M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Nous soutenons le principe de l’article 1er.
Je rappelle par ailleurs que le Conseil d’État a estimé que les fédérations sportives étaient chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public, dont la gestion leur est confiée, et peuvent à ce titre imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives.
Enfin, comme le rapporteur vient de le dire, cet article vise à répondre à une demande des fédérations elles-mêmes, qui, à la suite des décisions du Conseil d’État, ont appelé de leurs vœux une harmonisation et une clarification du droit, afin de pouvoir agir dans un cadre juridique pleinement sécurisé – on le comprend bien – et dans un cadre législatif parfaitement clair, ce qui nous paraît évident.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à l’article 1er et demandons le retrait des trois amendements identiques nos 4, 9 et 28 rectifié quinquies au profit de l’amendement n° 31 du Gouvernement. À défaut, nous y serons défavorables.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Je prends la parole pour soutenir l’amendement de suppression de ma collègue Sylvie Robert.
À quelles conditions aurions-nous pu vous suivre, mes chers collègues de droite ? Cela aurait été envisageable si vous aviez cherché à appliquer avec force l’article 31 de la loi de 1905, qui vise à lutter contre les pressions. Ça, c’est dans la loi de 1905 ! Cela aurait été également concevable si vous aviez tenu compte de ce qu’a révélé l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), laquelle cite un certain nombre de cas de figure dans lesquels une telle pression s’exerce dans les clubs.
En revanche, nous ne pouvons pas vous suivre lorsque vous remettez en cause les principes issus de la loi de 1905.
M. Olivier Paccaud. Et que faites-vous des pressions, alors ?
M. Alexandre Ouizille. Or c’est bien le cas avec cette proposition de loi, qui a quelque chose de véritablement orwellien.
Vous avez choisi de vous placer sur le terrain de la liberté de conscience, mais vous êtes en train de tout mélanger…
M. Olivier Paccaud. Pas du tout !
M. Alexandre Ouizille. Il ne faut pas confondre neutralité de l’État, qu’il faut distinguer de la neutralité de l’espace public – c’est une méprise que j’ai entendue tout à l’heure de la bouche d’un orateur s’exprimant à la tribune –, et liberté de conscience, principe sur lequel repose cet article 1er. En mélangeant tout, vous mettez ces principes en danger.
Je souhaite également revenir sur la loi de 2004, évoquée à plusieurs reprises. Je vous rappelle que cette loi a été prise sur le fondement de la liberté de conscience, non pas pour neutraliser l’école, mais pour protéger la liberté de conscience de jeunes esprits en formation. C’est uniquement sur ce fondement que cette loi a été élaborée et votée !
Or le champ de l’article 1er n’est pas circonscrit aux jeunes esprits en formation ; il concerne absolument tout le monde !
M. Olivier Paccaud. Et c’est tant mieux !
M. Alexandre Ouizille. Vous vous inscrivez ainsi dans une logique où la liberté de conscience des adultes, laquelle justifie que le voile ne soit pas interdit à l’université et que l’on ne neutralise pas progressivement l’intégralité de l’espace public, est également visée.
Dans ces conditions, pourquoi s’arrêter au sport ? Pourquoi ne pas étendre cette règle aux manifestations culturelles ou à la rue comme le propose Mme Le Pen ?
M. Stéphane Ravier. Bonne idée !
M. Alexandre Ouizille. Vous vous engagez là dans une voie, qui n’est plus celle de la laïcité de 1905. Nous nous devons de vous le rappeler !
Lutter contre la pression tous les jours, oui, aucun problème. Faire ce que vous êtes en train de faire, en revanche, est dangereux pour la République ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER et sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.
M. Akli Mellouli. Je perçois ce qui m’apparaît comme une confusion : en effet, le texte dont nous discutons concerne tout sauf la laïcité. La loi de 1905 énonce des choses simples, en particulier la règle selon laquelle la loi protège la foi tant que la foi ne fait pas la loi.
En l’occurrence, vous voulez interdire toute tenue qui ne serait pas neutre : est-ce à dire que les sportifs devront tous jouer en blanc ou en noir ? Parce que les couleurs des clubs sont loin d’être neutres, elles correspondent toujours à un choix. Quitte à donner dans l’absurde, autant imaginer tout et son contraire… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, il faut savoir raison garder : légiférer, pourquoi pas, mais pas au nom de principes fallacieux. La laïcité, cela a été rappelé lorsqu’on a invoqué la loi de 1905, vise à lutter contre le prosélytisme. Or, en l’occurrence, il n’y a aucun prosélytisme dans le sport.
M. Olivier Paccaud. Si, justement !
M. Akli Mellouli. Vous avez souligné que les fédérations sportives vous avaient interpellés à ce sujet. Moi, j’ai eu l’occasion de lire les pétitions de certains acteurs sportifs ou de fédérations, qui disent l’inverse. On ne peut donc pas vous suivre sur ce terrain : il est mouvant et ouvre la porte à un certain nombre de dérives qui n’honorent ni la République ni le principe d’égalité.
En 1905, alors que la question des tenues vestimentaires était soulevée, le débat a été tranché. Jaurès et Briand ont très bien expliqué que, dans l’espace public, on pouvait parfaitement mettre en avant sa pratique religieuse. La laïcité n’est pas le déni de la religion ; c’est le respect des uns et des autres et le ciment du vivre ensemble. Dès lors que l’on utilise celle-ci pour stigmatiser des individus, elle perd cette fonction et est dénaturée. (M. Thomas Dossus applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Je veux revenir sur un point spécifique, le caractère ostentatoire des signes et tenues à interdire. Pourriez-vous, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, définir précisément ce que vous considérez comme ostentatoire ?
Dans l’histoire, le sport et la religion ont toujours cohabité : à Auxerre, par exemple, l’abbé Deschamps a laissé son nom au stade de football de la ville. Les couleurs bleue et blanche du maillot de l’équipe font également référence à la patronne du club, Marie. Votre loi interdira-t-elle demain le maillot de ce club ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Ravier. Arrêtons avec la haine de soi !
Mme Mathilde Ollivier. Après la mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter – « les vies des Noirs comptent » –, de nombreux joueurs ont posé un genou au sol pour exprimer leur soutien aux luttes contre les discriminations.
M. Stéphane Ravier. C’est caricatural !
Mme Mathilde Ollivier. Ces joueurs ont fait passer un message positif aux jeunes et aux moins jeunes : il faut lutter ensemble contre les discriminations. Alors, que répondez-vous à cela, vous qui mettez en avant le principe de neutralité au travers de cet article ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. J’interviens pour apporter un peu de diversité aux points de vue exprimés et faire en sorte que la partie droite de l’hémicycle puisse de nouveau prendre la parole sur ce texte.
Personnellement, j’aimerais bien que l’on sache raison garder. Mais on a tout de même entendu certains dire que nous mettions la République en danger avec ce texte !
M. Akli Mellouli. Oui, vous mettez en danger les valeurs de la République !
M. Max Brisson. En affirmant de telles choses, pensez-vous vraiment raison garder ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Je souhaite rappeler deux ou trois choses simples.
D’abord, nous ne cherchons pas à stigmatiser telle ou telle religion ; nous cherchons à rappeler des principes.
M. Akli Mellouli. Si vous le dites, cela doit être vrai…
M. Max Brisson. Ensuite, je pense aussi, à l’occasion de ce débat, à toutes les jeunes filles qui essaient de lutter contre une sorte de mainmise, de soumission.
M. Akli Mellouli. Justement, laissez-les faire du sport !
M. Max Brisson. Il faut penser à elles ! Il faut aussi qu’on les aide ! Nous sommes pour que la puissance publique aide ces jeunes filles, comme l’a d’ailleurs très bien rappelé Pierre Ouzoulias tout à l’heure.
À cet égard, j’estime que la législation doit évoluer pour s’adapter au temps présent. Je veux bien que l’on parle de la loi de 1905, mais l’époque a changé. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.)
C’est d’ailleurs ce qui nous distingue : moi, je préfère être du côté de ceux qui protègent les jeunes filles qui veulent rester émancipées ; en cela même, je suis du côté de ceux qui sont restés fidèles à l’idéal de ceux qui ont combattu pour la laïcité.
M. Thomas Dossus. Cela n’a rien à voir avec le texte !
M. Max Brisson. Car, aujourd’hui, ceux qui sont fidèles à cet idéal, ce sont les jeunes filles qui refusent de se soumettre à certains diktats imposés par leur milieu, qui sont de nature religieuse.
M. Pierre Jean Rochette. Absolument !
M. Max Brisson. Nous sommes plus fidèles aux grands principes des pères fondateurs de la laïcité que vous ne l’êtes aujourd’hui sur les travées de gauche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas vous qui parliez de liberté de conscience ?
M. Max Brisson. Quant au sport, j’ai toujours pensé qu’il constituait, comme l’école, un espace imposant une neutralité particulière. J’aurai donc quelque fierté, si la proposition de loi de Michel Savin est votée et si, désormais, le sport est, comme l’école, le lieu d’une laïcité singulière. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.
M. Adel Ziane. Il me semble que l’on touche là au cœur de ce débat.
J’ai entendu l’une de nos collègues dire à la tribune qu’il ne s’agissait, au travers de ce texte, de stigmatiser personne.
Or, à écouter les échanges qui ont lieu depuis quelques instants, on se rend compte que les jeunes filles dont on parle seront amenées, à cause de ce texte, à sortir de l’espace public. Peut-être n’était-ce pas le but, mais leur exclusion constitue l’un des dommages collatéraux de ce texte. Et j’en parle en connaissance de cause.
L’un des points qui m’ont le plus interpellé dans le cadre des travaux qu’a conduits la commission, c’est la manière dont les éducateurs ont été traités. En effet, ces acteurs majeurs de la prévention n’ont pas été auditionnés ; or ils ne font pas remonter de difficultés insurmontables depuis le terrain…
La deuxième personnalité morale, si je puis dire, que nous aurions pu entendre, ce sont les pratiquantes elles-mêmes. Qu’attendent-elles lorsqu’elles se rendent sur un terrain, pratiquent une activité sportive dans un club de football – je pense par exemple au département dont je suis élu, la Seine-Saint-Denis – ou de rugby ? Elles veulent pouvoir fréquenter des lieux de socialisation : elles y échangent, elles y travaillent, elles y discutent, elles s’y forment, tout en participant à des matchs.
Ce texte sur la laïcité fera finalement d’elles les victimes de dommages collatéraux, qui devront sortir de l’espace public. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est en tout cas ainsi, mes chers collègues, que cela est interprété dans un grand nombre de clubs !
M. Mathieu Darnaud. L’interprétation, ce n’est pas la réalité !
M. Adel Ziane. Peut-être serait-il nécessaire d’apporter une interprétation différente des choses.
Enfin, et ce sera mon dernier point, nous ne versons pas dans l’angélisme lorsque nous évoquons les remontées du terrain. La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est de trouver l’équilibre qui nous permet, au travers de la laïcité, de faire cohabiter des populations, des individus qui ont envie de trouver des espaces communs au sein de l’espace public ou dans les lieux sportifs pour vivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Ce débat est très intéressant. Le sport, c’est avant tout l’égalité. Je n’ai pas été un grand sportif – peut-être que cela se voit (Sourires.) –, mais j’ai tout de même pratiqué le rugby pendant quelques années. J’avais d’abord pratiqué le football, mais on m’a redirigé vers le rugby en me disant que ce serait plus adapté. (Nouveaux sourires.)
On ne saurait faire croire que les choses n’ont pas changé durant les vingt à trente dernières années, car c’est complètement faux. On a l’impression, en entendant certaines interventions, qu’il n’y aurait pas de prosélytisme, que tout cela serait pure invention ; je le répète, c’est faux ! Et cela existe aussi dans les clubs de sport ! (Marques d’assentiment sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce qui faisait la vraie force du sport, c’est que nous étions tous logés à la même enseigne : nous prenions tous notre douche ensemble, nous étions tous à égalité, les riches, les pauvres, les intelligents et les benêts !
M. Jacques Grosperrin. C’est cela !
M. Pierre Jean Rochette. Les principes religieux ont cassé cela. Des phénomènes d’ostracisation existent désormais, jusque dans le sport, à l’encontre des personnes n’appartenant pas à la mouvance dominante. Refuser de voir cela, c’est se voiler la face sur l’état de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toute considération politique exclue, afin de ne pas pervertir le débat, il faut regarder les choses telles qu’elles sont, regarder la réalité des faits, et parler avec les dirigeants associatifs et les éducateurs du monde sportif, qui sont confrontés au quotidien à ces sujets. Or ils ne nous disent pas qu’il n’y a pas de problème ! Ce n’est pas vrai !
Il convient de dépassionner le débat et de porter sur les faits un regard sincère, en n’occultant pas la réalité ni la vérité. Or la vérité, c’est qu’il y a un problème et que la laïcité n’est plus respectée dans le sport. Je suis d’accord avec les interventions de mes collègues siégeant à la droite de cet hémicycle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lozach. Cet article ne concerne que certains types de compétitions sportives. Or il y a un paradoxe, pour ne pas dire une carence, car les compétitions qui remportent aujourd’hui le plus grand succès et qui comptent le plus grand nombre de participants échappent au périmètre de l’article, car elles sont organisées non pas par les fédérations sportives, mais par des entreprises privées. Il s’agit d’un manque évident du texte.
En outre, je suis gêné par la tournure que prend ce débat et qui semble devoir durer, car elle néglige le principal apport du sport à notre vie sociale, à savoir sa capacité à intégrer, à insérer des populations très diverses. Je tenais à le rappeler, ne serait-ce que pour contrebalancer les propos qui occultent cet aspect très positif de la pratique sportive.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Permettez-moi de rappeler que lorsque la loi de 1905 a été adoptée, les catholiques n’étaient pas spécialement ravis…
M. Pierre Ouzoulias. Pour le moins !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Pour autant, ils se sont adaptés, ils n’ont pas contesté, ils sont rentrés dans le rang et ils n’ont pas fait la révolution ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Comme cela vient d’être dit, nous assistons à une remise en cause des règles communes. Or la France ne peut fonctionner sans règles communes ! Il ne s’agit aucunement, comme le prétend notre collègue de Seine-Saint-Denis, de stigmatiser de jeunes filles ! La vie est faite de choix et le refus des règles communes en est un. Si l’on n’accepte pas la règle commune, on assume son choix.
La France de 2025 n’est ni la France de 2004 ni la France des années 1980, c’est une France qui subit de toute part une forme d’entrisme, qui sépare et qui clive.
M. Yannick Jadot. Oh là là !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est vrai, il y a dans ce débat un clivage droite-gauche, mais il fut un temps où j’avais des potes de gauche qui soutenaient la laïcité. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, peut-être sont-ils morts…
M. Pierre Ouzoulias. Nous sommes là !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Où sont passés les grands « laïcs » de gauche, qui soutenaient la laïcité ? Désormais, la gauche défend une laïcité « ouverte », « adaptée » et que sais-je encore… Non ! La laïcité ne supporte aucun adjectif ! La laïcité est une, unique, et doit être respectée partout sur le territoire.
M. Pierre Ouzoulias. Même en Alsace-Moselle !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quand on fait des choix différents, on les assume ! Et ce n’est stigmatiser personne que de dire cela ! Nous disons seulement : « Assumez vos choix, assumez vos modes de vie, mais pas sur le dos de l’unité de la France, pas contre la laïcité ! »
La laïcité est une chance énorme pour notre pays, parce qu’elle permet à des gens de toutes origines, de toutes couleurs de peau…
M. Akli Mellouli. Quel rapport ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. … et de toutes religions de vivre ensemble, en dehors des règles religieuses.
M. Thomas Dossus. Pour l’instant !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. La laïcité est une chance pour tous les jeunes Français, pour toutes les femmes françaises et j’ai une pensée pour les femmes qui luttent et prennent des coups tous les jours dans les quartiers, parce qu’elles ne veulent pas subir ces pressions islamistes ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. Akli Mellouli. Pas que dans les quartiers !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Je me réjouis que tout le monde dans cet hémicycle défende la laïcité, à droite comme à gauche. C’est intéressant…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ce n’est pas la même !
M. Bernard Fialaire. Je ne sais pas si ce n’est pas la même, puisqu’il ne faut pas lui accoler d’adjectif, justement. Pour ma part, je n’aime pas tellement les adjectifs ou les adverbes : si une femme me dit « Je t’aime », je sais ce que cela veut dire ; si elle me dit « Je t’aime bien », je prépare mes valises… (Sourires.)
Je ne condamne pas la loi de 1905. Certes, elle a été mal vécue par les catholiques, mais elle n’empêchait pas les curés de jouer au foot ou au basket en soutane, que je sache ! Nous avons tous de telles images en tête.
Le problème est ailleurs. Comme l’a dit Pierre Jean Rochette, les choses ont changé depuis une quarantaine d’années. Elles ont changé parce que nous avons sûrement été trop laxistes – et nous en sommes tous en partie responsables – avec certaines expressions de la religion.
Toutefois, prenons garde à ne pas nous tromper d’armes : dévoyer la laïcité pour en faire un outil de coercition et de sanction reviendrait à braquer contre cette notion toute une partie de la population (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.), qui perçoit la laïcité non plus comme une protection, mais comme une contrainte difficilement supportable.
Comme le sait M. le ministre, nous ne devons modifier la loi que d’une main tremblante, afin de ne stigmatiser personne et ne pas dévoyer la laïcité, car ce principe mérite toujours d’être défendu. (M. Patrick Kanner applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame Eustache-Brinio, de grands « laïcs » de gauche, il en reste,…
M. Olivier Paccaud. Vous !
M. Pierre Ouzoulias. … mais vous ne voulez pas les entendre. (Oh ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
J’ai défendu de nombreux amendements dans cet hémicycle pour que la loi de 1905 s’applique sur la totalité du territoire, y compris l’Alsace-Moselle, la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Tahiti, j’en passe et des meilleurs… (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) Vous les avez toujours rejetés !
Autrement dit, vous dites considérer la laïcité comme un principe supérieur, mais vous acceptez des dérogations, ce qui est à mon sens inadmissible. Ce que j’entends aujourd’hui m’encourage à déposer un nouveau texte pour abroger le Concordat et le régime particulier de la Guyane.
Madame Eustache-Brinio, je vous ai entendue et je vous satisferai ! (Sourires. – M. Bernard Buis applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour explication de vote.
M. Michel Savin. Je souhaite rappeler l’objet de l’article 1er.
Certains assurent qu’il faut relativiser les témoignages de terrain des fédérations et des dirigeants de clubs ; l’objet de cet article est bien d’affirmer que la religion n’est pas au-dessus des lois de la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Michel Savin. Si une femme veut porter un signe religieux lors d’une compétition sportive, c’est qu’elle met la religion au-dessus de ces règles. (Marques d’assentiment sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Yannick Jadot. Sérieusement ?
M. Alexandre Ouizille. Quelles règles ?
M. Michel Savin. L’objectif du sport est de n’exposer ni son appartenance religieuse, ni son appartenance politique, ni son appartenance syndicale ! Le seul maillot que l’on porte est celui d’un club, qui représente un territoire ou une ville et non une quelconque appartenance politique ou religieuse !
L’objet de cet article est de protéger cet espace, dans la pratique, sur le terrain. Nul besoin d’aller chercher des arguments fallacieux : si certaines veulent mettre leur religion au-dessus du sport et de la loi, nous n’avons pas la même conception de la République ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Elles assument leur choix !
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Nous assistons à la manifestation d’un bon vieux clivage droite-gauche…
M. Thomas Dossus. Extrême droite, plutôt !
M. Olivier Paccaud. À gauche, vous considérez que cette loi est mauvaise, car elle exclurait, notamment, des jeunes filles qui portent un voile, mais aussi, cela pourrait arriver, des jeunes gens qui portent une croix !
Notre histoire récente nous offre un parallèle, un précédent, une « jurisprudence », en quelque sorte : je parle de l’affaire du foulard dans les écoles. Souvenez-vous, cher collègue Ouizille, cela s’est passé dans le bassin creillois, à la fin des années 1980 ! On a mis plus de dix ans pour légiférer et, lorsque l’on a commencé à le faire, on entendait exactement les mêmes choses de la part de la gauche : cela exclurait les jeunes filles, qui ne viendraient plus au collège.
Puis il y a eu la loi de 2004.
M. Patrick Kanner. Nous l’avons votée !
M. Olivier Paccaud. Les jeunes filles ont-elles quitté le collège ? Non, et heureusement !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Elles sont toutes allées à l’école !
Mme Sylvie Robert. C’est obligatoire !
M. Olivier Paccaud. Et elles y sont intégrées, et cela se passe très bien, notamment à Creil, cher ami Ouizille !
L’habit fait le moine, mes chers collègues ! Et l’abaya fait… la nonne ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Stéphane Ravier. … fait l’islamiste !
Mme Cécile Cukierman. Je sais qu’il y a une crise des vocations, mais quand même !
M. Olivier Paccaud. C’est une exagération, soit.
Certains ont parlé de pression, mais la pression était au sein de l’école lorsque de jeunes filles y portaient le voile, et elle est actuellement sur les terrains lorsque certains pratiquent une forme d’exhibition cultuelle.
Cette proposition de loi permettra tout simplement de dépassionner le débat et même de le faire disparaître : vous verrez, il fera pschitt ! (Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudit.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Au regard de la teneur du débat, j’ai une question à poser à nos collègues de la majorité sénatoriale : considérez-vous que la laïcité soit en danger dans des territoires comme La Réunion ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Oui !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Chez nous, la République n’est pas en danger. Nous vivons ensemble, toutes communautés confondues, dans le respect des lois de la République. Cela ne pose aucune difficulté.
La laïcité ne saurait être brandie comme un épouvantail dans le simple espoir de régler un problème de radicalisation. Toutes vos bonnes intentions ne peuvent qu’abîmer le vivre ensemble qui prévaut à la Réunion et qui fait figure d’exemple à l’international.
Chez nous, la police municipale assure la sécurité lors des processions qui ont lieu dans la rue lors du Vendredi saint. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Laugier. Rien à voir !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Cela a tout à voir ! Chez nous, les grandes messes, la marche sur le feu, les processions hindoues, la prière de rupture du jeûne à la fin du ramadan ou la danse du dragon pour le nouvel an chinois ont lieu sur la voie publique ou sur des terrains de sport, avec le soutien des autorités. Voilà la réalité !
M. Max Brisson. Pas dans le sport !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quel est le rapport ?
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Toutes les communautés sont invitées à participer, à partager, à échanger : c’est de cette manière que nous créons les conditions du vivre ensemble ! Ceux qui sont venus à La Réunion peuvent en attester.
Ce genre de texte ne favorise en rien la cohésion sociale !
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Dernière question (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains destinées à indiquer à l’oratrice qu’elle a épuisé son temps de parole.) :…
M. le président. C’est terminé !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. … comment croyez-vous qu’un tel texte puisse être appliqué dans un territoire comme Mayotte ?
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous pouvons bien sûr débattre du sens de la laïcité, mais, avant toute chose, je tiens à rassurer mes collègues de la majorité sénatoriale : oui, il existe encore de nombreuses personnalités de gauche qui la défendent, et qui sont même parfois intransigeantes ! Vous savez d’ailleurs les juger comme telles, ainsi qu’en témoignent vos réactions aux propos qui viennent d’être tenus.
Ensuite, nous ne sommes pas naïfs, personne n’est dupe à cet égard : par cette proposition de loi, vous souhaitez percuter un débat de société, ce qui se traduit dans l’avis et les analyses des groupes politiques. Ainsi, les votes du groupe CRCE-K sur l’ensemble du texte refléteront la manière donc chacun de ses membres perçoit celui-ci, au regard de la situation qu’il vit dans son territoire. Je le dis donc en toute tranquillité : il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre.
Toutefois, en entendant certains arguments, je me dis que, parfois, il n’y a pas pires fossoyeurs que les défenseurs d’un texte.
Chacun évoque la question du port du voile par les femmes musulmanes, si visible et parfois si choquant ; je le dis clairement, car je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le port du voile soit une nouvelle liberté pour les femmes.
Nous parlons aussi beaucoup du football, mais cela concerne en réalité de nombreux sports collectifs. Or tout ce qui se passe dans les vestiaires, notamment le rapport à la nudité des plus jeunes, qui procède d’une véritable emprise religieuse, n’est pas du tout traité par cette proposition de loi, parce que ce n’est pas visible. Pourtant, cela fait aussi partie du problème.
Aussi – et je le dis sans offense à l’égard de l’auteur du texte –, faisons attention, au-delà de ce qui se voit, aux effets d’annonce ou à la stigmatisation de certaines jeunes femmes, qui n’est pas le sujet ici. Il y a, plus largement, un débat de fond : comment continuer de faire société par le sport ?