II.- LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DU NIGERIA SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
La
fin de la guerre froide et de la traditionnelle dichotomie
" est-ouest ", la disparition progressive des
générations qui ont connu la colonisation -colonisés comme
colonisateurs-, le brouillage croissant de la ligne de partage tacite entre
Afrique francophone et Afrique anglophone -chez les Français comme chez
les anglo-saxons, la prédominance des intérêts
économiques et financiers transnationaux sur les considérations
strictement politiques- ou l'assujettissement des uns aux autres... -chez les
occidentaux comme chez les Africains-, l'enjeu majeur d'un marché
potentiel considérable pour des pays confrontés au vieillissement
de leur population, mais aussi la multiplication et le durcissement des
conflits régionaux sur le sous-continent africain, la
nécessité impérative de maîtriser un
déséquilibre démographique croissant, la menace
liée à la proximité d'un risque épidémique
majeur, ainsi que le rôle désormais avéré
joué par le sous-continent africain dans les principaux trafics
internationaux, ont considérablement modifié les données
de la politique africaine.
De fait, la " civilisation " toute récente du
régime nigérian a d'ores et déjà donné lieu
à une considérable " surenchère ", tant de la
part des bailleurs internationaux que des partenaires européens et
anglo-saxons traditionnels
75(
*
)
.
Après avoir été mis au ban de la scène
internationale, du temps de l'ère Babangida, puis surtout de
l'ère Abacha, fortement entachée par l'exécution de Ken
Saro-Wiwa et la multiplication des atteintes aux droits de l'homme, le Nigeria
retrouve aujourd'hui, avec l'arrivée au pouvoir d'Olusegun Obasanjo,
bien connu des milieux internationaux
76(
*
)
, une affection parfois
démonstrative. Présente au Nigeria du 4 au 10 octobre 1999, la
délégation sénatoriale a pu prendre la mesure de la
succession quasi ininterrompue de visites, à des niveaux
généralement élevés, toujours opérationnels,
d'émissaires des principales puissances occidentales.
Dans ce cadre, la France ne peut demeurer indifférente à son
5
ème
fournisseur de ressources
énergétiques
77(
*
)
,
situé au coeur même de l'Afrique francophone, et dont le
rôle en matière de stabilisation de la région est si
évidemment crucial, au moment précis où se tourne
définitivement la page de la " France gendarme de
l'Afrique ".
A.- LE NIGERIA EST DE RETOUR
I.-
La reprise de l'aide multilatérale
a.-
La Banque Mondiale à nouveau sur place
En même temps que la délégation
sénatoriale, a séjourné au Nigeria, -suivant le même
circuit Lagos-Kano-Abuja- une délégation conduite par le
Président Wolfensohn, accompagné de son épouse et d'une
vingtaine de collaborateurs de haut niveau.
Les déclarations faites à cette occasion par le
Président Wolfensohn sont apparues particulièrement positives.
"
Je crois que le Président Obasanjo a notamment pour objectif
prioritaire la réforme du secteur public et le traitement de la
corruption. Je pense qu'il a
à la fois la volonté et la
capacité de le faire et il obtiendra certainement notre
aide
"
78(
*
)
.
"
La Banque Mondiale attend du Nigeria qu'il mette en oeuvre
dans les six mois à venir un certain nombre de réformes qui
justifieront sa demande de rééchelonnement ou d'annulation de
dette... Le Président Obasanjo est la bonne personne, au bon moment,
dans ce pays. La Banque aidera votre Gouvernement. Je suis prêt à
accorder au Président Obasanjo tout le soutien
nécessaire
"
79(
*
)
.
La Banque Mondiale renforce d'ores et déjà à
nouveau ses équipes sur place pour réactiver les programmes en
vigueur et en initier de nouveaux, centrés principalement sur l'eau,
l'énergie et l'éducation (enseignement primaire). Au total, entre
l'assistance technique aux privatisations
80(
*
)
, les opérations en cours, et les
programmes nouveaux de première urgence (eau potable et enseignement
primaire), le Nigeria devrait bénéficier l'année prochaine
de 115 millions de dollars de la BIRD. La SFI -bras séculier de la
Banque Mondiale en matière d'assistance au secteur privé- devrait
également intervenir dans le domaine des assurances.
b.-
La main tendue du FMI
En réponse au " mémorandum " adressé
dès son arrivée au pouvoir par le précédent
Gouvernement, qui reconnaissait clairement les causes du " malaise "
nigérian : mauvaise gestion des ressources, réglementation
excessive de l'économie, distorsion des prix et des taux de change
notamment, et aux premières décisions visant à abolir le
double taux de change et à relever le prix de vente du super à la
pompe (janvier 1999)
81(
*
)
, le FMI
avait accepté en février 1999 la mise en place d'un
"
staff-monitored program
" (programme de dialogue et de
surveillance), et installé sur place un représentant permanent
basé à Abuja.
Sans garantir nécessairement un accès particulier aux
crédits FMI, le SMP avait surtout pour intérêt de permettre
un rapprochement avec les autres bailleurs de fonds (notamment les membres du
Club de Paris) et de préparer, à terme, un accord plus formel,
sur la base d'un véritable programme d'ajustement triennal,
accompagné cette fois d'un accès privilégié aux
ressources FMI.
Face à la non-réalisation des objectifs
annoncés, le "
staff monitored program
" a
été remplacé par un "
accord commun
d'objectifs
" comprenant notamment trois éléments
principaux :
- le vote d'un collectif budgétaire sur 7 mois, assorti d'un
déficit limité à 1,8 % du PIB. Cet objectif a
été respecté.
- la mise en place d'un marché des changes libre, le taux de
change étant déterminé au jour le jour par le seul
gré du marché. L'IFEM (
Interbank Foreign Exchange Market
)
a été effectivement mis en place le 25 octobre.
- le remboursement partiel (1,8 milliard de dollars) de la dette
à l'égard des créanciers bilatéraux et
multilatéraux d'ici la fin de l'année.
La réalisation de ces trois objectifs -notamment du dernier-
pourrait déclencher la négociation d'un accord de
"
stand-by
" soumis à l'approbation du FMI (au
1
er
trimestre 2000 ?), et permettant un accès
ultérieur à une FASR (facilité d'ajustement structurel
renforcée).
c.-
La reprise de l'aide européenne
Avec 365 millions d'écus programmés pour le
programme indicatif national
(
PIN
) du 7
ème
FED
(1991-1995), le Nigeria était l'un des principaux
bénéficiaires du 7
ème
FED parmi les pays ACP.
L'arrêt progressif de tous les programmes à partir de 1994,
lié à la détérioration du climat politique, a
conduit à ne décaisser que 16 % de ce montant. Aucune allocation
au titre du 8
ème
FED n'a été accordée.
La transition démocratique engagée par le
général Abubakar a rapidement conduit à une levée
progressive de ces sanctions.
L'Union Européenne a annulé dès le
1
er
novembre 1998 toutes les sanctions civiles frappant le Nigeria
et autorisé le retour des attachés de défense
européens à Lagos et nigérians en Europe, tout en
maintenant l'embargo sur les ventes d'armes. Le 17 mai 1999, elle a levé
l'ensemble des sanctions à compter du 1
er
juin 1999. La
Commission s'est déclarée prête à mettre en place
des programmes sur les fonds encore disponibles sur le 7
ème
FED. Les négociations d'un
PIN
au titre du 8
ème
FED sont en cours.
Au total, le Nigeria pourrait bénéficier de 440
millions d'euros (330 millions au titre des reliquats des
6
ème
et 7
ème
FED et 100 millions au titre
du 8
ème
FED). La Commission met actuellement en place une
série d'actions pilotes à forte visibilité,
essentiellement destinée à la région du delta. Elle
étudie également la mise en place d'une aide pour le
fonctionnement du Parlement d'Abuja et des Parlements des 36 Etats de la
Fédération, ainsi que divers travaux d'adduction d'eau potable en
zones rurales.
On rappellera que le partenaire nigérian semble
particulièrement demandeur d'une aide du FED
" régionalisée " dans le cadre de la CEDEAO, notamment
dans le secteur des télécommunications, du réseau routier
interEtats et de la réalisation d'un gazoduc côtier.
d.-
La réintégration au sein du Commonwealth
Suspendu en novembre 1995 suite à l'exécution de Ken
Saro Wiwa et de huit militants ogonis, le Nigeria a été
réintégré en mai 1999.
La clôture du dernier sommet du Commonwealth tenu à
Durban le 15 novembre dernier a été l'occasion d'un hommage
appuyé au Nigeria, dont la présence "
redonne
vigueur
" à cette organisation de 54 pays
82(
*
)
.
II.-
L'intérêt américain
Ayant levé les restrictions en matière de visas et
procédé très rapidement à la
" recertification " du pays, les Etats-Unis ont apporté, avant
les Européens, un soutien financier de 5 millions de dollars aux
dernières élections législatives et présidentielles.
a.-
Tournée de Madeleine Albright (20-22 octobre 1999)
Cette visite était la première d'un secrétaire
d'Etat aux Affaires étrangères depuis 12 ans.
Madame Madeleine Albright a salué à plusieurs reprises
et de façon particulièrement appuyée la
"
remarquable transition démocratique
"
83(
*
)
du Nigeria. Elle a indiqué que
le Gouvernement américain demanderait au Congrès "
un
triplement ou un quadruplement de l'aide américaine
" au
Nigeria dès l'année prochaine. Elle a estimé :
" lorsque l'histoire de la dernière décade du
siècle sera écrite, la transformation du Nigeria a toutes les
chances d'être retenue, à côté de la
Révolution tchécoslovaque et de la longue
marche de
l'Afrique du Sud vers la liberté, comme un exemple lumineux de la force,
de la dignité humaine et de l'intensité du désir de
liberté
". Evoquant l'engagement du Nigeria dans le cadre de
l'ECOMOG, elle a indiqué : "
vous avez porté vos
ressources limitées bien au-delà de ce que la communauté
internationale était en droit d'attendre et vous avez réussi bien
plus que quiconque n'osait espérer
"
84(
*
)
.
b.-
Visite d'Etat du Président Obasanjo aux Etats-Unis (27-30
octobre 1999)
Le Président Obasanjo avait déjà été
convié aux Etats-Unis par le Président Clinton, dès le 30
mars dernier, pour une visite amicale.
La visite d'Etat du 27 octobre a été l'occasion pour le
Président américain de souligner l'intérêt concret
des Etats-Unis pour le Nigeria. "
Il est de l'intérêt des
Etats-Unis que le Nigeria réussisse et il est donc de notre
intérêt de l'aider. Le Nigeria est un point-pivot autour duquel
tourne l'avenir de toute l'Afrique et d'une grande partie du monde et je suis
heureux que ce pays soit aujourd'hui dans les mains d'un tel
dirigeant
"
85(
*
)
.
Le Président Clinton a confirmé la demande faite au
Congrès de tripler ou quadrupler l'aide au Nigeria, et son appui
à une demande de rééchelonnement de la dette
nigériane, dès lors que, pays producteur pétrolier, le
Nigeria ne peut espérer bénéficier d'une annulation pure
et simple. La question de l'argent transféré illégalement
et le trafic de narcotiques, qui figurent parmi les priorités
respectives des deux Etats, ont également été
évoqués.
Le Président Obasanjo s'est par ailleurs entretenu (28 octobre
1999) avec le secrétaire d'Etat à la Défense William
Cohen, et a obtenu un accord de principe à une aide américaine
pour réorganiser l'armée nigériane
86(
*
)
. On rappellera que, dès mai
1999, William Cohen, en visite à Abuja, avait annoncé un
doublement de l'aide américaine à l'ECOMOG.
III.-
Le retour des Britanniques
87(
*
)
Sous leur présidence de l'Union européenne de janvier
à juin 1998, les britanniques ont été prompts -au nom de
l'UE- à répondre aux ouvertures du général
Abubakar : déclarations saluant les premières mesures du
nouveau Gouvernement, visite à Abuja du secrétaire d'Etat pour
l'Afrique Tony Lloyd (26 juin 1998). Ils se sont toutefois montré un peu
" tièdes " dans leur appréciation du bon
déroulement des dernières élections, ce qui n'a
guère été apprécié des nouvelles
autorités nigérianes, mais a rehaussé le cours des actions
françaises....
La volonté britannique de renouer le dialogue à haut
niveau est toutefois évidente : visite de Robin Cook à Abuja
le 8 mars 1999, présence du Prince de Galles aux
cérémonies d'investiture du 8 mai 1999.
Les Britanniques ont également répondu avec empressement
à la demande nigériane formulée le 28 octobre 1999 d'aide
à l'équipement et à la formation des forces de police, et
donné un accord de principe immédiat. Parallèlement,
plusieurs missions officielles d'experts militaires se sont déjà
succédé sur place, et un exercice militaire conjoint devrait
avoir lieu en 2000. Par ailleurs, la Grande-Bretagne étudie la mise en
place de différents programmes dans les secteurs de l'éducation
et de la santé, de la lutte contre la pauvreté et de
l'éducation à la bonne gouvernance.
S'ils ont perdu du terrain sur le plan économique, les
Britanniques demeurent très présents sur le plan militaire, et
bénéficient surtout d'une implantation historique à
travers un réseau, à la fois dense et réparti sur la
totalité du territoire, d'associations privées, d'ONG et de
représentants de différentes églises. On estime à
près de 10.000 le nombre de coopérants actuellement
présents sur le terrain.
Le secrétaire d'Etat britannique aux Affaires
étrangères, Peter Hain, se rend au Nigeria du 9 au 12 janvier
2000, pour rencontrer le Président Obasanjo et se rendre dans la
région du delta, où il devrait annoncer une initiative
britannique en faveur de l'environnement. Avant son déplacement, il
avait notamment d'ores et déjà indiqué : "
Je
voudrais encourager le Président Obasanjo à poursuivre l'action
menée autour de son audacieux programme de réforme. Le Nigeria
s'est réinventé après une longue période de
dictature brutale, et nous le soutiendrons dans cette voie
"
88(
*
)
.
Dès son arrivée, il a annoncé la tenue d'un forum
annuel au niveau ministériel entre les deux pays, qui aborderait
notamment les questions relatives à la politique
étrangère, à la prévention des conflits, à
la défense, au commerce, à l'industrie et à la
santé. La hiérarchie des questions ainsi citées par le
ministre britannique mérite sans doute d'être soulignée.
"
Pour le Nigeria, c'est une époque de
réalisation ou de rupture. La Grande-Bretagne est prête à
fournir au Nigeria une assistance technique et concrète pour l'aider
à atteindre ses objectifs
.
"
Je voudrais encourager le Président Obasanjo à
poursuivre l'action menée autour de son audacieux programme de
réformes. Le Nigeria s'est réinventé après une
longue période de dictature brutale, et nous le soutiendrons dans cette
voie
"
89(
*
)
.
IV.-
L'arrivée des asiatiques
Le Nigeria attire aujourd'hui de façon croissante
l'intérêt des asiatiques, en particulier de la Chine,
passée devant la France en 1999 au rang de quatrième exportateur
vers le Nigeria.
a.-
Intérêts commerciaux du Japon
Une délégation japonaise très polyvalente de 30
personnes s'est rendue au Nigeria du 9 au 11 octobre dernier. Elle comprenait
notamment des représentants du Gouvernement, de la Banque Japonaise pour
la Coopération Internationale, ainsi que des industriels et experts
spécialisés dans le commerce, l'industrie, la transformation des
métaux, les produits manufacturés et le bâtiment.
b.-
Montée en puissance de la Chine
La dégradation des relations du Nigeria avec le monde
occidental sous le régime Abakar a laissé le terrain libre
à un renforcement marqué des relations avec la Chine. En mai
1997, le Premier ministre Li-Peng est venu personnellement signer une
série d'accords de coopération économique. Ces relations
se sont poursuivies depuis de façon constante.
Le Président Obasanjo s'est rendu en Chine dès le 11
avril 1999, à l'invitation du Président Jiang Zemin, en
prélude à son investiture du 29 mai. Le ministre chinois des
Affaires étrangères, Tang Jiaxuan, s'est rendu au Nigeria du 10
au 13 janvier 2000. A son tour, il a annoncé la mise en place d'une
commission mixte économique et commerciale, complétée par
un dialogue au niveau ministériel sur les questions politiques.
En 5 ans, la Chine est passée du 14
ème
rang
(1993) au 5
ème
rang (1998) des fournisseurs du Nigeria, et
ses exportations ont triplé, passant, au cours de la même
période, de 120 millions de dollars à 390 millions de dollars. En
1998, elle se situe désormais au 5
ème
rang des
exportateurs, derrière les Etats-Unis (820 millions de dollars), le
Royaume-Uni (777 millions de dollars), l'Allemagne (649 millions de dollars) et
la France (567 millions de dollars).
Cette progression soutenue a surtout été tirée
par un important projet de réhabilitation des chemins de fer
nigérians, actuellement en voie d'achèvement
90(
*
)
. La Chine est également
présente dans les secteurs du BTP (notamment dragage de la zone franche
du port de Calabar), et de l'électricité. On trouve
également une importante présence chinoise dans le textile et la
petite industrie de transformation, la restauration et le petit
commerce
91(
*
)
.
Les dix premiers fournisseurs du Nigeria |
||
|
1993 |
1998 |
Etats-Unis |
12,9 % |
12,7 % |
Royaume-Uni |
13,8 % |
12,0 % |
Allemagne |
10,0 % |
10,1 % |
France |
8,1 % |
8,4 % |
Chine |
1,8 % |
6,1 % |
Italie |
5,3 % |
5,3 % |
Brésil |
3,5 % |
5,2 % |
Pays-Bas |
5,5 % |
4,8 % |
Thaïlande |
1,1 % |
3,6 % |
Japon |
7,2 % |
3,6 % |
Source : PPE Lagos à partir données FMI |