II. LE SECTEUR GAZIER

Le secteur gazier européen se trouve actuellement dans une période de transition, puisque la commission de Bruxelles a souhaité accélérer la libéralisation avant même que la directive de 1998, qui est juridiquement entrée en vigueur au mois d'août 2000, ait porté tous ses fruits.

A. LA MULTIPLICATION DES FUSIONS ACQUISITIONS ET DES PRISES DE PARTICIPATION

Si elles sont moins nombreuses que celles enregistrées sur le marché de l'électricité, les opérations de fusion-acquisition et de privatisation opérées dans le secteur gazier n'en restent pas moins d'actualité. C'est ainsi que la Norvège a ouvert le capital de son opérateur historique, Statoil, en introduisant en bourse 17,5 % de celui-ci. Au mois de juillet dernier, l'opérateur russe Gazprom a annoncé qu'il entendait faire passer la part du capital détenu par des opérateurs étrangers de 11,5 à 20 %.

Parmi les opérations récemment survenues en Europe, on retiendra notamment l'alliance entre le groupe pétrolier italien ENI et l'énergéticien allemand EnBW destinée à créer une filiale commune de transport et de vente de gaz en Allemagne.

De son côté, Gaz de France a :

- réorganisé ses participations en Allemagne en renforçant notamment ses activités gazières dans les nouveaux Länder ;

- annoncé une hausse des ses investissements au Mexique ;

- annoncé son association avec Ruhgas pour entrer dans le capital de la Société de distribution Tchèque Transgas ;

- fait son entrée au capital de l'opérateur indien petronet LNG.

B. L'ÉVOLUTION DU MARCHÉ EUROPÉEN

1. Une ouverture du marché encore imparfaite

Malgré l'entrée en vigueur de la directive de 1998, l'ouverture du marché gazier en Europe demeure limitée. Aussi, le forum des régulateurs du gaz européen, réuni à Madrid en juillet 2001, a-t-il souligné le manque de flexibilité du marché gazier européen, et les carences des capacités de transport . Les questions posées par l'interopérabilité des gestionnaires de réseaux de transport ont aussi été soulevées. Il est, en effet, nécessaire d'assurer le traitement non discriminatoire des transporteurs par des moyens appropriés (protocoles de communication normalisés, harmonisation des définitions et des unités de mesure...). Selon Europolitique du 11 juillet 2001 : « Les autorités ont exprimé leur « déception » car il n'a pas été possible de publier « la capacité disponible détaillée aux principaux points d'entrée et de sortie du gaz en Europe ».

C'est dans ce contexte que l'Office fédéral allemand des cartels a déploré, en juin 2001, que la libéralisation gazière soit encore insuffisante, tandis qu'au mois de septembre suivant, la fédération européenne des « traders » en énergie décidait de ne plus participer aux négociations relatives à la libéralisation du marché outre-Rhin. De son côté, l'opérateur Ruhrgas mettait en garde contre l'éventualité d'une crise analogue à celle de Californie, susceptible de résulter de l'interdiction de conclure des contrats d'approvisionnement de longue durée et considérait que l'idée de maintenir durablement des prix peu élevés qui sous-tend les projets de libéralisation était illusoire.

2. Vers un renforcement de la libéralisation

La Commission européenne a adopté, le 13 mars 2001, une proposition de directive tendant à réviser les directives « gaz » de 1998 et « électricité » de 1996. Outre des mesures techniques tendant à renforcer la libéralisation du marché (accès des tiers au réseau en fonction d'un tarif réglementé, création d'un régulateur indépendant approuvant les conditions d'accès au réseau et les modalités de répartition des capacités d'interconnexion...), elle a proposé le calendrier suivant :

- au 1 er janvier 2003 , éligibilité de toutes les entreprises consommatrices d'électricité ;

- au 1 er janvier 2004 , éligibilité de toutes les entreprises à la fourniture de gaz ;

- au 1 er janvier 2005, éligibilité de tous les consommateurs européens, sans exception.

Examinées par le Conseil européen de Stockholm, ces propositions « maximalistes » n'ont finalement pas été retenues, la France et l'Allemagne considérant le calendrier proposé par Bruxelles comme inenvisageable.

C. LA SITUATION SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS

1. Tarifs et consommation

En l'an 2000, les tarifs du gaz , qui sont indexés moyennant un « effet retard » sur ceux du pétrole, ont augmenté par deux fois : + 6,5 % en mai et + 13 % en septembre. En mars 2001, le prix du gaz a de nouveau augmenté d'environ 13 % . Ces évolutions résultent du doublement du cours du pétrole brut en 1999-2000.

La consommation de gaz a crû de + 3,6 % entre 1999 et l'an 2000 , du fait de l'accroissement de la consommation industrielle.

2. La question du statut de GDF

Malgré une forte augmentation de son chiffre d'affaires qui atteint 73 milliards de francs , soit + 23 % en 2000, GDF enregistre une diminution de son bénéfice de 3 % qui atteint 2,8 milliards de francs. Cette baisse procède directement du décalage existant entre la hausse des prix à l'achat -elle-même due à la hausse des prix du pétrole- et sa répercussion sur les prix à la vente .

C'est dans ce contexte général que se pose la question de la « sociétisation » de Gaz de France , autrement dit de son passage du statut d'établissement public d'Etat à celui de société à capitaux publics majoritaires. Celle-ci apparaît, de l'avis de tous les experts, comme une nécessité incontournable pour que GDF puisse mettre en oeuvre une stratégie industrielle de long terme. En effet, comme l'opérateur historique ne produit que 5 % du gaz qu'il commercialise, il doit se constituer des réserves plus étendues. Envisagée par le Gouvernement au printemps 2001, cette opération a été repoussée à une date ultérieure.

Votre Commission des Affaires économiques observe cependant que pour poursuivre son développement, GDF a besoin de trouver des capitaux propres dès que possible. Faute de quoi, cet opérateur verra sa notation abaissée sur les marchés financiers internationaux et sa dépendance financière, due à une hausse de son endettement, limiter ses projets. C'est pourquoi, votre Commission des Affaires économiques entend connaître les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour remédier à une situation préjudiciable à l'opérateur gazier historique français.

3. Etat de la transposition de la directive de 1998

La commission européenne a saisi, le 8 mai 2001, la Cour de justice des Communautés pour non transposition de la directive « gaz » par la France, tandis que le régulateur espagnol notifiait officiellement, au cours de l'été, à GDF qu'il lui serait désormais interdit d'accéder au réseau de transport ibérique. De son côté, le Gouvernement a souligné devant le Sénat, le 10 mai 2000, que le marché français était ouvert même si la directive n'était pas formellement transposée. Il soulignait, en outre que :

- les conditions générales et la tarification de l'accès au réseau ont été rendues publiques par les différents opérateurs de transport (GDF, CFM et GSO) et sont disponibles sur Internet. Le niveau de prix de la prestation de transport peut se comparer favorablement aux tarifs d'accès que pratiquent les gestionnaires de réseaux situés dans d'autres Etats membres ;

- GDF, CFM et GSO ont complété le dispositif d'accès au réseau en mettant à la disposition des clients éligibles un service de « modulation de la fourniture de gaz » (possibilité de dépôt temporaire de gaz en certains points des réseaux en apportant certaines garanties d'équilibre de souscriptions journalières). Cette solution permet d'éviter l'instauration d'un « d'accès des tiers aux stockages de gaz », qui mettrait en péril l'équilibre des réseaux gaziers français et serait discriminatoire à l'encontre des entreprises de stockage ;

- l'application du régime transitoire a d'ores et déjà permis aux premiers clients éligibles de renégocier leurs contrats de fourniture de gaz et, dans certains cas, de changer de fournisseur. GDF a ainsi perdu, dès la fin de l'année 2000, des clients éligibles représentant un volume de ventes annuelles de 6 TWh (5 % des ventes aux clients éligibles), au bénéfice de nouveaux fournisseurs de gaz naturel installés dans d'autres Etats membres et notamment au Royaume-Uni.

Les pouvoirs publics français soulignent, en outre, que le degré d'ouverture théorique du marché gazier en Europe est bien loin de refléter le degré d'ouverture réel des transactions, ainsi que le montre le tableau ci-dessous :

ÉTAT D'OUVERTURE DU MARCHÉ GAZIER EN EUROPE

Année 2000

Degré d'ouverture théorique

Degré d'ouverture réel
(*)

Minimum fixé par la directive

20 %

 

Autriche

49 %

5 %

Belgique

59 %

5 %

Danemark

30 %

0 %

Finlande

90 %

0 %

France

20 %

5 %

Allemagne

100 %

1 %

Grèce

0 %

0 %

Irlande

75 %

NC

Italie

96 %

7 %

Luxembourg

51 %

0 %

Pays-Bas

45 %

45 %

Portugal

0 %

0 %

Espagne

72 %

3 %

Suède

47 %

0 %

Royaume-Uni

100 %

25 %

Moyenne UE

79 %

 

* part des clients ayant changé de fournisseur

Source : secrétariat d'Etat à l'industrie.

Votre Commission des Affaires économiques est convaincue de la nécessité de libéraliser progressivement les marchés de l'énergie en Europe. Elle constate que nos compatriotes ne sont d'ailleurs nullement hostiles à ces réformes. Selon des enquêtes réalisées par le CREDOC à la demande du Secrétariat d'Etat à l'industrie, en janvier 2000 et janvier 2001, 67 % d'entre eux considèrent que l'ouverture du marché gazier présente plutôt des avantages tandis que leur pourcentage s'élève à près de 76 % pour le marché de l'électricité 9( * ) .

Elle souhaiterait, cependant, qu'une étude exhaustive du bilan coût/avantage d'une accélération de la libéralisation soit effectuée tant pour le marché gazier que pour le marché électrique
. Elle constate, en effet, que la Commission européenne soutenait, le 13 mars 2001, en présentant son projet de directive que les précédentes mesures de libéralisation avaient entraîné une baisse des prix d'environ 20 % chez les quinze. Or, selon d'autres sources 10( * ) entre avril 2000 et avril 2001, la facture énergétique globale aurait augmenté de 9 % en Grande-Bretagne, et 8 % en Allemagne alors qu'elle aurait baissé de 3,6 % aux Pays-Bas et 1,8 % en France.

De telles disparités dans les estimations, non moins que l'exemple de la crise survenue aux Etats-Unis incitent votre Commission des Affaires économiques à recommander que les mesures de libéralisation soient mises en oeuvre avec détermination, mais avec prudence.

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