B.- LE NIGERIA ET LA FRANCE

I.- Un intérêt bien compris

a.- Un partenaire essentiel de la nouvelle politique africaine

La redéfinition de la politique africaine de la France s'est notamment traduite par une extension du " champ " traditionnel, essentiellement issu des territoires anciennement colonisés, aux pays lusophones et anglophones. Plus largement d'ailleurs, la politique d'aide au développement française n'est plus désormais concentrée sur le seul sous-continent africain.

Dans ce cadre, il est clair que le Nigeria, poids lourd démographique et économique, situé à un carrefour stratégique du sous-continent, apparaît comme un partenaire désormais incontournable, dont le rôle va bien au-delà de ses seules " qualités " de cinquième fournisseur de pétrole.

En particulier, le désengagement officiel de la France, sur le plan militaire, d'une région qui apparaît désormais comme " un vaste champ d'observation des nombreuses formes de la violence politique contemporaines " 92( * ) , confère désormais au Nigeria un rôle de premier plan en matière de sécurité régionale 93( * ) .

Principaux extraits de la conférence de presse

du Président Jacques Chirac à Abuja, le 23 juillet 1999

" C'est la première fois qu'un Président français en exercice rend visite au Nigeria ".

" Il s'agit d'un geste fondateur d'une relation nouvelle, et qui est pour nous très importante ".

" La santé politique et économique du Nigeria conditionne pour une large part la santé publique et économique d'une partie très importante de l'Afrique ".

" L'élargissement du champ de coopération de la France concerne au premier chef le Nigeria ".

" Le Nigeria qui est aujourd'hui, sous l'autorité du Président Obasanjo, engagé dans un grand effort de modernisation de son administration, de gestion de ses affaires publiques, dans un grand effort de redressement économique et financier, ... a besoin d'être aidé sur cette voie pour qu'il puisse être, demain, une zone essentielle pour cette région du monde, de paix et de développement ".

Si vous me demandez mon avis personnel, je dirai que je souhaite que, dans le cadre de cette réforme du Conseil de Sécurité de l'ONU, le Nigeria soit présent comme membre permanent du Conseil de Sécurité ".

b.- Des intérêts économiques conséquents : le cinquième fournisseur énergétique, un stock d'investissements de 12 milliards de francs

Peu conséquente au début du siècle, à l'exception de l'implantation de la BNP, présente depuis 1949, et des deux comptoirs de la CFAO et de la SCOA installés dès le début du siècle, la présence économique de la France devient relativement importante au moment de l'Indépendance.

L'installation de Total dès 1956 puis de Elf en 1962, avant le début du boom pétrolier, suscite l'arrivée de Dumez dès 1958, de Air Liquide et Brossette en 1960, de la BIAO en 1961 et de Michelin en 1962.

Si les deux grands comptoirs de négoce -la CFAO et la SCOA- sont déjà implantés respectivement depuis 1902 et 1926, ils ne sont enregistrés officiellement qu'en 1969, avec la première grande vague d'implantations qui intervient avec la fin de la guerre du Biafra et le début du boom pétrolier.

Une seconde vague d'implantations intervient à la fin des années 1970, dans le cadre d'un programme nigérian intensif d'aménagement des infrastructures financé sur recettes pétrolières.

En 1983, avant le choc pétrolier, on recensait une centaine de groupes français, représentés par 180 filiales, et une communauté française de 11.500 personnes.


Historique de l'implantation des entreprises françaises

CFAO

1902

SCOA

1926

BNP

1949

Total

1956

Dumez

1958

Air Liquide

1960

Brossette

1960

BIAO

1961

Elf

1962

Michelin

1962

Peugeot

1972

Fougerolle

1973

SGE

1975

Bouygues

1975

SAE

1977

SPIE-Batignolles

1977

Degremont

1978

BEC Frères

1978

Compagnie Générale de Géophysique

1978

SOCEA

1979

Alsthom

1979

Trindel

1979

Dragages et Travaux Publics

1980

Par la suite, le choc pétrolier de 1986, la récession profonde qui intervient à partir de 1993, le durcissement du régime Abacha à compter de 1995, mais aussi le jeu des fusions et absorptions, a réduit fortement le nombre des entreprises françaises présentes sur place, aujourd'hui de l'ordre d'une centaine, mais de gros calibre.

Il est clair en effet que malgré une certaine altération de leurs marges et le net durcissement des conditions de sécurité, notamment dans le delta, pratiquement tous les grands groupes ont préféré rester sur place, considérant, malgré les difficultés, que " le solde insécurité juridique/marges réalisées reste très positif ", ainsi que l'a déclaré l'un de leurs représentants à la délégation sénatoriale lors d'une réunion tenue sur les problèmes de sécurité dans le delta 94( * ) .

Au total, nos relations économiques et commerciales sont clairement substantielles.

De fait, on peut évaluer à 12 milliards de francs le stock d'investissements français au Nigeria. Après le fort désengagement de 1993, le solde net des flux est en constante progression pour atteindre 600 millions de francs par an en 1998.

En termes d'échanges commerciaux, le montant des exportations (CAF-FAB, hors matériel militaire) s'est élevé en 1998 à 3,35 milliards de francs pour un montant d'importations de 4,37 milliards de francs. La France est aujourd'hui le cinquième fournisseur du Nigeria , sur un marché de 120 millions d'habitants.

Les implantations françaises actuelles restent diversifiées, puisque, outre le secteur énergétique, elles s'articulent autour de cinq pôles principaux :

Pétrole et gaz :

- Elf : 5 ème partenaire de la NNPC pour l'exploitation/production.

- Total : premier distributeur du pays de produits pétroliers - fortement avancé dans l'offshore et dans le secteur du gaz naturel.

- Sociétés de services et d'ingénierie pétrolière et gazière 95( * ) .

Nigeria,

6 ème fournisseur mondial de brut de la France (1997)

 

Tonnage total

%

Arabie Saoudite

18.894

20,4

Norvège

16.800

19,6

Royaume-uni

13.698

16,0

Russie

7.741

9,0

Iran

6.456

7,5

Nigeria

4.257

5,0

Algérie

4.111

4,8

Iraq

3.794

4,4

Syrie

3.097

3,6

Libye

2.456

2,9

Autres

4.572

5,2

Total

85.876

100,0

Source : PPE Lagos

1 er fournisseur africain

Nigeria

43,2 %

Algérie

20,4 %

Libye

15,4 %

Gabon

8,2 %

Angola

5,8 %

Cameroun

2,7 %

Tunisie

2,1 %

Guinée équatoriale

1,2 %

Congo-Brazzaville

0,8 %

Source : PPE Lagos

Automobile et associé :

- Peugeot, avec l'usine d'assemblage de Kaduna -qui montait 50.000 véhicules dans les années quatre-vingt, aujourd'hui sous-utilisée, mais qui reprend du " service " avec le lancement des " Boxers " 96( * ) .

- Michelin, qui développe aujourd'hui les plantations d'hévéas devenus plus " intéressantes " qu'en Asie du Sud-Est, à la fois en amont de la fabrication locale de pneumatiques et pour l'exportation de gomme.

BTP :

- Face à une forte concurrence allemande, libanaise, israélienne et italienne, la présence française reste importante : Bouygues, Fougerolle, Dumez, Lafarge, SPIE-Batignolles, SGE, Degrémont et BEC Frères.

Services :

- Secteur bancaire : Banque Belgolaise-Groupe Suez, Crédit Lyonnais, Paribas, Banque SBA.

- Transports : Bolloré, Air-France.

- Contrôle technique : Véritas.

- Eau : Lyse (Lyonnaise des Eaux).

Chimie-Pharmacie :

- Atochem, Rhône-Poulenc (May & Baker), Société Commerciale des Potasses et de l'Azote, Air Liquide.

Distribution :

- CFAO, SCOA, Brossette.

Par ailleurs, dans le contexte du processus de privatisation et de la normalisation espérée de l'environnement des affaires, un certain nombre de nouveaux créneaux sectoriels apparaissent désormais, particulièrement porteurs : électricité, électronique et télécommunications, pharmacie, assurances, notamment, mais aussi sécurité aéroportuaire et secteur de l'alimentation.

A cet égard, la venue d'une délégation élargie du MEDEF prévue au premier trimestre 2000, mais aussi l'envoi -non encore programmé- de missions de prospection de l'Agence Française de Développement 97( * ) , paraissent judicieux.

Il reste que tant que la normalisation des relations financières du Nigeria (et notamment l'apurement de la dette) 98( * ) ne sera pas " à tout le moins amorcée ", l'Etat français (concrètement la Direction du Trésor) refuse d'accorder la garantie COFACE ou la procédure FASED 99( * ) -à l'exception des projets d'équipement pétrolier, garantis par des recettes pétrolières offshore 100( * ) .


Situation des échanges France-Nigeria en 1998

 

Millions de francs

Pourcentage du total

Principales exportations françaises

 
 

- spécialités pharmaceutiques

412

12,3 %

- pièces et équipements spécifiques pour automobiles

373

11,1 %

- produits pétroliers raffinés

276

8,2 %

- voitures particulières

253

7,6 %

- produits de la robinetterie

138

4,1 %

- matériel aéronautique, thermique et frigorifique

116

3,5 %

- sucre

114

3,4 %

- tubes d'acier

99

3,0 %

- matériel informatique

96

2,9 %

 
 
 

Principales importations françaises

 
 

- pétrole brut

4080

93,4 %

- produits de la pêche en mer

75

1,7 %

- fruits tropicaux, café, cacao

66

1,5 %

 
 
 

II.- Une concrétisation encore symbolique : 17 millions de francs en 1999...

A la veille de la visite d'Etat du Président Obasanjo en France, prévue les 6 et 7 février prochains, la concrétisation, notamment institutionnelle, du renforcement des liens de la France avec le Nigeria demeure encore au niveau des déclarations de principe.

a.- La présence institutionnelle : réduite au minimum vital

Ainsi, le dynamisme et la pugnacité incontestables de son Excellence Monsieur Philippe Peltier, Ambassadeur de France au Nigeria depuis novembre 1996, ne peuvent sans doute à elles seules compenser le caractère très ramassé 101( * ) de l'équipe à sa disposition sur place 102( * ) . En particulier le service de coopération culturelle, technique et d'enseignement du français est apparu à la délégation sénatoriale quelque peu démuni de moyens -humains comme financiers.

Il pourrait donc être bienvenu de renforcer en priorité le service de coopération culturelle et technique, y compris au niveau des assistants techniques présents sur le terrain .

Mais il apparaît également souhaitable, conformément à une pratique courante dans les pays de l'ancien champ et qui a largement fait ses preuves, de placer des Français -conseillers ou assistants techniques- à la disposition de certains ministres et d'un certain nombre d'organismes clés de l'administration centrale : banque centrale, ministère des finances (notamment douanes et recettes fiscales), ministères de la justice et de l'intérieur, pétrole, commission nationale de planification, présidence, notamment.

L'ampleur des enjeux et du potentiel encore en cours d'évaluation pourrait également justifier que le poste d'expansion économique soit " complété " dans l'action qu'il mène avec une parfaite compétence et efficacité par -sinon l'installation rapide d'une " antenne ", voire d'une agence- de l'Agence Française de Développement -au moins l'envoi, dans les meilleurs délais, de missions de travail exploratoires de l'AFD, ainsi que la réactivation du dispositif PROPARCO 103( * ) .

b.- Les perspectives de la " francophonie " nigériane : une souhaitable intensification des moyens et diversification des instruments

Dans le contexte actuel d'évolution sensible de la politique africaine de la France, faite d'une diversification qui n'exclut pas la consolidation des acquis, le Nigeria constitue, à l'évidence, un partenaire de tout premier ordre.

De " tradition " anglophone, ce pays, le plus important du continent par sa dimension et sa démographie, enclavé au sein d'un environnement régional purement francophone, a officiellement fait état de sa volonté de " francophonisation ". La France se doit d'y répondre de la meilleure façon.

Or, près de trois ans après la " main tendue " par le général Abacha, les réalisations dans ce domaine paraissent bien insuffisantes, sinon médiocres, au regard des besoins et de l'enjeu ainsi
exprimés, dans un contexte de concurrence qui se renforce nettement.

Le général Abacha ayant décidé, en décembre 1996, de rendre le " français deuxième langue officielle ", l'essentiel des crédits de coopération affectés au Nigeria (15 millions de francs en 1998, 16,7 millions de francs en 1999), ont été concentrés sur la seule coopération linguistique, afin de " cibler " au mieux un objectif éminemment ambitieux. La priorité a donc été donnée, dans l'immédiat, à l'introduction du français comme langue obligatoire dans le secondaire. Il n'y a pas eu d'augmentation nette des moyens.

Certes, la France dispose d'ores et déjà sur le terrain d'un réseau non négligeable : huit alliances françaises, deux organismes de formation des professeurs déjà anciens et réputés, le Centre français de documentation de Jos et le Village français de Badagry, le Centre culturel de Lagos, le Centre de recherches sur l'Afrique d'Ibadan (IFRA), enfin un ensemble d'accords de coopération linguistique signés avec la moitié des Etats de la Fédération.

Toutefois dans le contexte actuel, il serait certainement utile de conforter encore et de revitaliser ce réseau, qui existe effectivement depuis longtemps, et de procéder à une modernisation des accords ainsi passés, dont certains ont une ancienneté supérieure à dix ans...

L'objectif désormais fixé est la formation d'environ 10.000 maîtres de l'enseignement secondaire 104( * ) en cinq ans et la mise à leur disposition d'un matériel pédagogique -notamment audiovisuel- efficace. Une première voie a été explorée pour utiliser les " formateurs " béninois voisins. Elle n'a pas, semble-t-il, réalisé tous les espoirs fondés sur elle, notamment pour des questions de rémunération 105( * ) . La délégation sénatoriale a eu le sentiment que cette " solution " était quelque peu en panne, sans toutefois avoir été réellement utilisée au maximum de ses potentialités.

L'ambassade du Nigeria envoie également des stagiaires nigérians dans les centres de formation à l'enseignement du français au Bénin (CEBELAE de Cotonou), au Togo (Village du Bénin de Lomé) et en Côte-d'Ivoire (CUEF d'Abidjan). Mais cette solution est limitée par les problèmes d'hébergement. Là encore, l'instrument utilisé reste ponctuel, malgré pourtant un réel intérêt régional qui mérite certainement d'être davantage exploré.

L'appréciation, nécessairement rapide, de la délégation sur ce sujet la conduit aux remarques suivantes :

L'effort fait sur l'enseignement doit d'abord, pour mieux " s'enraciner ", s'appuyer sur le développement de notre coopération culturelle, notamment audiovisuelle . Or celle-ci semble pâtir -en termes de moyens humains et financiers- de l'accent mis sur la seule coopération linguistique.

La délégation sénatoriale a été relativement frappée par ce " décalage " regrettable. Elle estime par ailleurs que d'autres instruments mériteraient sans doute d'être davantage mis à profit.

Ainsi, au-delà du seul financement de " projets ", l'appui français pourrait se manifester par le biais de missions d'expertise du ministère de l'Education nationale , lesquelles ont largement fait la preuve de leur efficacité immédiate auprès d'autres partenaires étrangers. De même, pourrait être utilement développé le recours aux co-tutelles universitaires 106( * ) . Enfin, il apparaît éminemment souhaitable de mettre en place, dans les meilleurs délais, un système performant de fichiers des boursiers , assorti d'un suivi permanent 107( * ) .

Par ailleurs, l'importance des intérêts économiques, le maintien sur place -" envers et contre tout " mais au prix d'une expatriation limitée au strict minimum- de représentants de grosses sociétés françaises, doit se traduire par une analyse approfondie en amont des débouchés et de la demande potentielle locale de nos entreprises . De même, une attention particulière doit être apportée à la formation professionnelle aux techniques françaises (fût-ce au prix parfois d'un enseignement initial en anglais...).

Enfin, une utilisation plus large du " multilatéral " francophone 108( * ) serait certainement bénéfique. Outre un intérêt politique évident, elle permettrait de disposer d'un levier financier conséquent, très supérieur aux seuls moyens strictement bilatéraux 109( * ) . Ainsi, pourraient être étudiées une intégration à l'AIMF ( Association internationale des maires francophones ), mais aussi une association progressive du Nigeria aux instances de l'APF ( Assemblée parlementaire de la francophonie ), d'abord à titre d'observateur, puis comme membre à part entière.

Il pourrait également être intéressant de mobiliser davantage les conséquentes ressources de l' Agence universitaire de la francophonie , et enfin de réfléchir au montage -sur place- de manifestations " francophones " en liaison avec les importantes communautés libanaise et maghrébine.

L'ensemble de ces questions a vraisemblablement été abordé au cours des Assises du français à Abuja , qui devaient en principe se tenir en novembre. Votre délégation n'a pas eu d'informations particulières à ce sujet 110( * ) .

c.- L'entrée du Nigeria dans la " Zone de solidarité prioritaire " ? : 2,5 millions de francs en 1999 pour la coopération scientifique et technique

Il convient certes de se féliciter de l'entrée officielle du Nigeria dans la " Zone de solidarité prioritaire " (ZSP) française, qui permet notamment l'accès aux ressources du Fonds de Solidarité Prioritaire (ex-FAC), ainsi qu'aux instruments traditionnels de la coopération française jusqu'il y a peu réservés aux anciens pays du " champ ". Toutefois, la traduction concrète de cette décision ne s'est pas encore manifestée. Par comparaison avec ses voisins francophones 111( * ) , et surtout calculée par habitant, l'aide apportée au Nigeria en 1999 conserve un niveau qui pourrait rapidement être qualifié de dérisoire .



L'effort français d'aide :

éléments de comparaison avec les voisins francophones du Nigeria

1.- Aide civile

 

Population 1

(millions)

APD bilatérale totale 2

Aide projet FAC 3

Assistants techniques 4

Nigeria

124,8

23 MF

--

2

Cameroun

13,9

167 MF

56 MF

186

Niger

9,8

552 MF

23,5 MF

93

Tchad

7,1

281 MF

27,0 MF

101

Bénin

5,6

155 MF

25,0 MF

53

Togo

4,3

190 MF

22,7 MF

33

1 1997

 
 
 
 

2 1997

 
 
 
 

3 1998 - hors projets " intérêt général " et " intérêts ", qui représentent un total de 502 MF

4 1999

 
 
 
 

2.- Aide militaire

 

Formation de stagiaires 1

Coopérants militaires sur place 2

Aide en matériel 3

(
millions de francs)

Nigeria

--

--

--

Cameroun

27

39

12,6

Niger 4

(2)

(39)

--

Tchad

17

35

12

Bénin

29

19

5

Togo

37

22

5

1 dans les écoles nationales à vocation régionale - chiffres 1999

2 au 31 décembre 1999

3 budget 2000

 
 
 

4 contexte de suspension de la coopération française

En l'état actuel des informations fournies à la délégation sénatoriale dans le cadre de la préparation de sa mission, tous les secteurs étaient considérés comme prioritaires :

" L'intégration du Nigeria à la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP) devrait permettre la relance de notre coopération scientifique et technique autour des priorités suivantes :

a.- Développement social et coopération éducative :

- santé,

- réforme hospitalière, formation de médecins, de chirurgiens et de personnel médical,

- lutte contre les maladies endémiques (malaria, SIDA, méningite et autres maladies tropicales),

- recherche en pharmacopée tropicale,

- SAMU (une mission des SAMU de Brest et de Paris a déjà eu lieu cette année),

- développement rural et communautaire,

- formation vétérinaire,

- promotion des formations supérieures, bourses d'excellence.

b.- Développement économique et environnement :

- eau et assainissement, gestion des bassins, irrigation,

- technologie agro-alimentaire,

- environnement et cadre de vie, transports,

- aviation civile, météorologie, en coordination avec l'ensemble des pays de la région,

c.- Coopération institutionnelle :

- secteur économique : appui à la gestion, sciences économiques,

- formation en administration publique et en sciences politiques (avec l'IIAP et l'ENA),

- coopération police, lutte contre les grands trafics et la criminalité,

- coopération décentralisée, gestion municipale ".


Concrètement, la concentration de l'enveloppe actuelle du poste (soit 16,7 MF) sur l'enseignement du français a réduit la totalité des moyens disponibles pour cette " relance " de la coopération scientifique et technique à 2,5 millions de francs , ce qui correspond à une baisse des crédits de 60 % entre 1995 et 1999 . En outre, il n'y a actuellement aucun assistant technique français présent sur le terrain .

Il reste donc à l'évidence à mettre en oeuvre concrètement ces orientations, incontestables sur le plan des principes, peut-être en les hiérarchisant dans un premier temps, pour définir rapidement des projets susceptibles d'être adoptés 112( * ) dès l'exercice 2000, dans le cadre du nouveau Fonds de Solidarité Prioritaire, qui devrait bénéficier, pour cet exercice, de 1.250 millions de francs en autorisations de programme et 922 millions de francs en crédits de paiement.

Deux secteurs à forte visibilité -et à retombées non négligeables pour les entreprises françaises- pourraient effectivement être privilégiés dans l'immédiat et bénéficier d'une concentration des moyens disponibles : la gestion de l'eau 113( * ) et la santé 114( * ) .

De même, en bonne complémentarité avec l'objectif de développement de l'enseignement du français, il apparaîtrait judicieux de pouvoir accélérer les projets de coopération -déjà largement mis au point par les services français 115( * ) dans le secteur audiovisuel . La dérégulation en cours depuis 1992 constitue en effet une occasion irremplaçable pour des opérateurs comme CFI et RFI de se renforcer sur un marché jusqu'ici dominé, pour des raisons historiques, par les anglophones 116( * ) .

d.- La coopération militaire et sécuritaire : répondre à un besoin nigérian

La délégation sénatoriale a eu le sentiment, d'une part, que " beaucoup était à faire " en matière de coopération militaire au sens strict, mais également dans le cadre de la sécurité civile, notamment par le biais d'une " civilisation " des forces armées , et, d'autre part, que, à cet égard, et malgré la réelle importance de la concurrence anglo-saxonne 117( * ) , la France pouvait prétendre occuper un terrain non négligeable.

Il semble particulièrement opportun de renforcer encore les mesures déjà envisagées en matière d' accueil de stagiaires de l'Ecole de guerre nigériane (dans les écoles d'application, au CIP, à l'IHEDN...) -avec visites intensives des matériels français -, de renforcement de l' enseignement du français dans les écoles militaires nigérianes , de participation concrète à la restructuration des forces armées nigérianes, et de revitalisation des anciens contrats d'armement 118( * ) , parallèlement à l'exploration de nouvelles possibilités 119( * ) .

Interrogé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2000 sur les moyens nouveaux donnés à l'aide en matériel militaire 120( * ) , le Gouvernement a précisé qu'il s'agissait de " prendre en compte l'élargissement de la ZSP " et que ces moyens étaient censés profiter " en priorité au développement des écoles nationales à vocation régionale, à la mise à niveau des forces de sécurité intérieure, à la réorganisation des forces armées, à l'équipement des unités appelées à participer à des opérations de maintien de la paix et à la création de systèmes centralisés de répartition de matériel ". Ces indications pourront certainement trouver au Nigeria un terrain d'application idéal.

De même, une intégration effective et complète du Nigeria au dispositif franco-anglo-saxon RECAMP 121( * ) ( Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix ) paraît éminemment souhaitable, compte tenu du poids politique, démographique et géographique de ce pays 122( * ) , et à l'heure où la France se désengage clairement de l'intervention militaire directe.

Le volet de la coopération " sécuritaire " mérite certainement d'être renforcé.

D'une part, l'installation d'une antenne locale du SCTIP à Lagos/Abuja paraît opportune, à la fois pour donner un signal positif à la communauté économique française présente sur place, mais aussi pour assurer l'efficacité des politiques menées dans les pays francophones voisins en matière de suppression des trafics en tout genre, pour lesquels le Nigeria apparaît comme une évidente plaque tournante 123( * ) .

D'autre part, l'avenir de la police nigériane constitue, à l'évidence, pour le nouveau Gouvernement démocratiquement élu, une urgence et un enjeu considérable. La sécurité dans la région du delta 124( * ) , d'abord, mais aussi dans la région du nord, où les conflits religieux semblent vouloir se multiplier, constituent désormais un véritable " test " pour le nouveau Gouvernement.

Sérieusement mis à mal par les régimes militaires précédents, la police nigériane a besoin d'une profonde remise en ordre à la fois matérielle et morale. Les demandes exprimées par le Gouvernement nigérian à la partie française -surtout depuis certaines déclarations malheureuses des américains- sont multiformes : formation, matériel, équipement, munitions, télécommunications, transports. Dans ce cadre, il est clair que la compétence et l'offre françaises devraient pouvoir, utilement, trouver à s'exprimer.

En conclusion, il paraît important que soit rapidement négocié un accord de coopération en bonne et due forme, et que ne demeure pas trop longtemps au niveau des seules déclarations de principe la mise en place des institutions décidée par les deux présidents français et nigérian le 23 juillet 1999 :

- trois commissions mixtes spécialisées : une commission de politique étrangère, une commission économique et financière, une commission de coopération regroupant les secteurs culturels, technique et scientifique ;

- un forum consultatif de dialogue permanent, présidé, côté français, par une haute personnalité et, côté nigérian, par M. Ernst Shonekan 125( * ) , reprenant notamment l'impulsion créée par l'exercice " vision 2010 " 126( * ) qu'avait mené celui-ci en 1997-1998. Il devrait réunir des personnalités d'horizons divers : politique, parlementaire, administration, secteur privé ;

- une grande commission mixte co-présidée par le Premier ministre français et le Vice-président nigérian, se réunissant une fois par an pour analyser les rapports des trois commissions mixtes spécialisées et du forum consultatif de dialogue permanent.

On rappellera en effet que les Britanniques, d'une part, les Chinois, de l'autre, viennent eux-mêmes d'annoncer la mise en place d'organismes de même nature, et que les anglo-saxons, déjà très présents sur le terrain, multiplient les actions concrètes dans les domaines stratégiques de la communication et de la coopération militaire, sécuritaire et institutionnelle .

Il serait regrettable que l'élan donné par la visite du Président français en juillet 1999, répondant ainsi à la " main tendue " par le général Abacha puis par le Président Obasanjo, fasse long feu...

La France doit rapidement se donner, au Nigeria, les moyens de sa politique.

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