Je déplore le fait que nous ne puissions déposer de nouveaux amendements, ni même ajouter des cosignataires à ceux qui ont été déposés voilà plus d’un mois et demi. En vertu du droit des parlementaires à exercer leur activité, les délais de dépôt et de cosignature d’amendements devraient être ajustés à la réalité de la situation que nous connaissons. Je regrette que tel ne soit pas le cas.
M. le président. Acte vous est donné de ces rappels au règlement, mes chers collègues.
6
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Candidatures à deux commissions d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants et la désignation des vingt-trois membres de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis.
En application de l’article 8 ter, alinéa 5, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
8
Loi de finances pour 2025
Suite de la discussion d’un projet de loi
Remerciements à la commission des finances
M. le président. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, avant de reprendre nos débats budgétaires là où nous les avions laissés, je souhaite remercier tout particulièrement notre commission des finances, qui a déjà accompli, dans les conditions complexes et inédites que vous connaissez, un important travail, et qui se remet aujourd’hui à la tâche avec son esprit de rigueur et de responsabilité.
Je remercie le rapporteur général, Jean-François Husson, dont la qualité d’écoute et la disponibilité ont été, comme toujours, au rendez-vous. Je salue également le président Claude Raynal, gardien du temps – et pas seulement – de nos débats, qui veille à ce que chacun puisse s’exprimer sans nuire à l’équilibre global nécessaire à l’examen de ce texte.
De même, je salue les rapporteurs spéciaux de la commission des finances – à commencer par Georges Patient, qui se trouve au banc des commissions pour l’examen de la mission « Outre-mer » –, les rapporteurs pour avis des autres commissions ainsi que leurs présidents, et les chefs de file des groupes, dont la contribution est essentielle pour la qualité de nos débats.
Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Seconde partie (suite)
Moyens des politiques publiques et dispositions spéciales
Outre-mer
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Outre-mer ».
La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Catherine Conconne applaudit également.)
M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, j’associe à cette intervention Stéphane Fouassin, corapporteur de cette mission, qui ne pouvait être présent aujourd’hui.
Il est difficile de commencer mon propos sans évoquer nos compatriotes mahorais, qui ont été très durement éprouvés par les récents événements et à qui je veux penser en premier lieu.
Les dégâts à Mayotte sont catastrophiques et doivent encore faire l’objet d’un chiffrage précis. Le Gouvernement a prévu une disposition budgétaire de soutien à ce département. Celle-ci est évidemment bienvenue et la commission des finances l’appuiera. Le projet de loi d’urgence pour Mayotte devra également répondre aux premières nécessités de la reconstruction de ce territoire.
Par ailleurs, la crise institutionnelle que traverse la Nouvelle-Calédonie appelle également une réponse affirmée de l’État, y compris en matière budgétaire, pour faire face aux dégâts, qui ont été chiffrés à plus de 2 milliards d’euros. Le Gouvernement propose de soutenir à hauteur de 200 millions d’euros la Nouvelle-Calédonie, ce qui représente un effort significatif.
Avant d’aborder les autres sujets qui nous occupent, je rappelle que l’objectif de la mission « Outre-mer » du budget général de l’État est de résorber les écarts entre les territoires d’outre-mer et la métropole. Cet objectif est d’autant plus important dans le contexte actuel de crise de la vie chère, en particulier en Martinique.
En effet, selon l’Insee, en 2022, les prix sont plus élevés de 15,8 % en Guadeloupe, de 13,7 % en Guyane ou encore de 8,9 % à la Réunion que dans l’Hexagone. La situation dramatique à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie ne doit pas conduire à oublier les autres territoires ultramarins.
Le budget proposé pour la mission « Outre-mer » s’élève à 2,56 milliards d’euros, soit une baisse de 9 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Le budget spécifique aux Ultramarins serait ainsi amputé 250 millions d’euros. Toutefois, le Gouvernement a déposé des amendements dont l’adoption augmenterait de façon significative les crédits de la mission pour revenir pratiquement au niveau de la loi de finances initiale pour 2024.
Le programme 123, qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l’amélioration des conditions de vie dans les outre-mer, était particulièrement concerné par la baisse, puisqu’il était raboté de 314 millions d’euros dans la copie initiale. Des amendements gouvernementaux visent à revenir sur certaines baisses de crédits, notamment en direction des contrats de redressement en outre-mer (Corom) et du département de Mayotte. Il s’agirait d’évolutions bienvenues.
Ce programme permet en effet de soutenir les collectivités ultramarines, qui souffrent d’une situation financière structurellement fragile en raison et des charges supplémentaires induites par l’insularité et de l’importance des dépenses de personnel. À titre d’exemple, ces dernières représentent presque 65 % des dépenses de fonctionnement du bloc communal, contre 52,2 % pour les communes de l’Hexagone, en raison notamment de la majoration des primes de personnel.
Aussi, je salue l’initiative gouvernementale visant à abonder les contrats de convergence et de transformation (CCT), qui constituent un outil pertinent de soutien aux collectivités.
La ligne budgétaire unique (LBU), qui finance le logement social en outre-mer, revient à son niveau de 2023, après une hausse appréciée des crédits en 2024. Des pistes de réforme de cette action pourraient être envisagées, par exemple dans le sens d’une plus grande décentralisation.
Le programme 138, qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de la compétitivité des entreprises, de l’amélioration de l’employabilité des jeunes et de la qualification des actifs ultramarins, enregistre une hausse bienvenue de 3,4 %, soit 65 millions d’euros.
Cette augmentation résulte essentiellement de la hausse des crédits alloués à l’exonération des charges sociales, dans un contexte où la masse salariale en outre-mer augmente régulièrement depuis 2022 et la fin de la crise sanitaire.
Les variations constatées ces dernières années des besoins afférents à cette mission témoignent de la difficulté d’établir des prévisions fiables, dans la mesure où il s’agit de dépenses de guichet, tributaires de la conjoncture économique. Aussi est-il indispensable de renforcer la crédibilité des prévisions de dépenses relatives à cette mission.
En sus des crédits budgétaires, les dépenses fiscales contribuent à la dynamisation de l’économie, à l’attractivité des territoires et à l’effort général de rattrapage de l’écart de niveau socioéconomique entre l’outre-mer et la métropole. Pour les deux programmes de la mission, elles devraient s’établir à 5,5 milliards d’euros en 2025, soit presque deux fois plus que les crédits budgétaires alloués à la mission « Outre-mer ». Entre 2024 et 2025, elles enregistrent une hausse de 2,3 %, sensiblement identique à celle qui a été observée entre 2023 et 2024.
Nous saluons cette évolution, les outils fiscaux étant indispensables au développement économique des territoires ultramarins et à la compensation des déséquilibres avec l’Hexagone, en particulier en ce qui concerne les prix des biens.
Par ailleurs, en complément des crédits de la mission et des dépenses fiscales, les territoires d’outre-mer bénéficient de crédits en provenance d’autres programmes du budget général. Le montant total des contributions budgétaires s’élève à 21,1 milliards d’euros. Si l’on exclut la diminution des crédits budgétaires du programme 345 « Service public de l’énergie », qui est compensée par une affectation de taxe, l’effort de l’État ne baisse que de 3 % par rapport à 2024. Cette baisse est essentiellement due à la diminution des crédits de la mission « Outre-mer », que nous venons d’évoquer.
En conclusion, la commission des finances est favorable à l’adoption des crédits de la mission.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un exercice peu commun que d’évoquer un avis que la commission des affaires économiques a rendu à la fin de 2024, alors que le contexte a changé : nous avons un nouveau gouvernement et la situation a évolué.
Toutefois, à la fin de 2024, nos outre-mer étaient déjà confrontés à une pluralité de crises appelant des réponses fortes, notamment – mais pas uniquement – budgétaires.
Je pense tout d’abord au fléau de la vie chère, qui touche nos Antilles et, plus généralement, l’ensemble de nos territoires ultramarins. Si un accord a été trouvé en Martinique, nous savons qu’il reste beaucoup à faire pour agir structurellement sur les prix.
Je pense ensuite à la Nouvelle-Calédonie, où la reconstruction et le dialogue institutionnel constituent des enjeux immenses à la suite des vastes émeutes de 2024.
Enfin, de manière plus globale, je pense à la nécessité critique d’investir dans des équipements publics de base, par exemple en Guyane, et au besoin généralisé de simplification et d’adaptation normative partout dans nos territoires.
À ce titre, je me réjouis de la récente adoption d’un règlement européen permettant enfin à nos outre-mer de déroger au fameux marquage CE en matière de matériaux de construction. Nous touchons plus que jamais au but, sur ce dossier comme sur d’autres. Pour y parvenir, une volonté politique forte et constante est indispensable.
Monsieur le ministre, si chacun sait que la contrainte budgétaire a rarement été aussi forte et pesante, accordons-nous sur le fait que les besoins des outre-mer ont également rarement été aussi grands. Cette affirmation était vraie en 2024, elle l’est encore plus cruellement en 2025, un mois après qu’un cyclone a dévasté Mayotte, un département qui était déjà confronté à des défis énormes.
Au moment d’entamer la discussion des crédits de la mission « Outre-mer », je pense à nos compatriotes mahorais et attends du Gouvernement qu’il soit à la hauteur des enjeux immenses au cœur d’une reconstruction rapide de l’île. Et chacun sait que la reconstruction ne constitue que l’un des enjeux auxquels est confrontée Mayotte.
Pour mener à bien cette reconstruction, différents leviers devront être actionnés : la simplification et l’adaptation des normes ; le projet de loi d’urgence qui arrivera au Sénat dans quelques jours ; mais aussi, bien entendu, le levier budgétaire.
L’avis de la commission des affaires économiques repose sur deux piliers : d’une part, la nécessité de dégager des crédits pour les outre-mer ; de l’autre, la conscience que tout n’est pas qu’une affaire d’enveloppe budgétaire.
En responsabilité, nous avons émis un avis favorable en anticipant de significatives avancées budgétaires au Sénat, notamment pour corriger la baisse initialement annoncée de près de 37 % des crédits du programme 123 qui, de l’avis général, n’était pas acceptable.
C’est un avis favorable exigeant. Il est désormais de votre responsabilité, monsieur le ministre, dans le projet de loi de finances comme dans les textes à venir, de prendre la pleine mesure des difficultés des outre-mer et de la multiplication des crises de toute nature affectant ces territoires, et de dégager des marges de manœuvre.
Après avoir écouté attentivement le Premier ministre, je suis raisonnablement optimiste. Ses mots en faveur de nos territoires ainsi que ses annonces sur Mayotte témoignent d’une poursuite bienvenue et indispensable de l’action de l’État.
Les outre-mer ne sont pas que crises socioéconomiques et catastrophes climatiques, ce sont aussi des territoires d’innovation, d’optimisme et de grand attachement à la République. Dans cette perspective, monsieur le ministre, tâchons d’agir vigoureusement pour répondre aux problèmes et d’encourager assurément le dynamisme et les initiatives de nos outre-mer. (MM. Marc Laménie, Bernard Buis et Akli Mellouli applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (M. Bernard Buis applaudit.)
M. Teva Rohfritsch, rapporteur pour avis de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit, dans sa version initiale, une baisse drastique des crédits alloués à la mission « Outre-mer ».
Nous ne pouvons accepter cette diminution du budget en faveur de ces territoires, compte tenu des enjeux majeurs et cruciaux auxquels sont confrontées nos populations. Je pense en particulier au diktat de la vie chère, dont nous devons refuser la fatalité en Martinique comme en Polynésie française, et aux catastrophes climatiques, comme l’illustre la tragique situation à Mayotte. Je m’associe, à ce titre, aux propos adressés par M. le rapporteur spécial à la population de Mayotte et à ses élus. Mais j’insiste aussi sur la nécessité d’une réaction rapide, forte et concrète de l’État à la crise en Nouvelle-Calédonie et au défi de la reconstruction d’une société profondément meurtrie dans un contexte économique exsangue, au chômage massif et au défi de formation des jeunes, aux tensions sur l’eau, aux tensions migratoires, au défi de la souveraineté alimentaire ou encore à la protection de la biodiversité et à celle de notre océan, qui fait la grandeur de la France.
La réduction de crédits prévue dans le projet de loi de finances pour 2025 est non seulement inopportune, mais aussi mal calibrée : les montants alloués aux dispositifs ayant prouvé leur efficacité et leur importance cruciale pour les populations et les économies ultramarines connaissent une telle baisse – jusqu’à 70 % ! – que cela réduit à néant les politiques publiques structurantes mises en place.
Parmi ces dispositifs, je pense en particulier aux prêts de développement outre-mer, indispensables aux petites et moyennes entreprises ultramarines pour accéder à des financements afin de développer et pérenniser leur activité.
Mentionnons également l’aide au fret, qu’il faudrait justement intensifier et élargir pour faire baisser les prix pour les consommateurs ultramarins. Chez moi, en Polynésie, les prix de l’alimentation sont 51 % plus élevés qu’en métropole !
Il faut enfin citer la ligne budgétaire unique, alors que 150 000 habitats indignes et insalubres sont recensés dans les territoires ultramarins en dépit des plans Logement outre-mer (Plom) déployés par les gouvernements successifs, ou encore les dispositifs d’aide à la continuité territoriale essentiels au maintien de la cohésion de la Nation, mais aussi le financement des contrats de convergence et de transformation passés avec les exécutifs de nos territoires et des contrats de redressement en outre-mer – j’arrêterai ici cette liste.
Nous le savons tous, le déficit élevé du pays impose une réduction des dépenses afin d’assurer le redressement des finances publiques. Toutefois, les outre-mer ne peuvent servir de boucs émissaires budgétaires. Au-delà des événements dramatiques évoqués au début de mon propos, les collectivités ultramarines sont confrontées à des difficultés économiques et sociales structurelles liées à leur éloignement et à leur isolement, qui sont l’essence même de leur caractère ultramarin. Ces situations complexes appellent à la mobilisation de toutes les forces vives, avec volontarisme, efficacité et en s’inscrivant dans la durée.
Dans ce contexte, la diminution des crédits prévue dans ce projet de loi de finances relève, là encore, d’une courte vue budgétaire et finira par générer de nouvelles crises, qui coûteront davantage à la Nation. Oui, il nous faut des comités interministériels des outre-mer (Ciom), mais il nous faut surtout des moyens et de la continuité pour construire des modèles économiques innovants, résilients et adaptés à nos territoires tout en protégeant les conditions de vie de nos citoyens français des outre-mer.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement précédent avait annoncé un réajustement substantiel des crédits de la mission « Outre-mer » au cours de la procédure budgétaire, pour se rapprocher du niveau des crédits ouverts en 2024. Cet engagement du ministre des comptes publics et du ministre des outre-mer constituait alors un compromis acceptable au vu de la situation budgétaire du pays, même si ce réajustement ne permettait pas de relever l’ensemble des défis.
Compte tenu de cet engagement pris par le gouvernement précédent, la commission des lois avait émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer », sans fausse naïveté, mais avec espoir et dans un esprit de construction commune.
Nous serons donc, monsieur le ministre, très attentifs aux arbitrages et aux positions que vous prendrez devant notre hémicycle pour, je l’espère, trouver une solution profitable à l’ensemble de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Lana Tetuanui et M. Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Akli Mellouli. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Akli Mellouli. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’outre-mer incarne la richesse et la diversité de notre République. Les territoires ultramarins sont le reflet d’une histoire partagée et de liens indéfectibles, mais aussi le miroir des défis auxquels nous devons faire face pour construire une égalité réelle et durable.
Il nous revient de regarder en face les situations critiques qui perdurent dans nos départements d’outre-mer. Ces territoires, bien qu’éloignés géographiquement, ne peuvent ni ne doivent être relégués à la périphérie de nos préoccupations. Il y va de notre capacité à tenir la promesse d’unité et de justice qui fonde notre contrat social.
« Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Ces mots d’Aimé Césaire résonnent avec une acuité particulière lorsqu’il s’agit de Mayotte. Ce territoire français semble être resté à la périphérie de notre République, dans une ombre où ses souffrances n’éclairent que trop tard nos consciences.
Avant même que le cyclone ne la frappe, l’île connaissait déjà une situation alarmante – retards criants en infrastructures publiques, problème chronique d’eau potable, bidonvilles qui s’étendent à perte de vue… Face à ces défis, la réponse de l’État a été insuffisante.
Mayotte a choisi la France. Mais que lui avons-nous offert en retour ? Trois quarts de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Les Mahorais doivent se contenter d’un Smic horaire et d’un RSA inférieurs à ceux de métropole. La protection universelle maladie (PUMa) leur est refusée.
Pour répondre à ces manquements, certains se cachent derrière un « problème migratoire ». Ce problème existe, c’est indéniable : l’île est confrontée à une pression migratoire considérable. Mais penser que l’on va régler ce problème en réduisant de 37 % l’aide au développement est une illusion. La solution passe aussi par le développement des pays d’où sont originaires ces populations. À défaut, toute mesure sera bâtie sur du sable. Quand des populations en détresse décident de quitter un pays, elles le font.
Il ne faut donc pas réduire les difficultés de ce département à cette seule question. Car c’est bien la République qui a failli. En créant une France à deux vitesses, nous avons laissé nos compatriotes mahorais dans une précarité indigne.
Mayotte mérite mieux que d’être une France de seconde zone. Elle mérite une égalité réelle. Elle mérite des infrastructures modernes, un accès à l’eau potable pour tous, une école où chaque enfant peut apprendre dans la dignité.
Il est temps de changer notre regard sur Mayotte. C’est une partie intégrante de notre République, avec ses droits, sa dignité et ses aspirations. Mayotte nous rappelle la nécessité de repenser notre engagement envers l’outre-mer. Partout dans ces régions, nos compatriotes subissent des inégalités criantes.
La question du pouvoir d’achat cristallise les frustrations. Qu’il s’agisse des Antilles, de La Réunion, de la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie, les revendications sont claires : une vie digne !
La question de la vie chère alimente les tensions sociales ainsi que les mouvements de protestation qui jalonnent la vie politique de ces territoires. Nous nous souvenons tous de la grève générale de 2009, aux Antilles.
Chaque mouvement social en outre-mer met en lumière les mêmes revendications : d’une part, la demande d’une augmentation générale des salaires, des minima sociaux, des allocations chômage et des pensions de retraite ; d’autre part, une exaspération face à la hausse continue des prix.
Malgré la persistance et l’intensité de ces crises sociales, malgré les multiples alertes lancées par les élus locaux et les parlementaires des départements et régions d’outre-mer (Drom) et des collectivités d’outre-mer (COM), malgré les rapports alarmants du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et les conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le coût de la vie en outre-mer, malgré, enfin, la démarche du « Oudinot du pouvoir d’achat », le malaise perdure.
Les chiffres sont édifiants : les prix dans les départements et régions d’outre-mer sont de 10 % à 15 % plus élevés qu’en métropole et atteignent des écarts de 30 % à 40 % en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie-Kanaky. Selon le Cese, 55 % des habitants déclarent devoir renoncer régulièrement à des dépenses du quotidien pour couvrir leurs besoins essentiels. Ce sont ainsi 900 000 personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté dans ces territoires.
Répondre aux difficultés de pouvoir d’achat que rencontrent nos compatriotes d’outre-mer constitue un impératif de cohésion sociale. Mais au-delà, réduire les fractures structurelles qui persistent entre la métropole et les territoires ultramarins est une exigence fondamentale pour honorer la promesse républicaine d’égalité. Cette démarche n’est pas seulement une question de justice sociale, elle est essentielle pour préserver l’unité nationale. Face à ce légitime sentiment d’injustice, il est urgent d’agir pour rétablir la confiance et renforcer les liens entre l’Hexagone et l’outre-mer.
Malgré ce constat alarmant, le budget proposé est injuste et violent socialement pour nos territoires d’outre-mer.
Les coupes budgétaires sont de l’ordre d’un tiers pour le programme « Conditions de vie outre-mer ». Si l’on excepte l’aide au développement, c’est plus que pour toutes les autres missions. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires refuse d’utiliser nos concitoyens vivant en outre-mer comme variable d’ajustement budgétaire. Monsieur le ministre, le compte n’y était pas en 2024, il l’est encore moins en 2025 ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Audrey Bélim et Evelyne Corbière Naminzo applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le titre de ministre d’État n’est pas seulement symbolique ou honorifique : si vous le portez, c’est que vous bénéficiez de l’écoute et de la confiance du Premier ministre, voire du Président de la République. Je vous le dis donc sans afféterie ni prétérition : le budget qui sera le vôtre au terme de cette séance est meilleur que celui que votre prédécesseur nous avait présenté.
Après la catastrophe sociale et politique en Nouvelle-Calédonie, dont nous avions pourtant alors connaissance, il en a fallu une nouvelle, à Mayotte cette fois, pour que les gouvernements successifs acceptent d’accorder une priorité aux outre-mer.
Votre budget est meilleur et nous le voterons. Pour autant, il n’est pas parfait. Par un simple calcul, on constate que vous ajoutez quelque 700 millions d’euros supplémentaires, soit un total légèrement supérieur aux crédits prévus pour 2024 – sans même parler du projet que nous avait soumis M. Barnier, qui était une catastrophe budgétaire, comme nous aurons l’occasion de le redire.
Si l’on comprend parfaitement qu’il faut accorder une priorité à la Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, nous déplorons l’absence de propositions contre la vie chère.
Lorsque vous étiez Premier ministre, vous m’aviez chargé d’établir un rapport sur l’égalité réelle outre-mer, à la suite duquel nous avions voté une loi, qui, hélas, n’est pas tout à fait appliquée. Quant à la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer, elle a été complètement abandonnée…
Pourtant, à cette heure même, tant au Sénat, grâce aux travaux de la délégation aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques, qu’à l’Assemblée nationale, au travers des propositions de Mme Bellay, nous avons une feuille de route complète pour lutter contre la vie chère. Faut-il encore que vous vous en empariez et que vous en fassiez un projet de loi… En effet, nous disposons d’un temps limité pour l’examen des propositions de loi, qui ne se résument qu’à une poignée d’articles un peu denses. Il faudrait donc que vous laissiez votre nom, si j’ose dire, sur une loi une loi contre la vie chère. C’est une thématique transversale et commune à tous les outre-mer dont il faut se saisir.
En outre, cette augmentation de 700 millions d’euros ne devra pas se faire au détriment des autres territoires, au risque de peiner nos compatriotes. Il s’agit en effet d’un budget d’urgence. Il faudra faire preuve de patience et, surtout, adopter de nouveau des budgets de cet ordre de grandeur, compte tenu de l’ampleur des aspirations et des besoins de nos territoires. C’est ce que j’appelle de mes vœux.
Je ne reviens pas sur les coupes et l’abattage initialement prévus, car vous les avez corrigés. Cependant, vous proposez un effort de 180 millions d’euros supplémentaires pour les exonérations patronales de charges. Compte tenu du manque de fiabilité de ces calculs, je vous suggère de n’y consacrer que 120 millions d’euros de plus et d’adopter avant tout les amendements présentés non seulement par les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, mais aussi par ceux des autres groupes.
Cela permettrait notamment une première traduction du protocole signé en Martinique au travers d’une aide à l’Autorité de la concurrence (ADLC), au fret, comme le réclament nos collègues Mmes Catherine Conconne et Audrey Bélim, …
M. le président. Monsieur Lurel, je vous invite à conclure.
M. Victorin Lurel. … ainsi qu’aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). Telles sont les améliorations qu’il faudra adopter si vous souhaitez faire voter avec enthousiasme votre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, alors que l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi d’urgence pour Mayotte, la discussion des crédits de la mission « Outre-mer » prend aujourd’hui une dimension particulière.
Au nom des sénateurs du Rassemblement national, j’apporte tout mon soutien aux Mahorais sinistrés par la tempête Chido et par les catastrophes climatiques qui s’accumulent sur cette île française, loin de notre hémicycle, mais, je le crois, si proche dans nos pensées et dans nos cœurs. Nous n’oublions pas non plus nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie, frappés par une violence inacceptable, ni ceux des Antilles, où la vie chère devient chaque jour plus insoutenable, plus encore qu’en métropole, pour les classes populaires et moyennes.