M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’heureuse initiative de notre collègue Stéphane Demilly s’inscrit dans un contexte fort délicat. Je salue, monsieur le ministre d’État, les propos rassurants qui ont été les vôtres et qui ne seront pas étrangers à des votes qui, jusque-là, n’étaient pas certains.
Au cours de l’année 2023, la presse s’est fait l’écho du refus des maires Robert Ménard, de Béziers, et Stéphane Wilmotte, d’Hautmont, de procéder au mariage d’une Française avec un ressortissant algérien en situation irrégulière, de surcroît placé sous OQTF.
En cas de refus de procéder à un mariage, nous le savons, le maire encourt cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité. La sanction que prendra le tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier, même si elle se révèle une peine de principe, n’en demeurera pas moins une condamnation pénale difficile à admettre par les maires.
La proposition de loi que nous examinons tente d’apporter une réponse juridique à ce type de situation, afin de ne pas laisser les maires démunis.
En l’état actuel du droit, la liberté du mariage et la régularité du séjour sont deux notions dissociées. La première n’est pas conditionnée à la seconde. La liberté du mariage peut être restreinte seulement par l’absence de consentement, la polygamie, la consanguinité et la minorité.
La liberté matrimoniale constitue une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle garantie au niveau européen par la CEDH, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Nous n’entendons pas remettre en cause ces principes. Cette proposition de loi vise seulement à remédier à l’impossibilité, pour le maire, de s’opposer à un mariage dont l’un des futurs époux est en situation irrégulière et parfois, de surcroît, sous obligation de quitter le territoire national, voire, comme dans le cas de Béziers, condamné pour vol avec violence, ce qui aurait dû accélérer la mise en œuvre de l’OQTF, évitant ainsi à un maire de se retrouver devant la justice.
L’article unique de ce texte crée un nouvel article du code civil disposant que le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires souscrivent à objectif de renforcement de la lutte contre les mariages frauduleux comme de la protection des officiers d’état civil. Les maires ne doivent pas se retrouver en première ligne, seuls et démunis, face à de telles situations.
Cette proposition de loi se heurte toutefois – nous ne pouvons l’occulter – à des obstacles constitutionnels. Il est essentiel de trouver un équilibre entre la lutte contre les abus et le respect des droits fondamentaux.
Il nous faut donc envisager d’autres options, permettant de renforcer la coopération entre les maires et les autorités compétentes, sans porter atteinte aux libertés individuelles pour autant. Nous avons le devoir de préserver les maires de situations qu’ils ne peuvent pas accepter et qui sont de plus totalement incompréhensibles pour leurs administrés.
La commission des lois a parfaitement cerné les difficultés constitutionnelles soulevées par ce texte et a tenté de les résoudre.
L’idéal serait que le maire puisse saisir le préfet et le parquet dès lors que l’irrégularité du séjour est constatée, afin que l’exécution de l’obligation de quitter le territoire soit accélérée ou annulée si elle n’a plus lieu d’être.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires souscrivent aux motifs de cette proposition de loi, mais ils souhaitent que l’on aboutisse à une solution constitutionnellement irréprochable. Le sort qui sera réservé aux amendements que nous allons examiner fondera leur vote.
Monsieur le président, si vous me le permettez, je compléterai de quelques mots mon propos. Depuis les travées du groupe Les Indépendants, où je siège, je suis agacé, et le mot est faible, d’entendre dire que nous serions complaisants avec le Rassemblement national et que, en quelque sorte, nous ouvririons la voie à Mme Le Pen.
Laissez-moi vous dire que Mme Le Pen ne sera pas élue, car les élections présidentielles tomberont à un moment où, malheureusement, nous aurons autre chose à penser en France, parce que la situation à l’échelle mondiale et européenne sera extrêmement confuse.
J’ajouterai que je n’aurais jamais imaginé de ma vie qu’un président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, successeur d’André Lajoinie, puisse voter avec le Rassemblement national. Quand on est communiste, mais que l’on joint sa voix à celles du Rassemblement national pour voter un texte à l’Assemblée nationale, l’esprit de trahison n’est pas loin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Cela ne m’empêche pas d’ailleurs de conserver de la sympathie pour les communistes, parce que je n’ai jamais oublié ce qu’ils ont fait pendant la guerre.
M. Fabien Gay. Merci !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chaque année, plusieurs milliers d’étrangers viennent vivre sur le sol français. Le représentant spécial du ministre de l’intérieur, Patrick Stefanini, estime que 900 000 étrangers environ seraient présents illégalement sur le territoire national.
Refuser ce constat en ne luttant pas contre l’immigration illégale, c’est encourager ceux qui sont les marchands d’esclaves de notre siècle. C’est pourquoi la France doit s’attaquer à la racine du problème, et je veux saluer l’engagement du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, sur cette question. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s’exclame.)
Je rappelle que les migrants clandestins paient 7 000 euros par personne pour traverser la Méditerranée dans des conditions de voyage désastreuses, sans parler du sort qui est réservé aux femmes.
Parmi ces étrangers illégaux, certains veulent et peuvent se marier avec des ressortissants français, pensant ainsi échapper à leur situation irrégulière. Cela mène au risque de mariages de complaisance, mariages blancs ou gris – ou bien encore « mariages passeport » ou « mariages papiers » –, les citoyens français finissant dans certains cas par se trouver en position de victimes, car la loi est travestie, ou du moins son esprit.
Dans ce type de mariages, l’immigré illégal est motivé non pas par l’amour ou par un désir de devenir français, mais seulement par la volonté d’éviter une reconduite à la frontière. Par conséquent, mes chers collègues, nous ne sommes pas contre l’amour, mais contre le travestissement du mariage. Personne en France n’est obligé de se marier pour s’aimer, sinon cela se saurait !
Les enjeux financiers de ces mariages frauduleux sont tels que certains individus n’hésitent pas à menacer l’officier d’état civil qui aurait le malheur de s’opposer à leur union. En effet, selon certains médias, les tarifs varient selon le pays d’origine : 8 000 euros quand on vient d’Afrique subsaharienne, 15 000 euros pour un Algérien ou un Tunisien et près de 30 000 euros pour un Chinois. Cela a été relaté dans la presse sans être contesté, et il y a même eu des procès.
L’argent est ensuite réparti entre la filière et l’époux français. D’ailleurs, en 2021, un réseau de mariages blancs avait été démantelé dans les Ardennes. Il concernait des mariages franco-algériens le plus souvent, mais aussi franco-tunisiens, célébrés dans différentes mairies. Le service était facturé 23 000 euros, dont 13 000 euros pour la marieuse et 8 000 euros pour le conjoint français.
Au total, près d’une centaine d’unions frauduleuses ont été recensées en une décennie, et ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg.
De nombreux maires ont dénoncé ces pratiques, que ce soit grâce aux informations dont ils disposaient ou lors du dépôt d’un dossier de mariage pour lequel l’intention matrimoniale était jugée douteuse. Mais aujourd’hui, certains officiers d’état civil, parce qu’ils sont trop souvent exposés et pas assez soutenus par l’État, n’osent même plus dénoncer ces mariages.
Quand je suis devenue maire des XIe et XIIe arrondissements de Marseille, j’ai alerté les autorités sur ces mariages qui, sous couvert d’un « droit à l’amour », ne sont en réalité trop souvent qu’un « droit à la fraude » et constituent ainsi des « mariages passeport ».
C’est pourquoi en 2018, à l’Assemblée nationale, j’ai déposé une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les mariages frauduleux, dans le cadre de laquelle j’avais défendu des dispositions similaires sous les quolibets de certains de mes collègues, dont M. Mélenchon. Puis j’en ai déposé une autre au Sénat, en 2023, alors que vous étiez ministre de l’intérieur, monsieur le garde des sceaux.
Par ailleurs, toujours en 2023, lors de l’examen au Sénat du projet de loi sur l’immigration, j’ai fait voter un amendement visant à renforcer les procédures d’enquête et à décharger les maires de cette responsabilité. Cette disposition a été reprise dans le cadre de cette proposition de loi et j’espère que nous pourrons la voter, car la mesure avait été censurée par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de forme et pas de fond.
Le Gouvernement de l’époque s’était engagé à avancer sur ce sujet, et je remercie mon collègue Stéphane Demilly de nous en donner l’occasion avec ce texte. En effet, depuis presque deux ans, rien n’a changé, de sorte que nous sommes aujourd’hui confrontés – c’était malheureusement prévisible – à l’affaire Robert Ménard et à l’affaire Stéphane Wilmotte.
À chaque fois, nous cautionnons par notre silence une situation humainement honteuse et nous encourageons l’organisation, à travers la fraude, d’un trafic d’êtres humains.
C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Stéphane Demilly, qui nous propose ce texte visant à interdire le mariage en France de deux personnes dont l’une réside de façon irrégulière sur le territoire. Cette proposition de loi relève du bon sens et de la logique, comme vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux.
En effet, comment concevoir que l’État oblige un maire à célébrer, dans les locaux de la mairie, le mariage d’individus qui ne sont pas autorisés à être présents en France ? Nous sommes en Absurdistan !
Il me semble qu’il n’est pas nécessaire de réformer la Constitution pour prévoir une telle interdiction. Nous pouvons agir dès aujourd’hui. C’est pourquoi je proposerai de nouveau différentes mesures.
Premièrement, il s’agira de rendre systématique l’enquête diligentée par le procureur de la République lorsque la personne est en situation irrégulière. Pour l’instant, en effet, les futurs mariés peuvent choisir la mairie où ils se rendront, de sorte qu’ils évitent celles où ils savent qu’une enquête est demandée. Il faut prévoir une égalité de traitement entre les mairies, en rendant l’enquête systématique dès lors que l’une des deux personnes est en situation irrégulière, afin d’éviter tout détournement.
Deuxièmement, il conviendra d’allonger le délai de l’enquête et prévoir que l’absence de réponse du procureur sera considérée comme une annulation ou un report du mariage. En effet, nous devons renforcer la protection des maires et éviter que des pressions ne soient exercées sur certains d’entre eux, les conduisant à faire preuve de complaisance, quand d’autres réagiront différemment.
Comment pourrions-nous demander aux Français d’avoir confiance en l’État si celui-ci continue de favoriser l’immigration illégale ou la fraude, s’il n’est pas capable de protéger les maires face à des étrangers qui ne respectent pas nos lois ou, pire encore, s’il demande aux maires de valider, de dissimuler ou de camoufler ses insuffisances ?
En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit quand l’État laisse des personnes se maintenir frauduleusement sur le sol français, puis demande aux maires de les marier à des Français pour qu’elles obtiennent des papiers qui leur permettront de ne plus être dans l’obligation de quitter le territoire, grâce à un passeport qui fera office de blanc-seing. Il n’est plus possible de tolérer cela plus longtemps !
Enfin, comment le Conseil constitutionnel peut-il refuser de protéger les maires en les obligeant à marier des personnes qui sont en situation irrégulière ? Comment peut-il accepter de telles inégalités entre ceux qui obéissent à la loi et ceux qui ne la respectent pas ?
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. Il y a bien des manières de ne pas réussir, mais la plus sûre est de ne jamais rien faire.
J’espère que nous parviendrons, aujourd’hui, à changer les choses, pour protéger les maires et faire respecter nos lois. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd’hui de statuer sur une proposition de loi visant à interdire le mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de manière irrégulière sur le territoire français. Ce texte soulève des questions complexes, de nature non seulement juridique, mais aussi humaine.
Mes collègues l’ont rappelé, le mariage est une institution fondamentale dans notre société. C’est un acte symbolique qui lie deux individus devant la loi. En outre, le droit au mariage est une liberté individuelle largement consacrée par le Conseil constitutionnel, qui a considéré, dans sa décision du 20 novembre 2003, que la liberté matrimoniale constituait une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle.
Nos collègues qui défendent cette proposition de loi ont un objectif clairement défini : faire en sorte que les maires ne soient plus tenus de célébrer l’union lorsque l’un des futurs époux ne dispose d’aucun titre de séjour valide ou fait l’objet d’une OQTF.
Si les élus du groupe RDPI souscrivent à cet objectif, l’interdiction absolue formulée à l’article unique ne saurait satisfaire les exigences constitutionnelles qui s’imposent à nous. C’est la raison pour laquelle la commission des lois n’a pas adopté ce texte.
En effet, nous comprenons de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’il est impossible pour le législateur, en l’état du droit, de subordonner systématiquement le mariage à une condition de régularité du séjour. Sa compétence réside plutôt dans l’encadrement de l’exercice de la liberté matrimoniale par des mesures visant à lutter contre les mariages frauduleux, à l’image des mariages de complaisance.
Ces mariages sont conclus dans l’unique but, pour un ressortissant étranger en situation irrégulière, d’obtenir un titre de séjour. Il n’est pas acceptable qu’un individu en situation irrégulière puisse, par le biais du mariage, régulariser sa situation en France. Il n’est pas acceptable que l’institution du mariage puisse être détournée de manière frauduleuse à des fins purement administratives.
Bien entendu, l’ancienne maire que je suis a déjà été confrontée à ces époux qui ne s’aimaient que sur le papier, ces époux qui ne parvenaient même pas à se témoigner le moindre signe d’affection, alors qu’ils s’apprêtaient à s’unir pour la vie… Que pouvais-je faire face à ces signes évidemment suspects ? Le maire dispose bien du pouvoir légal de signalement ou d’appréciation de la validité d’une demande en mariage, mais s’opposer à un mariage l’expose à lourdes sanctions.
Il n’est donc plus acceptable que les maires soient en première ligne et que leur responsabilité soit ainsi exposée. Il n’appartient pas non plus à l’officier d’état civil de juger ou de contrôler la régularité du séjour, puis de se prononcer sur la validité ou non du mariage, dans la mesure où ce n’est ni son rôle ni sa vocation.
Comme je l’ai indiqué précédemment, le défaut de l’autorisation de séjour de l’un des futurs époux ne constitue pas, à lui seul, un motif suffisant d’opposition de la part du maire.
En droit positif, la seule solution pour l’officier d’état civil est de suspendre un mariage présumé suspect et de saisir le procureur de la République, qui peut s’y opposer. Une évolution législative portant sur ce point précis pourrait constituer une voie de passage pertinente, afin de mieux protéger les maires. Nous soutiendrons les propositions du rapporteur qui iront en ce sens.
Pour le groupe RDPI, ce texte doit donc en premier lieu protéger les maires. Alors que la France est confrontée à une importante crise de vocations chez les élus, nous devons les protéger dans ce type de situations. Nous devons leur offrir un cadre précis pour mener leur action, ainsi que des outils nouveaux, pour qu’ils puissent remplir leur rôle avec efficacité et sérénité.
En même temps, il est crucial de trouver un équilibre. Nous ne souhaitons pas contraindre par une interdiction absolue tous les couples dont l’un des futurs époux se trouve en situation irrégulière, surtout lorsque l’absence de titre de séjour n’est que temporaire et liée à des difficultés administratives. Sur ce fondement, le droit à la vie privée et à l’établissement d’une famille ne doit pas être mis en cause.
En commission, le rapporteur s’est engagé à modifier cette disposition, afin de dégager une voie de passage conforme à l’esprit du texte et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous soutiendrons ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Valérie Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est limpide. Son périmètre est clairement contenu dans son intitulé : interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire.
Ce texte se veut une réponse à deux problématiques, que nous connaissons bien, puisque la plupart de ceux qui siègent sur ces travées ont eu l’honneur d’être maires. Il s’agit, d’une part, des mariages arrangés ou simulés, c’est-à-dire ceux dans lesquels l’un des futurs époux ou les deux ne fait pas la preuve d’une véritable intention matrimoniale ; il s’agit, d’autre part, du rôle du maire dans la procédure de refus d’un mariage.
En ce qui concerne la première problématique, les élus du groupe RDSE s’inscrivent, comme l’ensemble de nos collègues qui siègent dans cet hémicycle, j’en suis certain, dans la volonté de faire barrage autant que possible au détournement du mariage. C’est un objectif louable, qui doit, comme tous nos objectifs, être adapté au respect des droits et des libertés, ainsi qu’aux réalités pratiques vécues sur le terrain.
En ce qui concerne la seconde problématique, les élus du groupe RDSE souhaitent évidemment que les maires soient protégés par la loi dans l’exercice de leur mission d’officier d’état civil. À ce titre, il me semble, eu égard à mon expérience, que les maires sont souvent bien seuls face à des situations dans lesquelles ils n’ont pas les moyens d’agir directement.
Si nous souscrivons aux objectifs de ce texte, nous souhaitons affirmer notre opposition au dispositif proposé ainsi qu’à la méthode suivie. En effet, nous sommes tout à fait étonnés de nous retrouver en séance publique à discuter d’un texte dont l’inconstitutionnalité ne fait aucun doute, puisqu’il porte atteinte à la liberté du mariage.
Le respect de cette liberté est protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par l’article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le dispositif prévoit l’interdiction pure et simple pour une personne en situation irrégulière sur le territoire, sans exception ni possibilité de recours, de contracter un mariage civil, alors même que le Conseil constitutionnel a explicitement affirmé que nos normes supérieures « s’opposent à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ».
Mes chers collègues, vous connaissez la culture de la délibération du groupe RDSE, qui promeut le dialogue, plutôt que l’opposition sans débat. Mais la délibération nécessite des règles claires, dans le respect desquelles nous pouvons aborder sereinement les sujets et, in fine, aboutir à des décisions collégiales.
En l’espèce, la discussion d’une sorte de lit de justice constitutionnel par la loi à la défaveur des libertés fondamentales fait obstacle aux conditions d’un dialogue serein. Malgré les amendements déposés qui, dans la stratégie voulue par la majorité, devraient supplanter les dispositions initiales, nous maintiendrons notre scepticisme sur la méthode.
Je tiens à exprimer mon plein et entier soutien aux maires qui font ou ont fait face à des situations très compliquées relatives à ce sujet. Le Sénat se tient aux côtés des élus locaux pour les conforter dans leur mission au quotidien et pour modifier le cadre législatif si cela se révèle pertinent, en suivant une méthode aboutie de concertation et d’évaluation.
Pour toutes ces raisons, si le dispositif actuel était maintenu en l’état, les membres du RDSE, dans le respect de leurs valeurs humanistes et progressistes, ne voteraient pas ce texte. Nous demeurerons donc particulièrement attentifs à l’examen des amendements et déciderons, ensuite, de notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, à entendre l’opinion publique, si l’on dit aux Français que des personnes sous OQTF peuvent se marier, on ne trouvera pas grand monde dans la rue pour trouver cela normal ! À moins que nous ne fréquentions pas les mêmes trottoirs… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est une évidence. D’ailleurs, quel que soit le texte sur lequel nous pourrions débattre et quelles que soient les positions des uns et des autres sur l’immigration, personne ne peut comprendre que quelqu’un qui est en situation irrégulière et qui est soumis à une OQTF puisse aller tranquillement se marier devant un maire, lui-même démuni…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Les maires ne sont pas démunis !
M. Roger Karoutchi. … et contraint de faire bonne figure.
De plus – je pose la question à mon collègue et ami Fabien Gay –, est-ce que l’extrême droite monte parce que nous prenons certaines mesures,…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est l’inverse !
M. Roger Karoutchi. … ou parce que l’opinion publique se dit qu’on ne l’écoute pas ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Roger Karoutchi. L’opinion publique, ayant l’impression que nous restons dans un monde à part, dans une bulle, se dit qu’il n’est plus possible de se reconnaître en nous, les élus de la République, quelle que soit notre couleur politique. C’est malheureux, c’est ainsi : à un moment, l’opinion publique, cela compte.
J’ai entendu ce que le ministre d’État a dit au sujet du Conseil constitutionnel et je veux y revenir. En effet, monsieur le ministre d’État, nous sommes le Parlement. Nous ne sommes pas l’annexe du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel. C’est à nous qu’il revient de faire la loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme Mélanie Vogel. Pas contre la Constitution !
M. Roger Karoutchi. Par conséquent, on ne peut pas constamment nous rétorquer : « Ah ! la jurisprudence l’interdit »,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Elle est source de droit !
M. Roger Karoutchi. … car la jurisprudence, elle évolue. Elle a changé sur bien des sujets, ce qui a arrangé parfois la gauche, parfois la droite.
Il ne s’agit pas d’un texte sacré. Le Conseil constitutionnel n’est pas figé. J’en veux pour preuve que sa décision de 2003 est intervenue, par définition, après une jurisprudence qui n’était pas la même. Cela signifie que le Conseil constitutionnel modifie ses décisions en fonction de l’évolution des forces politiques, ainsi que des réalités sociales, économiques et sociétales.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Il évolue donc, et c’est tant mieux, parce que si tel n’était pas le cas et s’il faisait en sorte que, systématiquement, les textes votés par le Parlement ne puissent pas s’appliquer, alors la démocratie serait bloquée ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.) Il faut naturellement respecter le Parlement. Et le Conseil constitutionnel doit aussi évoluer.
Mon cher collègue Fabien Gay, ce texte porte sur une question qui n’est ni de gauche ni de droite, mais qui relève du bon sens ! Il faut soutenir nos maires, qu’ils soient de gauche ou de droite. Tous se trouvent dans une situation extrêmement difficile devant ce type de problème. Et dans leur propre ville, ils sont soumis à des critiques quand ils marient des personnes qui sont sous OQTF, alors qu’ils ne peuvent pas faire autrement.
L’opinion publique ne peut pas se tromper sur tout. Je ne suis pas populiste, mais je ne peux pas dire non plus systématiquement que l’on a tort parce que la jurisprudence s’y oppose. Finissons-en donc avec cet argument !
Cette proposition de loi, ce n’est pas la révolution. C’est un bon texte, monsieur Demilly, que je voterai volontiers, mais je suis sûr, monsieur le ministre d’État, que vous pouvez faire mieux et que vous le ferez très bientôt.
Au Parlement, nous devons pouvoir légiférer en suivant nos propres convictions, sans être systématiquement bloqués par nos propres concessions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Anne-Sophie Patru. Bravo !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Margaté, M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire (n° 190 rectifié, 2023-2024).
La parole est à Mme Marianne Margaté, pour la motion.
Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe CRCE-K a déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur cette proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire. En effet, ce texte est inconstitutionnel. Je ne vous apprends rien, vous le savez et vous l’avez reconnu. Vous l’avez d’ailleurs acté lors de la réunion de la commission des lois.
À plusieurs reprises, notamment dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté du mariage était protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. À ce titre, le caractère irrégulier du séjour de l’un des futurs époux ne peut pas « faire obstacle en lui-même » au mariage. Tel est le socle posé par la jurisprudence constitutionnelle.
En plus de ce socle constitutionnel, la liberté du mariage est également garantie par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.
De plus, les sages de la rue de Montpensier rappellent que, comme toute liberté, la liberté du mariage n’est pas absolue, le législateur pouvant fixer les conditions du mariage, dans le respect des exigences de caractère constitutionnel.
Notre code civil prévoit ainsi quatre limitations. Il est interdit aux personnes mineures de se marier, sauf cas exceptionnels. Les mariages polygames ou consanguins sont également interdits. Enfin, un consentement libre et éclairé est une condition indispensable à la célébration du mariage.
On comprend bien l’intérêt de ces bornes. Elles se justifient par la gravité et par la dangerosité de tels comportements sur notre société et sur les individus que nous devons protéger. Car le mariage est une institution juridique, et le lien que nous entretenons avec lui révèle la nature de la société que nous formons.
Par ailleurs, ces limites sont peu nombreuses, parce que nous touchons à l’intime. Si, au travers de l’institution du mariage, la République s’insère dans le couple, c’est pour en protéger les protagonistes. La proportion d’une telle intervention doit rester mesurée.
Par conséquent, mes chers collègues, si dans le cadre de cette proposition de loi votre intention est de nous prémunir contre les mariages forcés, simulés ou arrangés, rassurez-vous, notre droit permet déjà la prévention et l’interdiction de ce type d’union. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)