Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je confirme le constat que vous faites ; je l’ai moi-même dressé dès mon arrivée au ministère, avant la remise des rapports relatifs à cette question.

Les inégalités sociales semblent, en la matière, se réduire quelque peu. La petite expérimentation que nous avons conduite au cours du dernier trimestre révèle qu’en moins d’un an la fréquentation du spectacle vivant a augmenté de 30 %, notamment grâce à la médiation. C’est incontestablement un progrès.

Au sujet de la mobilité, une autre avancée mérite d’être saluée. J’ai envisagé d’inclure les frais dont il s’agit dans le pass lui-même. Mais, en procédant ainsi, l’on amputerait in fine la dotation dédiée à l’activité culturelle proprement dite. Or les enseignants eux-mêmes font valoir que toute diminution de cette dotation restreindrait leur accès à certains types de spectacles ou d’activités culturelles. Plutôt que de rogner la dotation du pass, j’ai donc opté pour la négociation avec les collectivités territoriales, en vue de conclure des conventions dédiées.

Vous évoquez la présence d’un référent dans les établissements scolaires. Dorénavant, tous les établissements en disposent, et les activités prises en charge par la part collective sont également mises en œuvre par ce biais. Cette fonction est d’ailleurs parfois assumée par l’enseignant lui-même.

Qu’ils exercent à Paris ou en zone rurale, les enseignants – j’en ai parlé avec eux – affirment qu’ils mettent assez peu de temps à identifier l’activité culturelle, mais bien davantage à trouver le moyen de transport. C’est donc sur ce levier qu’il convient d’agir.

La part collective relève de la responsabilité des enseignants, en qui nous avons toute confiance ; l’usage de la part individuelle doit quant à lui être éclairé par la médiation et l’accompagnement, dans lesquels il convient d’investir.

C’est pourquoi j’ai veillé à associer les acteurs de l’éducation populaire. J’entends également élargir les publics concernés en élargissant le dispositif aux élèves des lycées agricoles, à ceux des instituts médico-éducatifs (IME), ainsi qu’aux apprentis, qui n’en bénéficiaient pas.

En procédant ainsi, mon objectif est d’étendre le dispositif à un public qui n’accède pas naturellement à la culture.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel.

Mme Karine Daniel. Madame la ministre, je me réjouis que nous ayons ce débat cet après-midi ; nous avons traité de cette question en commission lors de l’examen du budget et, sur mon initiative, nous avons pu y consacrer une table ronde. Je remercie d’ailleurs les collègues sénatrices qui y ont participé,… (Exclamations amusées sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Robert. En effet, il n’y avait que des sénatrices !

Mme Karine Daniel. … ainsi que toutes les parties prenantes. Nous avons en effet invité tous les partenaires, de tous les secteurs, ainsi que des jeunes.

Cette table ronde nous a permis de bousculer certaines idées reçues : contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, contrairement à ce qu’affirme tel ou tel rapport, le pass Culture ne fait pas que conforter les habitudes culturelles des jeunes.

Ainsi, les jeunes sont très attachés au principe d’universalité. La médiation a été évoquée, et elle a bien sûr toute son importance ; mais les premiers prescripteurs en matière culturelle restent les jeunes eux-mêmes. Il faut insister, à cet égard, sur les pratiques collectives favorisées par le volet individuel du pass : bien des jeunes, par exemple, vont voir un spectacle ensemble.

Les libraires nous ont vivement interpellés : ils constatent l’arrivée de nouveaux jeunes, grâce au pass Culture. Et souvent ces derniers repartent avec autre chose que ce qu’ils étaient venus chercher, ce qui me paraît très positif.

Il y a évidemment des améliorations à apporter au pass, d’autant que l’heure est aux économies. Mais, maintenant que le dispositif est lancé, mieux vaut selon nous cibler le fonctionnement de la SAS que les crédits destinés aux jeunes.

Enfin, il faut que le secteur de la création soit en mesure de répondre aux demandes exprimées par les jeunes eux-mêmes au sujet du pass Culture. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, j’abonde dans votre sens. D’ailleurs, j’ai moi-même dressé ce constat lors de mon audition. Nos conclusions convergent, et j’ai comme vous la volonté de préserver la part individuelle du pass Culture.

Je l’avais souligné : les libraires nous font savoir que, grâce au pass Culture, les jeunes franchissent souvent leur porte pour la première fois et repartent avec des ouvrages différents de ceux qu’ils avaient initialement en tête. C’est aussi le rôle de la médiation : recommander certains ouvrages aux jeunes, leur faire découvrir d’autres littératures et, plus largement, d’autres lectures.

D’autres utilisateurs se servent du pass pour acquérir des manuels qu’ils n’auraient pas les moyens d’acheter autrement.

Que l’on parle de la librairie, du cinéma ou du spectacle vivant, la prescription émane de l’acteur culturel ; mais, vous avez raison, elle est aussi le fait des jeunes eux-mêmes.

C’est la raison pour laquelle nous insistons sur l’éditorialisation et sur les jeunes ambassadeurs, qui, au même titre que la géolocalisation, ont été récemment ajoutés à l’application. Un jeune Marseillais souhaite connaître les activités culturelles proposées près de chez lui, non celles qui se trouvent à Paris. Il s’agit là, indéniablement, de nouvelles avancées.

Au sujet des frais de fonctionnement, vous avez raison. C’est bien pourquoi nous souhaitons transformer la SAS pass Culture en opérateur.

J’ai réformé de fond en comble la gouvernance de cet acteur, y compris le comité stratégique, que vous connaissez mieux et depuis plus longtemps que moi. Je ne voyais pas le lien de certains de ses membres avec l’accès à la culture.

Puisqu’il faut cibler les populations les plus éloignées de la culture, je vais faire venir au comité stratégique des représentants des lycées professionnels et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). La Défenseure des droits avait fait des recommandations en ce sens. Vous le constatez, nous sommes totalement d’accord !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe Union Centriste d’avoir demandé la tenue de ce débat.

Je connais bien le pass Culture, qui a bénéficié à plus de 4 millions de jeunes, et je fais miens les propos de Mme la ministre et du président Laurent Lafon.

Ce dispositif suscite un certain nombre de critiques. Je pense notamment au niveau de rémunération du personnel chargé de sa mise en œuvre. Je pense aussi à la croissance non maîtrisée des crédits budgétaires de la part individuelle, qui sont passés de 92 millions d’euros en 2021 à 244 millions d’euros en 2024.

D’autres dysfonctionnements encore ont été signalés. Ainsi, 16 millions d’euros ont bénéficié à des jeux d’évasion. On déplore, en parallèle, que le pass Culture ne touche pas suffisamment les classes populaires.

Pour ma part, je tiens à insister sur les inégalités territoriales. En effet, le pass Culture semble se heurter aux réalités du monde rural, marqué par le manque d’infrastructures culturelles, les difficultés d’accès au numérique et les problèmes de mobilité. Les jeunes ruraux n’ont pas accès aux mêmes offres que les jeunes citadins, vivant près des grands centres culturels.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les actions prévues spécifiquement pour les jeunes des territoires ruraux, afin de favoriser l’égalité dans l’accès à la culture ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, si le budget du pass Culture a augmenté, c’est parce que le nombre de bénéficiaires a été multiplié par trois !

Nous avons entrepris de lisser le dispositif. Il ne s’agit pas d’exclure tels ou tels jeunes, mais d’opérer une distinction plus claire entre la part collective, destinée aux collégiens et lycéens, laquelle fonctionne bien, et la part individuelle, qui s’adresse aux jeunes de 17 à 18 ans. Ainsi, un montant important reste alloué à la part individuelle, sans déperdition pour la tranche qui bénéficie de la part collective.

Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’interroger des jeunes à ce sujet. Tous le soulignent : c’est au moment où ils ont le plus besoin de ce dispositif qu’ils n’y ont plus accès ! Nombre d’entre eux ne l’ont pas utilisé les premières années, et, lorsqu’ils veulent s’en servir, la part est réduite. C’est pour cela que nous voulons cibler les 17-18 ans, en leur donnant une part un peu plus importante.

Comme vous le savez, les salaires des personnels chargés de la mise en œuvre du pass Culture sont fixés par Bercy. Quant aux frais de fonctionnement, ils sont, à ce jour, inférieurs à 10 %.

Le changement de statut entraînera la refonte du comité stratégique. Cette réforme permettra probablement d’améliorer la gouvernance, en vue d’une plus grande efficacité. Ainsi, ce dispositif bénéficiera davantage aux jeunes pour favoriser leur accès à la culture.

Enfin, vous m’avez interrogée sur les dispositifs d’accès à la mobilité et à l’offre culturelle en milieu rural. Mais l’offre culturelle est bien présente dans ces territoires !

Je me suis récemment rendue dans un territoire extrêmement rural. Les jeunes que j’y ai rencontrés me l’ont dit : il leur est parfois plus facile de se rendre à Disneyland, en prenant le TGV, que d’aller voir une pièce de théâtre jouée par une petite compagnie non loin de chez eux.

Ainsi, en favorisant l’accès à la culture au travers de la part collective ou individuelle, nous consoliderons les petites structures culturelles locales. Des compagnies de théâtre nées dans le Jura, financées et soutenues localement, soulignent qu’elles vivent grâce au public scolaire et aux jeunes locaux.

Renforcer la mobilité est aussi un moyen de faire venir les jeunes.

Mme la présidente. Madame la ministre, il faut conclure.

Mme Rachida Dati, ministre. À cet égard, nous agissons en partenariat avec les collectivités territoriales, ainsi que dans le cadre du plan Culture et ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Encore merci à nos collègues de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, que je sais particulièrement engagés sur ces sujets. (M. Cédric Chevalier acquiesce.)

Madame la ministre, vous le savez : le soutien à la ruralité, l’équité entre tous les territoires, urbains comme ruraux, font partie de nos priorités. (Mme Monique de Marco applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Madame la ministre, le 17 janvier dernier, lors des débats budgétaires, j’ai appelé votre attention sur la mise à l’écart de certains spectacles pourtant plébiscités par le public.

À cette occasion, je vous ai interpellée sur les modalités d’éligibilité des manifestations et spectacles au dispositif du pass Culture. J’ai notamment pointé du doigt l’entre-soi que trahit le choix de spectacles retenu. Vous m’avez répondu que les membres du comité de stratégie entretenaient parfois une « certaine reproduction sociale », avant d’ajouter que, « à la limite, ils se font plaisir ».

C’est certain : ces dirigeants usent trop souvent de leurs responsabilités pour se faire plaisir. Est-ce vraiment leur rôle d’imposer leurs goûts personnels comme règle de droit, en omettant trop souvent les attentes réelles du public ? Est-ce vraiment leur rôle d’exposer de la sorte le pass Culture à des polémiques qui dégradent l’image d’une initiative pourtant appréciée des Français ?

Lors du débat budgétaire, vous avez déclaré vouloir réorganiser ce comité et son mode de fonctionnement. Vous venez de nous indiquer les voies de transformation de ce dispositif et de ce comité. Cela va dans le bon sens. (M. Francis Szpiner acquiesce.) Il était également nécessaire d’affiner les critères d’éligibilité.

Toutefois, les membres du nouveau comité seront-ils bien conduits à s’ouvrir à l’ensemble des manifestations culturelles, y compris celles qui peuvent leur déplaire ? Les modalités d’éligibilité sont-elles bien revues et explicitement énumérées pour préserver le pass Culture de toute polémique à l’avenir ? Pouvez-vous nous donner des précisions quant au calendrier de ces évolutions ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, pour le spectacle dont nous avons parlé la dernière fois, une première demande d’éligibilité avait été émise, couvrant l’ensemble du parc en question. Une réponse défavorable avait été apportée, les parcs d’attractions n’étant pas éligibles au pass Culture, contrairement aux spectacles. Ce parc avait alors adressé une nouvelle demande, sans obtenir de réponse.

Je me suis engagée à étudier ce cas. Je peux désormais vous annoncer que le spectacle du Puy du Fou est éligible au pass Culture. La réponse est donc claire. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme Colombe Brossel. Ça valait le coup d’organiser un débat…

Mme Rachida Dati, ministre. On peut vous inviter… (Sourires.)

Mme Sylvie Robert. Allons-y ensemble !

M. Adel Ziane. J’y suis allé quinze fois !

Mme Rachida Dati, ministre. Mais pour nous tous, le pass Culture, c’est trop tard ! (Nouveaux sourires.)

À propos des critères d’éligibilité, vous avez raison, la transparence et l’objectivité doivent être renforcées. Ces critères seront revus en ce sens et pourront vous être communiqués, en toute transparence.

Le comité stratégique sera également refondu.

Enfin, vous évoquez le calendrier. Le changement de présidence a eu lieu, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ayant récemment rendu la décision que nous attendions. Quant à la refonte du comité stratégique, elle est en cours. Ces évolutions sont donc imminentes.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Madame la ministre, merci des changements apportés au pass Culture et de vos réponses très précises relatives au calendrier. Comme quoi, les débats budgétaires au Sénat ont leur utilité ! Quant aux sourires appuyés que j’ai vus à la gauche de l’hémicycle, ils renvoient à cet entre-soi dont nous avons parlé ensemble…

Mme Rachida Dati, ministre. Vous n’avez pas totalement tort !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la ministre, 2024 restera une année record, non seulement pour le cinéma français, mais aussi pour le tourisme, grâce aux jeux Olympiques et à notre patrimoine.

En 2023, on a vendu dans notre pays plus de livres qu’au cours des années pré-covid. Jamais il n’y a eu tant d’intermittents qu’en 2022. Or ces derniers font notamment vivre les festivals dans nos départements.

Le pass Culture, qui s’inscrit dans le champ des politiques de soutien au secteur culturel, a connu un certain nombre d’ajustements depuis son expérimentation.

Dans un rapport de décembre 2024, le président de la Cour des comptes constatait son « appropriation massive par les jeunes », en soulignant que « l’objectif de démocratisation culturelle reste, en revanche, à atteindre ». Les 16 % de jeunes non entrés dans le dispositif correspondent aux publics les moins familiers des pratiques culturelles.

Le Sénat a lui-même observé que, si 20 % des jeunes sont non scolarisés, les intéressés ne représentent que 7 % des utilisateurs du pass. Il existe donc des déséquilibres sociaux.

En Bretagne, territoire d’expérimentation du pass Culture dans sa phase d’amorçage, le taux de couverture des plus de 18 ans s’élève à 90 %. Au titre de la part collective, près de 95 % des établissements scolaires y sont engagés dans une action au moins. C’est là le fruit d’un dialogue entre élus, directions régionales des affaires culturelles (Drac) et rectorat.

Dans cette région, dont je suis l’élue, les bénéficiaires sont les grandes librairies indépendantes et, bien entendu, le festival des Vieilles Charrues, à Carhaix. À cet égard, les résultats obtenus sont remarquables. Toutefois, des disparités, territoriales cette fois, existent aussi. Elles restent, pour notre groupe, un point de vigilance que Bernard Buis a déjà évoqué ici même lors des débats budgétaires.

Alors que les grandes villes concentrent l’essentiel des offres, la problématique de la mobilité culturelle s’impose aux jeunes ruraux.

À l’heure où vous engagez la réforme du pass Culture, ne vous paraît-il pas primordial de faciliter l’accès aux lieux culturels eux-mêmes pour les jeunes qui en sont les plus éloignés ? Vous avez évoqué des formes de coopération avec les collectivités territoriales pour la prise en charge des transports. Sont-elles déjà mises en œuvre ? Si oui, dans quels territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. La première région pour l’utilisation du pass Culture, c’est la Bretagne.

Mme Sylvie Robert. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, ministre. Or la Bretagne regroupe de nombreux territoires ruraux.

Je l’ai dit, en matière de mobilité, des conventions sont conclues avec les collectivités territoriales.

Au cours de mes déplacements, j’ai pu mesurer la richesse de notre vie culturelle locale. À ceux qui prétendent que certains territoires sont dépourvus d’offre en la matière, je réponds : c’est faux ! Il n’y a pas de désert culturel.

Par ailleurs, en favorisant la mobilité, on garantit la soutenabilité financière et matérielle de l’offre culturelle ; on renforce donc l’offre culturelle. La géolocalisation nous permettra en outre d’identifier les lieux où il est nécessaire de soutenir la mobilité.

Nous avons par exemple découvert que des plateformes de covoiturage locales étaient expérimentées, avec de bons résultats. Nous souhaiterions les généraliser. Certains jeunes, en particulier, proposent du covoiturage en période de festivals. C’est un autre moyen de développer la mobilité.

Si j’en crois les dernières évaluations, 66 % des jeunes ont découvert une nouvelle pratique culturelle grâce au pass Culture. Nous devons donc renforcer toutes les dimensions du dispositif qui ont fait leurs preuves. À ce titre, la géolocalisation, le développement de la mobilité et le soutien des acteurs culturels locaux, notamment en milieu rural, jouent un rôle indispensable. Indépendamment du pass Culture, ces chantiers bénéficient d’un accompagnement dédié dans le cadre du plan Culture et ruralité.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Depuis sa création en 2019, son élargissement et sa généralisation en 2021, le pass Culture a été plébiscité par les jeunes. Plus de 50 % des jeunes de 15 ans et 84 % des jeunes de 18 ans l’utilisent.

La gratuité auquel ce dispositif donne droit permet de s’ouvrir à d’autres horizons culturels. On le constate surtout pour la part collective. Même s’il n’a pas permis, à lui seul, de corriger les inégalités liées à la catégorie socio-professionnelle, le pass Culture contribue à une certaine démocratisation culturelle.

Les libraires, notamment, indiquent qu’un nouveau public est apparu avec le pass Culture, lequel leur reste fidèle par la suite, même lorsque les crédits du pass sont épuisés.

Néanmoins, plusieurs reproches sont adressés au pass Culture. Certains critiquent notamment une reproduction des habitudes de consommation ; d’autres déplorent que la part collective soit insuffisamment utilisée ou connue.

Madame la ministre, vous avez annoncé vouloir que les usagers du pass se tournent davantage vers les libraires indépendants, la presse écrite et le spectacle vivant, en prévoyant qu’une partie de la somme du pass soit réservée à ce dernier domaine. Or certains jeunes vivent dans des zones dites blanches, où peu d’infrastructures culturelles existent. Ils évoquent l’obstacle que représentent la faiblesse et le coût de l’offre de transport.

Vous avez déjà partiellement répondu à ma question. Néanmoins, au-delà des crédits évoqués, qu’envisagez-vous pour remédier aux difficultés matérielles d’accès à la culture ?

La différenciation du montant du pass, selon la condition économique de l’utilisateur, compte parmi les pistes avancées. Pour ma part, il me semble nécessaire de préserver l’universalité et l’unicité du dispositif : ce faisant, on évitera le non-recours aux aides par peur d’une stigmatisation.

C’est aussi parce qu’il est égalitaire que le pass fonctionne. Surtout, il constitue pour certains la première expérience de gestion d’un budget et une liberté d’expression culturelle, à l’abri de tout regard condescendant.

Pouvez-vous nous assurer que vous continuerez à défendre le pass Culture ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur moi pour continuer à le défendre, tout comme l’accès à la culture en général. C’est d’ailleurs un combat qui dépasse mon seul ministère.

L’accès à la culture, c’est aussi l’accès aux droits fondamentaux.

À ce propos, j’échangeais ce matin avec les directeurs généraux et chefs de service du ministère de la culture. Ma récente annonce relative aux actions culturelles dans les campings a pu faire sourire, alors qu’il s’agit du lieu d’hébergement préféré des Français pendant leurs vacances. Certains semblent se pincer le nez, et je le déplore… Comme dirait votre collègue Max Brisson, j’y vois un entre-soi quelque peu méprisant. Les campings sont des lieux de vie et de villégiature : c’est une réalité. Il faut donc que la culture y soit présente aussi.

Dans un tout autre ordre d’idées, les femmes, notamment les plus jeunes, manquent trop souvent d’information sur l’avortement et la contraception. Les centres de protection maternelle et infantile (PMI), où elles se rendent pour être accompagnées, doivent eux aussi devenir des lieux d’accès à la culture, ne serait-ce qu’en proposant des livres ou des documentaires rappelant à ces jeunes femmes leurs droits.

J’indiquais que certains étudiants en droit utilisent le pass Culture pour acheter le code civil. Il faut encore y ajouter divers documents d’accès aux droits fondamentaux. J’y insiste, le combat dont nous parlons dépasse largement le champ culturel, considéré stricto sensu.

Nous ne pouvons pas flécher de crédits vers les libraires indépendants. Toutefois, la géolocalisation pourra leur bénéficier. Les jeunes ne connaissent pas forcément toutes les petites librairies du coin : dès lors, ils ont souvent tendance à aller vers les grandes enseignes. La géolocalisation nous aidera à renforcer l’information.

Enfin, le règlement européen relatif aux aides à la presse ne permet pas, pour l’heure, que la presse soit éligible au pass Culture. J’y suis néanmoins favorable, et nous y travaillons.

Notre réforme devrait donc répondre à vos différentes préoccupations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je suis arrivée ici pleine de certitudes acquises en commission des finances. J’avais en tête le coût du pass Culture, le nombre d’équivalents temps plein (ETP) que ce dispositif représente, le manque de compléments de financement ou encore l’orientation de certains choix rappelés par M. Brisson. Mais après avoir écouté le président Lafon, puis vous-même, défendre ce dispositif avec vigueur, je me dis que les chiffres ne sont pas tout. Peut-être faut-il bien prolonger le pass Culture, que vous soutenez avec tant d’énergie !

En outre, je tiens à le rappeler, il n’y a pas qu’en Bretagne que le pass Culture est utilisé. Catherine Morin-Desailly et Sonia de La Provôté, comme moi élues de Normandie, vous confirmeront que le pass Culture a été développé par notre belle région. (Sourires.)

Quoi qu’il en soit, tout à l’admiration que m’inspire votre énergie, je dois changer mon fusil d’épaule. (Mme Sonia de La Provôté sourit.) Vous avez répondu par avance à toutes les critiques que j’adressais à ce dispositif, en expliquant que vous entendiez revoir le comité stratégique, faire évoluer les financements et lutter contre les inégalités territoriales.

Telle la cigale de la fable, vous me voyez prise au dépourvu : je n’ai plus de reproche à adresser au pass Culture ! (M. Pierre Ouzoulias sourit.) Ma question est donc, tout compte fait, la suivante : comment entendez-vous coordonner le nouveau dispositif avec les régions et les départements ?

M. Max Brisson. Très bonne question !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la sénatrice, il ne s’agit pas d’engagements que je prends, mais d’actions d’ores et déjà engagées.

Nous nous connaissons depuis un certain temps : vous le savez, je m’empresse toujours de faire ce que je préconise, soucieuse d’agir aussi vite que possible.

Ainsi, en 2024, avant de modifier la gouvernance, le comité stratégique et les critères, nous avons lancé plusieurs expérimentations. Mes déplacements m’ont aussi permis de nouer des partenariats. En témoigne le premier contrat de territoire que j’ai signé avec le département de Charente-Maritime.

Le plan Culture et ruralité va dans le même sens. Il inclut même le patrimoine : il renforce non seulement les effectifs, mais aussi les financements de diverses structures chargées de le protéger, comme les unités départementales de l’architecture et du patrimoine (Udap). Plus vous protégez les sites patrimoniaux, qui sont aussi des lieux de culture, plus vous en élargissez l’accès.

Un certain nombre de points ont été critiqués, à juste titre ; mais ils ont tous été revus. Nous avons une nouvelle présidente. La composition du comité stratégique est en train d’être affinée et nous avons expérimenté un certain nombre de critères.

Nous avons également consacré des expérimentations aux nouvelles formes de mobilité, pas en Normandie, où le dispositif fonctionne très bien, mais dans le Grand Est…

Mme Rachida Dati, ministre. … et en Bretagne, pour ne citer que ces deux régions. Elles vont du soutien aux plateformes de covoiturage à la création de dispositifs dédiés aux festivals.

C’est pour cela que les contrats de territoire sont faits sur mesure et dotés des moyens nécessaires. Sinon, tout cela reste de beaux principes… Or je ne vous parle pas de principes, mais d’actions.

L’ensemble de ces mesures ont été longuement expérimentées. Si je me suis battue pour éviter toute réduction de la part individuelle du pass, c’est précisément pour déployer ces nouvelles dispositions. En un seul trimestre, elles ont favorisé l’accès à la culture des jeunes qui en ont le plus besoin, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain, où, bien que l’offre soit plus dense, certains publics sont moins faciles à atteindre.