Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, vous êtes comme moi élue d’Ille-et-Vilaine ; et j’ai, comme vous sans nul doute, une pensée pour les Bretilliens qui sont actuellement sous l’eau – nous ne manquerons pas d’aller à leur rencontre dans les jours qui viennent.
Madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la manière dont s’est construite cette proposition de loi. Le travail mené est à l’image de ce qu’est parfois – pas toujours – le Sénat. Il s’agit d’un bel exemple de coconstruction législative.
J’en remercie tout d’abord mes collaborateurs et collaboratrices, anciens comme présents. Je salue aussi notre rapporteur, Bernard Buis, qui a tout de suite cru en cette proposition de loi et a su prendre le problème dont il s’agit à bras-le-corps. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)
Je remercie également l’administrateur de la commission qui nous a plus spécialement accompagnés ; sans doute l’avenir de nos haies est-il cher à son cœur de Breton. (Sourires.)
M. Daniel Salmon. Son travail a permis de construire les passerelles nécessaires à l’aboutissement d’un texte qui, je l’espère, fera l’unanimité.
J’ai une pensée pour mes collègues du groupe écologiste, que je bassine depuis un bon moment avec mes haies – microbassine, dirait l’un d’eux… (Sourires.) Ils ont compris que le seul moyen d’être libérés était d’inscrire ma proposition de loi à l’ordre du jour de notre niche parlementaire. Je les en remercie sincèrement ! (Nouveaux sourires.)
Je remercie Mme la présidente de la commission des affaires économiques, dont le regard bienveillant nous a lui aussi permis d’avancer ensemble.
Enfin, nous avons reçu des concours venant de différents groupes, y compris le groupe Les Républicains – comme quoi, tout est possible ! Merci à tous de nous avoir aidés à défendre la restauration des haies. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Lucien Stanzione et Marc Laménie applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour explication de vote.
M. Cédric Chevalier. Cher Daniel Salmon, nous tenons à vous féliciter, même si nous ne voterons pas ce texte… (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Nous nous abstiendrons !
Nous saluons le travail que vous avez accompli, au sein de la commission et au-delà. Votre proposition de loi offre une belle image du travail parlementaire. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault, pour explication de vote.
M. Vincent Louault. Vous pouvez être fier de vous, cher Daniel Salmon : tout le monde est d’accord pour protéger la haie !
Pour ma part, vous le savez, je ne cesse de combattre la complexification administrative. Aujourd’hui, vous avez pu compter sur notre bienveillance : j’espère bien que vous nous rendrez la pareille pour les dossiers qui arriveront dans quelques jours. (Rires sur les travées des groupes INDEP et GEST.) Nos débats n’auront sans doute pas la même tonalité, et Mme la ministre le sait bien… Ce moment de légèreté est d’autant plus précieux.
Nous pouvons donc être fiers du travail accompli ce matin au Sénat. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Lucien Stanzione, pour explication de vote.
M. Lucien Stanzione. Je félicite Daniel Salmon de son initiative et remercie M. le rapporteur de son travail. Puissions-nous retrouver une telle unanimité la semaine prochaine ! Nous avons, en effet, encore beaucoup à faire.
Les élus du groupe socialiste sont heureux d’avoir pu s’associer à ce texte, qui prépare l’avenir. (M. Guillaume Gontard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Tout d’abord, je tiens à saluer Bernard Buis, qui exerçait pour la première fois les fonctions de rapporteur en séance publique : bravo à lui ! (Applaudissements.)
Mon cher collègue, fort de votre sagesse et de votre esprit d’ouverture, vous avez travaillé en bonne intelligence avec Daniel Salmon, auteur de la proposition de loi.
De même, vous avez su associer à votre démarche un certain nombre de membres de la commission des affaires économiques appartenant à la majorité sénatoriale. Je pense en particulier à Laurent Duplomb et à Franck Menonville, qui, nonobstant leur intransigeance, ont salué l’esprit foncièrement incitatif, et non coercitif, de cette proposition de loi. C’est en procédant ainsi que nous changerons le regard sur les haies.
La réunion de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de finances pour 2025 est en cours ; espérons que le crédit d’impôt proposé soit maintenu à son issue. (M. Daniel Salmon acquiesce.) C’est notamment grâce à de telles incitations que les agriculteurs cesseront d’assimiler les haies à des charges. Et, sans ce crédit d’impôt, la proposition de loi de Daniel Salmon deviendrait malheureusement une coquille vide.
Le présent texte poursuivra son cheminement législatif dès la semaine prochaine, avec le projet de loi d’orientation agricole. En effet, en accord avec ses rapporteurs, Laurent Duplomb et Franck Menonville, ses dispositions pourraient y être inscrites à l’article 14.
M. Olivier Paccaud. Tout à fait !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Nous aurons à cœur d’en débattre, en espérant que le crédit d’impôt survive à la commission mixte paritaire.
Ce travail constructif en est l’illustration : sur des sujets qui, pour être discrets, ne sont pas pour autant anodins, le Sénat sait s’unir, sans opposer l’économie et l’environnement.
Madame la ministre, je tiens à vous remercier de votre sens de la précision. Vous faites montre de votre implication dans tous vos dossiers, même si la forêt n’a que récemment été adjoint à votre portefeuille ministériel. Je me dois, enfin, de saluer vos services, sans oublier les fonctionnaires de la commission des affaires économiques. (Bravo ! et applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je salue tout d’abord M. le rapporteur Bernard Buis et M. le sénateur Daniel Salmon. Je forme le vœu que l’esprit de concorde et de coconstruction, éminemment transpartisan, qui plane sur cet hémicycle inspire d’autres enceintes, au service des Français… (Sourires.)
C’est un bon moyen d’avancer, en particulier quand il s’agit de la transition écologique et énergétique. À cet égard, on a entendu, au cours des dernières semaines et même des derniers jours, bien des propos inquiétants, car contraires à la science. Je suis heureuse de constater qu’ici c’est la science qui nous inspire collectivement. Merci à tous ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 184 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 323 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Quel avenir pour le pass culture ?
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur le thème « Quel avenir pour le pass Culture ? »
Dans le débat, la parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe auteur de la demande.
M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, fer de lance de la politique d’accès des jeunes à la culture depuis sa création en 2019 et sa généralisation en 2021, le pass Culture est régulièrement ausculté et audité. C’est bien le signe que son efficacité pose question.
De nombreux rapports, ces derniers mois, ont pris acte du succès, mais aussi des limites d’un outil créé pour démocratiser l’accès à la culture et rajeunir les publics, outil dont l’opérateur est devenu, en moins de cinq ans, le deuxième du ministère de la culture. Autant dire, madame la ministre, que ces résultats représentent un véritable enjeu – je sais d’ailleurs vous en avez pleinement conscience.
En juillet 2023, nos collègues de la commission des finances Vincent Éblé et Didier Rambaud ont ainsi posé ce diagnostic en demi-teinte : les résultats du pass Culture sont jugés satisfaisants sur un plan quantitatif, mais insuffisants pour diversifier les pratiques culturelles des utilisateurs.
Un an plus tard, l’inspection générale des affaires culturelles (Igac) dressait un constat similaire, mettant à son tour en doute la capacité du pass Culture à atteindre ses objectifs de service public.
En décembre dernier, la Cour des comptes a étayé ce constat et confirmé les nombreuses limites du dispositif, en insistant sur son dérapage budgétaire.
Au Sénat, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport s’est toujours montrée dubitative quant à ce choix. Une telle politique de l’offre entretient en effet une approche consumériste de la culture, peu compatible avec les objectifs de démocratisation et de diversification culturelles.
Jean-Raymond Hugonet, chargé dès 2018 d’animer un groupe de suivi à ce sujet, puis Sylvie Robert et Karine Daniel, nos rapporteurs pour avis sur les crédits des programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », se sont fait successivement l’écho de ces doutes, qui dépassent largement les clivages partisans de notre assemblée.
Ainsi, à mesure que le pass Culture montait en charge, notre commission a régulièrement pointé le risque suivant : que ce simple outil de politique culturelle ne devienne la principale, voire l’unique politique publique culturelle menée à l’égard des jeunes, au détriment d’autres actions, comme l’éducation artistique et culturelle (EAC), à laquelle nous sommes tous, sur ces travées, particulièrement attachés.
Le pass Culture semble donc avoir échoué à être le sésame de la démocratisation et de la diversification des pratiques culturelles des jeunes. Sa suppression pure et simple, évoquée par certains, serait toutefois irréaliste et surtout préjudiciable à nombre de secteurs culturels.
Tout d’abord, l’outil est désormais mis en œuvre et plébiscité : 94 % des jeunes s’en sont saisis. Ceux qui ont été auditionnés à l’occasion d’une table ronde dédiée au pass Culture dans le cadre de nos travaux budgétaires ont souligné combien ils appréciaient l’autonomie et la liberté de choix que ce dispositif leur offrait. Cette poche de liberté permet à certains d’entre eux de rompre avec le déterminisme culturel de leur environnement social et éducatif.
Ensuite, le pass Culture a donné un nouvel élan à la lecture chez les jeunes. Il s’agit de l’activité privilégiée par les 15-20 ans sur leur part individuelle, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Les libraires en témoignent : tous ont vu des jeunes franchir pour la première fois leur porte, écouter leurs conseils de lecture et revenir une fois le pass utilisé.
Enfin, il serait de mauvaise politique de supprimer d’un trait de plume 200 millions d’euros consacrés chaque année à des opérateurs culturels. Étant donné l’état actuel de nos finances publiques, rien ne garantit que Bercy les réattribuerait au ministère de la culture.
Parmi les secteurs qu’une suppression du pass Culture pourrait fragiliser, chacun pense évidemment aux librairies, que je viens d’évoquer. S’y ajoutent certaines salles de spectacle et certains cinémas indépendants : leur rentabilité leur permet à peine de survivre et de continuer, ce faisant, à animer nos territoires.
Madame la ministre, vous avez eu le courage d’ouvrir la voie à une réforme de ce qui constitue, au même titre que le service national universel (SNU), un totem présidentiel. La refonte que vous avez appelée de vos vœux il y a quelques semaines nous offre aujourd’hui, à la faveur de ce débat inscrit à l’ordre du jour du Sénat par le groupe Union Centriste, l’occasion de réfléchir collectivement aux modalités d’un recalibrage à la fois stratégique et budgétaire du pass Culture.
Quels contours cette réforme pourrait-elle prendre ? Le principe de libre choix des jeunes, qui constitue l’essence même du volet individuel du pass, doit sans doute être préservé, même si des ajustements ne sont pas exclus.
L’option d’une enveloppe exclusivement dédiée à certaines esthétiques culturelles, que vous avez mise à l’étude, ne garantit pas, à elle seule, la diversification des pratiques. Sans accompagnement spécifique à même de susciter leur curiosité, les jeunes pourraient ne pas s’en saisir.
Les montants de la part individuelle doivent assurément être repensés : il y a trop d’écart entre ceux qui sont versés à 15, 16 et 17 ans et ceux qui sont versés à 18 ans. Un lissage s’impose.
Vous souhaitez également que le montant soit modulé en fonction des ressources. Cette piste nous semble intéressante, même si elle présente certaines difficultés techniques de mise en œuvre. Peut-être pourrez-vous nous dire, cette après-midi, comment vos services ont avancé sur ce sujet.
Cette mise sous condition de ressources ne suffira bien sûr pas à combattre les inégalités sociales d’accès à la culture. Là encore, des mesures d’accompagnement par les tiers seront incontournables. C’est pourquoi les membres de notre commission vous le disent avec force : le développement de la médiation culturelle est un préalable indispensable à toute réforme du pass Culture. Nous attendons donc, de votre part, des garanties sur ce volet jusqu’ici trop négligé.
Un autre sujet nous préoccupe : l’accès aux infrastructures culturelles pour les jeunes qui en sont éloignés, notamment dans les territoires ruraux. La prise en charge des frais de transport fait-elle partie des options retenues, ou souhaitez-vous, à ce titre, engager un dialogue avec les collectivités territoriales ?
Par ailleurs, le continuum entre la part individuelle et la part collective doit être retravaillé, car celles-ci se nourrissent l’une l’autre. Sur ce sujet, avez-vous d’ores et déjà avancé avec votre collègue chargée de l’éducation nationale ?
Enfin – nous tenons à le rappeler en tant que représentants des élus locaux –, la coordination avec les collectivités territoriales fait partie des points sur lesquels le ministère de la culture doit rester vigilant.
Nous nous étions réjouis de la création du fonds d’innovation territoriale, qui donnait aux directions régionales des affaires culturelles (Drac) la possibilité de soutenir des initiatives culturelles décloisonnées et adaptées au contexte des différents territoires.
Ce fonds visait à répondre à une proposition émise par Sonia de La Provôté et Sylvie Robert dans leur rapport dressant le bilan des crédits de relance dans le domaine de la création.
Toutefois, les moyens dont ce fonds est doté restent modestes. Au-delà, nous craignons que ce dispositif n’apporte pas de solution face au risque de désengagement des collectivités lié à la montée en puissance du pass Culture.
Nous en restons convaincus : le soutien à la création, à l’éducation artistique et culturelle et aux établissements d’enseignement passe par un dialogue approfondi entre État et collectivités territoriales, ainsi que par le développement de nouvelles modalités de contractualisation.
Je conclus par une remarque d’ordre financier. Lors de la discussion budgétaire, le Sénat a défendu un rééquilibrage à la baisse des crédits du pass Culture, dont le montant était devenu presque indécent au regard des moyens accordés à d’autres opérateurs culturels.
Nous ne pouvions pas, en revanche, agir sur le budget de la société par actions simplifiée (SAS) pass Culture, qui échappe pour le moment à tout contrôle du Parlement. Nous donnerez-vous l’assurance, madame la ministre, que cette structure sera enfin ajoutée à la liste des opérateurs de l’État ?
Le pass Culture mérite un avenir moins houleux que ses premières années de vie, à condition, bien entendu, qu’il soit repensé. Je ne doute pas que notre débat y contribuera. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président Lafon, mesdames, messieurs les sénateurs, le groupe Union Centriste a proposé de débattre aujourd’hui de l’avenir du pass Culture, et notamment de sa part individuelle. Cette demande a fait l’unanimité au sein de votre assemblée, et je m’en suis moi-même félicitée.
Au sujet du pass Culture, beaucoup d’entre vous m’ont fait part, lors de ma première audition devant votre commission, de leur insatisfaction, voire de leurs vives critiques. Je les entends – j’en exprime d’ailleurs certaines depuis mon arrivée au ministère. Mais, comme l’a très justement rappelé M. Lafon, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il convient de revenir à l’ambition initiale du pass Culture pour saisir tous les enjeux d’un dispositif que nous aurions bien tort de supprimer, et la manière dont il peut véritablement remplir sa mission, au service d’une culture plus démocratique.
Dès l’origine, le pass Culture a eu un double objectif : d’une part, aller chercher les jeunes les plus éloignés de la culture ; de l’autre, les inciter à diversifier leurs pratiques par la mise à disposition d’une offre qui va très au-delà de leurs habitudes et de leur univers familier.
Monsieur Lafon, vous avez qualifié le pass Culture de « totem présidentiel ».
Depuis 2017, le ministère de la culture a bénéficié de plus de 1,4 milliard d’euros de crédits supplémentaires – ce n’est pas anodin ! –, précisément pour permettre au plus grand nombre de nos concitoyens d’accéder à la culture, ainsi qu’à ses métiers. Dans ce cadre, le pass Culture est conçu comme l’outil d’une politique volontariste partant à la fois des pratiques et des attentes des jeunes.
Cette ambition me semble être partagée par tous. Elle s’inscrit dans la continuité du parcours d’éducation artistique et culturelle, fondamental pour faciliter la pleine participation des jeunes à la vie culturelle, de la même manière sur l’ensemble du territoire, quels que soient leur situation ou leur milieu social.
Aujourd’hui, il convient de mesurer l’écart entre l’ambition initiale et les résultats obtenus. J’ai posé cette question dès ma prise de fonctions.
En l’état, le pass Culture n’est pas suffisamment démocratique. Sous certains aspects, il peut même alimenter la reproduction sociale.
Sur le plan quantitatif, il faut reconnaître que les résultats sont là : le volet individuel du pass Culture enregistre plus de 4 millions de bénéficiaires, soit 87 % des jeunes de 18 ans.
Pour la plupart, ces jeunes ont franchi le seuil d’une librairie pour acquérir un manga, un roman, voire le code civil, dont de nombreux achats via le pass Culture ont été relevés. Beaucoup d’autres ont acheté une place de cinéma pour aller voir le dernier Almodóvar ou un blockbuster. Au vu de ces résultats, on ne saurait parler d’échec.
Je tiens notamment à souligner le rôle des libraires, en particulier des libraires indépendants, et des cinémas d’art et d’essai, qui bénéficient de ce dispositif. Pour nombre de jeunes, ces librairies et cinémas ont été une porte d’entrée, parfois la première porte d’entrée vers le monde de la culture.
Cela étant, les écarts et les inégalités sociales demeurent très marqués. Près de neuf enfants de parents diplômés sur dix sont inscrits au pass Culture. Or la proportion tombe à moins de sept sur dix pour les enfants de parents non diplômés. La différence est tout de même notable.
Le problème réside, à l’évidence, dans la diversification des pratiques. On observe ainsi des tendances très prononcées en faveur de quelques pratiques bien identifiées : le spectacle vivant ne représente que 6 % de la consommation du pass et les musées moins de 1 %, alors qu’ils constituent l’essentiel de la dépense de la part collective. L’explication tient à un véritable déficit de médiation – cette dernière est même pour ainsi dire inexistante.
Ma première décision a été, à ce titre, de rencontrer tous les acteurs de l’éducation populaire, qui n’avaient pas été reçus au ministère depuis près de quarante ans. J’ai signé avec eux une charte assortie de moyens dignes de ce nom, afin que toutes les voies l’accès à la culture, en particulier le pass Culture, fassent l’objet d’un véritable effort de médiation.
Avec plusieurs dizaines de millions d’offres émanant de 40 000 acteurs culturels, l’application pass Culture doit être beaucoup plus éditorialisée. Sans cela, l’utilisateur s’y perd et n’y revient pas ; ou alors, il cède à la facilité et utilise la fonction recherche pour trouver ce qu’il connaît déjà. C’est le cas pour 85 % des réservations.
Je vous le confirme : la SAS pass Culture deviendra un opérateur du ministère de la culture. Nous y travaillons déjà. Pour qu’elle reste fidèle à l’esprit originel du dispositif – aller vers ceux qui en ont le plus besoin –, je lui ai demandé de mener un travail de communication et d’accompagnement renforcé, en lien avec les missions locales et les animateurs de quartier, mais aussi les foyers ruraux, pour toucher tous les jeunes, notamment ceux qui sont sortis du milieu scolaire. Il faut également renforcer les partenariats avec tous les réseaux d’éducation populaire.
En parallèle, je veux faire évoluer l’éditorialisation du pass Culture. Nous avons commencé – vous pourrez le constater –, en donnant de la place à la médiation et en valorisant tout ce qui n’est pas spontanément plébiscité. Cette évolution passe par une meilleure association des jeunes eux-mêmes, de manière à coller à leurs pratiques et à leurs attentes.
Un autre point crucial, que vous avez mentionné, est la mobilité, notamment en milieu rural. (M. Laurent Lafon acquiesce.) Je l’ai constaté lors de la mise en œuvre du plan Culture et ruralité, qui concerne 22 millions de nos compatriotes.
Nous avons ainsi souhaité que l’application soit géolocalisée : dès lors, il sera bien plus facile de connaître l’offre de proximité. Une telle fonction n’existait pas jusqu’à présent.
Au sujet de la mobilité, vous m’avez interrogée sur nos échanges avec les collectivités territoriales. Dans le Grand Est, nous avons expérimenté la convention Caravelle : les collectivités signataires s’engagent à financer la mobilité pour accompagner les jeunes vers la culture, y compris au titre de la part individuelle du pass.
Pour l’essentiel, cela concerne les départements. D’ailleurs, je signerai bientôt avec M. François Sauvadet une convention entre le ministère de la culture et l’Assemblée des départements de France (ADF), qu’il préside, pour prévenir tout désengagement de la culture et favoriser cette mobilité.
S’agissant du budget du pass Culture, vous avez mentionné les 244 millions d’euros attribués au ministère au titre de l’année 2024. Sans la réforme, la dépense s’élèverait à 249 millions d’euros en 2025 et à 254 millions d’euros en 2026. J’ai tenu à revoir tous les critères pour cibler les jeunes qui ont le plus besoin d’être accompagnés.
Sur l’ajout de conditions de ressources, j’entends les propositions émises. Pour autant, nous connaissons tous des jeunes dont les parents disposent de moyens, mais qui ne vivent plus avec eux. Il n’y a aucune raison de pénaliser ces personnes qui ne sont plus à la charge de leurs parents, en ne considérant que les revenus de ces derniers. Nous devrons donc prévoir un dispositif spécifique afin de prendre en compte ces situations.
Par ailleurs, le statut de boursier pourrait être un critère de majoration : tous les jeunes bénéficieraient de la même dotation, mais les boursiers percevraient une petite somme supplémentaire.
Nous avons supprimé la part individuelle concernant les jeunes de moins de 17 ans, qui était source de confusion. En effet, la part collective fonctionne très bien. Elle agit comme un véritable outil d’accès à la culture, notamment pour les plus fragiles et les plus défavorisés, et s’étend de la sixième à la terminale. La rupture était apparente avec la part individuelle, ajoutant de la confusion.
Dans le cadre de la réforme, je souhaite que la part individuelle soit attribuée à partir de 17 ans. En procédant ainsi, l’on mettrait fin à cette anomalie. Le pass individuel concernera ainsi les jeunes de 17 et 18 ans, avec une part un peu majorée pour les boursiers.
Tels sont en substance les critères de la réforme que je vais mettre en œuvre.
Nous allons également refondre le comité stratégique et revoir la gouvernance du pass Culture – mais je vois que j’ai déjà dépassé mon temps de parole ; j’y reviendrai dans la suite du débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet passionnant est emblématique de l’accès à la culture. À mon sens, il est tout sauf secondaire.
Les actions que nous engageons permettent de réduire significativement le budget du pass Culture, comme certains élus le souhaitaient. Néanmoins, j’entends sauvegarder le dispositif : je me suis battu pour cela au cours des derniers jours, jusque dans l’enceinte de votre assemblée.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. En 2025, il faudra tenir compte des quelque trois millions de jeunes qui sont déjà inscrits pour bénéficier des droits ouverts. C’est pourquoi je demande le rétablissement des crédits supprimés dans le PLF pour 2025.
Pour le reste, je m’exprimerai dans le cadre du débat.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Mes chers collègues, je vous signale d’emblée que je veillerai scrupuleusement au respect du temps de parole.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, le pass Culture a été créé il y a cinq ans à partir d’une belle idée : offrir à tous les jeunes la possibilité d’accéder à des activités culturelles dans les mêmes conditions. Les premières évaluations montrent toutefois les limites du dispositif.
Ainsi, le volet individuel du pass Culture échoue à favoriser la diversification culturelle, le fonctionnement actuel de son algorithme ne permettant pas à un jeune seul de découvrir les offres culturelles les moins plébiscitées – je pense par exemple au spectacle vivant. Il n’efface pas non plus une certaine forme de reproduction sociale : vous l’avez souligné, seuls 68 % des jeunes dont les parents sont les moins diplômés ont activé leur pass.
Dans un département étendu, comme le mien, le pass Culture ne résout pas, enfin, la question des inégalités territoriales. On n’a bien sûr pas accès à la même offre culturelle quand on vit dans le Médoc, dans le sud de la Gironde ou dans la métropole de Bordeaux ; même doté d’une application géolocalisée, le pass Culture n’y changera rien. En zone rurale, les jeunes consacrent d’ailleurs une part plus importante de leur pass à l’offre numérique.
Les élus du groupe écologiste reconnaissent que le pass Culture fait désormais partie du paysage culturel et que sa suppression serait mal comprise, notamment par les enseignants, qui en font un usage formidable. Mais comment comptez-vous réduire ces inégalités territoriales ?
Plusieurs pistes sont déjà à l’étude. Dans certains établissements, notamment les petits, qui ne comptent pas de documentaliste, le volet collectif n’est pas utilisé. Nous pourrions alors proposer d’identifier un référent. En parallèle, un rapport d’octobre 2024 consacré aux enjeux de mobilité culturelle, travail qui vous a été remis, préconise d’inclure une offre de transport à l’application pour que les jeunes vivant en zone rurale accèdent plus facilement au volet individuel du pass.
Madame la ministre, envisagez-vous de mettre en œuvre ces recommandations et, dans l’affirmative, selon quel calendrier ?