M. Yannick Jadot. Et les mégabassines ?

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. « Nos agriculteurs le vivent comme une injustice. Sur le sujet de l’eau, je l’ai dit, je souhaite que des conférences soient organisées aux plans national et régional, pour définir une stratégie à long terme.

« Ce métier, qui était un métier de communauté, de village, de collègues, d’amis, de connaissance des gestes et des techniques, est devenu solitaire, ce qui pose le problème des nouvelles vocations.

« Toutes ces questions seront traitées dans la loi d’orientation agricole. Je m’engage à ce que, comme pour les entreprises et les familles, nous remettions en question les pyramides de normes en donnant l’initiative aux usagers. Ceux que l’on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles, et s’il faut des remises en cause, nous les conduirons avec eux dans un temps bref.

« Cette politique ne trouvera sa pleine dimension que si le travail trouve également toute sa place dans notre société.

« Je souhaite que l’on ouvre une concertation sur la question du travail et des salaires, qui traitera de la qualité de la vie au travail, de la rémunération et du sens du travail. Devront être abordées les questions de la santé au travail, de la prévention et de la prise en charge des arrêts de travail, de la situation des travailleurs pauvres et de l’égalité salariale femmes-hommes.

« Il faudra aussi poursuivre les efforts en matière de revalorisation salariale et de mise en place de dispositifs d’épargne salariale, d’intéressement et de participation dans tous les secteurs.

« En 1947, paraissait le livre Paris et le désert français. Aujourd’hui, il y a Paris, les grandes métropoles et le désert français, avec un gouffre entre chaque niveau. Le reste du “tissu national”, éloigné géographiquement de la capitale et des métropoles, disparaît médiatiquement et politiquement.

« L’aménagement du territoire est l’une des grandes questions qui se trouvent devant nous. Il touche aux conditions de vie de nos concitoyens, à l’accès aux services publics, aux transports, au logement… Nous avons mis en place un grand ministère dirigé par François Rebsamen. Ce ministère incarne l’objectif qui est le nôtre : que chaque personne ait sa chance, que chaque territoire ait sa reconnaissance et sa chance.

« Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Tant d’esprits, de volontés et de capacités venant de province et des quartiers périphériques ont le sentiment d’être écartés et oubliés.

« Je veux m’arrêter sur le sujet du logement. C’est une mission centrale. Si l’on ne peut pas se loger, on ne peut pas être reconnu. Nous avons besoin d’une politique de logement repensée et de grande ampleur. Chacun doit avoir accès à un logement abordable.

« Je salue les efforts menés par les précédents gouvernements pour lever les contraintes en matière de construction de logements. Nous pouvons aller plus loin, en réduisant encore les délais, en allégeant les demandes d’autorisation, en favorisant la densification, en facilitant les changements d’usage… Cela suppose aussi de relancer l’investissement locatif et l’accession à la propriété, ainsi que de soutenir les maires bâtisseurs par un système d’encouragement à l’investissement, y compris privé.

« Dans le domaine du transport, qui est la condition même de l’égalité des droits sur le territoire, nous avons devant nous des défis en matière de financement des infrastructures et des nouveaux équipements. Une conférence sur le financement durable des transports sera organisée avec les collectivités locales et les professionnels, afin de se préparer à ces défis.

« La santé est l’une des toutes premières préoccupations des Français. L’organisation de notre système de santé est au cœur du modèle social français.

« Nous avons tous été confrontés, pour nous ou un proche, à l’impossibilité de trouver un médecin généraliste, un spécialiste, un dentiste pour nous faire soigner. Quant à l’hôpital, il connaît aussi une crise, en particulier financière, qui est plus que préoccupante.

« L’absence de vision pluriannuelle des ressources consacrées à notre système de santé le prive de facto des moyens de porter des projets à moyen et long terme. Elle complique ainsi sa capacité à anticiper les futurs besoins de santé des Français. Il faut passer d’une logique budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuelle.

« Il faut aussi travailler sur l’enjeu clé que représente la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front la question de la formation des soignants.

« Je souhaite confirmer que la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme l’avait décidé mon prédécesseur Michel Barnier.

« Dans ce cadre, pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le Gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui permettra d’améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles. À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et des consultations ne sera pas reprise.

« Le sport est, comme la culture, un puissant facteur de cohésion, d’épanouissement et de fierté. Après une année olympique historique et avec devant nous le projet Alpes 2030, nous devons encourager la pratique du sport dès l’école. Dans le cadre des parcours de soins des malades chroniques, nous devons également présenter une nouvelle offre dans les maisons sport-santé. Ainsi, 100 000 bilans d’activité physique seront proposés aux personnes atteintes de telles maladies.

« La promesse française est aussi fondée sur l’attention aux plus fragiles et aux plus vulnérables.

« Il faut poursuivre la mobilisation de l’ensemble du Gouvernement autour de la politique du handicap, alors que nous allons fêter le vingtième anniversaire de la loi de 2005. C’est l’objet de l’école pour tous, qu’il faut améliorer, alors que la politique de l’école inclusive a atteint une masse critique. Un comité interministériel du handicap sera aussi organisé dans les meilleurs délais. Et je tiens au remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025.

« Dans le cadre de la grande politique démographique que j’appelle de mes vœux, après les travaux du Haut-Commissariat au plan, il nous faut avancer sur la question du grand âge. L’objectif est de permettre aux personnes de bien vieillir et d’avoir le choix de leur domicile. Cela suppose l’ouverture d’un dialogue avec le Parlement et les départements.

« Je réaffirme aussi la priorité, qui est pour moi attachée à la politique de protection de l’enfance, que représente la création d’un Haut-Commissariat à l’enfance, »…

M. Guy Benarroche. Paroles, paroles !

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. … « qui permettra d’inscrire cette politique dans la continuité.

« Parmi les personnes qui souffrent dans notre pays aujourd’hui, on compte trop souvent des étudiants en situation de précarité, en particulier lorsqu’il faut se loger dans les grandes villes où les loyers dépassent les moyens de leurs familles. C’est pourquoi la carte universitaire et le réseau des universités constituent une grande question académique et sociale. Nous lancerons la construction de 15 000 logements par an pendant trois ans, en mobilisant le foncier disponible de l’État.

« En m’adressant à vous, mesdames, messieurs les députés, j’ai conscience de parler à la Nation tout entière, aux Françaises et aux Français qui nous regardent, à tous ceux qui ont les yeux tournés vers la France, que la vision de nos désunions décourage et que nos paroles ont fini par lasser. »

Mme Pascale Gruny. Ça, c’est vrai !

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. « Pour eux, ce n’est pas un mandat qui est en jeu, c’est la journée qui vient, c’est le jour même, avec l’angoisse du chômage, celle du prix de la vie, l’inquiétude pour un conjoint, des parents âgés, des enfants dont l’avenir semble obstrué.

« Nous n’avons pas le droit, surtout au nom de nos passions politiques, d’hypothéquer la vie de nos concitoyens. Ils attendent des actes, et c’est sur nos actes qu’ils jugeront de nos paroles, de nos promesses et de nos indignations. C’est sur nos actes qu’ils nous jugeront, tout simplement.

« Le but de cette déclaration de politique générale est de permettre à ces concitoyens de passer de la plus extrême inquiétude à la conviction que, même si nous ne sommes pas certains de tous les résoudre, nous traiterons les problèmes qui se posent avec toutes nos forces et tous nos moyens.

« Nous n’allons pas d’un seul coup passer de l’ombre à la lumière. Nous n’allons pas vivre le Grand Soir. Mais si je parviens à me faire entendre de vous, élus de la Nation, et de nos concitoyens, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu, mais raisonnable. C’est ce projet que j’ai voulu présenter devant vous.

« Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c’est la vie. Pierre Mendès France, et je ne cite pas cette référence ici par hasard, aurait dit : “Il n’y a pas de politique sans risque, il n’y a que des politiques sans chance.”

« J’ai foi dans le peuple français. J’ai foi dans ses représentants. Je sais les ressources d’intelligence, de bravoure, de droiture de notre nation lorsqu’elle choisit de surmonter l’épreuve. Notre peuple, notre pays, avec son histoire, a la capacité de se ressaisir. Je n’en veux que deux preuves : nous sommes aujourd’hui le plus jeune des pays européens, »…

M. Guy Benarroche. Grâce à l’immigration !

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. … « et, en termes de croissance, nous sommes devant l’Allemagne sur les quarante dernières années, en particulier les sept dernières années. Nous sommes un peuple doté de ressources, à la condition qu’il trouve l’unité qui si souvent lui manque. Il l’a fait bien des fois au cours de son histoire, et c’est à nous aujourd’hui que cette mission, cette charge et cette chance reviennent. » (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et RDSE. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration de politique générale dont il vient d’être donné lecture au Sénat.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous suspendrons notre séance à dix-neuf heures, en raison de la cérémonie des vœux de M. le président du Sénat.

5

Candidature à une commission

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des finances a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

Loi de finances pour 2025

Motion d’ordre

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, comme vous le savez, l’ordre du jour du Sénat prévoit la reprise de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 à compter de demain, à la suite de la déclaration du Premier ministre et du débat prévu à l’article 50-1 de la Constitution.

Aussi, comme je le fais très régulièrement de façon à permettre des regroupements par thématique, je sollicite, en application de l’article 46 bis, alinéa 2 du règlement du Sénat, l’examen séparé de certains amendements aux missions « Outre-mer », « Aide publique au développement », « Sport, jeunesse et vie associative » et « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Cette pratique a vocation à éviter des discussions communes qui porteraient sur un nombre excessif d’amendements, rendant les échanges difficiles.

Mme la présidente. Je suis saisie, en application de l’article 46 bis, alinéa 2, du règlement du Sénat, d’une demande de la commission des finances d’examen séparé de certains amendements aux missions « Outre-mer », « Aide publique au développement », « Sport, jeunesse et vie associative » et « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales »

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la dérogation d'usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire
Avant l’article unique

Dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du Gouvernement, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prolonger la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire (proposition n° 160, texte de la commission n° 183, rapport n° 182).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de lartisanat, des petites et moyennes entreprises et de léconomie sociale et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravie que nous soyons réunis aujourd’hui pour discuter de cette proposition de loi visant à prolonger l’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire.

Je formule le vœu que cette étape conduise à l’aboutissement d’une saga qui occupe le Parlement et le Gouvernement depuis maintenant plusieurs mois et qui concerne directement le quotidien de près de six millions de Français.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler le contexte dans lequel s’inscrit l’examen de ce texte, dont la députée Anne-Laure Blin est à l’initiative. Il me semble d’autant plus important de le faire que les discussions ont été vives sur ce sujet et que certains arguments entendus dans le débat public méritent précision et clarification.

Le titre-restaurant a un objectif principal simple : donner au salarié qui n’a ni cantine ni espace repas sur son lieu de travail la possibilité de se nourrir lors de la pause déjeuner.

Lorsque le dispositif a été créé en 1967, il est vrai que le choix était un peu plus restreint qu’aujourd’hui : à midi, le salarié pouvait soit aller au restaurant, soit se rendre chez un commerçant, mais les offres de plats pour le déjeuner étaient alors plus rares qu’aujourd’hui.

Il faut également rappeler que le salarié pouvait aller dans un supermarché, même s’ils n’étaient pas bien nombreux à cette époque, et que le titre n’ouvrait droit qu’à un nombre limité de produits.

Le titre-restaurant, avantage social préféré des Français, fait intervenir un certain nombre d’acteurs.

Il est tout d’abord cofinancé par l’employeur et par le salarié, ce dernier prenant en charge entre 40 % et 50 % de la valeur faciale du titre.

L’État est également de la partie, puisque la part employeur est exonérée de cotisations sociales dans la limite, aujourd’hui, de 7,18 euros.

Et, bien entendu, les restaurateurs, les commerçants et les émetteurs de titres sont des parties prenantes clés de ce marché, qui est évalué à 9 milliards d’euros environ et qui se trouve en croissance compte tenu de la forte adhésion des Français au dispositif.

Je souhaiterais m’attarder quelques instants sur les évolutions récentes apportées au titre-restaurant, dont la dernière en date nous réunit aujourd’hui.

En raison du confinement en 2020, les salariés n’ont pu faire usage de leurs titres pendant deux mois ; ils les ont donc accumulés. Or le plafond était alors de 19 euros par jour, ce qui était particulièrement contraignant pour les écouler une fois le déconfinement arrivé.

Il a donc été décidé de porter ce plafond à 38 euros, à la fois pour permettre cet écoulement, mais aussi – il est nécessaire de le rappeler – pour apporter un soutien supplémentaire au monde de la restauration, qui avait particulièrement souffert pendant cette période.

Deuxième évolution, le plafond d’exonération a été augmenté de 4 % pour accroître encore le caractère incitatif du titre-restaurant.

Surtout, la troisième évolution concerne le panier éligible : la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat de 2022 a autorisé les salariés à utiliser les titres pour acheter non plus uniquement des produits alimentaires directement consommables, comme les sandwichs ou les salades toutes prêtes, mais aussi des produits alimentaires non directement consommables, comme la farine, les pâtes, le riz ou l’huile.

Cette possibilité, introduite au Sénat par le biais d’un amendement déposé par Frédérique Puissat, ne devait durer que jusqu’à la fin 2023. À cette date, le Gouvernement et le Parlement ont fait le choix de prolonger cette dérogation jusqu’à la fin de 2024, compte tenu notamment de l’inflation persistante durant cette période.

Cela nous amène au texte que nous examinons aujourd’hui. En effet, il était initialement prévu que le gouvernement précédent mène une réforme d’ampleur du titre-restaurant dans le courant 2024, sous le pilotage d’Olivia Grégoire. Cette réforme aurait notamment tranché définitivement le sort de cette dérogation : la supprimer ou la pérenniser ? La dissolution de juin dernier a interrompu le processus.

Le même sujet s’est donc posé à la fin de l’année dernière : la dérogation doit-elle être prolongée en 2025, et peut-être au-delà, ou doit-elle disparaître ? L’Assemblée nationale a répondu, à l’unanimité, que la dérogation devait être prolongée jusqu’à la fin de 2026, et cela pour deux raisons principales.

La première, c’est qu’une période de deux ans permet de parer à toute éventualité politique et de ne pas remettre l’ouvrage sur le métier une quatrième fois en quatre ans. En outre, cela permet au Gouvernement de mener à bien la réforme que je mentionnais à l’instant et aux professionnels d’avoir le temps nécessaire de la mettre en œuvre.

La seconde raison, c’est la très forte demande des Français, qui souhaitent pouvoir acheter un large panier de produits alimentaires avec ces titres, et non être contraints et se faire des nœuds au cerveau : les sandwichs sont autorisés, mais pas le riz, les salades toutes faites sont éligibles, mais pas la farine, etc.

On peut les comprendre : il s’agit – il faut le redire – de leur argent ; il faut donc leur laisser la liberté d’en disposer comme ils le souhaitent, dès lors que cela permet de se nourrir. D’après une étude de la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), 96 % des Français interrogés ont déclaré souhaiter le maintien de cette liberté.

En tant que ministre, j’entends agir résolument en faveur de la simplification.

Simplification de la vie de nos entreprises, notamment des PME, des commerçants et des artisans, mais également de celle des consommateurs. Or il me semble que nous tenons là une mesure bienvenue de simplification, extrêmement plébiscitée, et tout à fait logique sur le fond. Je note d’ailleurs que le Premier ministre a fait état de la nécessité d’une telle simplification dans sa déclaration de politique générale.

J’entends les craintes exprimées par certains professionnels, qui s’inquiètent d’un manque à gagner pour leur profession. Je veux leur dire que ma porte est bien entendu toujours ouverte et qu’ils seront étroitement associés aux travaux que je vais conduire en la matière dans les semaines à venir.

Il est ainsi souvent mis en avant une perte de chiffre d’affaires que les restaurateurs auraient eu à connaître à la suite de l’instauration de cette dérogation : je précise cependant que l’évolution de leur activité est avant tout le reflet de changements des modes de consommation et de la recherche de prix bas par des consommateurs subissant une inflation alimentaire importante durant la dernière période.

Nous avons tous vu, du reste, les réactions de surprise et de mécontentement émanant des Français découvrant il y a quelques jours que, le 1er janvier 2025, leur titre-restaurant n’était plus accepté pour tel ou tel produit, parce que la navette parlementaire sur cette proposition de loi avait été suspendue par le vote de la censure.

Tout converge donc pour accepter le principe de la prolongation. Le Gouvernement formule le vœu que le Sénat adopte les amendements tendant à privilégier une prolongation de deux ans, plutôt qu’un an. Ce faisant, grâce à la conformité des positions adoptées par les deux chambres, le texte pourrait immédiatement être transmis au Président de la République pour promulgation. Nous mettrions ainsi fin, le plus vite possible, à la situation d’incertitude et de gêne que les consommateurs connaissent aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais conclure mon propos par quelques mots sur la réforme plus ambitieuse que j’évoquais précédemment. De larges concertations ont été conduites par mes prédécesseures, Olivia Grégoire et Laurence Garnier, dont je veux saluer ici l’engagement. Je souhaite les reprendre à mon compte, entendre toutes les parties prenantes et avancer sur cette réforme.

Ses principaux axes sont la dématérialisation obligatoire du titre-restaurant, le contrôle des émetteurs, l’évolution de la CNTR et une réflexion sur le niveau des commissions.

Restaurateurs, petits commerçants, grande distribution, émetteurs, salariés, patronat : tous seront reçus et entendus, afin que nous avancions au plus vite sur cette réforme et qu’elle puisse aboutir, enfin. Je sais qu’une grande partie du travail a déjà été menée et a permis de parvenir à une forme de consensus : nous devrions donc pouvoir avancer rapidement, en lien avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi avec les députés et l’ensemble des parties prenantes.

Ce report de deux ans fixe une date butoir, mais rien ne nous interdit de mettre en place le nouveau dispositif que nous construirons ensemble bien avant la fin de cette période. Mon objectif est que nous puissions présenter les grandes lignes de la réforme des titres-restaurant dès cet été, afin de donner des perspectives claires à l’ensemble des acteurs concernés, pour une mise en œuvre effective dans les mois qui suivent.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Élisabeth Doineau et Corinne Bourcier applaudissent également.)

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en décembre 2023, le Sénat a choisi de prolonger pour un an l’assouplissement temporaire des règles d’utilisation du titre-restaurant qu’il avait introduit à l’été 2022, dans le cadre des mesures d’urgence pour protéger le pouvoir d’achat face à l’inflation.

Certes, l’inflation n’est plus aussi inquiétante que les années précédentes, puisque, selon l’Insee, l’indice des prix à la consommation aurait augmenté de 1,8 % en 2024. Cependant, la problématique de la vie chère n’épargne pas nos compatriotes. Elle prend même une tournure dramatique dans certains territoires, à commencer par les départements et collectivités d’outre-mer.

Dans ce contexte, il nous est de nouveau proposé de prolonger l’assouplissement temporaire des règles d’utilisation du titre-restaurant, afin de permettre son utilisation pour l’achat de denrées alimentaires non directement consommables.

Reconnu par une ordonnance de 1967, le titre-restaurant est un titre de paiement spécial, cofinancé par l’employeur et par le salarié, qui permet notamment de répondre à la situation des salariés ne disposant pas d’un lieu de restauration collective.

De plus en plus souvent dématérialisé, il ne doit pas être confondu avec un chèque alimentaire, puisqu’il est uniquement destiné à l’achat d’un repas par journée travaillée par le salarié. Le respect de cet usage est essentiel, car c’est lui qui justifie les exonérations sociales et fiscales dont bénéficie le dispositif du titre-restaurant, lesquelles coûtent chaque année plus de 1,5 milliard d’euros à l’État et à la sécurité sociale.

Pour s’assurer de ne pas trahir la vocation des titres-restaurant, le repas acheté par ce moyen doit être en principe composé de préparations alimentaires directement consommables ou de fruits et de légumes. A contrario, ces titres ne sauraient être utilisés pour acheter des boissons alcoolisées ou de la nourriture infantile. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.)

En parallèle, les types de commerces pouvant accepter des titres-restaurant ont été élargis. Tout d’abord réservé aux seuls restaurateurs, leur usage a été étendu aux détaillants en fruits et légumes, puis aux commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR). Ces derniers relèvent principalement des commerces de bouche et des grandes et moyennes surfaces, même si l’émergence de commerces en ligne agréés m’a été confirmée durant les auditions, madame la ministre, ce qui doit nous interpeller.

De ce fait, la CNTR estime que, en 2024, 180 000 employeurs ont eu recours au titre-restaurant, pour 5,4 millions de salariés, représentant l’émission de plus de 10 milliards d’euros.

Comme je l’ai indiqué plus tôt, la vocation du titre-restaurant n’est pas de soutenir le pouvoir d’achat des salariés, pas plus que le bilan et les marges des restaurateurs face aux trop nombreuses difficultés financières qu’ils rencontrent aujourd’hui – celles-ci sont liées à l’augmentation de leurs charges d’exploitation en raison de l’inflation sur l’énergie et les matières premières, mais aussi au remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) et à leurs problèmes de recrutement ; nous en sommes convaincus, ces difficultés sont caractérisées et patentes.

Pour autant, faute de meilleur outil, le titre-restaurant a de fait été mobilisé face à l’inflation rencontrée en 2022, puis en 2023, tout d’abord via le rehaussement du plafond d’utilisation journalière à 25 euros en 2022, puis par l’augmentation du plafond d’exonération de la participation de l’employeur, afin d’inciter ces derniers à augmenter la valeur faciale des titres.

Toutefois, l’évolution la plus substantielle demeure, sur l’initiative de notre collègue Frédérique Puissat, puis sur celle de Sophie Primas et d’Alexandra Borchio Fontimp, d’avoir temporairement permis l’utilisation de titres-restaurant pour l’achat d’aliments non directement consommables.

Je dois le souligner, cette possibilité a provoqué l’insatisfaction profonde des restaurateurs, pour ne pas dire leur colère. Cette dernière a été alimentée par la dernière étude de la CNTR, selon laquelle la part d’utilisation des titres auprès des restaurants serait passée de 46 % à seulement 40 %, principalement au profit de la grande distribution.

Cependant, il ne faut pas confondre causalité et corrélation. Il me semble que cette évolution ne peut être uniquement imputée au dispositif que nous examinons aujourd’hui.

Tout d’abord, seuls 25 % des achats en titres-restaurant en grande surface concernent des produits non directement consommables.

Ensuite, et surtout, il nous faut admettre que cette évolution traduit avant tout une volonté des salariés. Madame la ministre, vous l’avez indiqué, plus de 96 % de ces derniers plébiscitent cette dérogation, selon de récents sondages d’opinion. Ils apprécient la flexibilité qui leur est offerte et y trouvent parfois des offres plus proches de leurs régimes alimentaires ou de leurs préférences de consommation, cohérentes avec le recours au télétravail, ou tout simplement moins chères.

Cet état de fait est admis par les restaurateurs eux-mêmes. Je tiens d’ailleurs à souligner le courage et le sérieux de leurs représentants. Ceux-ci l’ont reconnu durant les auditions que j’ai menées, revenir à l’utilisation stricte du titre-restaurant ne semblait pas souhaitable, dans l’intérêt même de la collectivité.

En revanche, et je les rejoins sur ce point à titre personnel, ils appellent à une différenciation des plafonds d’utilisation entre la restauration et la grande surface. Cette mesure paraît relever du bon sens compte tenu des coûts plus importants supportés par les restaurateurs.

La possibilité d’un double plafond semble néanmoins susciter des interrogations sur le plan juridique, qui appellent une réponse via un projet de loi doté d’une étude d’impact, et non par l’intermédiaire du véhicule législatif qui nous est présenté.

Si le principe de la dérogation est admis, il reste à en fixer la durée. La proposition de loi portée à l’Assemblée nationale par Mme Anne-Laure Blin prévoyait initialement une prolongation d’un an du dispositif. Cette durée a été portée à deux ans durant l’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale.

Au Sénat, en commission, nous avons choisi de ramener cette dérogation à une année, considérant que cette durée permettait d’éviter une forme de pérennisation larvée, mais également d’inciter à une réforme plus ambitieuse du titre-restaurant, à même de satisfaire à la fois les salariés, leurs employeurs et les restaurateurs, notamment.

Madame la ministre, vous l’avez dit, les sujets ne manquent pas pour un tel projet de loi : dématérialisation du titre afin de limiter la fraude, renforcement de la concurrence sur le marché des sociétés émettrices, renforcement des contrôles et des moyens déployés par la CNTR, enfin, mise en place d’une différenciation des plafonds entre restaurateurs et grandes surfaces.

Je maintiens devant vous la position de la commission : sur le principe, une durée d’un an paraît la plus juste.

Cependant, force est de constater que la situation a évolué depuis l’examen de la proposition de loi en commission. L’instabilité politique qui a prévalu a conduit à ce que le dispositif ne puisse être prolongé à temps pour le 1er janvier 2025. Je le déplore, d’autant que Laurence Garnier, dont je tiens à saluer l’engagement, avait permis de réelles avancées sur ce dossier en tant que secrétaire d’État à la consommation.

Par conséquent, nous sommes dans une forme de flou juridique : bien que le suspense quant à la reconduction du dispositif soit ténu, les règles d’utilisation des titres sont revenues à l’interdiction d’achat d’aliments non directement consommables. Les salariés bénéficiant de titres s’en trouvent lésés et les différents commerces agréés par la CNTR hésitent à mettre à jour leurs systèmes informatiques, ce qui représente un coût non négligeable, quand ils n’assument pas tout simplement de ne pas appliquer la loi dans l’attente de notre vote.

Mes chers collègues, vous le reconnaîtrez, cette situation n’est pas soutenable. C’est ce qui justifie plusieurs amendements identiques visant à fixer à deux ans la période de dérogation, avec l’objectif évident de permettre un vote conforme au texte adopté par l’Assemblée nationale et, ainsi, une mise en œuvre la plus rapide possible du dispositif.

Sans anticiper les débats, la commission ne s’opposera pas à ces amendements, considérant que l’urgence l’emporte sur le principe. Le même réalisme empêche de renommer l’intitulé trompeur de cette proposition de loi, puisque celle-ci ne permet précisément pas l’usage de titres-restaurant « pour tout produit alimentaire », comme je l’ai précisé plus tôt.

Enfin, madame la ministre, dans l’hypothèse selon laquelle, dans sa grande sagesse et son esprit de responsabilité, le Sénat retiendrait une dérogation de deux ans, une telle durée ne doit pas ralentir la réforme que tous les acteurs appellent de leurs vœux au plus vite, j’y insiste, pas plus que le renforcement des contrôles demandé par les restaurateurs, qui peut se faire à droit constant.

Dans l’immédiat, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Xavier Iacovelli et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)