Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je suis très attentive aux différents points sur lesquels vous m’alertez.

Comme je l’ai souligné, nous ne ferons pas des potentielles sanctions un objet de marchandage dans la situation actuelle. Pour autant, il convient de faire appliquer la réglementation européenne. J’en ai d’ailleurs fait l’une des priorités de mon action.

Vous avez cité un certain nombre d’enquêtes en cours. Depuis ma prise de fonction, j’ai eu l’occasion de réunir les plateformes à Bercy pour leur rappeler leurs obligations. J’ai également rappelé à la Commission européenne l’importance qu’accorde la France au fait que toutes les enquêtes aboutissent.

Nous sommes très attentifs aux évolutions dont vous avez sans doute pu prendre connaissance dans les médias, car, vous avez raison, rien ne sert d’avoir un cadre si nous ne montrons pas qu’il est appliqué.

Nous ne pouvons pas préjuger du résultat des enquêtes tant qu’elles n’auront pas été conclues, mais nous veillons à lever les doutes sur ce qu’il se passe sur les plateformes.

La meilleure façon de le faire est de nous assurer que les enquêtes aillent au bout et que les plateformes qui ne sont pas en règle se voient imposer les sanctions prévues par le DSA, et cela, quelle que soit leur nationalité. En effet, je rappelle une nouvelle fois que les potentielles sanctions ne sauraient être utilisées comme un instrument commercial.

Par ailleurs, vous avez évoqué l’usage de l’intelligence artificielle (IA) pour manipuler l’information. La réglementation européenne est souvent montrée du doigt, mais je suis très fière que, en Européens, nous ayons pris des décisions fermes. Ainsi, l’article 50 du règlement pour l’intelligence artificielle énonce clairement que l’utilisation de deep fakes à des fins de manipulation de l’information est interdite.

Nous ne voulons pas de ce type d’usages de l’intelligence artificielle sur nos plateformes ! Nous veillerons donc également à ce que les obligations de transparence sur le recours à l’intelligence artificielle soient bien mises en application.

Les choses évoluant très vite, j’ai demandé au réseau des régulateurs, qui est l’un des outils que nous avons développés dans le cadre de la loi Sren, d’étudier l’opportunité d’aller plus loin que le cadre existant pour lutter contre la manipulation d’informations.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Madame la ministre, je vous remercie de vos propos. Il ne faut rien nous interdire en matière de numérique. Montrons-nous innovants, pour atteindre notre objectif de protéger l’ensemble de nos concitoyens, en particulier nos enfants, comme nous y a appelés tout à l’heure notre collègue Vincent Louault.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Mme Maryse Carrère et M. Vincent Louault applaudissent.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un sujet crucial : la sincérité du débat public à l’ère numérique et la manière dont les politiques françaises et européennes régulent les plateformes en ligne pour garantir un espace d’échange authentique et respectueux des valeurs démocratiques.

Les plateformes numériques ont acquis une place centrale dans notre vie sociale, politique et économique. Elles constituent un espace d’échange et de débat, mais également un terrain de manipulation, où les frontières entre la réalité et le mensonge sont souvent floues.

Le phénomène de la désinformation a pris une ampleur considérable. Au-delà des simples erreurs d’information, des campagnes de manipulation sont systématiquement menées pour influencer les opinions publiques, perturber les processus électoraux et déstabiliser des sociétés entières.

Les exemples sont nombreux. Je citerai tout d’abord le réseau Portal Kombat, qui a été démantelé l’année dernière par le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), car il regroupait une multitude de sites visant à désinformer les populations européennes en donnant une image positive de l’invasion russe en Ukraine.

Je pourrais également citer les multiples campagnes de désinformation autour du covid-19, de l’élection présidentielle américaine ou des élections européennes.

La désinformation est grave pour notre démocratie. Elle peut non seulement semer la confusion parmi les citoyens sur des sujets fondamentaux tels que la santé, mais également perturber le débat public en période électorale.

Les plateformes numériques sont devenues les vecteurs privilégiés de la diffusion de discours haineux, de propos diffamatoires ou de pratiques de harcèlement. L’un des fondements de ces abus réside dans l’anonymat quasi absolu dans lequel évoluent certains internautes sur une large partie des plateformes numériques existantes.

Si l’anonymat peut être perçu comme une garantie de la liberté d’expression, il peut également servir de bouclier à ceux qui souhaitent propager la haine, la violence et la désinformation. Les avis sur cette question sont divers. Aussi, il me semble essentiel qu’un débat parlementaire plus approfondi soit mené sur les répercussions, positives comme négatives, que pourrait entraîner la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux.

En offrant un refuge aux comportements nuisibles, l’anonymat permet à des individus de diffuser des informations fausses ou des propos haineux sans craindre des représailles. Il est donc crucial de poser la question d’une éventuelle identification des utilisateurs sur les plateformes en ligne pour prendre à bras-le-corps le problème de l’impunité sur internet.

D’un côté, l’obligation de dévoiler son identité en ligne permettrait à nos forces de l’ordre et à la justice d’agir plus efficacement contre les comportements abusifs, de sorte que l’internet devienne un espace d’information et d’échange plus sûr. De l’autre, elle pourrait créer un climat de surveillance et de censure susceptible de nuire à la liberté d’expression.

Depuis son rachat par Elon Musk, la plateforme X – anciennement Twitter – illustre parfaitement la dérive d’une liberté d’expression poussée à l’extrême. Cette situation soulève la question de la légitimité des propriétaires de plateformes numériques, qui tendent de plus en plus à outrepasser les réglementations.

Au-delà de la question de l’anonymat, nous devons évidemment poursuivre nos efforts pour réguler les plateformes numériques dans leur globalité.

Comme l’ont rappelé les orateurs précédents, l’Union européenne a déjà entrepris plusieurs démarches pour encadrer les plateformes numériques, notamment par le biais du DSA et du DMA. Ces deux règlements ambitieux visent à renforcer la transparence, à protéger les utilisateurs et à prévenir les abus des géants du numérique.

Le DSA impose aux plateformes une série d’obligations en matière de modération des contenus, de transparence des algorithmes et de coopération avec les autorités de régulation, pour lutter contre les contenus illégaux. Le DMA renforce la compétitivité des marchés numériques, en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles des géants du secteur.

En France, des mesures telles que la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information ont introduit des obligations quant à la véracité de l’information diffusée par les plateformes. Bien qu’elles soient nécessaires, ces mesures demeurent insuffisantes.

La France et l’Union européenne doivent donc veiller à ce que leurs efforts de régulation aboutissent à un mécanisme de responsabilité protégeant davantage les utilisateurs contre les abus et garantissant un espace numérique plus sûr et plus transparent.

Pour réguler l’espace numérique, nous devons trouver un équilibre entre préservation de la liberté d’expression et responsabilisation des utilisateurs. C’est la seule manière de garantir que chacun puisse s’y exprimer librement, tout en respectant les droits et de la dignité d’autrui. (Mme Maryse Carrère et M. Vincent Louault applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre intervention. Vous abordez plusieurs questions, mais le cœur de votre propos porte sur l’anonymat en ligne et ses conséquences en matière d’impunité.

J’estime qu’il est de notre responsabilité collective d’affirmer qu’il n’existe pas d’impunité en ligne et que ce qui est interdit hors ligne l’est aussi sur internet. Je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle l’espace numérique serait une sorte de Far West.

Dans de nombreux cas, des peines très importantes ont été prononcées contre des auteurs de cyberharcèlement ou d’autres dérives auxquelles vous avez fait référence. Il faut le faire savoir.

Peut-être pouvons-nous renforcer les moyens de la justice pour que les enquêtes aillent plus vite, mais nous sommes d’ores et déjà capables de retrouver les personnes qui se cachent derrière n’importe quel pseudonyme sur les plateformes. En cas d’infraction, elles ne resteront jamais impunies.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Mmes Florence Blatrix Contat et Nicole Duranton, ainsi que M. Vincent Louault, applaudissent.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues du groupe GEST d’avoir proposé ce débat. Il est essentiel que nous éclaircissions cette question éminemment politique : comment garantir, à l’ère numérique, la liberté et la sincérité du débat public ? Plus encore, comment faire en sorte que les plateformes respectent les principes fondamentaux de notre modèle républicain et démocratique ?

Les plateformes numériques – réseaux sociaux, moteurs de recherche, agrégateurs de contenus – occupent une place prépondérante dans nos vies. Longtemps silencieuses, elles servent désormais de relais politiques à des courants illibéraux, qui contestent les principes de l’expression pluraliste.

Madame la ministre, dans ce contexte, il est risqué de laisser l’organisation du débat public à la main d’acteurs privés, dont le modèle économique repose davantage sur la polarisation que sur la recherche de vérité. Mais pour y faire face, notre arsenal législatif est insuffisant.

La commission d’enquête conduite par nos collègues Dominique de Legge et Rachid Temal l’a clairement établi, la France est aujourd’hui vulnérable face aux ingérences numériques étrangères. Leur rapport souligne une absence de stratégie coordonnée et pointe les failles de notre système de réponse. Aussi proposent-ils une évolution ambitieuse : reconnaître le rôle actif des grandes plateformes en les requalifiant comme des acteurs éditoriaux responsables.

Cette requalification aurait une portée juridique majeure : elle ouvrirait la voie à ce que ces entreprises soient considérées comme pleinement responsables lorsqu’elles participent à la dissémination de contenus hostiles.

Trop longtemps, nous avons fait confiance aux géants de la tech. Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk et sous couvert d’une liberté d’expression sans filtre, des comptes pourtant sanctionnés pour incitation à la haine ont été réintégrés.

Les plateformes sont néfastes pour les mineurs lorsqu’elles les exposent à des contenus anxiogènes, sexualisés ou promouvant des comportements dangereux. Pire encore, les algorithmes de recommandation les enferment dans des boucles de contenus addictifs et délétères pour leur santé mentale.

Nous le savons, l’efficacité des mécanismes de modération actuels reste très insuffisante. Le rapport annuel pour 2023 de l’Arcom l’avait bien mis en évidence. De plus, les pratiques de retrait des contenus haineux sont incohérentes.

L’opinion publique ne doit pas être structurée par des systèmes automatisés, sans transparence ni contrôle démocratique.

Mes chers collègues, la libre formation de l’opinion nécessite un socle commun de vérité. Il est urgent que nous nous saisissions des propositions issues de la commission d’enquête, pour définir une doctrine nationale de lutte contre les manipulations de l’information et pour articuler efficacement la coopération entre les services de renseignement et les autorités de régulation.

Les plateformes numériques ne peuvent plus être considérées comme de simples hébergeurs techniques. À cet égard, le DSA, adopté le 19 octobre 2022, marque une avancée importante. Pour la première fois, il a introduit des obligations de transparence sur les algorithmes, des exigences de retrait rapide des contenus manifestement illicites, ainsi qu’un devoir d’évaluation des risques systémiques pesant sur les très grandes plateformes.

Dès lors qu’un système de recommandation favorise les contenus les plus polarisants, il faut le sanctionner, sans pour autant céder à des réflexes d’urgence et de facilité. Je pense à la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, dont la disposition phare a été censurée par le Conseil constitutionnel en 2020.

Nous devons obtenir un droit d’accès réel aux mécanismes de construction de ces algorithmes. C’est une condition essentielle pour comprendre les dynamiques de diffusion et redonner du sens à la régulation.

Enfin, nous avons besoin d’une autorité de régulation disposant de moyens réels, capable de formuler des recommandations contraignantes et de faire respecter la loi. Pour ma part, je défends le modèle de l’Arcom. En tout état de cause, il serait de bon ton que tous les responsables politiques respectent les décisions des régulateurs ; il s’agit d’une exigence indispensable à notre modèle démocratique. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre intervention. Vous mentionnez quelques pistes pour renforcer notre fermeté à l’égard des dérives des plateformes.

Je comprends vos interrogations. Je pense que, comme moi, vous êtes convaincue de la nécessité de répondre en Européens aux dérives des plateformes, que l’un d’entre vous a qualifiées de prédatrices. En effet, nous sommes 450 millions de personnes et nous avons donc un poids certain pour responsabiliser ces plateformes.

L’approche adoptée par l’Union européenne au travers du DSA, qui est encore relativement nouveau, est de responsabiliser les plateformes. Comme je l’ai déjà affirmé, je serai tout à fait attentive au fait que les enquêtes réalisées dans ce cadre aillent à leur terme. Nous commençons à entendre dire que l’Europe régule trop et que les amendes, cela va bien deux minutes… Tout cela prouve que les plateformes sont attentives à ces enquêtes et à leurs potentielles conséquences.

La première étape d’une régulation des plateformes, qui concentre l’essentiel de mon énergie, est de nous assurer que ceux qui méritent d’être sanctionnés le soient.

Je vous remercie de votre vigilance sur cette question, ainsi que des pistes que vous proposez pour aller encore plus loin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (M. Vincent Louault applaudit.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’arrivée d’internet, puis, dans les années 1990, celle du Web ont été source de grands espoirs. Ces outils devaient révolutionner les communications, apporter la connaissance partout, et, en un mot, faire progresser le débat public. C’est peu de dire que l’enthousiasme est retombé depuis lors !

Le mythe originel a été brisé une première fois en 2014 par les révélations d’Edward Snowden, qui nous apprenait que nous étions tous massivement espionnés par le truchement des programmes Bullrun et Prism, sortes de portes dérobées introduites sur les réseaux. Seule la présidente du Brésil s’en était alors émue, à raison.

Pardonnez-moi cette parenthèse historique, mais le groupe Union Centriste, lui, avait également réagi, en soutenant ma proposition de constituer une mission commune d’information sur le thème : « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet ». Celle-ci a débouché sur cinquante propositions visant à mettre en œuvre des politiques françaises, mais surtout européennes pour réguler les plateformes. Il s’agit précisément de l’intitulé du débat qui nous occupe, et j’en profite pour remercier nos collègues écologistes, à qui nous le devons.

De ces cinquante propositions, seuls le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la réforme du renseignement furent rapidement repris et appliqués. Pour le reste, il aura fallu attendre que l’affaire Cambridge Analytica nous révèle, en 2018, que les comptes de millions d’utilisateurs de Facebook avaient été manipulés par les Russes pour influencer l’élection américaine en faveur de Donald Trump et la campagne du Brexit.

Désormais, internet s’est mué en terrain d’affrontement mondial pour la domination économique et culturelle du monde, en devenant le théâtre de cyberattaques toujours plus nombreuses. Il représente également un terreau fertile pour la guerre informationnelle et les ingérences étrangères.

L’Europe, qui a été la cible de multiples tentatives de manipulation de ses processus électoraux, notamment en Moldavie et en Roumanie, se trouve désormais prise en tenaille entre la Russie, la Chine et maintenant les États-Unis. Les propriétaires des plateformes ne se gênent pas pour modifier leur algorithme et faire ouvertement campagne pour des candidats d’extrême droite.

Ne soyons pas naïfs, les élites de la tech ont bien un projet politique : ils préemptent le débat public pour façonner notre monde selon leurs ambitions et leurs croyances.

Une stratégie du chaos est à l’œuvre. Notre commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères a démontré que les Chinois utilisaient TikTok pour nous livrer une véritable guerre cognitive. Alors qu’ils protègent leurs enfants, ils abrutissent et manipulent les nôtres par le biais d’un algorithme très addictif.

L’intelligence artificielle amplifie encore les menaces. Les hypertrucages prolifèrent et sèment la confusion. Demain, les chatbots se substitueront aux moteurs de recherche et aux plateformes et choisiront les vérités qu’elles voudront bien éditer.

Bien sûr, l’Union européenne a fini par légiférer en adoptant les règlements sur la gouvernance des données et sur les marchés et services numériques, le DMA et le DSA, que nous avons transposés par le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Avec eux est né l’espoir d’une meilleure protection des données des Européens, d’une plus grande régulation des plateformes et d’une intelligence artificielle de confiance.

Toutefois, nos dépendances aux technologies extra-européennes sont devenues très dangereuses. Ma collègue Florence Blatrix Contat et moi-même l’avons dit avec force dans le cadre des travaux que nous avons réalisés au nom de la commission des affaires européennes : la politique industrielle que nous menons depuis trente ans a échoué à développer des outils garantissant notre souveraineté et nos modèles de société.

À force de ne penser qu’au développement des usages et non à celui des acteurs, nous avons laissé ces plateformes, dont le modèle est la surveillance et la prédation, devenir des monstres qui dominent largement le marché publicitaire mondial.

M. Pierre Ouzoulias. C’est vrai !

Mme Catherine Morin-Desailly. Google et Meta captent 60 % de ce marché, et ce chiffre grimpe entre 85 % et 90 % pour ce qui concerne le marché publicitaire exclusivement numérique.

Nous appelons donc, à l’instar de l’historien David Colon, à la création d’outils souverains de nouvelle génération se fondant sur des règles éthiques et donc sur des modèles économiques alternatifs à ceux, toxiques et pervers, des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

En attendant, nous demandons, comme vous, madame la ministre, la stricte application des règles européennes de modération des contenus et de transparence. Et peu importe que cela déplaise à MM. Musk et Zuckerberg, dont le combat au nom d’une prétendue liberté d’expression justifie toutes les dérives sur les réseaux sociaux, quitte à mettre en danger nos enfants, à provoquer l’assassinat d’un professeur ou même à menacer nos démocraties !

La Commission européenne ne doit ni reculer ni trembler ! Comme le réclame Patrick Chaize, les dispositions du DSA doivent être pleinement exploitées.

Aussi, la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies, la DG Connect, doit utiliser la faculté qui lui est offerte de procéder à des inspections dans les locaux des plateformes. De même, les chercheurs indépendants doivent réellement pouvoir accéder aux données des très grandes plateformes, qui restent des boîtes noires.

En outre, les manquements constatés doivent être condamnés. Les opérateurs se montrant réticents à respecter la réglementation européenne ou se trouvant en situation de récidive doivent être sanctionnés, quitte à suspendre leur réseau.

En réalité, une révision du DSA serait d’ores et déjà nécessaire. Comme Florence Blatrix Contat et moi-même l’avons dit d’emblée lors de la présentation de notre proposition de résolution européenne, il n’est pas normal que les enquêtes de la Commission européenne ne soient pas soumises à un délai donné, comme le prévoit le DMA.

Il n’est pas normal non plus que les autorités nationales, notamment l’Arcom, ne soient pas plus étroitement associées à la procédure.

Mme Catherine Morin-Desailly. Par ailleurs, j’insiste sur l’absolue nécessité d’intégrer des normes éthiques minimales à tous les algorithmes de recommandation, dès leur conception. Les États généraux de l’information réclament une diversification de ces algorithmes pour pouvoir choisir et cesser de subir. À tout le moins, nous devons exiger leur transparence totale.

Il convient de créer un véritable statut de ces plateformes, car elles ne sont pas simplement des hébergeurs. D’une certaine façon, elles sont des éditeurs responsables de leurs propres dysfonctionnements et dérives.

Nous proposons aussi la création d’un Viginum européen, car la version française, créée en 2021, a fait ses preuves pour détecter des opérations de manipulation de l’information. Ses services sont d’ailleurs sollicités dans le monde entier.

Ces demandes devraient être prises en compte dans le « bouclier européen de la démocratie » annoncé par la Commission européenne. À ce propos, je suis scandalisée, madame la ministre, de la manière dont la Commission gère la finalisation du règlement sur l’intelligence artificielle.

En effet, Reporters sans frontières vient de claquer la porte des négociations en raison du renoncement, sous la pression américaine, à faire figurer dans le futur code de bonnes pratiques la mention du droit à l’information, des risques associés au développement non régulé de l’IA pour l’information fiable, de la prolifération de faux sites d’information automatisés, ou encore de la désinformation infiltrée dans les chatbots.

En outre, la question des droits fondamentaux et celle des risques systémiques pesant sur l’intégrité des élections démocratiques seront reléguées en annexe, rendant leur prise en considération optionnelle.

La survie de nos démocraties et la sincérité du débat public passent aussi par la viabilité de nos médias, qui sont les garants du pluralisme et de la fiabilité de l’information. Mais pour que les médias jouent pleinement leur rôle, les journalistes doivent se sentir soutenus dans leurs missions.

Or nous pouvons craindre la destruction de la presse – je pèse mes mots. En effet, l’opacité est totale quant aux gains financiers des plateformes, et les rémunérations versées aux médias sous la forme de droits voisins semblent pour le moins aléatoires. Par-dessus le marché, nous constatons une forme de prédation des contenus de ces derniers pour entraîner, au mépris des règles, les modèles d’IA générative.

M. Pierre Ouzoulias. Exactement !

Mme Catherine Morin-Desailly. La Commission doit réagir, en allant au-delà du règlement sur la liberté des médias, qui est purement théorique. Elle doit attribuer des aides et investir massivement dans le développement de nouveaux outils. Ce faisant, elle contribuerait au réarmement auquel appelait Sébastien Lecornu il y a quelques jours, l’urgence étant de combattre la propagande russe.

Je pense par exemple à Arte, qui nous a fait savoir qu’elle n’avait pas les moyens de se développer en Moldavie, malgré la demande de ce pays. Le contexte actuel nous invite à accorder une attention particulière à notre audiovisuel extérieur. Arte, tout comme France Médias Monde, réalise un travail indispensable.

C’est particulièrement vrai à l’heure où Donald Trump démantèle la holding de l’audiovisuel extérieur américain et arrête de financer Radio Free Europe. Ce média incarne pourtant la première ligne de défense informationnelle dans des pays frontaliers de l’Union européenne, tels que la Géorgie et l’Azerbaïdjan.

Madame la ministre, la France se joindra-t-elle aux onze États membres de l’Union européenne et à la présidente de la Commission européenne, qui explorent les voies d’un financement européen d’urgence pour soutenir Radio Free Europe ?

Enfin, pour assurer un débat public sincère, il faut que l’ensemble de nos concitoyens soient formés dès le plus jeune âge aux enjeux du numérique. Aussi, avec mon collègue Olivier Cadic, j’ai une nouvelle fois écrit au Premier ministre pour que la montée en compétences de chacun dans le domaine du numérique devienne la grande cause nationale de 2026.

Madame la ministre, je vous sais très attachée à ces questions.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Morin-Desailly. Pourrions-nous défendre cette idée ensemble ? (Applaudissements.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de lintelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie du travail que vous menez depuis de nombreuses années sur les questions liées au numérique.

Votre intervention est précieuse, car vous mettez le doigt sur de nombreux points susceptibles de faire évoluer notre réflexion sur le sujet qui nous occupe.

Je ne puis répondre à tous les points que vous avez soulevés dans le temps qui m’est imparti. Je trouve que l’instauration d’un délai maximal pour mener les enquêtes liées au DSA est une très bonne idée ; je la relaierai. Il en va de même pour la création d’un Viginum européen pour que nous nous défendions en Européens. J’ai plaidé activement en ce sens lors du dernier Conseil de l’Union européenne.

Vous avez rappelé mon attachement à ce que les travaux qui sont menés sur le règlement sur l’intelligence artificielle aboutissent. Notre objectif n’étant évidemment pas de voir des acteurs claquer la porte, je vais lancer avec la ministre de la culture une grande consultation pour avancer sur ces questions dans le dialogue. Cela me tient véritablement à cœur.

Enfin, l’Europe doit bien sûr s’attacher à soutenir Radio Free Europe.

Comme vous l’avez dit dans votre introduction, la vraie question, c’est celle de la souveraineté numérique. Tous les points que vous avez mentionnés sont l’écho de la situation de dépendance numérique – il faut utiliser cette expression – dans laquelle nous nous trouvons. Cette question est plus que jamais d’actualité dans le contexte international.

Pour y répondre, la souveraineté numérique est au cœur de l’agenda d’autonomie stratégique que défend le Président de la République. Le Gouvernement s’est réuni ce matin autour du Premier ministre à l’occasion du comité interministériel sur l’innovation, car il s’agit de la seule réponse possible.

Dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement se montre attentif à ne pas freiner nos dépenses pour l’avenir, car c’est bien en innovant que nous pourrons redevenir souverains. Nous devons tous en être conscients.