2. Vocation professionnelle
Les facteurs qui motivent les individus à entrer dans la carrière du journalisme et leur degré de satisfaction dans l'exercice de la profession (développés dans l'item 2.4 du chapitre III - 2) sont des éléments importants pour la construction du profil identitaire de ce segment professionnel. La recherche a ainsi cherché à identifier et à analyser, au sein de notre groupe test, les éléments motivants qui ont amené les personnes étudiées à entrer dans le journalisme. En plus de permettre une évaluation de ses éléments identitaires, en comparaison avec les correspondants parlementaires, ces facteurs contribuent à la délimitation du territoire professionnel et de ses acteurs.
Le journaliste examiné ici a opté pour la profession principalement pour des questions de vocation personnelle. L'enquête a réparti en cinq groupes thématiques les raisons qui ont mené les membres des groupes test et de contrôle à faire du journalisme : fascination et visibilité professionnelle, engagement idéologique, facilités et bénéfices matériels, influences personnelles externes, et profil de vocation personnelle. C'est justement ce dernier groupe qui réunit 51 % des professionnels consultés.
Au sein de ce dernier contingent, la moitié a indiqué comme raison principale d'être journaliste le fait d'aimer écrire. Le goût et l'attirance pour l'activité rédactionnelle en elle-même peuvent être interprétés comme une démonstration de préférence pour la dimension du journalisme en tant qu'activité d'exposition. À savoir une manière de voir l'activité journalistique essentiellement en tant que description des événements 1084 ( * ) . Les explications présentées par l'autre moitié se divisent entre : vocation personnelle (de manière générique, sans entrer dans les détails) (14 %), et avoir le goût d'accompagner les faits (12 %).
Les raisons liées au point fascination et visibilité professionnelle rassemblent une proportion proche d'un quart (23 %) de l'équipe de journalistes du Sénat et 21 % ont indiqué des motifs d'engagement idéologique, tels que le désir d'informer les personnes et de transformer la société, comme les causes de leur entrée dans la
profession (voir graphique 3.6) 1085 ( * ) . La conception du journalisme comme un mode d'intervention sur la situation sociale dote le récit journalistique d'une caractéristique instrumentale au service d'une cause, d'une arme, et place le professionnel en combattant qui n'utilise que les mots pour munition 1086 ( * ) . Bien qu'ils entrevoient dans l'activité professionnelle le concept de produire de l'information pour créer de la transparence - des facteurs qui peuvent mener à la construction de la citoyenneté et à une plus grande participation sociale -, est minoritaire le groupe de journalistes du Sénat qui s'est vu attiré dans la profession par l'idée de pouvoir changer la réalité sociale avec leurs textes. Parmi ceux qui ont indiqué des motifs idéologiques pour l'entrée dans le secteur, seuls 12 % correspondent à cette situation.
Normalement, le journaliste est un individu vu par la société comme détenteur d'informations importantes, qui circule dans des sphères du pouvoir politique et financier, qui s'insère dans une élite ayant du pouvoir et qui aime être près du pouvoir 1087 ( * ) . Pour RIEFFEL, qui a analysé en France les groupes d'élite de la profession, le professionnel vit un processus d'osmose avec les classes dirigeantes 1088 ( * ) . Cette élite se montre bien plus en conformité qu'en opposition avec le pouvoir, et s'auto-légitime auprès de ce dernier. La capacité de profiter du pouvoir et d'en être proche serait même le principal attrait de la profession, selon RIBEIRO 1089 ( * ) .
Néanmoins, dans les deux groupes étudiés, l'éventuel désir d'être inséré auprès du Pouvoir n'a pas été cité par les personnes interrogées parmi les motifs d'entrée dans la carrière. Qui sait, peut-être en raison du fait que le prestige et l'influence seraient des prérogatives réservées à une élite professionnelle, et que la majorité des journalistes étant plus ou moins anonymes 1090 ( * ) . Dans la recherche qu'il a réalisé à Rio de Janeiro, TRAVANCAS a identifié que les nouvelles générations de journalistes sont conscientes que, bien qu'elles soient proches du pouvoir, celui-ci ne leur appartient pas 1091 ( * ) .
GRAPHIQUE 3.6
LES MOTIFS QUI ONT MENÉ AU CHOIX DE LA PROFESSION
Comme le souligne NEVEU, certaines réflexions suscitent des équivoques sur le pouvoir des journalistes. Il existe une confusion entre la partie et le tout. Le pouvoir n'appartient pas au professionnel, il est essentiellement détenu par l'information et par les sources et les médias qui la diffusent 1092 ( * ) . La capacité d'influence attribuée aux journalistes naît, en réalité, d'une relation d'interdépendance où aucun protagoniste - et surtout pas les journalistes - ne dispose, seul, de la maîtrise du résultat final. Selon le concept d'un journaliste vétéran Brésilien, Lourenço Diaféria, le pouvoir n'est pas dans la personne du journaliste, mais dans celui qu'il représente momentanément face aux faits. Face aux sources et au public, nous pourrions dire que le journaliste exerce un pouvoir similaire à celui d'un ambassadeur, il n'est qu'une représentation, bien plus transitoire que celle du diplomate. Son pouvoir sera plus ou moins grand en fonction de l'importance du support pour lequel il travaille et de son audience.
Le pouvoir du journaliste est un badge invisible que le journal lui donne. [...] C'est le propriétaire du journal qui mène le jeu du pouvoir et le journaliste n'a rien à voir avec cela. Il n'a aucun pouvoir - affirme Diaféria 1093 ( * ) .
Aucun membre des deux groupes n'a indiqué de raisons plus pragmatiques et matérielles comme la question salariale, la formation académique plus facile ou même le fait qu'elle ne soit pas nécessaire pour exercer la profession, puisque jusqu'à 1979, aucun diplôme supérieur de journalisme n'était exigé, parmi les causes d'entrée dans la profession.
* 1084 NEGREIROS, Joaquim Trigo de, 2004, p.90.
* 1085 Le profil de vocation personnelle (60 %) et l'engagement idéologique (32 %) apparaissent comme les principales motivations du groupe contrôle. Même si les supports traditionnels possèdent une plus grande audience que les médias de source, la question de la fascination et de la visibilité professionnelle ne se rapporte qu'à 6 % de ces professionnels. Les 2 % restant ont indiqué des causes matérielles, dans ce cas la facilité d'obtention d'un emploi, comme motif de base du choix du journalisme. Dans la recherche qu'il a réalisé auprès des journalistes de Rio de Janeiro, TRAVANCAS (1983:108) a identifié que beaucoup des personnes interrogées (journalistes) affirment que l'un des facteurs qui les ont amené à choisir cette profession est son pouvoir de transformation de la société, de dénonciation et de critique La profession semble donner un permis spécial à ses membres, comme un mandat d'ordre moral ou intellectuel ou même légal.
* 1086 NEGREIROS, op. cit. p. 90.
* 1087 TRAVANCAS, op. cit. 1983, p. 96/97.
* 1088 RIEFFEL, Rémy, 1984, p. 192-193/211.
* 1089 RIBEIRO, Jorge Cláudio, 1994, p. 205/206.
* 1090 NEGREIROS, op. cit. p. 91.
* 1091 TRAVANCAS, op. cit. p. 27.
* 1092 NEVEU, Erik, 2001, p.91
* 1093 DIAFÉRIA, Lourenço, apud RIBEIRO, Jorge Cláudio, 1994, p.208.