EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner le projet de loi relatif aux droits des malades et à l'amélioration de la qualité du système de santé. Ce projet de loi est renvoyé pour son examen au fond à votre commission des affaires sociales.
Dès le dépôt du projet de loi sur le Bureau du Sénat, votre commission des lois a souhaité se saisir pour avis de certaines dispositions de ce texte. Le projet de loi prévoit en effet la création de « pôles de santé » judiciaires pour le traitement des affaires pénales relatives à la santé publique. Surtout, il contient des dispositions extrêmement importantes en matière de responsabilité médicale, qui relèvent également de la compétence de votre commission.
Depuis le dépôt de ce projet de loi, les conditions de sa future discussion ont été modifiées, le Gouvernement ayant fait part de sa volonté d'intégrer dans ce texte la proposition de loi relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux adoptée il y a quelques jours par l'Assemblée nationale et dont votre commission des lois est saisie au fond. Le contenu de cette proposition de loi concerne en effet directement la responsabilité médicale.
Dans ces conditions, l'avis de votre commission des lois portera tant sur l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, innovation majeure du projet de loi que sur la proposition de loi destinée à répondre à ce qu'il est convenu d'appeler la « jurisprudence Perruche ».
I. INDEMNISER L'ALÉA MÉDICAL : UN PROGRÈS LONGTEMPS ATTENDU
Les règles relatives à la responsabilité médicale se sont progressivement construites en l'absence de tout support législatif spécifique, à l'exception des règles générales de la responsabilité posées par le code civil. La jurisprudence des deux ordres de juridiction a progressivement évolué dans un sens de plus en plus favorable aux victimes d'accidents médicaux. Dans certaines situations particulières, le législateur est intervenu afin de définir lui-même les conditions d'indemnisation de certaines victimes.
Il reste néanmoins des situations dans lesquelles des accidents médicaux, parfois très graves, ne donnent lieu à aucune indemnisation . De plus, les deux ordres de juridiction appliquent des principes différents, à des rythmes différents et n'aboutissent pas à des solutions parfaitement identiques.
Une intervention du législateur était donc souhaitable et demandée depuis longtemps.
A. UNE JURISPRUDENCE SUR LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE DE PLUS EN PLUS FAVORABLE AUX VICTIMES
Sur des fondements et avec des raisonnements différents, les juridictions judiciaires et les juridictions administratives ont élaboré, en matière de responsabilité médicale, une jurisprudence de plus en plus favorable aux victimes.
1. La responsabilité médicale devant les juridictions judiciaires
Par un arrêt Mercier du 20 mai 1936, la Cour de cassation a fondé la responsabilité du médecin sur une base contractuelle , qui lui a permis de définir le contenu des obligations nées du contrat médical dont la transgression peut constituer une faute.
Aux termes de cet arrêt fondamental, « il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l'engagement sinon, bien évidemment, de guérir le malade, ce qui n'a d'ailleurs jamais été allégué, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques, ainsi que paraît l'énoncer le moyen du pourvoi, mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science ».
Pour l'essentiel, les obligations nées du contrat médical sont des obligations de moyens et non de résultat . Ainsi, le praticien n'a pas à rapporter la preuve d'un fait susceptible de l'exonérer de sa responsabilité, la charge de la preuve incombant au patient.
La jurisprudence a peu à peu précisé le contenu des obligations qui résultent du contrat médical.
Ainsi, le médecin a une obligation d'information du patient, tant en ce qui concerne l'affection dont il est atteint que les soins préconisés et les risques inhérents à ces soins.
Un médecin a également l'obligation de donner des soins personnels aux patients . Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu'un médecin est responsable de l'oubli d'un champ opératoire dans l'abdomen du patient, même s'il avait confié à un membre de son équipe le soin de faire le compte des champs utilisés 1 ( * ) .
Naturellement, les médecins ont l'obligation de donner des soins suivant une technique consciencieuse et attentive .
En ce qui concerne l'obligation de donner des soins conformes aux données acquises de la science , la jurisprudence a progressivement précisé que ces données acquises peuvent résulter de traités médicaux, d'articles de spécialistes, des travaux des congrès médicaux ou d'entretiens médicaux. Dans un arrêt de 1974, la Cour de cassation a considéré qu'une erreur de diagnostic était excusable si elle était « normalement possible et justifiable en l'état de la science et de la pratique médicale à l'époque des faits » 2 ( * ) .
Au cours des dernières années, la référence à l'obligation de moyens du praticien a subi des atténuations, voire des dérogations . Ainsi, en matière d'information du patient, la Cour de cassation a décidé qu'il appartenait au praticien de rapporter la preuve qu'il avait bien informé le patient des risques encourus. Le présent projet de loi tend d'ailleurs à transcrire cette obligation dans la loi puisqu'il prévoit qu' « en cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé (...) ».
Surtout, dans certaines hypothèses, la Cour de cassation a estimé que les médecins ou établissements de santé avaient, non une obligation de moyens, mais une obligation de sécurité de résultat . Cette obligation rend le médecin responsable, qu'une faute soit établie ou non, sauf à rapporter la preuve d'une cause étrangère.
- Cette évolution a tout d'abord concerné les « dispositifs » médicaux utilisés par certains praticiens. En 1985, la Cour de cassation a jugé que « si le chirurgien dentiste n'est tenu que d'une obligation de moyens quant aux soins qu'il prodigue à son patient, il est tenu, en tant que fournisseur de la prothèse, d'une obligation de résultat qui l'oblige à délivrer un appareil sans défaut ».
Ce régime de responsabilité s'applique également aux centres de transfusion sanguine.
De manière plus générale, la Cour de cassation a jugé en 1999 que « le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical d'investigation ou de soins » 3 ( * ) .
En pratique, ces décisions paraissent en pleine adéquation avec la directive communautaire relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposée en droit français par la loi du 19 mai 1998.
- La jurisprudence met désormais également à la charge des établissements de santé une obligation de sécurité de résultat en matière d' infections nosocomiales , qui, très schématiquement, sont celles contractées dans un établissement de santé. Par trois arrêts du 29 juin 1999, dits « staphylocoques dorés », la Cour de cassation a jugé que les établissements de santé privés et les médecins étaient tenus d'une obligation de sécurité de résultat en matière d'infection nosocomiale dont ils ne pouvaient se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère .
* 1 Cass. 9 octobre 1984.
* 2 Cass.4 janvier 1974.
* 3 Cass. cil. 29 octobre 1983.