Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, j’espère que vous voudrez bien associer les parlementaires à la réforme du pass Culture. Cette collaboration me semble extrêmement importante. La commission des finances, en particulier, sera ainsi mieux éclairée.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Nous avons associé les élus locaux, notamment les départements et les régions. De fait, nous ne pouvions rien faire sans eux !

Comme vous le savez, je m’efforce depuis 48 heures de rattraper la petite coupe budgétaire… Si le coup de rabot voté était confirmé, je ne pourrais plus financer le dispositif que pour les jeunes ayant eu 18 ans en 2024. Les nouveaux entrants, qu’il s’agisse des jeunes de 17 à 18 ans ou des jeunes les plus en difficulté, comme les décrocheurs scolaires, ne pourraient pas faire l’objet des actions prévues.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je vous remercie de cette seconde réponse. (Sourires.) J’ajoute que d’autres ressources pourraient être recherchées : si le pass Culture continue de se développer, sans doute faudra-t-il, en particulier, se tourner vers le mécénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, mes collègues vous le diront : jusqu’à présent, j’ai toujours voté contre le pass Culture. En effet, j’estimais que la culture manquait avant tout de médiation. Le président Lafon l’a d’ailleurs souligné lui-même.

Puis un jour Benoît, mon libraire de Bourg-la-Reine, m’a glissé à l’oreille que le pass Culture représentait 10 % de son chiffre d’affaires. Cette confidence m’a fait réfléchir. Il m’a également parlé de ces gamins qui viennent chez lui avec le pass Culture. Un certain nombre d’entre eux achètent certes des mangas, mais à cette occasion – et c’est là l’essentiel – ils mettent pour la première fois le pied dans une librairie ; et, une fois qu’ils ont désacralisé le lieu, ils se tournent parfois vers d’autres lectures.

Mme Rachida Dati, ministre. Eh oui !

M. Pierre Ouzoulias. À l’évidence, le libraire est un magnifique médiateur culturel. Il peut tout à fait guider les jeunes dans leurs lectures. (M. Laurent Lafon acquiesce.) C’est pour cette raison que je n’ai pas voté contre le pass Culture cette année : on peut changer d’avis ! (Sourires.)

J’ai néanmoins une profonde inquiétude quant au prix unique du livre. Amazon, dont le poids est encore renforcé par la nouvelle administration américaine, va certainement partir à l’assaut de cette disposition. Or, si l’Europe cède sur ce sujet, il n’y aura plus de médiation culturelle dans les librairies, tout simplement parce qu’il n’y aura plus de librairies.

Pour défendre le dispositif que vous nous proposez, non sans raison, il faut donc une action très forte, notamment à l’égard de l’Europe, pour protéger le prix unique du livre. Cette disposition est constitutive d’une certaine politique de la culture. Elle reflète notre vision du réseau des librairies au service de la culture pour tous.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je suis ravie que nous nous rejoignions sur cette position. Peut-être en sera-t-il de même pour Notre-Dame de Paris : je ne désespère pas ! (Sourires.)

M. Pierre Ouzoulias. Sur le musée d’art et d’histoire du judaïsme, peut-être…

Mme Rachida Dati, ministre. Nous en avions parlé : j’ai tenu mon engagement !

M. Pierre Ouzoulias. Et je vous en remercie !

Mme Rachida Dati, ministre. Comme chacun sait, il y a bien longtemps que je me bats pour l’accès à la culture ; j’ai commencé bien avant ma prise de fonction. Comme chacun d’entre nous, je sais en effet d’où je viens, et nos combats sont aussi dictés par notre histoire personnelle.

Je comprends bien les doutes que vous évoquez. Je les ai d’ailleurs exposés moi-même lors de mon audition en commission. C’est pour cette raison, aussi, que j’ai voulu les lever.

Comme vous, j’adressais certaines critiques au pass Culture, que l’on peut considérer comme un vecteur de reproduction sociale et qui, en l’état, n’est certainement pas parfait. Mais il faut conserver ce qui marche bien : le Pass culture favorise à l’évidence l’accès à la culture et notamment à la lecture.

Rappelez-vous : certains voudraient que l’application du pass Culture serve aussi de moyen de paiement. Or je m’y oppose, car je veux que les jeunes puissent se rendre en librairie.

J’ai dit que l’enseignant devenait médiateur culturel via la part collective du pass Culture. Le libraire joue également ce rôle. Les jeunes viennent acheter un manga : pourquoi pas, si cela leur permet de lire ? En outre, ils sortent peut-être de la librairie avec un autre livre ! Et quand ils reviennent, c’est aussi pour autre chose.

Je vous ai exposé mon plan en faveur de la médiation. J’ai reçu l’ensemble des acteurs de l’éducation populaire. En zone rurale comme urbaine, j’ai accordé les moyens nécessaires pour accompagner le nouveau dispositif.

J’entends votre juste inquiétude au sujet du prix unique du livre. Vos collègues Laure Darcos et Sylvie Robert ont formulé la même observation lors de ma dernière audition devant la commission de la culture.

Nous avons saisi le médiateur du livre sur ce sujet. En outre, nous devrons nous battre collectivement, aux échelles européenne et nationale. L’Europe et les États-Unis ne sont clairement pas seuls en cause : c’est aussi un sujet de politique nationale. Nous avons donc besoin de tout le monde pour préserver le prix unique du livre et protéger nos librairies.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Madame la ministre, les membres de la commission de la culture et plus largement les élus de cette assemblée souhaitent à l’évidence, comme vous, améliorer le pass Culture pour le rendre plus utile et encore plus démocratique. C’est bien normal, quand on sait que cet outil représente 25 % du programme dédié à la démocratisation culturelle.

Néanmoins, si nos débats font l’objet d’une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) ou d’une mention par Public Sénat, ce sera sans doute avant tout pour signaler que le Puy du Fou…

M. Laurent Lafon. Le spectacle !

Mme Colombe Brossel. … est désormais éligible au pass Culture…

Mme Rachida Dati, ministre. Vous ne pouvez pas vous en empêcher…

Mme Colombe Brossel. C’est certainement la grande victoire obtenue au titre de l’action « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » du programme 361… (Sourires sur les travées du groupe SER.)

Mme Rachida Dati, ministre. Seul le spectacle est éligible, soyez précise !

Mme Colombe Brossel. Mais revenons-en au pass Culture.

À ce titre, l’un des péchés originels, c’est le choix de recourir à une SAS : les modalités de contrôle s’en trouvent, de fait, réduites. Personne n’étant formellement chargé du contrôle, personne ne le fait – sauf la Cour des comptes, qui nous a informés que 16 millions d’euros avaient été utilisés pour des escape games, à notre grande stupéfaction.

Lors des débats budgétaires, nous avons eu le plaisir de vous entendre dire que vous souhaitiez transformer cette SAS en opérateur public. Ce faisant, l’on garantira un contrôle tant sur le budget que sur les modalités mêmes du pass Culture.

Mes deux questions sont très précises. Premièrement, quel est le calendrier de mise en œuvre de cette réforme ? Deuxièmement, quels seront ses effets sur le budget et le personnel ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice Brossel, c’est tout de même curieux : vous ne pouvez pas vous empêcher de polémiquer. Pourtant, nous pouvons nous détendre, nous ne sommes pas au Conseil de Paris ! (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Colombe Brossel. Vous ne répondez pas à ma question !

Mme Rachida Dati, ministre. Nous sommes entre gens civilisés et, pour une fois, personne ne m’énerve : tout va bien ! (Nouveaux sourires.) On ne saurait faire au Sénat comme à l’Hôtel de Ville, où l’on peut dire n’importe quoi… Ce n’est pas le Puy du Fou qui est éligible au pass Culture, c’est le spectacle du parc.

M. Max Brisson. Absolument ! Le spectacle !

Mme Rachida Dati, ministre. Soyons précis.

Mme Colombe Brossel. Répondez à ma question !

Mme Rachida Dati, ministre. Je suis précisément en train de le faire.

La réforme est lancée, et elle sera entièrement opérationnelle après le vote définitif du budget. Une nouvelle présidente a été nommée, le comité stratégique est en cours de renouvellement et les réformes sur les nouveaux critères sont intervenues il y a quelques mois, bien avant le 1er janvier 2025. Tout cela prendra donc son plein… Comment dire ?

Mme Sylvie Robert. Son plein essor ! (Sourires.)

Mme Rachida Dati, ministre. Merci, madame la sénatrice : j’enrichis mon vocabulaire ! (Nouveaux sourires.)

Tout cela prendra son plein essor au cours de l’année 2025.

En réalité, tous mes engagements sont déjà mis en œuvre. À présent, j’ai besoin des parlementaires.

Pourquoi y mets-je autant d’énergie, pour reprendre les mots de Mme Goulet ? Non seulement parce que j’y crois, mais aussi parce que des résultats ont été obtenus sur un public qui n’a pas spontanément accès à la culture, notamment à la lecture ou au spectacle vivant.

Mes engagements sont tenus, les actions sont lancées et elles prendront leur plein essor en 2025.

Pour conclure, je répète une fois encore que c’est le spectacle du Puy du Fou qui est éligible au pass Culture.

M. Max Brisson. Nous l’avions bien compris ; et il en est de même pour les spectacles de la fête de LHumanité

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.

Mme Colombe Brossel. Faut-il en déduire qu’au 31 décembre 2025 il n’y aura plus de société par actions simplifiée (SAS), mais un opérateur public ?

Par ailleurs, madame la ministre, je n’ai pas compris votre réponse quant aux moyens budgétaires et en personnels que nécessitera la transformation de la SAS en opérateur public.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre. Madame Brossel, j’ai déjà répondu sur ce point : la SAS va devenir un opérateur public. Cette transformation, qui est en cours, aboutira avant le 31 décembre 2025. Et, de même que je viens d’enrichir mon vocabulaire, je tiens à enrichir vos connaissances, en vous signalant qu’une SAS peut être un opérateur public culturel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel.

Mme Colombe Brossel. Je vous remercie de ces enrichissements mutuels, madame la ministre ; ils sont délicieux… (Sourires sur les travées du groupe SER.) Cela signifie-t-il que l’ensemble des personnels seront transférés et que le budget sera exactement le même que dans le cadre de la SAS ?

Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Vial.

M. Cédric Vial. Avant de vous poser ma question, madame la ministre, je tiens à vous rappeler ces leitmotivs du Sénat : simplification et décentralisation. (Mme la ministre opine.)

Nous approuvons évidemment les objectifs du pass Culture : l’accès des plus jeunes à la culture, la médiation et la démocratisation.

La part individuelle de ce pass a certes son intérêt. Mais les actions qu’elle recouvre sont souvent déjà prises en charge d’une façon ou d’une autre par les départements, lesquels proposent tous une carte Collégien ou une carte Jeune, ou par les lycées, qui ont leurs propres cartes.

Sans parler de doublons, et sans entrer dans le débat que vous avez eu avec votre collègue du Conseil de Paris sur l’organisation du dispositif, il est légitime de se demander si l’État, plutôt que de créer son propre dispositif avec son propre opérateur, et donc d’ajouter une couche administrative supplémentaire, ne pourrait pas accompagner les collectivités territoriales de manière décentralisée, via les opérateurs de l’État et les institutions, afin de remplir cette mission. (Mme Sylvie Robert opine.)

J’y ajoute une question subsidiaire à propos des bénéficiaires du pass Culture. Actuellement, pour y être éligible, il faut être âgé de 15 à 18 ans. Pourquoi ne pas choisir plutôt le critère de la scolarisation ? En effet, certains jeunes qui ont sauté une classe se retrouvent au lycée, en seconde ou en première, avant l’âge de 15 ans, et n’ont pas accès au pass Culture, contrairement à leurs camarades.

J’en viens à la part collective du pass Culture. Il faut reconnaître qu’elle constitue une véritable réponse : grâce à elle, des jeunes découvrent le spectacle vivant ou d’autres secteurs culturels vers lesquels ils ne se tourneraient pas d’eux-mêmes.

Pourquoi, au titre de cette part collective, faut-il passer par la création d’un opérateur de l’État qui travaillera, pour la réalisation de cette mission, avec le ministère de l’éducation nationale ? Ce dernier ne pourrait-il gérer directement le dossier, en liaison avec les établissements placés sous sa tutelle, dans le cadre de ses prérogatives et de son budget ? Cela simplifierait beaucoup de choses.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Vial, vous souhaiteriez que le volet collectif du pass Culture soit géré en quelque sorte en régie directe, par le ministère de l’éducation nationale. C’est impossible, car cela reviendrait à recloisonner !

Actuellement, il existe une continuité de l’offre culturelle, qui permet de savoir ce que l’on propose aux écoles et en dehors du cadre scolaire. Ce choix, qui garantit une complémentarité, me semble plus cohérent.

Vous déplorez, sans le dire, l’existence de doublons, et vous avez raison. En tant que maire du VIIe arrondissement de Paris, dont la richesse patrimoniale est considérable et qui compte de nombreux établissements culturels, j’avais proposé un pass culturel avant que le pass Culture ne soit créé. J’avais ainsi passé un accord avec les représentants de ces établissements afin que les enfants des écoles de l’arrondissement puissent y accéder.

Vous pourriez me rétorquer que les enfants du VIIe arrondissement n’ont besoin de bénéficier ni de la part individuelle ou de la part collective du pass Culture… Certes ; mais il se trouve que tous les territoires – régions, départements, communes – ne disposent pas d’un tel dispositif culturel. Le pass Culture permet, dès lors, une universalité.

Vous avez raison de rappeler que, dans certains endroits, l’offre culturelle est très dense – pour autant, je précise qu’il n’y a jamais de suroffre culturelle. Les contrats de territoire passés entre le ministère et les collectivités territoriales, par le truchement des directions régionales des affaires culturelles (Drac), permettent à cet égard d’éviter les doublons.

Ainsi, lorsqu’un département dispose déjà d’un dispositif culturel dédié et adapté, le pass Culture y est forcément moins utilisé. Ce dernier, qui n’est pas mis en œuvre depuis le ministère de la culture, rue de Valois, mais à une échelle de proximité, est donc assez équilibré.

L’ensemble de ces partenariats relèveront de la convention que je vais signer avec l’Assemblée des départements de France (ADF) : c’est un autre moyen d’éviter les doublons. En effet, les équipements culturels et le secteur du spectacle n’ont rien à y gagner, puisqu’ils ne touchent pas d’aide en double. Il n’y aura donc pas de gaspillage.

Pour résumer, là où il n’existe pas de dispositif culturel, le pass Culture permet de pallier cette absence ; et, là où il y en a, il permet aux collectivités territoriales de s’adapter.

Enfin, j’indique à M. Ouzoulias que le médiateur du livre rendra son rapport en février prochain.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Au vu des rapports pour le moins sévères auxquels le pass Culture a donné lieu, il était en effet plus qu’urgent, madame la ministre, de reprendre en main ce dispositif, afin de justifier son maintien et l’importante dépense publique y afférente.

J’insisterai sur deux critiques, émises notamment par la Cour des comptes : l’absence de sélectivité des offres et l’absence de sélectivité des bénéficiaires.

La première critique, qui porte sur l’absence de sélectivité des offres, a déjà été évoquée. Pour ma part, j’ai été très surprise de découvrir que 16 millions d’euros avaient été dépensés dans des escape games. Je n’ai rien contre les jeux intelligents et les nouvelles technologies, mais il ne faut pas confondre culture et divertissement.

Je suis choquée, en outre, de constater que nos structures de spectacle vivant bénéficient peu, par effet domino, du pass Culture. Compte tenu de l’érosion des budgets ces dernières années, elles ont les plus grandes difficultés à maintenir, dans le cadre de leurs contrats d’objectifs et de moyens (COM), des programmes d’éducation artistique et culturelle. C’est un véritable sujet. (Mmes Colombe Brossel et Sylvie Robert, ainsi que M. Pierre Ouzoulias, opinent.)

Le rapport de la Cour des comptes sur l’éducation artistique et culturelle, que j’attends avec impatience, pourra nous éclairer sur ce point. Vous avez déclaré que le pass Culture était une étape du parcours d’éducation artistique et culturelle : peut-être pourra-t-on corréler les deux sujets et faire un nouveau tour d’horizon de ce qui est, en définitive, proposé aux jeunes ?

La seconde critique porte sur l’absence de sélectivité des bénéficiaires.

Si les droits culturels avaient été inscrits dans les présupposés du dispositif, la loi aurait clairement prévu que ce dernier devait toucher tous les publics, y compris ceux qui sont éloignés de la culture géographiquement, intellectuellement ou économiquement.

Quant aux personnes handicapées, personne n’en parle, pas même la Cour des comptes ! Je n’ai trouvé aucune mention de l’accessibilité universelle à la culture. Or nous allons bientôt fêter les vingt ans de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Et je ne parle pas seulement de l’accessibilité des fauteuils roulants. Je pense aussi aux personnes malentendantes et à tous ceux qui n’ont pas les moyens intellectuels d’accéder d’eux-mêmes à la culture.

Pouvez-vous vous engager, madame la ministre, à élargir la part collective du pass Culture à certains établissements qui font de la médiation pour emmener ces jeunes au spectacle ou encore au concert ?

Et si le pass Culture doit être mobilisé…

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, ma chère collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, les rapports publiés ne renferment pas que des reproches à l’encontre du pass Culture. Vous m’accorderez qu’ils mentionnent dans leurs conclusions l’intérêt de ce dispositif, y compris de sa part individuelle, pour favoriser l’accès à la culture des publics qui en sont éloignés.

Les chiffres que j’ai cités, et que le président Lafon a lui aussi rappelés, l’attestent : le pass Culture a favorisé un plus large accès à la culture de jeunes qui en avaient toujours été éloignés. Je parle, par exemple, à ces jeunes qui n’avaient jamais mis les pieds dans une librairie. C’est tout de même une avancée, et je ne veux pas me priver de ce dispositif.

Même si dix jeunes seulement étaient concernés, ce serait toujours dix jeunes de plus.

D’autres enjeux s’y ajoutent. Nous souhaitons tous lutter contre le séparatisme et le communautarisme, dont on connaît les ravages – certains ont d’ailleurs nié leur existence pendant trop longtemps – et qui conduisent à radicalisation. J’ai déjà travaillé sur ces sujets. Dans d’autres enceintes, j’ai même rapporté des textes qui en traitaient.

Que disent les jeunes radicalisés, qui, aujourd’hui, sont pour une bonne part derrière les barreaux ? Ils expliquent que la première étape de la radicalisation est de couper tout lien avec la culture, ce qui implique l’interdiction des livres, de la musique et des sorties, donc la fin des contacts et de la socialisation. En ce sens, le pass Culture me semble de force à rompre l’isolement des personnes concernées, ou de contrer les organisations qui les incitent à penser que la culture est dangereuse.

Nous devons donc améliorer la part individuelle du pass Culture, afin de toucher des publics qui n’ont pas l’habitude des pratiques culturelles.

L’accès à la lecture et au spectacle vivant – j’y insiste – est très important.

L’accès au spectacle vivant s’est élargi au cours du dernier trimestre, grâce au fléchage et à la médiation que nous avons mis en place. J’ajoute que les jeunes fréquentent beaucoup ce type de spectacles, en dehors même de l’utilisation du pass Culture. Il faut amplifier cette pratique, la renforcer et l’améliorer dans ce cadre.

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane.

M. Adel Ziane. Madame la ministre, je souhaite revenir un instant sur le spectacle du Puy du Fou.

Quand ce sujet a été évoqué, vous avez effectivement pu observer quelques sourires de notre côté de l’hémicycle. Pour autant, il s’agissait non pas de l’expression d’une quelconque ironie, mais d’une réaction à la manière somme toute très discrète dont notre collègue Brisson a formulé sa question.

M. Max Brisson. Toujours le sens de la nuance ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Adel Ziane. Nous savions bien, en effet, qu’il était question du Puy du Fou !

Pour ma part, je me suis rendu quinze fois au Puy du Fou, en raison de mes attaches familiales dans la région. Je connais par cœur tous les spectacles qui ont pu y être créés au fur et à mesure des années. Vous ne sauriez nous soupçonner d’un quelconque entre-soi ; nous n’exprimons que notre curiosité et nos questionnements… L’habit ne fait pas le moine, et nous avions envie de parler de ce sujet.

En tant qu’élu de la Seine-Saint-Denis et conseiller municipal de Saint-Ouen, je m’interroge sur un objectif bien précis du pass Culture : rendre la culture accessible à tous les jeunes, sans distinction sociale ou géographique – ce sujet a également été abordé par Marc Laménie.

Un premier bilan dressé par la Cour des comptes montre que le taux d’inscription flatteur de 84 % camoufle une réalité bien différente : seuls 68 % des jeunes issus des milieux populaires ont activé le pass. Loin de corriger les inégalités, ce dispositif tendrait donc à intensifier les pratiques culturelles de jeunes qui disposent d’un fort capital culturel familial.

Parmi les critiques adressées au pass Culture par la Cour des comptes, on peut citer les suivantes : une diversité culturelle limitée ; le faible taux de réservations, plus précisément 0,63 %, pour le spectacle vivant ; ou encore l’absence de médiation culturelle et de propositions gratuites.

Nous devons donc renforcer les partenariats avec les acteurs locaux – je pense à la fois aux librairies indépendantes, évoquées à plusieurs reprises au cours de ce débat, aux compagnies de théâtre et aux structures culturelles.

Vous avez reconnu les limites du dispositif et proposé des pistes pour avancer. Il nous semble que le ciblage des bénéficiaires est impératif. Comment accepter que le pass Culture, censé corriger les inégalités, échoue sur ce point ? Que comptez-vous faire pour qu’il devienne un levier de démocratisation culturelle, notamment dans les territoires les plus fragiles, comme les quartiers populaires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce constat. Vous êtes élu d’un département que je connais bien, où je me suis en outre rendue – vous le savez – pour soutenir et pérenniser des dispositifs culturels aux côtés des élus locaux.

Vous avez raison de parler des chiffres, et je vous rejoins au sujet de la reproduction sociale. À n’en pas douter, certains jeunes accèdent plus facilement que d’autres à la culture. On le constate déjà pour l’utilisation de l’application.

Ce taux de 68 %, sur lequel vous insistez, et qui est également cité par la Cour des comptes, correspond au nombre de jeunes issus des milieux populaires ayant activé le pass ; mais il prend pour base le niveau de diplôme des parents. Or la Cour précise que, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), 87 % des jeunes utilisent la part individuelle du pass Culture.

Ce taux est certes flatteur, mais la réalité est très inégale. Ce sont les jeunes qui bénéficient de l’environnement familial le plus favorisé qui y ont le plus recours.

Nous devons impérativement mettre un terme à cette inégalité. La réforme, que nous avons lancée avant le 1er janvier 2025, commence à porter ses fruits et je souhaite qu’elle prenne cette année son plein essor. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin.

Mme Pauline Martin. Dans le droit-fil de la question de Catherine Morin-Desailly, je souhaite rappeler que la commission des finances du Sénat a présenté en juillet 2023 un rapport d’information portant sur la question suivante : « Le pass Culture répond-il au défi de la diversification des pratiques culturelles ? »

Les rapporteurs, au-delà de leurs conclusions positives, s’interrogeaient sur ce risque induit par la part individuelle du pass : confirmer les habitudes culturelles des jeunes et produire un simple effet d’aubaine, au point de s’apparenter à une billetterie classique.

Le rapport de la Cour des comptes confirme cette intuition. La conséquence en est la grande discrétion de certains secteurs, comme le spectacle vivant ou le patrimoine – je le relève à mon tour.

Par ailleurs, nous nous sommes émus auprès du président de la SAS pass Culture que la pluralité, notamment dans l’offre de presse, soit si difficile à atteindre.

Comment peut-on, au travers du pass Culture, orienter les jeunes vers des offres diversifiées, avec une réelle volonté d’ouverture et de découverte culturelles, sans que l’ombre d’un doute persiste sur d’éventuelles dérives mercantiles, voire idéologiques ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Comme je l’ai dit, madame la sénatrice, nous allons rendre la presse éligible au dispositif.

Vous m’interrogez au sujet de la diversification de l’offre : la nouvelle réforme vise justement à diversifier les pratiques.

Enfin, la tranche d’âge éligible et les dotations ayant été quelque peu modifiées, nous commençons à observer une évolution des pratiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Vous avez en partie répondu à ma question, madame le ministre, ce qui n’est guère étonnant puisque je suis le quatorzième orateur à intervenir dans ce débat…

La Cour des comptes relève dans son rapport que, hormis la contribution des offreurs de la plateforme, laquelle représente environ 6 % du volume d’affaires global, le pass Culture est financé par l’État. Nous sommes loin de l’objectif initial d’un financement à hauteur de 20 % par l’État et de 80 % par d’autres biais !

En parallèle, les dépenses liées au pass Culture n’ont cessé d’augmenter, bondissant de 93 millions d’euros en 2021 à 244 millions en 2024.

Le cumul des dépenses de la part individuelle et de la part collective du pass Culture a augmenté de près de 50 % au cours des deux dernières années. Surtout, on constate que le coût de la part individuelle du pass est systématiquement supérieur aux dotations initiales. Selon la Cour des comptes, des arbitrages doivent être pris afin de mettre un terme à cette croissance non maîtrisée des dépenses.

La Cour a présenté trois pistes d’économies : réduire le montant du crédit alloué aux jeunes de 18 ans ; le soumettre à des conditions de ressources ; et cibler les bénéficiaires selon des critères sociaux ou territoriaux.

Par ailleurs, il semble souhaitable de transformer la SAS en opérateur public afin qu’un contrôle plus étroit de son action puisse être exercé par le ministère et par le Parlement. Que pensez-vous de ces options ?

Enfin, je rappelle que notre assemblée a acté le besoin d’économies du dispositif en opérant une ponction de 65 millions d’euros sur ses crédits lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Cette décision appelle des ajustements.