CHAPITRE II -
L'ÉVOLUTION DU MARCHÉ DE
L'ÉNERGIE
Le rapport pour avis sur les crédits de l'énergie inscrits au titre du projet de loi de finances pour 2001, rédigé au nom de la Commission des Affaires économiques, avait souligné deux mouvements de fond : la globalisation des activités au plan international d'une part et l'intégration croissante des entreprises d'autre part. Ces mouvements se sont renforcés en 2001, du fait de la multiplication des investissements à l'étranger et des accords internationaux. C'est dans ce contexte général que se constituent très progressivement les marchés européens de l'électricité et du gaz.
I. LE SECTEUR DE L'ÉLECTRICITÉ
A. LA DYNAMIQUE DU MARCHÉ ÉLECTRIQUE
Les
opérateurs européens du secteur de l'électricité
participent activement à des mouvements de capitaux qui correspondent
soit à des
investissements directs
, soit à des
prises
de participation
, sous la forme d'achats de titres, tant en Europe
même qu'en dehors des frontières de l'Union.
Parmi les opérations réalisées hors d'Europe, on retiendra
les perspectives d'achat, par un opérateur européen, de la
société COPEL vendue par l'Etat brésilien du Parana et,
aux frontières de l'Union, l'annonce d'une ouverture du secteur de
l'électricité en Russie. Dans ce pays, en effet, seule
l'intervention d'investisseurs privés pourrait permettre de pallier les
carences d'un monopole incapable de trouver, par lui-même, les ressources
nécessaires à la modernisation du secteur électrique russe.
Parmi les Etats qui doivent faire leur entrée dans l'Union
européenne, la Pologne a mis en vente plusieurs centrales
électriques. Un consortium dirigé par EDF et Dalkia a
acheté près de la moitié d'une centrale située dans
l'ouest du pays, à l'automne 2001, pour 12 millions d'euros.
Les mouvements observés au sein même de l'Union européenne
ne sont pas moins importants. En Allemagne, l'opérateur suédois
Vattenfall a pris le contrôle de la société HEW qui a
elle-même acquis des participations dans un producteur de lignite
allemand. En Grèce, EDF a demandé un permis de production
d'électricité destiné à réaliser une
installation de production fonctionnant au gaz naturel.
Les deux Etats d'Europe continentale dans lesquels l'organisation du secteur
électrique a suscité le plus d'échos en 2001 n'en
demeurent pas moins l'Italie et l'Espagne.
En
Italie
, EDF a pris le contrôle de 20 % du capital
d'Italenergia, le deuxième opérateur du pays qui contrôle
l'opérateur énergétique Montedison. Selon la presse, cette
société pourrait prochainement tenter d'acquérir les
tranches de centrales électriques que l'opérateur historique,
ENEL, mettra aux enchères dans le cadre de sa privatisation. On notera
cependant les réactions très hostiles suscitées, en
Italie, par cette opération, Rome ayant adopté, en mai dernier,
un décret-loi -dont la conformité au traité de l'Union
européenne est contestée-, en vertu duquel les droits de vote des
entreprises publiques étrangères dont les marchés ne sont
pas ouverts à la concurrence sont limités à 2 % des
sociétés italiennes qu'elles détiennent. On notera
également que l'opérateur espagnol ENDESA a pris le
contrôle, pour 2,6 milliards d'euros, de 7 % du marché
italien, à l'occasion de la privatisation d'Elettrogen, une filiale
d'ENEL.
Dans la
péninsule ibérique
, les deux premiers
opérateurs, ENDESA et IBERDROLA, ont vainement tenté de
fusionner. En outre, l'opérateur italien ENEL a acheté ENDESA
pour 1,87 milliard de francs, soit environ 5 % du marché
espagnol. Enfin, la Commission européenne a autorisé l'achat
d'Hidrocantabrico (quatrième opérateur du pays) par le consortium
EnBW-Villar Mir, dans lequel EDF est représentée, puisqu'elle
détient 34,5 % d'EnBW depuis l'an passé. Cette autorisation
a, cependant, été délivrée sous réserve que
le RTE français accroisse la capacité de transport entre
l'Espagne et l'Hexagone.
On notera qu'en France l'éventualité d'une vente de la filiale de
production d'électricité de la SNCF, la SHEM, est
régulièrement évoquée.
B. PREMIER BILAN DE L'OUVERTURE EN EUROPE
Par comparaison avec la libéralisation du marché de l'électricité survenue aux Etats-Unis, la création du marché intérieur européen de l'électricité apparaît prudente, si l'on considère ses premiers résultats, ou ambitieuse, si l'on s'intéresse à ses objectifs finaux. Une seule chose est sûre, cette libéralisation progressive n'a, en première analyse, eu d'incidence ni sur l'équilibre global du marché ni sur la qualité de la fourniture d'énergie délivrée aux clients. Par comparaison, la libéralisation américaine semble quelque peu improvisée. Aussi apparaît-il utile à votre rapporteur pour avis de faire le point sur la situation actuelle en Europe, avant d'examiner, à titre de contre-exemple, la situation préoccupante qui prévaut aux Etats-Unis.
1. Un fonctionnement « asymétrique »
Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, la libéralisation du marché de l'électricité en Europe atteint des degrés divers qui varient entre 30 %, au minimum, pour la France, la Grèce et le Portugal, et 100 % pour le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède et la Finlande.
|
Part légale d'ouverture du marché |
Concurrence dans la production |
Séparation de l'activité de transport |
ATR |
|||
Portugal |
30 % |
Autorisation pour les éligibles |
Appel d'offre pour le marché captif |
Juridique 1( * ) |
Acheteur unique pour le marché captif |
Accès réglementé pour les éligibles |
|
France |
Autorisation |
Appel d'offre en cas d'insuffisance |
Gestion 2( * ) |
Accès réglementé |
|||
Grèce |
Autorisation |
Juridique |
|||||
Irlande |
|
||||||
Autriche |
32% |
Juridique : la + grande partie |
|||||
Pays-Bas |
33 % |
|
|||||
Italie |
35 % |
Juridique |
Acheteur unique pour le marché captif |
Accès réglementé pour les éligibles |
|||
Belgique |
|
Accès réglementé |
|||||
Luxembourg |
40 % |
Gestion |
|||||
Espagne |
54 % |
Propriété 3( * ) |
|||||
Danemark |
90 % |
Juridique |
|||||
Finlande |
100% |
Propriété |
|||||
Royaume-Uni |
Irlande du Nord Propriété |
||||||
Suède |
Propriété |
|
|||||
Allemagne |
Gestion / Juridique |
Accès négocié |
A
première vue, on pourrait donc croire que notre pays, tout en respectant
en termes d'ouverture du marché la directive 96/92/CE de 1996, reste au
dernier rang des pays européens. Cette analyse semble erronée
à votre rapporteur pour avis, qui constate que
certains Etats parmi
les quinze sont bien plus en retard que la France
. C'est ainsi que la
Commission européenne a examiné, le 26 septembre dernier,
l'éventualité de poursuites à l'encontre de la Belgique,
qui n'a pas nommé de gestionnaire de réseau ni publié de
tarif d'accès. En Italie, l'autorité chargée de la
régulation du secteur énergétique elle-même a
déploré publiquement les retards pris dans la
libéralisation, et la place prépondérante que conserve
l'opérateur historique ENEL, alors que le prix de
l'électricité est supérieur de 20 % à la
moyenne européenne.
Comme le montre le tableau ci-dessous, qui présente, au regard du
degré théorique d'ouverture, le degré réel
d'ouverture aux échanges communautaires,
il n'existe pas de
corrélation entre le degré théorique d'ouverture du
marché et l'exercice réel de la concurrence sur ce
marché
.
ETAT
D'OUVERTURE DU MARCHÉ EN EUROPE
Source
: Secrétariat d'Etat à
l'industrie.
La commission européenne considère, quant à elle, que
la libéralisation des marchés est trop
« asymétrique »
, dans la mesure où,
estime-t-elle, les Etats qui ont libéralisé a minima conservent
aux opérateurs historiques une base de consommateurs captifs. Cette
analyse semble, pour partie, partagée par les pouvoirs publics allemands
qui ont dans un premier temps émis des réserves sur la prise de
participation d'EDF dans EnBW. Il est loisible de s'interroger, toutefois, de
façon symétrique, sur le réel degré d'ouverture du
marché Outre-Rhin, où le mode de calcul du coût de
transport, en fonction de la distance constitue un réel obstacle au
développement des échanges.
Se fondant sur cette analyse, la Commission de Bruxelles a, dans le
Livre
vert
qu'elle a publié, souhaité une
accélération en trois étapes qui prévoyait
notamment qu'au 1
er
janvier 2003, toutes les entreprises
seraient « éligibles » et qu'au 1
er
janvier 2005, tous les consommateurs, sans distinction, pourraient acheter du
courant chez le producteur de leur choix.
Lors du dernier Conseil
européen de l'énergie, la France et l'Allemagne se sont
opposées à cette approche
, tandis que le Conseil jugeait
souhaitable de parvenir à un accord sous présidence espagnole au
début 2002.
2. La question des interconnexions transfrontalières
Comme
l'a souligné à plusieurs reprises le Commissaire européen
à l'énergie,
l'objectif poursuivi par les quinze n'est pas
d'obtenir l'ouverture de quinze marchés de l'électricité
distincts, mais bien la constitution d'un marché unique du courant
électrique. C'est à ce titre qu'il convient de renforcer les
interconnexions entre les pays européens
.
En la matière, la CRE a accompli, en 2001, un important travail, en
publiant, avec trois de ses homologues étrangers, une
position
commune
sur l'allocation des capacités de transfert
d'énergie, entre la France, la Suisse et l'Italie. De son
côté, le secrétaire d'Etat à l'industrie a
confirmé le renforcement de l'interconnexion entre les réseaux
français espagnols. Encore convient-il de rappeler, en la
matière, le rôle central que joue le réseau de transport
d'électricité (RTE).
Les projets de renforcement des interconnexions avec l'étranger sont les
suivants :
PROJETS D'INTERCONNEXIONS ENTRE LA FRANCE ET LES PAYS
FRONTALIERS
Pays |
Observations |
Allemagne |
Des travaux sur la ligne existante Vigy-Uchtelfangen sont prévus. |
Espagne |
Des travaux visant à accroître la capacité de transit sur les lignes existantes sont planifiés pour 2002. |
Italie |
Des travaux visant à accroître la capacité de transit sur les lignes existantes ont été réalisés. |
Belgique |
Une ligne est projetée entre Moulaine et Aubange. |
Source
: Secrétariat d'Etat à
l'industrie
Votre Commission des Affaires économiques considère que le
choix d'une ouverture maîtrisée a permis une adaptation
progressive du marché de l'électricité. C'est pourquoi,
sans perdre de vue l'objectif que constitue le marché unique de
l'électricité, elle souhaite que celui-ci soit
réalisé de façon pragmatique afin d'éviter
des
à coups
qui seraient préjudiciables aux consommateurs comme
aux producteurs.
3. La situation dans l'hexagone
Après avoir examiné la position des institutions et des acteurs de marché, on examinera les perspectives qu'ouvre la création d'une bourse de l'électricité et les conséquences des réformes sur les consommateurs. En France, 1.400 clients « éligibles » jouissent, en effet, désormais du droit de choisir librement leur fournisseur d'électricité. Ils représentent environ 30 % du marché soit 120 GWh.
a) Les acteurs et le marché
(1) Les institutions
Deux
institutions dont la directive de 1996 a expressément prévu la
création jouent désormais un rôle essentiel au bon
fonctionnement du marché électrique : la Commission de
régulation et le Réseau de transport d'électricité.
La Commission de régulation de l'électricité (CRE)
La CRE est une autorité indépendante chargée
, en vertu
des articles 28 à 40 de la loi n° 2000-108 du
10 février 2000 relative à la modernisation et au
développement du service public de l'électricité,
de
veiller au bon fonctionnement du marché de
l'électricité
afin de satisfaire la demande du consommateur,
lequel doit obtenir de l'ouverture du marché le meilleur rapport entre
la qualité de l'électricité et son prix.
Au cours de l'exercice 2000-2001, la CRE a eu une
très intense
activité
, notamment marquée par l'étude des
modalités de la séparation comptable d'EDF et du RTE et par
l'élaboration de plusieurs importants projets de décrets et
d'avis sur le régime tarifaire applicable à
l'électricité. Le temps de réaction de ses services a
été particulièrement rapide, puisque ses
délibérations ont été rendues dans un délai
qui a varié entre 5 et 53 jours, au maximum, délai
remarquablement bref si l'on songe à la complexité des sujets
évoqués.
Tout comme il l'avait noté lors de l'examen du projet de loi de finances
pour 2001, votre rapporteur pour avis constate que
les moyens dévolus
à la CRE demeurent très en deçà de ceux qui lui
seraient nécessaires
. Son effectif théorique de
80 emplois en 2001 n'a permis de recruter que 65 agents -y compris
les commissaires-, compte tenu du niveau de qualification requis et des
rémunérations qui s'ensuivent. Dans son
Rapport annuel
paru en 2001, la CRE déclare continuer à
«
s'interroger sur la compatibilité entre sa soumission aux
règles habituelles d'élaboration du budget de l'Etat et le
principe d'indépendance qui gouverne et légitime son statut. En
effet, le Gouvernement
fixe ses ressources alors qu'il est aussi le
propriétaire de l'opérateur historique
»
4(
*
)
.
A ce titre, la CRE estime que deux voies pourraient être explorées
afin d'accroître son autonomie financière :
- l'affectation d'une ressource propre qui pourrait être assise sur
le chiffre d'affaires des gestionnaires de réseaux ;
- un dialogue direct avec le Parlement pour la fixation de son budget.
Votre Commission des Affaires économiques souscrit à
l'objectif de doter la CRE des ressources dont elle a besoin et rappelle que
les moyens dont cette autorité indépendante est dotée sont
notoirement moins élevés que ceux de ses homologues
étrangers.
Le réseau de transport de l'électricité (RTE
)
En vertu des articles 12 et 14 de la loi du
10 février 2000,
le RTE
, qui constitue un service
d'EDF,
est chargé de l'exploitation, de l'entretien et du
développement du réseau de transport
d'électricité
. Ce service est indépendant d'EDF au
plan budgétaire et comptable. Son directeur est nommé par le
ministre chargé de l'énergie, après avis de la CRE.
Le RTE gère 100.000 kilomètres de lignes à
très haute tension
, un centre de « dispatching »
national et sept centre régionaux. Son chiffre d'affaires est d'environ
25 milliards de francs. Ses agents sont au nombre de 8.000.
Le programme d'investissement du RTE, qui est autofinancé, est
approuvé par la CRE et s'élève
à 4,7 milliards de francs. Dans la perspective de
l'élaboration du projet de programme d'investissement pour 2002, la CRE
a demandé au RTE :
- de présenter sa stratégie d'aménagement et de
développement du réseau de transport ;
- de développer de nouvelles méthodes économiques de
sélection des projets d'investissement tenant compte de
l'indépendance et des missions qui caractérisent le RTE ;
- de fournir des éléments de comparaison étrangers,
notamment sur le plan des coûts.
(2) Les fournisseurs
Depuis
la suppression du monopole d'EDF, le nombre de producteurs et de fournisseurs
d'électricité a fortement augmenté en France.
Les nouveaux entrants
Sans procéder à une analyse exhaustive de l'activité des
nouveaux entrants, votre rapporteur pour avis constate que la liste tenue
à jour -sur la base de déclarations volontaires- par la CRE
comprend désormais 37 noms, parmi lesquels figurent des producteurs
originaires de tous les Etats membres de l'Union européenne.
Comme le montre le tableau ci-dessous, on retiendra, parmi les producteurs
nationaux concurrents d'EDF, la SNET (au capital de laquelle l'espagnol ENDESA
est entré à hauteur de 30 %) et la Compagnie nationale du
Rhône. Celle-ci a conclu un accord avec Electrabel pour créer une
filiale de commercialisation de l'énergie qu'elle produit à
partir de barrages, sous le nom d'Electricité du Rhône (EDR).
Comme le montre le tableau ci-dessous, EDF produit encore 90 % de
l'électricité générée dans
l'Hexagone :
Producteurs |
Part dans la production nationale |
EDF (hors CNR) |
90 % |
CNR |
3,5 % |
SNET, Soprolif, Sodelif |
1,5 % |
SHEM |
0,3 % |
Petits producteurs hydrauliques hors SHEM |
1,2 % |
Cogénérateurs |
1,2 % |
Autres |
2,3 % |
Total |
100 % |
Source
: Secrétariat d'Etat à
l'industrie.
Pour accroître le nombre des fournisseurs en France,
la Commission
européenne a, en outre, souhaité qu'Electricité de France
mette à disposition d'opérateurs concurrents 6.000 MW de
capacités de productions
, lesquels permettront à ces
producteurs de disposer d'une plus large palette d'outils de production que la
CRE définit comme des « quasi-moyens de production
domestique »
5(
*
)
.
Selon la Commission de régulation,
la capacité totale
cédée représente près du tiers de la consommation
de marché ouvert
. Elle correspond à un volume total de
production supérieur à celui vendu à des tiers dans un
pays tel que l'Italie, qui a choisi de céder purement et simplement des
centrales pour parvenir aux mêmes fins.
Electricité de France
L'incidence sur l'opérateur historique français de l'ouverture du
marché est indéniable, puisqu'aux dires mêmes de ses
dirigeants
6(
*
)
;
Electricité de France aurait, depuis l'an 2000, perdu 8 % de ses
clients éligibles soit 75 gros clients répartis sur
105 sites
. Cette proportion est conforme à celle
observée dans les autres Etats de l'Union européenne où
elle oscille entre 5 et 10 % des clients.
Confrontée à une hausse de la concurrence sur son marché
domestique, EDF a exprimé la volonté d'accroître la part de
ses activités réalisées hors de France. Elle a, à
ce titre, réalisé d'importants investissements hors de France
à l'instar :
- d'un accroissement de ses participations dans CINERGY (actionnaire
majoritaire d'AZITO Energie - centrale à gaz de 300MW - en Côte
d'Ivoire) et dans EnBW en Allemagne ;
- de l'achat de 35 % du capital de Rybnik (centrale charbon de
1.760 MW en Pologne) ;
- du financement des deux centrales de production en Egypte ;
- de sa prise de participation dans MONTEDISON.
- de l'obtention de licences : pour la construction, le financement
et l'exploitation de la centrale au gaz naturel Rio Bravo 3 (495 MW) au Mexique
et pour un investissement dans la centrale électrique Phu My 2 au
Vietnam (715 MW cycle combiné gaz naturel) en coopération avec
SUMITOMO et TOPCO.
b) La création d'une bourse de l'électricité
Votre
Commission des Affaires économiques se félicite que le
secrétaire d'Etat à l'industrie ait, devant la CRE réunie
le 29 mars 2001, publiquement soutenu le projet de marché
« spot » français de l'électricité,
qui constituera un « marché de gros ». Par une
délibération du 20 septembre dernier, la CRE a d'ailleurs
approuvé les règles qui régiront ce marché, lequel
permettra de faire émerger un prix de référence au sein du
système électrique français et de prévenir la
délocalisation des transactions vers des bourses
étrangères.
Cette bourse pourrait voir le jour dans le courant de l'automne 2001. On
notera que, comme le montre le tableau suivant, la libéralisation du
secteur de l'électricité en Europe a suscité la
création de six bourses de l'électricité.
LES BOURSES DE L'ÉLECTRICITÉ EUROPÉENNES
Nordpool |
Norvège, Suède, Danemark |
deux marchés à J-1 (ELSPOT, créé en 1993) et H-2 (ELBAS) |
APX (Amsterdam Power Exchange) |
Pays-Bas |
juin 1999 |
LPX (Leipziger Power Exchange) |
Allemagne |
juin 2000 ; Nordpool en possède 35 % |
EEX (European Energy Exchange) |
Allemagne |
août 2000 |
PPE (Polish Power Exchange) |
Pologne |
juin 2000 |
Powernext |
France |
Démarrage prévu en octobre 2001 |
EGL Italia |
Italie |
Création repoussée en 2002 |
Source
: secrétariat d'Etat à
l'industrie
.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis,
ces bourses ont souvent rencontré des difficultés en phase de
démarrage, lesquelles étaient liées aux faibles volumes
échangés ou aux contraintes physiques des réseaux.
c) Vers la constitution du fonds du service public de la production d'électricité
Créé par l'article 5-I de la loi du 10
février 2000,
le fonds du service public de la production
d'électricité
(FSPPE), est destiné à compenser
les surcoûts qui peuvent résulter, pour électricité
de France et pour les distributeurs non nationalisés (DNN), des
mécanismes de l'obligation d'achat ou des appels d'offres
destinés à promouvoir l'essor des énergies renouvelables
et des techniques performantes au plan énergétique. Il prend
aussi en charge les contrats conclus et négociés avec EDF et les
DNN avant la publication de la loi, lorsque ces contrats sont maintenus par les
producteurs.
Les contributeurs au fonds seront :
- les opérateurs nationaux qui livrent de
l'électricité aux clients finals installés en France
(producteurs dont la puissance des installations est supérieure à
4,5 MW, opérateurs faisant de l'achat pour revente, organismes de
distribution) ;
- les auto-producteurs pour la consommation de l'électricité
qu'ils produisent, au-delà de 240 millions de kWh ;
- les clients finals qui importent ou qui effectuent des acquisitions
intracommunautaires d'électricité.
Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis,
le dispositif d'évaluation des charges reposerait sur la
déclaration des charges de l'année précédente,
effectuée par les opérateurs qui les supportent (EDF et les DNN).
A partir de cette déclaration la Commission de régulation de
l'électricité évaluerait le montant des charges pour
l'année à venir. Ce montant global, ainsi que le montant de la
contribution par kWh, serait arrêté et publié par le
Gouvernement. Le
versement des contributions
s'apparenterait, quant
à lui, au mécanisme de recouvrement de la TVA.
Votre Commission des Affaires économiques souhaiterait
connaître la date à laquelle le FSPPE sera opérationnel.
4. Appréciation générale sur le fonctionnement du nouveau système
Deux
sujets retiennent l'attention en ce qui concerne les premiers effets de
l'ouverture du marché de l'électricité : son
incidence sur les prix pour les clients éligibles
, et
l'efficacité des mécanismes mis en oeuvre pour financer le
service public.
Effet de la libéralisation sur les prix
Tout en soulignant la relative réticence des clients éligibles
à changer de fournisseur, et le fait qu'aujourd'hui, 90 % du
marché est encore approvisionné par l'opération
historique,
la CRE estime que les clients éligibles ont
profité, au minimum, d'une baisse de 15 % de leur coût
d'approvisionnement énergétique
du fait de la
libéralisation partielle du secteur. Cette observation concorde avec
l'analyse de la Commission européenne qui estime qu'au cours des quatre
dernières années les prix de l'électricité ont
baissé de 16 % en France, et 12 % en Allemagne et au Royaume-Uni.
Parallèlement, les prix de vente de l'électricité aux
clients non éligibles français ont baissé de 1,35 % en
2000.
Selon le secrétariat d'Etat à l'industrie, l'ouverture à
la concurrence s'est traduite par la baisse du prix de
l'électricité dans la plupart des pays européens, au
profit à la fois des ménages et des industriels, tout en
maintenant toutefois une forte segmentation par taille de clients. La baisse
des prix a été significative lorsque le niveau du prix de
l'électricité était à l'origine élevé
(par exemple pour l'Allemagne de -14 à -23 % dans le secteur
industriel).
Toutefois, la même source évoque un retournement de tendance, qui
se traduit par une hausse du prix de l'électricité, notamment
pour les consommateurs domestiques. Ainsi, sur la période comprise entre
1996 et 1999, le prix de l'électricité a augmenté en
moyenne de 0,8 % en Allemagne et de 13,2 % au Royaume-Uni, deux pays
dont les marchés sont théoriquement entièrement
libéralisés (cf. la communication de la Commission au Conseil et
au Parlement européen du 16 mai 2000).
Le Secrétariat d'Etat souligne enfin qu'en France, sur la période
considérée, en dépit d'un niveau de prix de départ
déjà particulièrement compétitif, le prix de
l'électricité a baissé de 9,3 % pour les consommateurs
domestiques, secteur qui demeure sous un régime de monopole.
Le financement du service public
Le montant estimé du fond est de 4,5 milliards de francs pour l'an
2000. Il croîtra dans les années à venir, à cause
des nouvelles obligations d'achat (courants produits par des ENR telles que
l'éolien).
Selon la CRE, le système déclaratif existant serait lourd et
complexe
, de nature à permettre une certaine
« évasion » des cotisations, laquelle se renforcera
avec l'abaissement progressif du seuil d'éligibilité.
Votre Commission des Affaires économiques souscrit à la
recommandation de la CRE pour qui, sans remettre en cause le principe d'une
contribution uniforme par kWh consommé, une modification technique de la
loi permettrait que les gestionnaires de réseaux prélèvent
une contribution proportionnelle aux kWh ayant transité sur leur
réseau. Pour des motifs d'égalité et
d'équité entre les cotisants et dans un souci
d'efficacité, la Commission des Affaires économiques souhaite
connaître l'avis du Gouvernement sur ces propositions.
C. LES CRISES DU SECTEUR DE L'ÉLECTRICITÉ
1. La crise du secteur électrique en Californie
Au cours
de l'hiver 2000-2001, la Californie, Etat le plus peuplé des
Etats-Unis, a connu une crise du marché électrique sans
précédent. Cette crise a surpris l'opinion publique de l'un des
Etats les plus riches -il représente à lui seul près de
15 % du produit intérieur brut américain- et surtout de
celui qui a devancé tous les autres en adoptant, dès 1996, une
loi portant libéralisation du secteur électrique, entrée
en vigueur en 1998. C'est pourquoi il convient de tenter de tirer les premiers
enseignements de ces événements.
Une pénurie électrique sans précédent
La crise a touché aussi bien les consommateurs que les distributeurs
d'électricité
.
Au cours du mois de janvier 2001,
des coupures de courant ont
été imposées aux abonnés
pour éviter
l'écroulement du système électrique. En mars, la crise se
poursuivant, les pouvoirs publics ont institué des coupures
« tournantes » qui ont occasionné de gigantesques
embouteillages, puisque les feux de circulation ne fonctionnaient pas, et des
dommages à l'économie californienne dans son ensemble. Au
printemps, la crise s'est diffusée dans d'autres Etats de l'Ouest du
pays (Arizona, Oregon, Nevada) et jusque dans les Etats de Washington et de New
York où des pénuries étaient redoutées pour
l'été.
La crise a notamment entraîné la
faillite du premier
distributeur d'électricité de Californie
, Pacific Gas et
Electric, qui a déposé son bilan le 6 avril 2001, ce
qui a accru la désorganisation du secteur. Cette faillite était
due à la conjugaison du décuplement des prix de gros aux heures
de pointe et de l'interdiction d'accroître le prix de vente au
consommateur final. Au total, selon une étude citée par
Les
Echos
des 18-19 avril 2001, la pénurie de courant pourrait
avoir coûté 21,8 milliards de dollars à
l'économie californienne dans son ensemble, et causé la perte de
135.000 emplois, outre une diminution du revenu des ménages
estimée à 4,5milliards de dollars.
Une crise causée par un manque d'investissement et une
libéralisation inefficace
La première cause de la crise américaine résulte d'un
sous-investissement
manifeste tant en termes de production qu'en
matière de transport de courant.
Les capacités de production de courant n'ont pas suivi le rythme du
développement de l'économie américaine
, si bien que
les marges de sécurité de production n'ont pas été
respectées. Le problème n'est d'ailleurs pas résolu pour
l'avenir, puisque l'on estime que la demande devrait croître de 20
à 25 % au cours de la prochaine décennie tandis que l'offre
n'augmenterait que de 4 % environ si aucun dispositif encourageant
l'investissement n'entre en oeuvre.
La question de la création de lignes à très haute
tension, les seules qui permettent de créer un véritable
marché unifié se pose également de façon
récurrente
, du fait des difficultés rencontrées pour
installer ces lignes. Selon un responsable du Minnesota, la dernière
ouverture de ligne dans cet Etat daterait de 1978 et l'on aurait, dès
cette époque, dû surmonter des obstacles pour la mener à
bien, vu l'hostilité de l'opinion publique à l'installation des
lignes à très haute tension.
Pour lutter contre le sous-investissement chronique qui a atteint le secteur
énergétique américain, le président des Etats-Unis
a présenté en mai 2001, un « plan
énergétique national » qui prévoit notamment la
construction de plusieurs centaines de centrales électriques au cours
des vingt prochaines années et la promotion du nucléaire qui ne
représente aujourd'hui que 20 % du potentiel de production
énergétique américaine.
Une libéralisation incontrôlée
Comme le souligne l'analyse de la crise américaine
présentée par la Commission de régulation de
l'électricité française
7(
*
)
, le déséquilibre entre
l'offre et la demande observé aux Etats-Unis résulte de divers
facteurs, outre le sous-investissement déjà évoqué,
à savoir :
- une hausse de la consommation plus élevée que prévu
du fait de la croissance économique ;
- un parc de centrales vieillissantes dont la disponibilité laisse
à désirer ;
- des conditions climatiques défavorables (sécheresse de
l'été, et rigueur l'hiver) ;
- le quadruplement du prix du gaz naturel observé entre
janvier 2000 et janvier 2001.
Dans ce contexte,
la hausse des prix de gros de l'électricité
a été fatale aux distributeurs qui n'avaient pas le droit de la
répercuter sur les consommateurs finaux
. En effet, la loi de
libéralisation adoptée en 1996 prévoyait qu'en
contrepartie de la faculté de recouvrer le montant des
« coûts échoués » accordée aux
distributeurs, les hausses de tarifs à la vente leur étaient
interdites jusqu'en mars 2002.
Les remèdes apportés à la crise californienne attestent
de la nécessité d'une régulation efficace du
marché
. Ils consistent d'une part en une
hausse du prix de
l'électricité de 40 % en moyenne
, destinée
à rembourser à l'Etat de Californie les sommes qu'il a
engagées pour financer l'achat en gros d'électricité aux
compagnies locales et d'autre part,
en une surveillance du mode de fixation
du prix de l'électricité sur le marché de gros
. Il
semble, en effet, que les producteurs aient tiré profit des tensions
existantes sur le marché pour majorer leurs bénéfices.
Enfin, au cours de l'hiver 2001, l'Etat de Californie a conclu des
contrats d'approvisionnement à long terme avec des fournisseurs
d'électricité pour les dix prochaines années.
Comme le souligne la CRE, la principale conclusion à tirer de cette
crise est que : «
aucun modèle de marché ne
peut empêcher un déséquilibre entre l'offre et la demande
de s'instaurer si des projets d'équipement de centrales de production
sont durablement bloqués par les autorités politiques,
administratives, ou par les oppositions locales
»
8(
*
)
.
2. La gestion du risque « réseau » en France à la suite des tempêtes de 1999
Bien
qu'elle n'ait pas revêtu l'ampleur de la crise américaine de 2001,
la crise survenue en France à la suite des graves tempêtes de
1999, a montré les risques qu'encourt le système de transport et
de distribution. Dans un rapport annuel 2000, le Réseau de
transport de l'électricité dresse le bilan suivant des
tempêtes qui l'ont mis dans l'incapacité d'acheminer environ
117 GWh d'électricité en :
- endommageant 1.000 pylônes du réseau à
très haute tension et à haute tension (environ 0,5% du
parc) ;
- mettant hors tension 119 lignes à très haute tension
et 421 lignes à haute tension ;
- privant d'alimentation 184 postes sources de 90.000 et
63.000 volts, ainsi que de deux postes de 400.000 volts.
Elles ont, en outre, mis hors service :
- 38 des 447 circuits 400.000 volts (soit 8,5 % du parc
national) et 135 des 27.000 supports 400.000 volts (soit 0,5 % du
parc national) ;
- 81 des 1.421 circuits de 150.000 et 225.000 volts (soit
5,7 % du parc) et 145 des 63.000 supports (soit 0,2 % du
parc) ;
- 421 des 5.093 circuits de 63.000 et 90.000 volts (soit 7,6 %
du parc) et 790 des 170.000 supports (soit 0,5 % du parc).
Un rapport présenté au Gouvernement par le Conseil
général des mines, a récemment souligné
qu'il
serait souhaitable de renforcer la politique d'enfouissement des lignes
. Il
a insisté sur la supériorité de l'enfouissement pour tous
les types de réseaux, tout en rappelant les différences de
coût encore notables qui jouent en sa défaveur, notamment pour les
réseaux à haute tension, outre certains inconvénients tels
que la sensibilité des réseaux enfouis aux inondations. Compte
tenu du coût estimé des tempêtes pour la collectivité
nationale (35 à 40 milliards de francs) et du risque de voir
survenir de tels événements (50 à 100 ans), le
Conseil général des mines considère qu'il n'y a pas lieu
de consacrer plus de 3 milliards de Francs par an à l'enfouissement
des réseaux. A l'exception de la moyenne tension, la recherche d'une
utilisation optimale de cette enveloppe à la seule fin de
sécurisation des réseaux électriques conduirait à
privilégier le renforcement des réseaux aériens.
S'agissant de la basse tension, le Conseil général des mines
envisage dans un souci esthétique, qu'environ 30 milliards de
francs supplémentaires soient consacrés, sur 25 ans,
à l'enfouissement d'une partie du stock des réseaux à
basse tension.
Enfin, en ce qui concerne le réseau de transport, il serait
envisagé d'enfouir plus systématiquement les nouveaux
réseaux dans la périphérie des grandes
agglomérations.
Votre Commission des Affaires économiques s'interroge, quant à
elle, sur plusieurs conclusions du rapport précité. Elle estime,
en premier lieu, que toute modification du rôle des collectivités
concédantes de la distribution d'électricité (et notamment
des compétences des maîtres d'ouvrages) ne saurait s'inscrire que
dans le cadre global d'un réexamen des contrats de concession.
Elle considère, en outre, en ce qui concerne la sécurisation des
réseaux, que les programmes de travaux doivent être
élaborés par les concessionnaires et soumis, pour accord, aux
autorités concédantes, ce qui n'est, malheureusement pas toujours
le cas aujourd'hui.
Elle souscrit à l'objectif d'enfouir, d'ici à 25 ans,
80 % des lignes à basse tension en conducteurs nus, sous
réserve qu'un objectif équivalent soit également
fixé pour les lignes aériennes isolées.
Elle estime souhaitable que des études complémentaires soient
réalisées sur le financement des investissements destinés
à la sécurisation, pour chiffrer les conséquences sur les
tarifs d'utilisation des réseaux et sur la fiscalité locale d'une
politique d'enfouissement des lignes de distribution.
Elle souhaiterait connaître le montant de l'abattement forfaitaire
susceptible d'être opéré sur les factures
d'électricité des consommateurs qui subissent des interruptions
de la fourniture de courant.
D'un point de vue plus général, votre commission des Affaires
économiques souhaiterait que les concessionnaires de la distribution
d'électricité fournissent au autorités concédantes
un état patrimonial mis à jour.
S'agissant de l'élaboration d'un système d'information
géographique national de cartographie des lignes par EDF, elle souhaite
que ce système soit compatible avec les instruments utilisés par
les collectivités locales et que les collectivités
concédantes y aient accès pour exercer leur pouvoir de
contrôle de l'exécution du service
. Elle rappelle aussi que
l'article 53 de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999
d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du
territoire prévoit, d'ores et déjà, qu'un décret
définira les caractéristiques d'un système national de
référence de coordonnées géographiques,
planimétriques et altimétriques auxquelles seront
rattachées toutes les informations localisées issues des travaux
topographiques ou cartographiques réalisés par l'Etat, les
collectivités locales, les entreprises chargées de
l'exécution d'une mission de service public ou pour leur propre compte.