C. LA DIFFICILE MISE EN PLACE DU TRIBUNAL POUR JUGER LES KHMERS ROUGES

1. Un procès rendu difficile par le processus de « réconciliation nationale »

La question du procès des anciens dirigeants khmers rouges est posée depuis plusieurs années, et les difficultés à mettre en place le tribunal pénal tiennent à une série de facteurs qui ne peuvent être compris que par un retour historique.

Le 17 avril 1975, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh. Avec le soutien de la Chine, Khieu Sampan, chef de l'État, et Pol Pot, Premier ministre, instaurent la République démocratique du Kampuchéa. En un peu moins de quatre années, la révolution "agricole" menée par l'Angkar (organisation) anéantit l'économie du pays, élimine tous ses intellectuels, et provoque le génocide d'environ un tiers de la population (on estime qu'il y eut 1,7 million de morts de torture, exécutions, famine ou maladie).

L'armée vietnamienne soutenue par l'URSS envahit le Cambodge le 25 décembre 1978 provoquant la chute du régime Khmer rouge en janvier 1979. Commence alors une occupation d'une dizaine d'années. Ce n'est en effet que le 26 septembre 1989 que les dernières troupes vietnamiennes quittent officiellement le Cambodge.

Le 23 octobre 1991 la signature des accords de Paris permet de définir un processus de paix, sous l'égide de l'ONU, mais les khmers rouges ne l'acceptent pas et poursuivent leurs attaques dans les zones frontalières avec la Thaïlande, les autorités cambodgiennes entreprennent des actions militaires contre les bastions khmers rouges tout en essayant d'obtenir leur reddition.

Ainsi, le 8 août 1996, Ieng Sary, ex-ministre des Affaires étrangères de Pol Pot, se rallie au régime avec plusieurs milliers de partisans. Il est amnistié par le Roi Norodom Sihanouk. En juin 1997, Pol Pot est écarté des instances dirigeantes des Khmers rouges puis jugé et condamné à la prison à vie. Il meurt en avril 1998 d'une crise cardiaque, à 73 ans.

En mars 1998 le dernier bastion khmer rouge chute à Anlong Veng , à la frontière thaïlandaise et l'on assiste à des ralliements en série de Khmers rouges au régime. Khieu Sampan et Nuon Chea (ex-numéro 2 après Pol Pot et idéologue du régime) se rallient au gouvernement le 26 décembre 1998. Le 6 mars 1999 Ta Mok 33 ( * ) (ex-chef khmer rouge de la région Sud-ouest) est arrêté, puis Douch (ex-directeur du centre de détention Tuol Sleng à Phnom Penh) le 28 avril 1999.

La difficulté de la question "khmers rouges", au-delà de l'évidente nécessité de rendre justice aux victimes du génocide qu'ils ont perpétré, réside dans le fait qu'ils ont été vaincus militairement par le Vietnam, qui fait figure pour certains cambodgiens d'ennemi héréditaire, et surtout, que leur défaite définitive n'a pu être obtenue qu'au prix d'un ralliement au régime en place. Enfin, la communauté internationale n'a pas non plus été irréprochable dans la manière dont elle a traité le régime du Kampuchea Démocratique.

La communauté internationale et les Khmers rouges : une reconnaissance tardive de la nature criminelle du régime de Pol Pot

En décembre 1978, lorsque le Vietnam envahit le Kampuchéa démocratique, le monde découvre les crimes de masse des dirigeants khmers rouges. Toutefois, au sein de l'Organisation des Nations unies (ONU), les Etats-Unis, la Chine et leurs alliés condamnent un « changement de régime issu d'une intervention étrangère ». Les Cambodgiens ont en effet été libérés du régime de Pol Pot par un pays allié de l'Union soviétique.

La nouvelle République populaire du Kampuchéa (RPK) n'est donc pas reconnue. C'est l'ambassadeur khmer rouge Thiounn Prasith qui conservera, pendant les quatorze années qui suivent, le siège du Cambodge à l'ONU.

Un « tribunal populaire révolutionnaire » juge en 1979 deux dirigeants du Kampuchéa démocratique: Pol Pot et Ieng Sary, son vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, sont condamnés à mort par contumace. Mais ce procès est évidemment entaché dans la mémoire collective cambodgienne par le fait qu'il s'est tenu sous l'influence vietnamienne.

Lorsque commenceront les négociations de paix en 1989, pour y associer les Khmers rouges, l'impasse sera faite sur les crimes commis par le régime de Pol Pot. Les termes « crimes contre l'humanité » et « génocide » sont bannis de tout document officiel, notamment dans les accords de Paris (1991).

Ainsi, si la communauté internationale s'est désormais résolue à obtenir le jugement des anciens dirigeants khmers rouges et à condamner l'atrocité du régime de Pol Pot, force est de constater que cette résolution est récente, et que le gouvernement cambodgien peut aisément rappeler ces atermoiements.

* 33 Ta Mok meurt en 2006

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