Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Sonia de La Provôté,

M. Mickaël Vallet.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2025
Discussion générale (fin)

Loi de finances pour 2025

Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale (projet n° 143, rapport général n° 144, avis nos 145 à 150).

Nous poursuivons l'examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

seconde partie (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Plan de relance

Investir pour la France de 2030

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits des missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la crise sanitaire paraît aujourd'hui bien éloignée, la mission « Plan de relance », créée pour relancer l'économie à l'issue du confinement de 2020, existe toujours.

Le projet de loi de finances pour 2025 ne demande pour cette mission que des crédits résiduels, répartis entre deux programmes : 100 millions d'euros pour le programme 362 « Écologie » et 69 millions d'euros pour le programme 363 « Compétitivité ». Le programme 364 « Cohésion » est, quant à lui, supprimé à partir de 2025.

Toutefois, ces montants ne reflètent pas la réalité de l'exécution budgétaire de cette mission. Cette dernière se caractérise en effet par le recours massif aux désormais célèbres reports de crédits, une pratique qui s'est malheureusement accentuée au fil des années.

De fait, cette mission est financée, chaque année depuis 2022, par quelque 6 milliards d'euros de crédits reportés, alors que les crédits ouverts en loi de finances n'étaient plus que de 1,4 milliard d'euros pour 2024 et, comme je viens de l'indiquer, de 169 millions d'euros pour l'an prochain.

Les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2021, celui qui a créé le plan de relance, n'avaient pourtant pas indiqué aux parlementaires que les crédits seraient ainsi reportés d'année en année.

Le Parlement a ainsi été largement contourné et l'autorisation parlementaire sollicitée chaque année est, en conséquence, vide de sens. Cette opacité budgétaire est particulièrement préjudiciable au contrôle parlementaire. Les montants inscrits en loi de finances ne correspondent en rien aux crédits effectivement mis à disposition des gestionnaires de programmes, dont les montants sont de beaucoup supérieurs.

Ce décalage est encore plus préoccupant cette année : les crédits de report ont atteint un tel niveau qu'ils nécessitent que la loi de finances soit promulguée avant le 15 mars. Ils n'ont pas pu être ouverts par le décret du 30 décembre dernier relatif aux services votés pour 2025, puisqu'ils ne figuraient pas dans la loi de finances pour 2024.

Cette difficulté n'aurait pas existé si, conformément au principe d'annualité budgétaire, les crédits avaient été inscrits dans la loi de finances initiale. Nous nous trouvons, en quelque sorte, face à un angle mort de l'exécution budgétaire, conséquence du recours abusif à des procédures spéciales.

Or le niveau des restes à payer de la mission reste considérable, puisqu'il atteint 7 milliards d'euros pour l'ensemble des trois programmes, dont 945 millions d'euros pour les mesures en faveur des mobilités du quotidien, 777 millions d'euros pour les projets relevant de la stratégie hydrogène et 723 millions d'euros pour les aides au recrutement.

Au-delà de cette pratique des reports de crédits, la mission « Plan de relance » regroupe des actions hétéroclites, qui n'ont parfois rien à voir avec l'objectif initial de la relance.

Ainsi, la mission ouvre des crédits pour financer un portail public de facturation ou bien l'achat d'hélicoptères par la gendarmerie nationale. Ces dépenses, vous le comprenez, devraient être imputées sur les budgets des ministères concernés.

En outre, la complexité des circuits de financement, qui prend la forme de transferts entre programmes budgétaires ou à destination des opérateurs, rend le suivi de ces crédits difficile, pour ne pas dire impossible.

Enfin, le dispositif de performance associé à la mission est inexistant. L'un des objectifs est un taux de consommation des crédits de 100 %, ce qui est contestable, puisque la dépense ne saurait être un objectif en soi. Les autres indicateurs de la mission sont notés comme sans objet dans le projet annuel de performances (PAP).

En somme, la mission « Plan de relance » est devenue en quelque sorte une coquille vide, un outil budgétaire aussi opaque qu'inadapté.

Nous savons bien que le texte qui nous est soumis, sur ce point comme sur d'autres, reprend le projet de budget élaboré par le gouvernement précédent. J'invite donc le gouvernement actuel à rompre avec ces pratiques et je vous propose, comme nous l'avions déjà fait l'an passé, de rejeter les ouvertures de crédits qui ne sont pas nécessaires, compte tenu des crédits disponibles, et de n'approuver que les dépenses encore nécessaires dans les programmes de droit commun.

Nous l'avons déjà dit l'année dernière, et la Cour des comptes le dit également : il est plus que temps d'en finir avec les mesures pour lutter contre la pandémie de covid-19 et le trop fameux « quoi qu'il en coûte ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Laurent Somon, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Investir pour la France de 2030 », qui a succédé depuis la loi de finances pour 2022 à la mission « Investissements d'avenir », est le véhicule budgétaire du plan France 2030.

Il s'agit d'un grand plan d'investissement public dans les domaines prioritaires pour la transformation de notre secteur productif. Ses deux objectifs principaux sont l'augmentation de notre croissance potentielle et l'accélération de la transition écologique de l'appareil de production.

Ce plan d'investissement est doté d'une enveloppe pluriannuelle globale de 54 milliards d'euros. Ce montant englobe le quatrième volet du programme d'investissements d'avenir (PIA 4), à hauteur de 20 milliards d'euros, voté par le Parlement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, ainsi que le complément de financement du plan France 2030, à hauteur de 34 milliards d'euros, que le Parlement a adopté dans la loi de finances initiale pour 2022.

Par conséquent, depuis 2022, le débat budgétaire au Parlement se concentre sur la question du déploiement du plan. L'enveloppe globale de 54 milliards d'euros n'a pas été modifiée et continue de servir de référence à la mise en œuvre du plan. À cette heure, elle n'a pas été remise en cause par le Gouvernement. M. le ministre pourra nous confirmer que cette enveloppe est bien sanctuarisée.

Le Président de la République et le gouvernement de l'époque ont décidé de structurer les investissements du plan en dix-sept objectifs et leviers. Il s'agit de dix-sept secteurs identifiés comme prioritaires pour stimuler notre croissance potentielle et accélérer notre transition écologique.

Par construction, ces objectifs ont une dimension concrète et ils doivent permettre à notre pays de relever les grands défis technologiques d'avenir, comme la construction d'un avion bas-carbone ou encore la production en France d'au moins vingt biomédicaments innovants.

À ce propos, j'attire votre attention sur l'exercice de reprogrammation qui a été organisé par le précédent gouvernement le 23 octobre 2023 pour modifier le montant des investissements consacrés à chaque objectif et levier. Le choix fait à l'époque a été de procéder à la reprogrammation par l'organisation d'une réunion technique interministérielle, sans y associer le Parlement, ce qui est discutable au regard des montants en jeu. Ainsi, le montant de l'enveloppe dédiée à la décarbonation de l'industrie a été réduit de plus de 1 milliard d'euros sans que le Parlement soit consulté ni même informé de ce choix !

L'exercice 2024 a par ailleurs été marqué par de nombreux imprévus, qui ont affecté la mission et le déploiement du plan France 2030.

En premier lieu, le précédent gouvernement a proposé d'accélérer le lissage de la trésorerie des opérateurs du plan par l'annulation de plus de 1 milliard d'euros de crédits de paiement dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024. La commission des finances a approuvé cette mesure d'économie et l'a même améliorée en portant à 1,3 milliard d'euros le montant des crédits de paiement annulés dans le texte finalement promulgué.

En second lieu, le rythme de déploiement du plan a directement été affecté par le climat d'attentisme qui a résulté de la dissolution de cet été, et qui a été renforcé par la censure du Gouvernement cet automne. Alors que les aides du plan sont attribuées directement par le Premier ministre, un exercice 2024 comptant plus de 80 jours sans gouvernement de plein exercice ne pouvait qu'avoir un effet de ralentissement sur le déploiement du plan.

Je conclurai en rappelant les données structurantes du plan et de son état d'avancement au 30 septembre 2024.

Premièrement, le montant total des aides attribuées atteint 35 milliards d'euros, soit 68 % de l'enveloppe pluriannuelle globale. Deuxièmement, sur un tel montant, le volume des aides qui ont été décaissées au profit des bénéficiaires finaux est de 11 milliards d'euros, soit 20 % de l'enveloppe. Par conséquent, il reste des montants importants d'aide à verser.

C'est pourquoi la commission des finances a émis, sous réserve de l'adoption de son amendement, un avis favorable sur les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en complément des éléments que vient de présenter notre collègue, je concentrerai mon intervention sur les motifs qui expliquent la réduction des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » et sur le fonctionnement spécifique du plan, qui rend inopérants la majorité des amendements déposés sur cette mission.

La mission subit, en apparence, une baisse massive de ses crédits, qui diminuent de 1,9 milliard d'euros, soit 25 % des crédits de paiement proposés, entre la loi de finances initiale pour 2024 et le projet loi de finances pour 2025.

Pour autant, comme vient de l'exposer Laurent Somon, cette évolution ne correspond pas à une inflexion du plan France 2030, dont l'enveloppe globale n'est pas remise en cause. Cet effet d'optique d'une diminution apparente des crédits du plan s'explique par le fait que, depuis plusieurs années, les crédits de paiement de la mission ont abondé une trésorerie excédentaire sur les comptes dédiés des opérateurs du plan.

Du fait de l'imprécision des prévisions de décaissement, les besoins en crédits de paiement ont été surestimés. Résultat : la trésorerie cumulée dédiée au plan France 2030 atteignait 5,3 milliards d'euros fin 2023.

Par conséquent, le Gouvernement a fait le choix pour l'exercice 2025 de mobiliser substantiellement la trésorerie excédentaire des opérateurs du plan pour financer les décaissements programmés.

Ce choix s'inscrit dans le prolongement de la décision d'opérer des annulations de crédits par la loi de finances de fin de gestion pour 2024. Ce schéma de financement a abouti à une situation dans laquelle une part substantielle des aides qui seront décaissées par les opérateurs du plan en 2025 sera financée non pas par les crédits de la mission, mais par le prélèvement sur trésorerie que le Gouvernement a prévu en 2025.

Pour éclairer les débats à venir sur les amendements de crédits, je vais brièvement rappeler le cadre non conventionnel des investissements d'avenir.

Le programme d'investissements d'avenir (PIA), qui a précédé le plan France 2030, a été créé par le Parlement dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2010. Son objectif est de sanctuariser des financements fléchés vers les domaines d'avenir pour s'extraire de la « tyrannie du court terme », pour reprendre l'expression utilisée à l'époque par Alain Juppé et Michel Rocard.

Sur le plan juridique, cette volonté de ne pas soumettre les aides du plan France 2030 à l'arbitrage annuel et global du Parlement et du Gouvernement, dans le cadre de la construction annuelle du budget de l'État, s'est traduite par la création d'un cadre de gestion extrabudgétaire, qui prévoit des aménagements au principe d'annualité budgétaire.

L'atténuation de ce principe d'annualité pour les investissements d'avenir repose sur la coexistence de deux cycles parallèles pour le traitement de ces dépenses publiques.

Tout d'abord, le cycle opérationnel de la dépense prévoit que les opérateurs disposent dès la première année de l'intégralité des enveloppes de mise en œuvre du plan. Ainsi, toutes les autorisations d'engagement ouvertes dans le périmètre de France 2030 ont rapidement été consommées au moment de la signature des conventions entre l'État et ses opérateurs.

Parallèlement à ce cycle opérationnel de la dépense, la mission « Investir pour la France de 2030 » sert de support à un second cycle, le cycle budgétaire des aides du plan. Le budget général intègre chaque année une enveloppe de plusieurs milliards d'euros de crédits de paiement, qui correspondent à la nécessité d'abonder les comptes des opérateurs du plan pour leur permettre de décaisser les aides au profit des bénéficiaires finaux.

Par conséquent, les crédits votés en loi de finances pour 2025 serviront à financer des aides qui ont souvent été attribuées il y a plusieurs années, et pour lesquelles l'État s'est déjà engagé à verser les fonds, sous réserve d'atteindre certains des jalons contractuels qui ont été fixés.

Ce cadre extrabudgétaire a pour conséquence principale de limiter la marge de manœuvre dont dispose chaque année le Parlement au moment du vote sur les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». En effet, dès lors que l'enveloppe pluriannuelle de 54 milliards d'euros a été déléguée aux opérateurs du plan, le Parlement est cantonné dans un rôle de contrôleur de l'exécution du plan : il n'a plus pour mission le pilotage annuel de l'allocation des aides.

Cette disjonction entre le cycle opérationnel et le versement des aides et le cycle budgétaire des votes sur les crédits rend inopérants la majorité des amendements qui ont été déposés sur la mission.

Pour autant, je rappelle que, sous réserve de l'adoption de l'amendement du rapporteur spécial Laurent Somon, la commission des finances est favorable à l'adoption des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l'intervention générale et celui de l'explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Claude Raynal.

M. Claude Raynal. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période de transformations profondes, marquée par des défis cruciaux pour notre avenir. L'adaptation de nos sociétés au changement climatique, la préservation de notre souveraineté alimentaire et industrielle sont des impératifs absolus.

La mission « Investir pour la France de 2030 » a notamment pour objet de répondre à ces impératifs. Elle sert de support au plan d'investissement pluriannuel France 2030.

Pour atteindre nos objectifs climatiques, une réorientation massive de nos flux financiers est indispensable. Le rapport du comité de surveillance des investissements d'avenir indique que le plan France 2030, s'il est pleinement mis en œuvre, pourrait entraîner une hausse du PIB comprise entre 40 et 80 milliards d'euros et créer entre 300 000 et 600 000 emplois d'ici à 2030.

Sans une intervention publique forte, cette transition ne pourra aboutir. Selon une analyse de France Stratégie, sur les 600 milliards d'euros nécessaires pour tenir nos engagements climatiques entre 2024 et 2030, seuls 34 % seraient rentables pour les ménages et les entreprises.

Cela signifie que l'État doit être le catalyseur de cette transformation. Ces investissements publics ne sont pas des dépenses courantes, mais des engagements stratégiques visant à répondre à des défis complexes, tout en ayant des retombées positives pour notre pays. Cela doit donc passer par des subventions, des incitations fiscales, des régulations adaptées et une politique industrielle ambitieuse.

La mission « Investir pour la France de 2030 » a pour but d'incarner cette ambition. Elle vise un double objectif : garantir notre souveraineté et renforcer notre résilience écologique.

Elle comporte une enveloppe de 4,5 milliards d'euros consacrée à la décarbonation de l'industrie. Ce montant a été réduit de plus de 1 milliard d'euros lors de la reprogrammation évoquée par les orateurs précédents. Cette réduction des aides du plan France 2030 en faveur du déploiement des solutions de décarbonation est d'autant moins compréhensible qu'elle va à l'encontre de l'engagement pris par le Président de la République de doubler cette enveloppe.

Le rythme actuel de décarbonation du secteur industriel ne suffira pas pour respecter la trajectoire fixée dans la stratégie nationale bas-carbone révisée. La prochaine révision de cette stratégie, prévue cette année, représente une occasion cruciale de concilier nos ambitions et les impératifs climatiques.

Parallèlement, nous devons prendre conscience des défis structurels auxquels nos finances publiques sont soumises. Le déficit persistant des comptes publics menace notre capacité à investir. Malheureusement, la France ne réalise plus de gains de productivité significatifs, ce qui limite notre potentiel de croissance à long terme.

Malgré la forte baisse des impôts de production, qui étaient, nous disait-on, autant de freins, les résultats restent en deçà des attentes. Pour l'ensemble du secteur manufacturier, l'indice de production industrielle est en repli de 4 % en 2024 par rapport à 2017. La production manufacturière a stagné au cours du troisième trimestre 2024. Le recul de l'investissement s'est également accéléré, avec une baisse de 1,4 % lors de ce même trimestre.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer les dynamiques géopolitiques. La concurrence avec les États-Unis, qui bénéficient d'un cadre fiscal et réglementaire plus attrayant, est un défi de taille. Par exemple, la rentabilité des investissements est presque deux fois plus élevée aux États-Unis qu'en Europe. Ce différentiel obère notre capacité à attirer des capitaux étrangers et à financer les innovations.

Si la coordination européenne est essentielle, la France ne peut se contenter de jouer la carte du collectif. Une politique industrielle nationale ambitieuse reste indispensable pour garantir que la valeur ajoutée des technologies de demain soit capturée, au moins en partie, sur notre territoire.

La coexistence des deux missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 » n'est, me semble-t-il, plus pertinente. Les fusionner pour gagner en lisibilité et mieux définir les priorités me paraîtrait utile.

Lors du vote sur les crédits de ces deux missions, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'abstiendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a rappelé dans son discours de politique générale que l'excédent commercial chinois avoisinait les 1 000 milliards de dollars en 2024. Mario Draghi, dans un rapport qui commence à faire date, nous a signalé que, si nous n'investissons pas massivement – au moins 800 milliards d'euros par an – pour améliorer notre compétitivité, l'Europe poursuivra son décrochage.

Autrement dit, le montant de l'excédent commercial chinois dépasse celui de l'effort européen préconisé par M. Draghi en termes d'investissement, un effort que nous n'atteindrons d'ailleurs probablement pas. À ce rythme, dans vingt ans, l'Europe pourrait être à la Chine ce que la Chine était à l'Europe il y a vingt ans, c'est-à-dire un sous-traitant. Nous ne le souhaitons évidemment pas.

Comment enrayer ce déclin ? C'est l'objectif, noble, que vise cette mission. Plutôt que de me lancer dans de grandes théories, je vous propose de prendre l'exemple d'un cas d'usage observé dans mon département de l'Aube.

En effet, depuis le « post-paillasse », j'y suis une start-up, Levisys, qui a mis au point une technologie, le volant d'inertie, qui permet de stocker l'électricité en transformant l'énergie cinétique en énergie électrique, de réguler la puissance du réseau, ce qui est très utile dans les zones non interconnectées, de favoriser l'osmose inverse, pour le dessalement de l'eau par exemple, ou encore de soulager les batteries en hybridation pour allonger leur durée de vie et accroître l'amplitude de leurs cycles.

Cette start-up, qui a été très soutenue par l'État, avait pour projet, il y a bientôt huit ans, de lancer une ferme de batteries de 20 mégawatts en France. Mais, de fil en aiguille, ce projet s'est effiloché. Chroniquement sous-financée, cette entreprise n'a pas été en mesure de faire monter en puissance son unité industrielle dans l'Aube, laquelle avait pourtant été inaugurée par Louis Schweitzer.

Pendant ce temps, les Chinois, qui observaient attentivement cette société française, ont racheté un acteur canadien et viennent d'inaugurer une unité de stockage de 20 mégawatts sur leur territoire.

Voilà exactement le genre de situation que nous ne voulons plus voir se répéter dans nos circonscriptions respectives, mes chers collègues. Alors que tous les voyants sont au vert, que le monde entier nous envie cette technologie, nous regardons cette start-up s'épuiser, faute d'être capables d'en financer la montée en charge.

Ce cas pratique est emblématique de notre histoire industrielle : nous finançons sur deniers publics, grâce à un écosystème d'innovation performant et à un modèle de recherche de classe mondiale, des innovations de rupture majeures, mais nous échouons à les convertir en géants industriels. Nous laissons partir des entreprises innovantes à l'étranger, aux États-Unis ou en Chine, quitte à importer ensuite les produits finis fabriqués dans ces pays, ce qui aggrave d'autant notre déficit commercial.

Comme Confucius l'a dit, « qui ne se préoccupe pas de l'avenir lointain se condamne aux soucis immédiats ». France 2030 doit nous prémunir contre ce risque, et c'est pourquoi il nous faut augmenter les financements en faveur de telles sociétés.

Hier encore, j'ai rencontré, dans le cadre de France Deeptech, des représentants de Meletios Therapeutics, une entreprise de biotechnologie française spécialisée dans l'épidémiologie, qui ne parvient pas, hélas, à trouver des fonds pour financer ses essais cliniques. C'est pourtant un sujet qui risque de redevenir d'actualité…

Mes chers collègues, ces exemples concrets montrent que nous devons sanctuariser les budgets des missions essentielles de l'État. C'est le sens du vote du groupe Les Indépendants sur les crédits de ces missions. Il faut préserver les dépenses d'investissement pour l'avenir : nous financerons cette sanctuarisation par une diminution des crédits des autres missions.

Nous nous opposons à toute diminution des crédits des missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 ». Nous voterons donc ces crédits si essentiels pour l'avenir de nos enfants.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin les crédits des missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 », missions budgétaires de création récente, qui semblent plus nécessaires que jamais dans le contexte actuel.

Les dépenses publiques sont en effet exceptionnellement et temporairement engagées au titre du régime prévu par la loi spéciale. Celui-ci présente l'inconvénient majeur de se concentrer sur les dépenses de fonctionnement, et ne permet donc d'engager aucun nouvel investissement ni d'accorder de subventions aux acteurs publics et économiques.

Les transitions écologique, numérique et démographique à l'œuvre nous imposent pourtant d'investir massivement, qu'il s'agisse des dépenses d'avenir et de recherche, des infrastructures publiques, ou encore de la formation du capital humain.

Dans le même temps, nous sommes confrontés à une situation d'état d'urgence budgétaire, qui impose d'agir. Aussi, dans ce contexte mêlant rareté durable de la ressource budgétaire et transitions structurantes, la dépense publique et le levier de l'endettement doivent plus que jamais être prioritairement mobilisés au service de l'investissement.

Toutefois, le modèle d'investissement proposé dans le cadre de ces missions demeure insatisfaisant. Dans la période récente, nous avons observé une multiplication des programmes d'investissement sectoriels à l'échelle de l'État, dont les deux principaux font l'objet de missions spécifiques, que nous examinons ce matin.

Ce modèle de mission d'investissement présente pourtant des inconvénients majeurs, auxquels nous devons remédier.

Face à l'amélioration sensible de la conjoncture économique, certains de ces mécanismes ne paraissent plus correspondre aux exigences auxquelles notre pays est confronté. C'est en substance la recommandation que formule la Cour des comptes dans une revue de dépenses parue la semaine dernière, dans laquelle elle invite l'État à sortir définitivement des mécanismes d'aide exceptionnelle.

Des économies annuelles de l'ordre de 6 milliards d'euros pourraient ainsi être dégagées d'ici à 2027.

Ainsi, la mission « Plan de relance », mise en place pour contrer les effets de la crise sanitaire sur notre économie, est l'incarnation de la politique du « quoi qu'il en coûte ».

Dotée de 100 milliards d'euros en crédits de paiement, échelonnés sur plusieurs exercices budgétaires, cette mission a permis de relancer efficacement notre économie, et particulièrement nos territoires. Les fonds mobilisés à destination des collectivités territoriales, entreprises et projets lauréats ont contribué à préserver la commande publique et, plus largement, l'activité économique et l'emploi.

Mais la réunion des seuls crédits d'investissement du plan de relance au sein d'une mission dédiée a favorisé l'établissement d'un régime budgétaire particulièrement critiquable.

Tout d'abord, le recours massif aux reports de crédits déroge largement au principe d'annualité budgétaire et ne permet pas de garantir l'exécution réelle des prévisions retracées dans les documents budgétaires de la loi de finances.

La mission prévoit par ailleurs le recours à un cofinancement européen auquel la France participera à hauteur d'un peu plus de 40 milliards d'euros. Cet emprunt devrait alourdir le prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne d'environ 2,5 milliards d'euros par an à compter de 2028, si aucun accord n'est trouvé d'ici là avec nos partenaires européens sur les modalités de mise en place d'un panier de ressources propres pour l'Union.

Enfin, l'exécution budgétaire de ces missions est assez peu transparente. Ce défaut est favorisé par le regroupement des crédits dans des programmes transversaux de grande taille, ce qui accorde une certaine liberté aux gestionnaires en matière de fongibilité des lignes de crédits.

Ces trois grandes limites, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, nous invitent à refuser d'accorder les nouveaux crédits sollicités. Il nous semble qu'il est grand temps de passer du « quoi qu'il en coûte » au « combien ça coûte ? », cher à notre rapporteur général. (Sourires.)

Les ouvertures de crédits envisagées, qui s'élèvent à 169 millions d'euros, ne nous paraissent, en effet, pas nécessaires pour financer les restes à payer. Le rapporteur spécial Jean-François Husson a ainsi proposé d'annuler purement et simplement les ouvertures de crédits demandées, et de facto, de ne pas adopter la mission. L'extinction des crédits concernés contribuera à répondre à l'urgence budgétaire.

La mission « Investir pour la France de 2030 » regroupe les crédits consacrés à la déclinaison du plan France 2030, à savoir la quatrième génération du programme d'investissements d'avenir. Ce plan, qui a été lancé en 2021 et qui est doté de 54 milliards d'euros, vise à soutenir les investissements d'avenir et les innovations dans les secteurs de pointe.

Nous constatons que la délégation de la gestion de ces fonds à quatre opérateurs a favorisé, tout comme la méthode retenue pour la réalisation des versements, un accroissement injustifié de leur trésorerie. Si le Gouvernement propose de ponctionner ces excédents à hauteur de 2,7 milliards d'euros, il est possible d'aller plus loin. Les rapporteurs spéciaux Laurent Somon et Thomas Dossus ont ainsi proposé de réaliser un prélèvement supplémentaire de l'ordre de 144 millions d'euros.

Mes chers collègues, relever les défis auxquels notre nation est confrontée passera sans nul doute par l'engagement d'une politique d'investissement ambitieuse, comme par la priorisation des dépenses d'avenir sur les dépenses de fonctionnement.

Toutefois, lesdits investissements mériteraient d'être réalisés au sein des missions budgétaires existantes, et non plus de faire l'objet d'un cadre budgétaire ad hoc, au risque d'en fragiliser l'exécution, et par là même, l'acceptabilité démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)