2. La jurisprudence administrative
Comme la jurisprudence judiciaire, la jurisprudence administrative en matière médicale a progressivement évolué dans un sens de plus en plus favorable aux victimes.
Le juge administratif, qui, rappelons-le, n'applique pas le code civil, a longtemps distingué les actes d'organisation ou de fonctionnement du service ainsi que les actes de soins courants, qui peuvent engager la responsabilité du service hospitalier sur le fondement de la faute simple, et les actes médicaux, pour lesquels seule une faute lourde permettait d'engager la responsabilité du service public hospitalier.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de service, le juge administratif a admis dès 1958 que, pour l'activité hospitalière, la responsabilité de l'administration était engagée sur la base d'une faute présumée . Seule la preuve de l'imputabilité du dommage, destinée à établir le lien entre le dommage subi et le service public hospitalier est à la charge de plaignant.
Relèvent de ce régime de responsabilité les fautes commises dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier, les fautes liées à des soins délivrés par du personnel soignant, les fautes résultant d'un défaut d'information du patient.
En ce qui concerne les actes médicaux, le Conseil d'Etat a, pendant longtemps, subordonné l'engagement de la responsabilité de l'hôpital à la commission d'une faute lourde. Mais cette exigence a été abandonnée par un arrêt du 10 avril 1992 4 ( * ) . Cet arrêt a placé les victimes d'un accident médical à l'hôpital dans une situation équivalente à celle des patients du secteur de la médecine libérale, en exigeant une faute simple pour engager la responsabilité de l'hôpital.
3. L'indemnisation de l'aléa médical : les solutions divergentes des deux ordres de juridiction
L'aléa médical a pu être défini par M. Pierre Sargos, président de chambre à la Cour de cassation et spécialiste de la responsabilité médicale, comme « la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé ».
Dans un arrêt Bianchi du 9 avril 1993, le Conseil d'Etat a admis, sous certaines conditions, l'indemnisation de l'aléa médical :
« Lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ».
Les conditions posées à l'indemnisation dans de tels cas sont strictes :
- l'acte réalisé doit être nécessaire au diagnostic ou au traitement ;
- l'existence du risque doit être connue , mais sa réalisation exceptionnelle ;
- le patient ne doit pas être particulièrement exposé au risque ;
- le dommage doit être d'extrême gravité et sans rapport avec l'état initial du patient.
Compte tenu de ces conditions, cette jurisprudence n'a jusqu'à présent reçu qu'un nombre d'applications limitées.
La Cour de cassation s'est pour sa part refusée, à plusieurs reprises, et récemment encore, dans un arrêt du 8 novembre 2000, à indemniser l'aléa thérapeutique en considérant que « la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient ».
Dans son rapport sur cette affaire, M. Pierre Sargos, alors conseiller à la Cour de cassation avait notamment avancé les arguments suivants :
« (...) L'aléa thérapeutique est en réalité le constat de l'impuissance de l'intervention médicale face à un risque non maîtrisable en l'état des données acquises de la science à la date des soins. Il s'agit même, d'une certaine façon, de la survenance d'un cas fortuit qui est normalement exonératoire de la responsabilité.
« (...) Enfin, l'équilibre économique des membres des professions médicales qui font objectivement courir des risques majeurs aux patients serait tellement compromis qu'on pourrait craindre des difficultés d'assurance et une réticence des praticiens à s'engager dans des spécialités à risque .
« N'est-on pas avec la question de l'aléa thérapeutique dans un domaine qu'il n'incombe qu'au législateur de régler ? ».
En l'absence, jusqu'à présent, d'intervention du législateur, des accidents médicaux parfois extrêmement graves ne donnent aujourd'hui lieu à aucune indemnisation, cependant que les solutions différentes retenues par les deux ordres de juridiction créent une inégalité entre victimes.
* 4 CE, 10 avril 19921, M. et Mme V.