEL le pouvoir d'ordonner directement le blocage des sites des opérateurs dépourvus d'agrément, sans l'intermédiaire du juge des référés. En effet, l'exigence de s'appuyer sur une décision de justice pour mener toute action répressive contre les sites illégaux ne se justifie pas au regard de la protection des libertés publiques . Il n'est pas plus fait atteinte à la liberté de communication en permettant à l'ARJEL d'ordonner la fermeture de l'accès à un site illégal, qu'à la liberté d'aller et venir lorsque les préfets ordonnent la fermeture de lieux ouverts au public en cas de défaut de la sécurité incendie ou qu'à la liberté du commerce et de l'industrie lorsque l'inspection du travail sanctionne une entreprise fautive.
En revanche, le filtre du juge aura pour conséquence de rallonger la procédure, pendant laquelle, en toute impunité, les sites illégaux continueront à organiser des paris. Si l'on considère que les opérateurs les plus sérieux du marché demanderont l'agrément, les sites illégaux seront le fait d'opérateurs peu soucieux de respecter les bonnes pratiques en matière d'addiction ou de transparence des flux financiers. Les recettes fiscales et sociales se trouveront par ailleurs amoindries. Autant de raison impérieuses qui imposent d'agir vite et avec force et qui justifient de confier la décision de fermeture d'accès aux sites illégaux à la commission des sanctions de l'ARJEL.
Un encadrement de la procédure conformément aux principes édictés par le Conseil Constitutionnel pour garantir les droits de la défense sera toutefois nécessaire. Les conditions imposées à la commission des sanctions de l'ARJEL lorsqu'elle se prononce sur d'éventuels manquements aux cahiers des charges de la part des opérateurs agréés paraissent suffisantes et pourraient être reprises dans la procédure de blocage des sites illégaux. Il conviendra donc de prévoir la notification des griefs à l'intéressé, la possibilité pour celui-ci de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites ou orales, la motivation et la notification de la décision de blocage. Un recours devant la juridiction administrative devra enfin être ménagé.
* 1 Marie-Anne Frison-Roche, Etude dressant un bilan des autorités administratives indépendantes , Rapport de M. Patrice Gélard au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, tome II : Annexes, 15 juin 2006, p. 60.