M. le président. La parole est à M. Yves Bleunven. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit également.)
M. Yves Bleunven. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si une phrase devait résumer le texte que nous nous apprêtons à examiner, ce serait : « le progrès technique au service de la transition écologique ». Ce postulat relève de l’évidence pour bon nombre d’entre nous dans cet hémicycle. Pourtant, je sais que les débats seront une nouvelle fois nourris ce soir.
Sans revenir en détail sur l’histoire de ce texte, rappelons que le droit européen interdit l’utilisation de traitements phytopharmaceutiques aériens, mais autorise des dérogations sous certaines conditions strictes.
C’est ainsi que, en 2018, dans le cadre d’une première suite législative donnée aux États généraux de l’alimentation, nous avons autorisé, par dérogation, l’expérimentation pour trois ans de la pulvérisation aérienne de produits autorisés dans les exploitations en agriculture biologique ou faisant l’objet d’une certification haute valeur environnementale (HVE). Cette autorisation se limite aux surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 %.
À l’issue de cette expérimentation, l’Anses a rendu un rapport d’évaluation et conclu que le recours à des drones de pulvérisation représente une « alternative pouvant présenter de multiples avantages » par rapport à la pulvérisation terrestre. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a également conclu à une plus grande efficacité de cette technique.
Toutefois, l’expérimentation étant arrivée à son terme, il n’est plus autorisé de réaliser des pulvérisations par drone en France, là où le droit européen offre des marges de manœuvre. Nous nous retrouvons donc – encore ! – en situation de surtransposition, cette fois-ci involontaire : les drones ne faisaient pas partie du débat lorsque nous avons établi cette interdiction stricte en transposant la directive SUD (Sustainable Use of Pesticides) en droit interne.
Néanmoins, ce constat regrettable étant dressé, nous devons légiférer aujourd’hui pour adapter notre droit aux évolutions législatives vertueuses. Si cette proposition de loi a eu du plomb dans l’aile à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, je rappelle que le Sénat a d’ores et déjà pris acte de l’urgence en autorisant, par deux fois, cette dérogation, à l’occasion des votes, d’abord en 2023, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, puis, dernièrement, de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur. J’en profite pour remercier mes collègues Franck Menonville et Laurent Duplomb.
Alors, pourquoi tant d’engouement pour ces engins volants ? Eh bien, imaginez : un drone pèse moins qu’un pulvérisateur dorsal de quarante kilogrammes, ne se renverse pas sur une pente raide et, surtout, n’expose pas de la même manière les travailleurs aux produits pulvérisés. Je reprends les mots de l’Anses : « Les résultats indiquent que l’exposition de l’opérateur utilisant un drone est environ 200 fois plus faible que pour un opérateur utilisant un chenillard. » C’est donc une bénédiction pour les agriculteurs, qui gagnent en confort, en sécurité et probablement en espérance de vie.
Ces drones sont aussi écolos ! Par rapport aux autres aéronefs, ils réduisent les phénomènes de dérive, car la pulvérisation se fait beaucoup plus proche du sol. Leur précision permet de mieux cibler les traitements et de moins utiliser de produits.
Ils se montrent aussi utiles dans deux cas. D’une part, lorsque les sols sont détrempés, les drones permettent d’appliquer immédiatement les traitements, évitant ainsi la propagation rapide de ces derniers ; d’autre part, ils offrent une solution au problème du tassement du sol, notamment dans l’agriculture de conservation.
Rappelons également que la légalisation de l’utilisation de ces nouvelles technologies est un enjeu de souveraineté alimentaire puisque notre capacité à produire en dépend. Les acteurs des différentes filières sont demandeurs : à nous de leur offrir une solution pérenne et équilibrée ! Nos voisins l’ont d’ailleurs bien compris puisque l’Allemagne, l’Autriche ou encore la Belgique se sont saisies des dérogations offertes par l’Union européenne pour autoriser ces pratiques.
Par cette proposition de loi, nous posons – c’est normal ! – un cadre strict. Le texte ne concerne que trois catégories de produits : produits de biocontrôle, produits autorisés en agriculture biologique et produits à faible risque. Nous levons l’interdiction de principe seulement dans trois cas : lorsque la pente est supérieure ou égale à 20 %, pour les bananeraies et pour les vignes mères de porte-greffes, rares, mais essentielles au renouvellement des plantes.
Cela étant, si l’expérimentation permise par ce texte, qui étend les programmes de pulvérisation par drone des mêmes produits à d’autres types de parcelles et de cultures, est évaluée favorablement par l’Anses, il sera nécessaire d’étendre en conséquence le régime d’autorisation.
Sans mauvais jeu de mots, je plaide pour que nous arrêtions d’emprunter une pente décroissante et pour que nous offrions à nos agriculteurs la possibilité de mettre les nouvelles technologies, lorsqu’elles ont fait la preuve de leur efficacité environnementale, au service de leurs conditions de travail. Ce n’est ni plus ni moins que du pragmatisme !
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste soutient évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et RDPI. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour assurer le développement durable de notre agriculture, nous avons besoin de promouvoir toutes les modernisations, donc de soutenir toutes les recherches tendant à l’optimisation des outils et des process de production, surtout quand il s’agit de limiter la consommation de produits phytosanitaires, d’économiser l’eau et de réduire au maximum les gaspillages !
C’est la raison pour laquelle nous soutenons les missions de recherche de l’Inrae, prenons en compte les expertises produites par l’Anses et soutenons les politiques publiques dont l’objectif est de pérenniser les spécificités de notre agriculture familiale en ne laissant aucune ferme sur le bord de la route.
Nous choisissons cette option, car nous savons qu’il n’y a pas de ruralité vivante sans agriculteurs !
Monsieur le rapporteur, je tiens à saluer l’excellence de votre approche. En votre qualité de professionnel de la viticulture ayant choisi la conversion au bio, vous vous montrez extrêmement sensible à la qualité des produits agricoles et à la protection de la santé des agriculteurs, mais aussi des populations qui les côtoient de près, parfois en tant que simples voisins !
Mais je tiens aussi à saluer votre engagement « culturel », si je puis dire, vous qui vous revendiquez pleinement comme héritier des philosophes des Lumières ! Merci de nous avoir rappelé combien le progrès des sciences et des techniques peut améliorer les conditions de production, soulager la condition humaine et protéger notre bien commun qu’est la nature.
Il est vrai – vous l’avez dit dans votre propos liminaire – que la mécanisation motorisée de l’agriculture est encore minoritaire à l’échelle mondiale. La traction animale reste très présente et la traction humaine, principalement assurée par des femmes, demeure utilisée dans quelques contrées du monde.
Dès lors, quand l’occasion se présente de déployer des technologies nouvelles pour servir la cause du mieux-être de l’humanité, il ne faut pas s’en priver ! Et, avec vous, j’ai envie de dire à mon tour : « Vive le progrès ! »
Mais le progrès ne vaut que par les usages qu’il procure.
Et on sait bien qu’il y a un abîme entre le silex et l’énergie cosmique. Piloter l’étincelle du silex pouvait être à la portée de chacun. Piloter l’énergie cosmique implique d’autres règles, quelques connaissances – pardonnez-moi – et quelques précautions ! Tel est aussi le cas du pilotage des drones et de leur utilisation pour épandre des produits phytopharmaceutiques.
La culture viticole étant faiblement développée en Bretagne, je me garderai bien de tout commentaire sur les avantages attendus du développement de cette pratique. Très sensible aux désastres produits par l’épandage du chlordécone – nous en avons parlé tout à l’heure –, je me garderai bien aussi de critiquer les avantages légitimes attendus de cette technique. Nous pouvons donc comprendre ce qui a motivé le dépôt de ce texte.
En revanche, ce débat me paraît un peu décalé. Il intervient dans un contexte d’obscurantisme aggravé par toute une série d’attaques contre les scientifiques, qui n’ont pas lieu, du reste, qu’aux États-Unis.
Dans un contexte où, par ailleurs, nous appelons à un effort de simplification, le degré de précision et de précaution auquel s’astreignent les auteurs de cette proposition de loi constitue en quelque sorte un aveu : l’usage dont il est question n’est ni simple ni spontané et il faudra réunir beaucoup de paramètres, difficiles à conjuguer et à coordonner ! Plus la loi s’oblige à entrer dans le détail et la précision, plus elle devient précaire et contestable.
Pourtant, il y a fort à parier que viendra très vite le temps où il vous sera reproché d’avoir été trop prudents, d’avoir par trop limité le périmètre du recours aux drones, d’avoir été trop précis dans les spécifications de cet usage. J’entends néanmoins toutes les précautions qui ont été prises.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Lahellec. Reste que – cela a été dit – la boîte de Pandore est ouverte et les imprécisions du texte sont trop importantes.
C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement de la loi Égalim de 2018, qui avait remis en cause le principe de l’interdiction absolue de l’épandage aérien de pesticides.
Alors que le monde agricole traverse une crise sans précédent, faute de politiques publiques garantissant des prix rémunérateurs pour nos paysans, et alors que le système de l’agrochimie altère tous les pans de notre biodiversité, il nous paraît clair, à nous, écologistes, que pérenniser l’utilisation de drones pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques n’était pas une priorité – c’est peu de le dire !
Si la majorité sénatoriale s’est déjà prononcée en faveur d’un dispositif quasi similaire lors de l’examen, au début de l’année, de la proposition de loi de nos collègues Duplomb et Menonville, nous estimons au contraire que l’autorisation de la pulvérisation par drone ne constitue une solution ni aux problèmes de rendement ni aux problèmes de santé des agriculteurs. Notre principal objectif est la sortie, encouragée et progressive, des pesticides de synthèse.
M. Laurent Duplomb. Et voilà !
M. Daniel Salmon. C’est clair !
Pourtant, nous ne sommes pas par principe contre les évolutions technologiques et le développement de l’agriculture de précision, à condition qu’ils permettent d’améliorer les conditions de travail des agriculteurs, dans le respect de la santé humaine et environnementale. (M. Pierre Cuypers ironise.) Mais il paraît assez évident qu’en l’espèce de telles conditions ne sont pas réunies.
Certes, mes chers collègues, vous vous limitez à autoriser les produits phytopharmaceutiques de biocontrôle et les produits autorisés en agriculture biologique, et ce sur quelques types de parcelles seulement, mais nous craignons qu’il ne s’agisse là que d’un cheval de Troie, destiné à enterrer, à terme, le principe de l’interdiction des pulvérisations aériennes ! Ayant subi un certain nombre de précédents ces dernières années, nous ne sommes pas vraiment dupes.
Le rapporteur l’a dit tout à l’heure : cette proposition de loi n’est qu’un point de départ, et on sait bien ce dont elle est le prélude. (M. Vincent Louault ironise.)
Le dispositif dont il est question est présenté comme moins néfaste pour l’environnement et pour les travailleurs, car il est en théorie plus précis. Or, en réalité, comme le souligne clairement l’Anses dans son rapport, les essais réalisés sont trop peu nombreux pour qu’il soit possible d’émettre des conclusions fiables plaidant pour la pérennisation du dispositif. Le niveau de dérive inhérent à l’utilisation de ces produits est important et l’on ne peut garantir à ce stade l’innocuité de cette pratique, sur les humains comme sur les écosystèmes. Le principe de précaution doit donc s’appliquer !
C’est pourquoi nous nous opposons à la pérennisation de cette expérimentation. Il faut au contraire, comme le recommande l’Anses, acquérir des données scientifiques supplémentaires sur tous les impacts de la pulvérisation par drone.
Par ailleurs, il aurait été plus pertinent de débattre de ces dispositions dans le cadre d’un projet de loi, c’est-à-dire d’un texte assorti d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État – nous regrettons que tel ne soit pas le cas.
Nous nous opposons plus encore à la généralisation des essais à tous les types de cultures s’il est avéré à l’issue de l’expérimentation que cette pratique présente des « avantages manifestes » – je reviendrai sur cette formule.
Ce programme d’essais ne vise à mettre en évidence que les avantages de cette technique du point de vue de la santé humaine et de l’environnement, quand il faudrait procéder à une évaluation objective de l’ensemble des incidences au lieu de produire des données partielles et orientées.
Au travers de cette proposition de loi se pose également la question de notre modèle agricole.
M. Vincent Louault. Ah !
M. Daniel Salmon. Ce texte ouvre la voie à la généralisation de l’usage des drones, il alimente l’endettement et un système productiviste à bout de souffle…
MM. Pierre Cuypers et Laurent Duplomb. Oh là là !
M. Daniel Salmon. … et il lève peu à peu les obstacles à des usages renouvelés des pesticides, alors que les efforts devraient porter sur la recherche et le déploiement de solutions alternatives, pour engager enfin une véritable transition agroécologique.
L’usage de technologies importées crée d’ailleurs une réelle dépendance et obère notre souveraineté.
Nous conditionnerons notre vote à l’adoption des amendements de compromis que nous avons déposés,…
M. Jean-Claude Tissot. L’espoir fait vivre ! (Sourires.)
M. Daniel Salmon. … qui visent notamment à revoir les modalités de ces essais afin de mieux les encadrer et de les orienter vers la recherche scientifique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Victorin Lurel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi « nichée » dans le présent espace réservé prévoit la mise en place d’une dérogation au principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques.
Au passage, je suis surpris – c’est un faible mot – de la juxtaposition dans cette niche de deux textes pour le moins contradictoires.
D’une part, il est question – ou plutôt il était question – de reconnaître la responsabilité de l’État dans l’utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Je prends acte, au demeurant, que la majorité sénatoriale ne nous a pas permis de le faire.
Mme Frédérique Puissat. C’est ça, oui…
M. Jean-Claude Tissot. Je vous remercie de valider mes propos, ma chère collègue !
D’autre part, et c’est pour le moins surprenant, il est question de réautoriser l’épandage aérien de pesticides, comme si la réalité des scandales sanitaires du passé n’avait aucun effet sur la façon dont nous légiférons aujourd’hui.
Ce principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, on le doit à une directive européenne d’octobre 2009, adaptée en droit français via la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2.
C’est la nocivité de ces produits pour l’homme et pour l’environnement, couplée à leur mode d’utilisation, qui avait conduit à cette interdiction de l’épandage par avion, hélicoptère ou ULM.
Inévitablement, ces constats concernant l’usage des pesticides n’ont pas évolué depuis quinze ans – ce qui était vrai il y a quinze ans l’est tout autant aujourd’hui : ils résonnent peut-être même encore davantage.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Grenelle 2, cette disposition fait régulièrement l’objet de dérogations, qui sont plus ou moins larges.
Surtout, elle est régulièrement remise en cause dans son principe même ; en attestent la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, déposée en 2023, ou, plus récemment encore, la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.
Actuellement, une seule dérogation existe, en cas de « danger sanitaire grave ».
Les coups de boutoir constamment assénés depuis quinze ans se matérialisent dans ce texte, qui consacre la volonté d’ancrer dans la loi trois dérogations permanentes.
Les auteurs du texte s’appuient sur des rapports de l’Anses et de l’Inrae qui, faisant suite à l’expérimentation permise par la loi Égalim 1, auraient démontré que la pulvérisation aérienne par drone présente « de multiples avantages », est « plus efficace » et peut se prévaloir d’« une performance non négligeable quant à la diminution et à la maîtrise des quantités utilisées de produits ».
Je suis heureux d’observer que les rapports de l’Anses et de l’Inrae sont cités en exemple, ces institutions étant usuellement pointées du doigt dans cette chambre.
M. Vincent Louault. Oh !
M. Jean-Claude Tissot. Toutefois, mes chers collègues, je ne partage vraiment pas votre lecture de ces rapports, dont les conclusions sont en réalité très contrastées.
Ainsi, dans son rapport d’évaluation de 2022 relatif à l’expérimentation de l’utilisation de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques, l’Anses estimait que « les performances d’applications par drone apparaissent plus faibles et plus variables que celles d’applications par matériel terrestre ».
Surtout, et c’est bien là le plus important, l’Anses ne donne aucun avis tranché et préconise plutôt de poursuivre les expérimentations avant d’envisager une quelconque généralisation, « dans la mesure où les études montrent des résultats pouvant présenter une forte variabilité ».
L’efficacité de cette technique est donc tout à fait discutable, ce qui est fort dommageable à l’heure d’en proposer la généralisation.
Si l’objectif du texte est de soulager les employés agricoles dans leur travail et d’améliorer les conditions de travail des paysans, je vous assure qu’il existe d’autres moyens d’y parvenir que d’arroser les champs de pesticides !
Mais je doute que là soit la véritable raison ayant présidé au dépôt de ce texte, car, comme il est souligné dans l’exposé des motifs, il s’agit surtout de préserver le « potentiel agricole » de notre pays. On en revient inévitablement, comme toujours, à la logique productiviste, commerciale et compétitive.
Nous sommes conscients qu’il existe une véritable problématique liée à la spécificité de certains territoires, et particulièrement des territoires ultramarins.
Aussi ce sujet mériterait-il que soit ouverte une réflexion spécifique pour que des aménagements puissent être trouvés, dès lors que toutes les garanties de sécurité pour l’homme et pour l’environnement seraient réunies.
Pour être tout à fait clair quant à notre position, il convient de dissocier la technique visée, d’une part, et les produits utilisés, d’autre part.
Jamais les socialistes ne refuseront le progrès, et surtout pas quand celui-ci vise à améliorer les conditions de travail. L’usage d’un drone en tant que tel ne nous pose donc pas de problème particulier.
En revanche, jamais nous ne défendrons l’usage des pesticides. Jamais nous ne dirons aux paysans : « Utilisez des pesticides ; les rendements de cette année seront meilleurs, mais dans trente ans votre santé en pâtira. »
L’enjeu n’est donc pas celui de la technologie : il y va bien de la santé des paysans, des consommateurs, des riverains, des sols, de la faune, de la flore, des milieux aquatiques.
Notre position n’a jamais changé : nous avons toujours été hostiles à l’épandage aérien de pesticides.
Il convient à cet égard de se remémorer les conclusions du rapport d’information sur les pesticides fait par ma collègue Nicole Bonnefoy en 2012 : « L’épandage aérien des pesticides est un symbole de l’agriculture intensive qui serait trop peu attentive aux dégâts environnementaux qu’elle produit. Cette technique présente en effet le risque d’exposer aux produits épandus des espaces situés à proximité de la zone d’épandage. La dérive lors des épandages aériens est d’autant plus importante que le vent est fort. »
Ce rapport, qui fut adopté à l’unanimité, prônait l’application stricte du principe de précaution, ce dont la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui semble bien éloignée.
Un mot, pour conclure, sur le droit à l’essai – c’est très important – : la disposition proposée pourrait ouvrir cette autorisation de l’épandage par drone à toutes les cultures et à toutes les parcelles s’il est avéré, à l’issue de l’expérimentation, que cette technique présente des « avantages manifestes », et ce sans qu’il soit jamais besoin de saisir de nouveau le Parlement. Voilà qui nous paraît excessivement dangereux.
En cohérence avec les positions qu’il tient depuis des années, et sans aucune hésitation, le groupe socialiste s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC. – M. Christian Klinger applaudit également.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de vous parler du fond de cette proposition de loi, que nous allons soutenir, bien sûr, et voter conforme, je voudrais vous livrer ma modeste expérience : je l’ai dit en commission, aucun agriculteur n’aime l’opération qui consiste à pulvériser des produits de protection des plantes, et ce pour plusieurs raisons.
On a tendance à l’oublier, mais la manipulation et le remplissage sont extrêmement pénibles : cela n’amuse personne. Ces traitements, de surcroît, coûtent fort cher : des milliers d’euros. Les horaires sont très compliqués : il faut épandre à quatre heures du matin ou très tard le soir pour bénéficier des conditions hygrométriques adéquates. En d’autres termes, aucun agriculteur ne vous dira qu’il aime l’opération de la pulvérisation.
Il est certain que l’avenir est à l’emploi d’automates de toutes sortes, et les drones font clairement partie du tableau.
Soyons clairs ! L’objectif n’est surtout pas le retour aux épandages à l’ancienne, par hélicoptère ou par ULM, avec toute leur imprécision.
Mais ce texte ne vise pas non plus à généraliser l’usage des drones pour tous les produits et sur toutes les parcelles. Je le regrette, au demeurant, car l’application par drone, je le répète, c’est l’avenir !
Le principe général reste donc l’interdiction du traitement par aéronef. Ainsi ce texte prévoit-il trois dérogations extrêmement encadrées, pour une ouverture que certains jugeront responsable et mesurée, quand je la trouve, personnellement, minimale et sans ambition.
En réponse à certaines craintes, il convient en effet de faire quelques rappels.
Les produits concernés sont autorisés tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale, et expressément approuvés pour un usage par aéronef. Autrement dit, ils disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), comme c’est le cas de tous les produits que nous utilisons en tant qu’agriculteurs – il n’y a là aucune nouveauté.
Il s’agit uniquement des produits de biocontrôle, des produits à faible risque et de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. Quelle ambition !…
Trois types de parcelles seulement sont concernés, et uniquement lorsque les surfaces présentent une pente supérieure à 20 % : certes, c’est mieux que 30 %, seuil que mon cher père avait cautionné… Bonjour l’usine à gaz lorsqu’il s’agira de contrôler ! En surplomb des rangs de vignes, on trouvera les copains de M. Duplomb, j’ai nommé les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui contrôleront que tout compte fait la pente est non pas de 20 %, mais de seulement 10 %… Bon courage ! (Sourires.)
L’exploitant devra disposer d’un « certificat individuel professionnel produits phytopharmaceutiques », ou Certiphyto. Mais tel est déjà le cas : cette obligation pèse déjà sur tous les agriculteurs qui utilisent de tels produits – nous voilà rassurés…
Quant à l’Anses, elle sera présente à chaque étape. Encore une fois, tel est déjà le cas pour tous les usages dont il est ici question : aucune nouveauté !
Selon l’Anses et l’Inrae, les drones ne sont certes pas la panacée, mais il s’agit d’outils de complément qui présentent de réels avantages sur deux points fondamentaux : la pénibilité et l’accidentologie. Quel viticulteur ne craint pas, au volant d’un tracteur vigneron, que son véhicule ne se renverse ? Les accidents sont légion, et il arrive qu’ils soient mortels… C’est bien la viticulture qui, à cet égard, est la plus touchée, car les rangs de vignes sont peu espacés.
Les innovations de précision dont nous sommes en train de débattre sont donc des alliées certaines de l’agriculture et de l’environnement. Elles représentent une occasion de limiter l’impact des traitements actuels sur la santé des agriculteurs, des populations et de l’environnement. Quand vous traitez des bananeraies en pulvérisant du bas vers le haut, le produit vous retombe immanquablement sur la tête. On pourra dorénavant pulvériser par drone les produits de biocontrôle ; les produits plus dangereux, en revanche, les agriculteurs continueront de se les pulvériser sur la tête ! Les exploitants seront heureux de l’apprendre…
Pourquoi donc se priver d’un usage étendu de cette technique ?
En outre, les drones de 2025 sont bien loin des avions et des hélicoptères d’hier : ils permettent d’intervenir au plus près de la culture, à la façon d’un pulvérisateur normal de tracteur, qui traite à 50 centimètres de la cible. Le drone offre exactement la même possibilité : il ne change rien, de ce point de vue, par rapport au tracteur, et il avance, du reste, à la même vitesse, à 20 kilomètres par heure. Venez sur ma parcelle : je vous mets au défi de voir la différence !
Le ciblage est fondamental pour intervenir rapidement et limiter la progression de la maladie. Je le rappelle, l’avantage du drone est qu’il permet de traiter 1 % ou 2 % seulement de la culture. Quand des pucerons cendrés menacent de ravager vos colzas en fleur, vous pouvez, grâce au drone, ne traiter qu’une partie du champ, le seul foyer d’infection, à condition d’intervenir précocement. Le drone représente donc un progrès énorme par rapport aux techniques ordinaires de traitement !
Plusieurs pays ont déjà autorisé de tels usages. Ceux qui sont ici proposés sont circonscrits et minimalistes, mais, au moins, nous avançons !
Et nous allons continuer d’avancer vers une agriculture plus vertueuse, moins dangereuse pour l’applicateur – c’est très important – et toujours plus respectueuse de l’environnement : une agriculture attractive pour les salariés, innovante et économiquement viable.
Notre agriculture est d’ores et déjà très moderne, je tiens à le rappeler : nous restons à la pointe de la modernité. Des solutions existent, parmi lesquelles comptent les drones ; utilisons-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bernard Buis applaudit également.)