M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le ministre, la désindustrialisation de ces dernières années, portée par le mythe d’un pays qui pourrait prospérer sans usine, sans production et sans ouvriers, a fragilisé nos territoires, accru notre dépendance aux importations et obéré notre souveraineté économique.
Lancé en 2018, le programme Territoires d’industrie va dans le bon sens en coordonnant l’action de binômes élu-industriel, sous le pilotage de l’État et de la région, afin de réindustrialiser au plus près de chaque bassin d’emploi. S’il donne déjà des résultats positifs, notamment dans l’intercommunalité Boucle Nord de Seine, dans les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise – je connais bien ce territoire –, certains freins demeurent.
Pour les lever pleinement, le programme Territoires d’industrie doit monter en puissance en portant une attention particulière à la formation et à l’adaptation des compétences au projet ; ainsi nous donnerons-nous les moyens de répondre efficacement aux mutations en cours. En effet, les industriels se heurtent aujourd’hui à des difficultés croissantes pour recruter et cette situation devrait s’aggraver d’ici à 2030.
Pourtant, les études révèlent que la disponibilité des compétences est un critère déterminant pour décider des implantations industrielles. C’est pourquoi il faut réinvestir massivement dans une culture scientifique et technique en améliorant le niveau en mathématiques, indispensable à la formation des ingénieurs et des techniciens. Or les résultats des élèves français dans cette discipline sont préoccupants. Il faut aussi améliorer la féminisation des métiers de l’industrie.
Il est urgent également de redonner leurs lettres de noblesse aux métiers industriels, souvent mieux rémunérés, en renforçant des initiatives comme la Semaine de l’industrie. Celle-ci doit être mieux intégrée dans la scolarité, dans toutes les filières, grâce à une mobilisation accrue des enseignants et à des campagnes nationales plus efficaces.
Soulignons enfin le rôle essentiel de l’alternance, mais aussi des écoles de production, que vous avez citées, monsieur le ministre, dans l’écosystème des territoires d’industrie. Toutefois, pour des raisons financières, leur pérennité reste fragile. Or renforcer ces structures est primordial pour préserver notre compétitivité industrielle.
Aussi, monsieur le ministre, quelle est votre feuille de route pour faciliter l’émergence d’un capital et de ressources humaines qualifiées, indispensables à la réussite de chaque territoire d’industrie ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice, mais aussi de votre engagement, que je connais, dans votre territoire d’industrie, Boucle Nord de Seine.
Je partage le constat que vous faites quant au manque d’attractivité des métiers de l’industrie. Il existe des tensions de recrutement, je les ai évoquées dans mon propos liminaire. Nous devons aujourd’hui accroître l’attractivité initiale de ces métiers, mais aussi résoudre le problème de l’« évaporation », soit le fait, pour des jeunes formés aux métiers de l’industrie, d’exercer leur premier métier dans des filières autres que les filières industrielles.
Aujourd’hui, je l’ai dit, 70 000 emplois sont non pourvus dans l’industrie ; un recrutement sur deux est jugé difficile et 69 % des jeunes diplômés considèrent l’industrie comme un secteur peu ou pas attractif.
Il nous faut changer les représentations des jeunes, en particulier des jeunes femmes. On ne compte en effet que 28 % de jeunes femmes dans l’industrie, c’est trop peu. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec mon homologue du Kazakhstan, pays dans lequel la proportion des femmes dans l’industrie est de 47 %. C’est dire combien nous avons encore des progrès à faire !
La réponse consiste à s’attaquer aux stéréotypes et à faire aimer l’industrie en montrant ce qu’elle est aujourd’hui. Lorsqu’on visite des sites industriels, on voit que les conditions de travail ont changé. Les métiers de ce secteur ont du sens et offrent des opportunités d’évolution professionnelle, mais également de bons salaires.
En matière de féminisation, la situation évolue. À cet égard, je tiens à souligner le rôle des collectifs, comme le collectif Industri’Elles. J’essaie, avec la direction générale des entreprises, de les accompagner et de leur apporter le maximum de soutien afin qu’ils puissent poursuivre leurs actions.
Il convient de lutter contre le phénomène d’évaporation et, à cette fin, de faire en sorte que l’obtention d’un diplôme industriel ou scientifique se traduise par un premier métier dans la filière ; de réaliser le dernier kilomètre des réformes du lycée professionnel en faisant évoluer la carte des formations vers davantage de sections industrielles – c’est là aussi un axe extrêmement important ; de s’appuyer, enfin, sur des filières innovantes comme le nucléaire pour créer non pas une mode, mais une appétence, en tout cas un intérêt.
Pour conclure, je vous informe, si vous ne le savez pas déjà, que l’inspection générale des finances vient de lancer une mission sur la présence des filles dans les filières scientifiques et industrielles.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le ministre, lancé en 2018, le programme Territoires d’industrie a enfin permis de redonner un souffle à l’industrie dans notre pays, après des décennies de déclin industriel et de fermetures d’usines.
Disons les faits tels qu’ils sont : de 1970 à 2010, la désindustrialisation a frappé dans toutes les économies développées, mais elle a été particulièrement sévère en France. Entre 1995 et 2017, la part de l’industrie dans notre économie est passée de 17 % à 11 % du PIB.
Mais l’industrie n’est pas qu’une affaire de chiffres. Elle est au cœur de la prospérité de nos territoires, face aux multiples défis liés à l’environnement et à notre souveraineté. Depuis 2017, sous l’impulsion du Président de la République et des gouvernements successifs, une dynamique encourageante se dessine. Ainsi, 130 000 emplois ont été créés dans l’industrie, dont 28 000 pour la seule année 2023 ; au cours de la période 2016-2023, plus de 500 usines supplémentaires ont été installées sur notre territoire ; 201 nouveaux sites industriels ont été ouverts ou agrandis rien que l’année dernière. Le programme Territoires d’industrie y est pour beaucoup. Je tiens ici à saluer ces résultats.
Depuis 2018, près de 2 000 projets ont été accompagnés. Pas moins de 183 territoires d’industrie ont été labellisés pour la période 2023-2027, ce qui a permis de mettre l’accent sur la notion essentielle de territoire. Implanter une usine, c’est bien plus qu’un acte économique : c’est donner de la vitalité à un territoire, c’est renforcer son attractivité en créant une dynamique.
Pourtant, mes chers collègues, tout n’est pas simple. Je pense notamment à la contrainte que représente le zéro artificialisation nette. (M. Yannick Jadot s’agace.) Bien sûr, personne ne remet en cause la nécessité de préserver nos espaces naturels,…
Mme Antoinette Guhl. Ah bon ?
M. Bernard Buis. … mais comment concilier enjeux fonciers, construction de nouvelles usines et réindustrialisation ?
Enfin, si ce programme est une réussite, c’est aussi grâce à l’implication dans la gouvernance du binôme local composé d’un élu et d’un industriel.
Monsieur le ministre, comment cette collaboration a-t-elle transformé les relations entre acteurs publics et privés dans les territoires concernés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le ZAN, dont j’ai parlé de manière très brève dans mon propos liminaire. Si nous voulons réindustrialiser, il faut bel et bien trouver un équilibre entre l’objectif, que nous partageons, de limiter l’artificialisation des sols et les contraintes liées au développement industriel et à la nécessité de faire émerger des projets.
La loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, fixait un objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Cette loi impose, il faut bien le dire, des contraintes fortes en matière d’aménagement à l’échelon local et conduit les élus, je le sais, à des choix difficiles concernant l’industrie et le logement. Or, nous l’avons dit, il faut pouvoir développer les deux en parallèle.
L’industrie représente seulement 5 % du foncier total, mais les règles du ZAN, on le sait, fragilisent l’émergence d’un certain nombre de projets. On m’a informé dans différents départements de projets entravés, voire empêchés, par les contraintes du ZAN.
On ne peut pas garantir aux investisseurs industriels que la France pourra accueillir de grands ou de petits projets industriels si l’on ne réfléchit pas à un assouplissement de ces contraintes. C’est la raison pour laquelle, afin de concilier la sobriété foncière et le développement économique, le gouvernement de Michel Barnier a pris l’initiative d’exempter les projets industriels du ZAN pendant une période d’évaluation et d’expérimentation de cinq ans, au terme de laquelle l’activation d’une clause de revoyure est prévue.
Une modification législative est nécessaire pour cela. Je pose ici des jalons pour les prochaines semaines ou les prochains mois : nous pourrions nous appuyer sur le projet de loi de simplification de la vie économique ou sur la proposition de loi des sénateurs Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, dont l’examen est prévu en mars. Je souhaite que nous puissions aller vite sur ce sujet de la simplification du ZAN, au profit de nos industriels.
MM. Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet.
M. Philippe Grosvalet. Monsieur le ministre, je ne sais si, en matière de développement industriel, on enseigne à HEC ou sur les bancs de Sciences Po ce que me disait mon grand-père : on ne fait pas pousser les carottes en tirant sur les feuilles ! (Sourires.) À méditer…
Si, dans son évaluation du programme Territoires d’industrie, la Cour des comptes note un renforcement de la coopération et une meilleure mobilisation des acteurs locaux, elle souligne également l’échec de l’État, de ses opérateurs et des régions à prioriser et à coordonner leurs moyens et leurs interventions dans les territoires labellisés.
Le manque de direction claire et les errements persistants en matière de pilotage et de coordination sont révélateurs de l’absence d’une vision globale adaptée aux spécificités de chaque territoire.
En réalité, monsieur le ministre, pour faire pousser des carottes, il faut avant tout un terreau fertile. Nos industries ont besoin, pour s’épanouir, d’un ensemble de politiques publiques coordonnées à l’échelon local : recherche, innovation, enseignement supérieur, formation, logement, transport, accompagnement financier, urbanisme, politique foncière.
Dès lors, nous ne pouvons nous satisfaire des discours incantatoires de vos prédécesseurs : nous avons besoin de preuves. Qu’envisagez-vous concrètement pour remédier aux dysfonctionnements observés par la Cour des comptes ? Comment, dans cette situation politique instable, comptez-vous donner à nos entreprises la capacité de se projeter dans le temps long ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, la recherche d’efficacité doit être au cœur de nos préoccupations et de toutes les politiques publiques. C’est la raison pour laquelle j’ai prêté une grande attention au rapport de la commission des affaires économiques, ainsi qu’à celui de la Cour des comptes.
Un certain nombre d’actions ont d’ores et déjà été mises en œuvre pour accroître l’efficacité du dispositif, il faut le souligner. Un surcroît d’ingénierie est ainsi prévu, conformément aux remontées du terrain, ce qui devrait nous permettre d’améliorer l’efficacité du programme. Nous avons en particulier recruté davantage de chefs de projet et instauré le principe d’une coordination régionale entre Régions de France et l’ensemble des acteurs concernés au niveau du territoire d’industrie. Il s’agit là d’une avancée concrète.
J’ai évoqué précédemment la nécessité de mieux articuler le programme aux différents niveaux de gouvernance de France Travail et de prendre en compte l’ensemble des enjeux associés.
Nous avons également besoin, comme cela est indiqué dans le rapport, d’assurer un meilleur suivi et de collecter davantage de données. On ne saurait améliorer l’efficacité du programme si l’on ne collecte pas plus de données sur les actions qui sont réalisées et sur leurs effets. Je souhaite donc que la collecte de telles données soit accélérée et que l’articulation entre les différents systèmes d’information soit améliorée, afin que nous puissions faire des bilans de ce programme qui soient actualisés de manière plus fréquente, par exemple tous les six mois.
Enfin, la recherche de l’efficacité du programme, que vous appelez de vos vœux et que je souhaite également, suppose de s’interroger sur la refonte des périmètres et sur le ciblage des territoires concernés. Concrètement, le passage du temps I au temps II a conduit à une meilleure prise en compte d’un certain nombre de critères. En particulier, les territoires sont sélectionnés en fonction du caractère opérationnel des projets ; j’espère que cette dimension sera encore mieux prise en compte à l’avenir.
Je partage votre point de vue, monsieur le sénateur, quant à la nécessité d’une approche interministérielle. J’aurai, je l’espère, l’occasion de faire part au Sénat et à sa commission des affaires économiques d’éléments plus globaux de la feuille de route de mon ministère.
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour la réplique.
M. Philippe Grosvalet. Monsieur le ministre, permettez-moi d’évoquer deux territoires d’industrie où le Gouvernement, non pas l’État, aurait pu ou pourrait agir directement.
Il pourrait revenir, premièrement, sur la décision du précédent gouvernement d’abandonner, à Cordemais, un magnifique projet industriel, novateur en matière de transition énergétique.
Deuxièmement, pour ce qui est de ma ville, il pourrait décider de ne pas reporter indéfiniment la signature de la commande d’un porte-avions.
L’État, quand il est directement impliqué, peut mettre à mal de grandes entreprises et leurs sous-traitants en reportant des commandes de cette nature.
M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot.
M. Daniel Fargeot. Monsieur le ministre, le programme Territoires d’industrie, qui est peu coûteux, comme l’a souligné la Cour des comptes, produit incontestablement des effets dans les petites et moyennes villes françaises.
La coopération et la mobilisation des acteurs locaux, aux côtés des opérateurs de l’État, contribuent à une dynamique de réindustrialisation de nos territoires. Dans ce type de programme, l’enjeu est de définir le juste niveau d’intervention. Nous sommes convaincus qu’associer les élus locaux et les industriels dans une gouvernance publique-privée est une stratégie vertueuse permettant de poser des fondations solides.
Des entreprises se réinstallent, des emplois se maintiennent et se créent et des collectivités retrouvent une dynamique économique. Oui, l’ambition et la volonté sont présentes : voilà une première victoire.
Il convient à présent d’aller plus loin, en évaluant le dispositif et en priorisant, les territoires d’industrie ne bénéficiant pas tous d’une mobilisation des acteurs et d’une coordination régionale égales. Il faut évaluer pour ne pas saupoudrer et pour capitaliser sur les écosystèmes économiques efficients.
Il faut aller plus loin également en simplifiant, car il faut bien reconnaître que la complexité du dispositif nuit à son efficacité. Les entreprises et les élus locaux peinent à se frayer un chemin dans une forêt de dispositifs d’aide, ceux-ci chevauchant parfois de nombreux guichets. De ce fait, les démarches administratives et les délais s’en trouvent multipliés.
Monsieur le ministre, au moment où l’Europe et le monde s’engagent dans une compétition industrielle féroce, quelles mesures concrètes proposez-vous s’agissant de ne pas nous laisser étouffer par la lourdeur de nos procédures administratives ? Quelle synergie, quels rapprochements entre opérateurs, quelle simplification générale pourraient être institués dans le cadre de la reconduction de ce programme, l’enjeu étant de faire des territoires d’industrie de véritables moteurs de notre souveraineté économique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, la simplification est un rocher de Sisyphe qui a mobilisé beaucoup de gouvernements, d’administrations et d’élus depuis déjà bien des années.
Vous attirez notre attention sur la question de la coordination entre les opérateurs, qui peut être source de complexité et de difficultés pour les acteurs du programme, j’en conviens. Six opérateurs sont partenaires du programme : la Banque des territoires, Bpifrance, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Business France, France Travail et Action Logement, autour desquels s’articulent Intercommunalités de France, Régions de France et France Industrie.
En matière de coordination, il me semble que nous avons fait des progrès. L’implication des opérateurs durant le temps I du programme a été relativement hétérogène, selon les remontées du terrain, confirmées par un certain nombre d’élus. Plusieurs actions correctives seront mises en œuvre à cet égard au cours du temps II.
D’abord, je l’ai dit, les données et les plans d’action seront partagés avec les opérateurs. Un travail un peu plus coopératif sera ensuite réalisé, sous la forme de webinaires thématiques, pour faciliter la diffusion des offres de services des divers opérateurs et ainsi lever les freins qui entravent l’accès à certaines ressources et à différentes dimensions du programme.
Sur ce sujet, je vous renvoie à un certain nombre de pistes, que je ne vais pas développer, figurant dans le rapport sur la simplification. J’espère que nous aurons l’occasion de travailler ensemble à ce propos et de concrétiser ces pistes.
En matière de simplification, plus globalement, nous avons besoin de mesures fortes, qui s’attachent, et même s’attaquent, aux normes françaises comme européennes. Nous avons transposé de manière plus que zélée, pour ne pas dire surtransposé, un certain nombre de directives européennes ; ces surtranspositions pénalisent nos industriels. En ce domaine, une évaluation est indispensable – j’aurai l’occasion d’y revenir dans mes propos ultérieurs.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Bonduelle : 159 emplois supprimés ; Renault Alpine : 350 emplois menacés ; Fonderie de Bretagne : 500 emplois menacés ; Valéo : 868 emplois menacés ; MA France : 400 emplois supprimés ; Impériales Wheels : 176 emplois supprimés ; Continental Automotive France : 240 emplois supprimés ; Stellantis : 500 emplois supprimés, 600 menacés ; IBM France : 206 emplois supprimés ; Air Liquide : 479 emplois supprimés, 500 menacés ; ExxonMobil : 677 emplois supprimés ; Thales Aliena Space : 980 emplois supprimés ; Sanofi : 300 emplois supprimés ; Vencorex : 500 emplois menacés ; General Electric : 484 emplois supprimés ; Dumarey : 500 emplois menacés ; Clestra Metal : 125 emplois menacés ; Mahle Behr : 135 emplois supprimés ; Yara : 139 emplois supprimés ; Yves Rocher : 460 emplois supprimés ; Michelin : 1 250 emplois menacés.
Si je cite tous ces chiffres, monsieur le ministre, c’est pour trois raisons.
Premièrement, depuis sa nomination, le Premier ministre n’a pas eu un mot pour les hommes et les femmes qui sont en train de perdre leur emploi ou dont l’emploi est menacé ; pas un mot non plus pour eux en une heure et demie de déclaration de politique générale ; pas un mot pour ces hommes et ces femmes grâce à qui, pourtant, notre industrie tourne.
La deuxième raison, c’est le décalage entre votre communication ou celle des gouvernements depuis sept ans – c’est toujours la même ! – et la réalité. « Tant d’emplois créés ! », claironne-t-on à chaque édition de Choose France ou de je ne sais quel événement de ce type… En réalité, pour un emploi créé, il y a deux emplois supprimés dans chaque territoire !
Troisièmement, avant de parler d’industrialisation – et c’est un combat que nous menons sans relâche –, il faudrait, me semble-t-il, commencer par stopper la casse industrielle !
Allez-vous rester les bras ballants ? Ou allez-vous enfin conditionner les aides publiques et interdire aux entreprises qui en touchent de verser des dividendes aux actionnaires tout en supprimant des emplois ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, vous avez égrené une longue liste de plans sociaux et de fermetures de sites. Je regrette que vous n’ayez pas évoqué – la liste est tout aussi longue – les entreprises qui créent des emplois sur notre territoire, nous offrant ainsi quelques motifs d’espoir.
L’important, c’est le solde entre les emplois créés et les emplois supprimés. Ce solde est positif – comme vous le savez, depuis 2017, 130 000 emplois ont été créés en France (M. Fabien Gay proteste.) –, et il continue de l’être, ainsi qu’en témoignent les dernières données de l’Insee.
Il est vrai que la situation est plus difficile qu’elle ne l’était ces dernières années. Il est vrai aussi que certaines filières – vous les avez mentionnées – sont en difficulté : l’automobile, la chimie, la sidérurgie, etc.
Mais, contrairement à ce que vous indiquez, nous ne restons pas « les bras ballants ». Cette expression ne tient pas compte de l’énergie que déploient tous les services de l’État, les commissaires au redressement et à la prévention des difficultés des entreprises sur le terrain, les services de la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) et ceux du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), pour essayer de résoudre les problèmes.
Vous avez cité des exemples d’entreprises en difficulté. Sur tous ces dossiers, nous nous sommes battus. Et nous avons connu des réussites. Nous avons sauvé l’entreprise Niche Fused Alumina (NFA) : cela représente quelques centaines d’emplois. La semaine dernière, j’étais à Arques, dans le Pas-de-Calais. Nous avons trouvé un plan de financement qui préserve l’outil industriel pour 4 000 salariés. Or je ne vous ai pas entendu faire mention de cette réussite collective, qui a impliqué l’ensemble des parties prenantes : les créanciers, les actionnaires, les élus locaux, en particulier ceux de la région et de l’intercommunalité, la communauté d’agglomération du pays de Saint-Omer.
Il ne faut donc pas tomber dans une forme de défaitisme. Pour ma part, je considère mon ministère comme un ministère de combat : combat pour préserver l’existant ; combat sur tous les dossiers d’entreprises et de filières en difficulté ; combat aussi pour renforcer l’attractivité et soutenir les entreprises et les filières qui vont bien et créent des emplois, afin qu’elles en créent encore plus demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Fabien Gay. Pas un mot sur les entreprises qui ferment ?
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot.
M. Yannick Jadot. Monsieur le ministre, puisse ce débat vous permettre de revoir certaines de vos expressions, vous qui nous parlez de « solde »…
Bien sûr que des entreprises se créent, et nous en sommes ravis ! Mais, sur certains territoires, c’est la catastrophe ! Songez à ce que vivent les familles lorsqu’une entreprise ferme et qu’il n’y a aucune perspective d’emploi dans le secteur !
Se battre pour la réindustrialisation, c’est aussi se battre pour que nos usines ne ferment pas. « Le ZAN ! Le ZAN ! Le ZAN ! », nous répètent en chœur certains collègues ; et il vous arrive de reprendre cette antienne, monsieur le ministre. Soyons un peu sérieux ! Michelin, Systovi, General Electric, la Fonderie de Bretagne, quarante ans de désindustrialisation, même s’il y a eu un peu de mieux ces dernières années : tout cela, ce n’est pas la faute du ZAN !
Reconnaissons que l’instrument dont nous disposons – ce n’est pas un instrument à l’américaine – est utile. Nous sommes déçus néanmoins qu’il soit assorti d’aussi peu de moyens et, surtout, que ces moyens soient peu ou mal orientés, mal ciblés.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n’a pas cité la bataille du climat. Dans le monde actuel, ne pas citer la bataille du climat, c’est dramatique. Derrière la bataille du climat, il y a – vous le savez – une guerre économique, qui a trait à la transition énergétique. Nous donnons-nous les moyens de la mener, cette guerre ? À voir fermer l’une après l’autre nos usines de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes ou de silicium, on comprend que la réponse est non !
L’outil Territoires d’industrie doit rassembler les acteurs, mais il doit être mieux ciblé, et fonctionner sur tous les territoires. Tous les territoires méritent des usines ! Dans des territoires parfois appauvris ou désertifiés, nous avons besoin de services publics pour protéger et nous avons besoin d’usines comme sources de fierté.
Économie circulaire, transition énergétique et écologique : voilà de réelles perspectives pour notre industrie et pour nos territoires ! Ayons un outil à la hauteur de ce défi ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – MM. Fabien Gay et Simon Uzenat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie. Monsieur le sénateur, je vous rejoins sur de nombreux points. Oui, réindustrialiser et décarboner, voire, d’une manière plus générale, s’engager dans la transition écologique sont des objectifs parfaitement compatibles et même complémentaires ! Oui, le potentiel de création d’emplois lié à la transition écologique est important, et nous devons nous en saisir !
Permettez-moi de vous faire part de quelques éléments chiffrés. Au premier semestre 2024, le baromètre industriel de l’État, qui donne le « solde » – je vous prie de m’excuser d’utiliser ce terme une nouvelle fois –, a montré que trente-six ouvertures nettes de sites avaient eu lieu sur notre territoire. En l’occurrence, et cela va dans votre sens, les sites qui ferment se trouvent principalement dans les filières en difficulté et ceux qui ouvrent sont principalement liés aux industries vertes et à la décarbonation. La transition est à l’œuvre : des emplois se créent dans des secteurs d’activité liés à la décarbonation, aux énergies renouvelables, à l’hydrogène, etc.
J’ai eu l’occasion de visiter une usine de l’entreprise Forvia qui fabriquait des pots d’échappement sur le site d’Allenjoie, à proximité de Sochaux. Son activité étant percutée par la fin prochaine du véhicule thermique, l’usine se reconvertit peu à peu, et ses salariés avec elle, dans la production de réservoirs à hydrogène. La transition est là, sous nos yeux ; elle est créatrice d’emplois. Je pense que nous devons l’accompagner et faire de la décarbonation de l’industrie et de l’énergie la source de nos emplois de demain.
Attaché à cet objectif, je m’inscris dans les pas de mes prédécesseurs Roland Lescure, Agnès Pannier-Runacher et Olga Givernet pour essayer de transformer notre outil industriel, de le décarboner et d’en renforcer la compétitivité.
Vous le savez, nous agissons. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, le Sénat a adopté un amendement tendant à majorer de 1,6 milliard d’euros les autorisations d’engagement en faveur de la décarbonation de grands sites industriels.
L’État agit, et il continuera de le faire ; je m’y engage.