Mme Cécile Cukierman. Tiens donc !
Mme Émilienne Poumirol. Et les congés payés !
M. Michel Canévet. Eh oui ! Depuis lors, nous sommes passés d’une société du travail à une société du loisir.
Mme Cécile Cukierman. Depuis que l’on a supprimé le travail des enfants en France… (Sourires.)
M. Michel Canévet. Il faut donc revenir sur cette réforme, en demandant non pas un effort exceptionnel aux salariés, mais un effort qui soit à la hauteur des besoins de la protection sociale, aujourd’hui.
Nous devons le faire, parce que nous ne vivons pas en autarcie, entre nous ou en dehors d’un monde qui est en train d’évoluer. Vous le voyez bien, l’espérance de vie augmente et il faut que les Français puissent travailler un peu plus, d’autant qu’ils entrent plus tard dans la vie active.
De plus, nous sommes confrontés aussi à la concurrence internationale, de sorte que nous avons besoin d’entreprises qui soient particulièrement performantes. Or le temps de travail n’est pas suffisant dans notre pays au regard de ce qui est pratiqué dans les autres pays. Par conséquent, l’augmenter légèrement, de dix-huit heures supplémentaires par an, ne sera vraiment pas un effort très important.
Encore une fois, il s’agit de savoir si nous devons travailler dix-huit heures de plus par an ou bien continuer à supporter des déficits que jamais nous n’arriverons à résorber et que les générations futures auront à payer.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Faux : on a proposé des recettes !
M. Michel Canévet. Nous ne voulons pas de la dernière option. Pour l’éviter, nous devons faire preuve de responsabilité et prévoir des réponses immédiates.
M. le président. L’amendement n° 1043 rectifié bis, présenté par M. Chasseing, Mme L. Darcos, MM. Chevalier, Rochette, Brault, Laménie et Wattebled, Mme Paoli-Gagin, MM. Grand, Malhuret, L. Vogel, V. Louault, A. Marc et Menonville, Mmes Sollogoub, Perrot, Belrhiti, Dumont et Antoine et MM. Haye et E. Blanc, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 3133-7 du code du travail, les mots : « La journée de solidarité instituée » sont remplacés par les mots : « Les journées de solidarité instituées » et les mots : « prend » sont remplacés par les mots : « prennent ».
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Emmanuel Capus. La sagesse corrézienne ! (Sourires sur les travées du groupe INDEP.)
M. Daniel Chasseing. La trajectoire actuelle nous permet d’affirmer que nous ne serons pas à la hauteur pour relever le défi du vieillissement de la population qui va s’accentuer. La proportion des personnes de plus de 85 ans devrait doubler entre 2020 et 2040 et nous devrions passer de 1,3 million de personnes dépendantes en 2020 à 2 millions entre 2040 et 2050.
Il faut donc augmenter le recrutement de personnel en Ehpad pour arriver le plus rapidement possible à 0,75 équivalent temps plein (ETP), en créant 35 000 emplois, soit quatre postes supplémentaires par établissement.
Nous devons aussi réhabiliter les Ehpad, renforcer le maintien à domicile et augmenter le nombre de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) pour les personnes âgées et les personnes handicapées.
Pour mettre en œuvre ces mesures indispensables et pour prendre en charge la dépendance de façon décente, nous devrons créer 50 000 emplois. Il est impératif de disposer de 2,5 milliards d’euros supplémentaires par an. L’instauration d’une seconde journée de solidarité permettrait ce financement et montrerait une cohésion nationale dynamique et consciente de l’enjeu budgétaire grave auquel notre pays est confronté.
De plus, nous avons bénéficié d’un certain nombre de « cadeaux », comme la suppression de la taxe d’habitation et de la contribution à l’audiovisuel public, qui ont coûté 22 milliards d’euros à l’État. Nous ne demandons qu’un peu de solidarité, pas plus de dix minutes de travail non rémunéré par semaine, pour financer une cause noble, celle de la gestion de l’autonomie. Nous devons cette solidarité à nos aînés, nous devons penser à l’Histoire et à ceux qui se sont dévoués pour nous. Voilà ce qui figure aussi dans le rapport Vachey.
N’instaurons pas de nouvelles taxes, mais prévoyons un petit geste de solidarité pour nos aînés. La France est l’un des pays de l’OCDE où l’on travaille le moins. Il me semble que nous devrions pouvoir fournir un effort de sept heures de plus par an.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Chasseing. L’entreprise crée la richesse et l’économie. C’est la raison pour laquelle nous devons non pas la taxer davantage, mais au contraire demander aux actionnaires d’investir pour créer la richesse et de l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 820 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
L’amendement n° 904 rectifié ter est présenté par MM. Canévet et Mizzon, Mme Sollogoub, MM. Fargeot, Delcros, Longeot, S. Demilly, Courtial, Bleunven et Duffourg et Mme Havet.
L’amendement n° 947 est présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 137-40 du code de la sécurité sociale, le taux : « 0,3 % » est remplacé par le taux : « 0,6 % ».
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 820.
Mme Raymonde Poncet Monge. Mes chers collègues, nous serons tous d’accord pour envisager la contribution de solidarité pour l’autonomie non pas simplement comme une cotisation de l’employeur, mais comme la contrepartie des sept heures de travail non rémunérées. Nous proposons donc de doubler son taux en le faisant passer de 0,3 % à 0,6 % sans augmenter le temps de travail.
Puisque Michel Canévet a ouvert le sujet, je tiens à dire que le passage aux 35 heures a entraîné une intensification du travail inédite, qui a été une mauvaise manière d’accroître la productivité. En effet, il s’agissait de faire en 35 heures ce que l’on faisait auparavant en 39 heures.
M. Daniel Chasseing. Non !
Mme Raymonde Poncet Monge. Mais si ! Lisez les études économiques, notamment celle de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) qui montre, mesures à l’appui, que l’intensification du travail – c’est-à-dire l’augmentation de productivité, car c’est bien de cela qu’il s’agit – atteint un niveau inédit. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Étant donné la nécessité d’augmenter sérieusement le financement de la branche autonomie pour baisser le reste à charge des ménages, nous proposons, au travers de cet amendement, de rehausser le taux de la contribution de solidarité pour l’autonomie de 0,3 % à 0,6 %. Il s’agit, ainsi, de faire contribuer les employeurs pour assurer un financement pérenne à la hauteur des besoins et des attentes sociétales.
Encore une fois, mes chers collègues, vous ne pourrez pas augmenter davantage le temps de travail compte tenu du niveau inédit de l’intensification du travail constaté aujourd’hui en France. Je vous le dis, vous ne récolterez que du burn-out, de l’épuisement professionnel et des arrêts de travail. Il n’est pas possible d’augmenter un temps de travail déjà densifié et intensifié.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour présenter l’amendement n° 904 rectifié ter.
M. Michel Canévet. Je souscris entièrement à l’analyse que vient de faire ma collègue sur les méfaits des 35 heures. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à augmenter le temps de travail ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Kanner. Déposez une proposition de loi !
M. Michel Canévet. C’est indispensable si nous voulons apporter une réponse satisfaisante au problème de financement qui est le nôtre.
L’amendement n° 904 rectifié ter est un amendement de repli. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de présenter un amendement à l’objet identique l’année dernière et celle d’avant. Hélas ! la commission n’y a pas été favorable, sinon nous n’en saurions pas à avoir ce débat aujourd’hui. Comme quoi, il n’est pas toujours bon d’avoir raison trop tôt… (Sourires sur les travées du groupe UC.)
L’amendement n° 903 rectifié ter vise à porter le temps de travail annuel de 1 607 heures à 1 625 heures, toutes ces heures étant bien évidemment rémunérées. Il ne s’agit évidemment pas de travailler gratuitement. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et SER.) Je tiens à le préciser ! Cette mesure générerait une recette significative qui permettrait d’apporter des réponses à tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis le début de l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je préférerais nettement que cet amendement soit voté plutôt que l’amendement de repli que je suis en train de présenter, dont l’adoption apportera une réponse ponctuelle au problème de l’autonomie, mais ne suffira pas à long terme.
Réfléchissez-y ! C’est le sens de l’Histoire que d’augmenter le temps du travail pour que notre pays soit mieux armé pour affronter la compétition économique dans le monde. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Allons-y, n’ayons pas peur !
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 947.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet amendement vise à doubler le niveau de la contribution de solidarité pour l’autonomie payée par les entreprises, afin de ne pas laisser les salariés et les retraités financer, seuls, la branche autonomie.
Il s’agit donc de faire participer les entreprises au financement de cette branche, car la perte d’autonomie est une conséquence du mal-travail que la sécurité sociale est la seule à assumer pour l’instant.
Nous considérons qu’il existe une réponse autre à la politique d’austérité du gouvernement Barnier et à la casse des droits collectifs proposée par la majorité sénatoriale. Il est possible d’augmenter la contribution des entreprises pour financer la branche autonomie sans imposer aux travailleurs de travailler gratuitement, sept heures de plus par an, comme le propose la majorité gouvernementale du Sénat.
M. le président. L’amendement n° 574 rectifié, présenté par Mmes Le Houerou et Poumirol, MM. Montaugé et Uzenat, Mmes Bélim et Blatrix Contat, M. Tissot, Mmes Conway-Mouret et Bonnefoy, MM. Redon-Sarrazy, Fagnen, Cozic et Michau, Mme Carlotti et MM. Ziane et Bourgi, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 137-40 du code de la sécurité sociale, le taux : « 0,3 % » est remplacé par le taux : « 0,6 % ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2025.
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Il s’agit d’une autre contre-proposition à l’amendement n° 125 de Mme la rapporteure générale.
Cet amendement vise à créer une recette de 2,5 milliards d’euros, soit exactement le même montant que celui qui est prévu dans l’objet de l’amendement n° 125, en doublant le taux de la contribution de solidarité pour l’autonomie.
Madame la rapporteure générale, c’est une autre solution que nous vous proposons. Vous refusez nos propositions de taxation, aussi diverses et variées soient-elles, mais vous n’hésitez pas à taxer le travail à 100 %.
M. le président. L’amendement n° 1169 rectifié, présenté par MM. Capus, Malhuret et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Chevalier, Mme Paoli-Gagin, MM. Wattebled, Brault, Grand et Longeot, Mmes Dumont et Perrot et M. Sautarel, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code du travail est ainsi modifié
1° Après la section 3 du chapitre III du titre III du livre Ier de la troisième partie, il est inséré une section ainsi rédigée :
« Section …
« Journée de solidarité par le travail
« Art. L 3133-…. - Une journée de solidarité par le travail est instaurée en vue d’assurer le financement de la branche autonomie et de la branche vieillesse de la sécurité sociale. Cette journée prend la forme d’une journée supplémentaire de travail par la suppression d’un jour de congé payé. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 3141-3 est complété par les mots : « dont un jour est reversé sous forme de contribution à la branche autonomie et à la branche vieillesse de la sécurité sociale par la journée instituée à l’article L. 3133-13 ».
La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Cet amendement s’inscrit dans la continuité de ceux qu’ont présentés les orateurs précédents, en particulier Michel Canévet et Daniel Chasseing.
Les Français travaillent en moyenne 1 664 heures par an. C’est l’un des taux de travail les plus bas de la zone euro et de l’OCDE, la moyenne des pays de l’OCDE étant de 1 770 heures par an.
Nous pourrions considérer que le fait de travailler peu justifie un régime social défaillant et pas assez protecteur. C’est pourtant l’inverse. Nous travaillons moins que les autres, mais nous avons un système social plus protecteur qu’ailleurs. Nous ne pouvons que nous en féliciter, c’est le fruit de notre histoire.
Qui plus est, les besoins s’accroissent, car les problèmes de dépendance se multiplient, d’autant que la génération des baby-boomers arrive à la retraite et deviendra bientôt dépendante.
Pour résumer, nous travaillons moins que les autres, nous bénéficions d’une protection plus grande et nos besoins s’accroissent. Comment répondre à la difficulté que pose cette situation ? Il faut le faire en travaillant plus – pas énormément, sept heures de plus.
Plusieurs mécanismes ont été proposés, celui de la rapporteure générale et celui de Daniel Chasseing. J’en propose un troisième, qui prévoit également sept heures de travail supplémentaires, mais, plutôt que de polémiquer sur la suppression de tel ou tel jour férié, cela prendra la forme d’un jour de congés payés en moins. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) La France restera toutefois le pays où il y a le plus de congés payés au monde.
Pour conclure, je dirai comme Michel Canévet que je suis d’accord avec Mme Poncet Monge. En plus d’être désastreux pour la compétitivité de notre pays, le passage aux 35 heures l’a aussi été pour la qualité des conditions de travail. Il a favorisé le stress au travail. En réalité, aucun emploi n’a été créé, parce que les salariés ont fait en 35 heures ce qu’ils faisaient en 39 heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. La proposition de Michel Canévet se rapproche de celle de la commission des affaires sociales, puisqu’il s’agit d’instaurer dix-huit heures de travail supplémentaires, effectuées dans les mêmes conditions que la journée de solidarité. Nous souscrivons à l’objectif de renforcer les moyens alloués à l’autonomie de manière pérenne, mais la quotité proposée risquerait de compromettre le consentement des travailleurs.
Certains peuvent contester cette notion de consentement, mais, comme je vous le disais précédemment, cela fait vingt ans que la première journée de solidarité a été instituée et elle ne donne pas tellement lieu à contestation. Elle reste globalement plutôt bien acceptée. (M. André Reichardt acquiesce. – M. Mickaël Vallet s’exclame.)
Quoi qu’il en soit, il nous semble préférable d’en rester à la proposition de la commission, même s’il faudra très rapidement la compléter par de nouvelles sources de financement. Je ne vous cache pas, en effet, que la recette attendue de 2,5 milliards d’euros ne suffira pas pour établir une stratégie de long cours en matière de politique du grand âge.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 1360, ainsi que sur l’amendement n° 903 rectifié ter.
Je partage bien évidemment l’objectif que défend l’auteur du sous-amendement n° 1365, à savoir une meilleure couverture des dépenses sociales par la CNSA. Aujourd’hui, le taux de couverture des dépenses d’APA est de 46 %, alors qu’il est seulement de 31 % pour les dépenses de PCH. Dans les deux cas, c’est trop peu.
Toutefois, en affectant un quart du produit de la CNSA aux départements, nous priverions la branche autonomie d’une partie importante de ses ressources. Cela représenterait une perte de 600 millions d’euros aujourd’hui, mais une perte de plus de 1,2 milliard d’euros si nous adoptons la contribution de solidarité proposée par la commission, qui doublerait les recettes de la CNSA.
Par ailleurs, la proposition de la commission vise à financer la branche autonomie de la sécurité sociale pour sécuriser son avenir, en affectant une partie des recettes nouvelles directement aux départements. Nous risquerions de brouiller le message si nous allions plus loin.
Enfin, nous examinerons à l’article 20 un amendement du Gouvernement qui prévoit une réforme des concours de la CNSA aux départements. Une garantie sur le taux de couverture des dépenses départementales au titre de l’APA et au titre de la PCH est notamment prévue. Nous pourrons alors débattre plus précisément de ce sujet et du financement de ces différentes prestations assurées par les départements.
Par conséquent, la commission demande le retrait du sous-amendement n° 1365 ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
La proposition de la commission vise à instaurer une contribution de solidarité par le travail, dans le cadre de laquelle le taux de la CSA sera augmenté de 0,3 % à 0,6 %. Par conséquent, les amendements nos 1043 rectifié bis, 574 rectifié et 1169 rectifié, ainsi que des amendements identiques nos 820, 904 rectifié ter et 947 sont satisfaits. C’est pourquoi la commission en demande également le retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme Cécile Cukierman. Nous ne l’avions pas compris ainsi.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Telle est pourtant la réalité !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Avant d’aborder le sujet du temps de travail, sur lequel portent tous ces amendements et sous-amendements, je veux revenir sur celui des contributions de la CNSA que Mme la rapporteure générale vient d’évoquer. C’est d’autant plus important qu’il s’agit en réalité de l’élément sous-jacent sur lequel reposent toutes les propositions que nous examinons.
Laissez-moi vous rappeler quelques chiffres.
À périmètre constant, compte tenu des annonces du Premier ministre, le montant des concours de la CNSA devrait atteindre 6 milliards d’euros en 2025, couvrant ainsi le soutien exceptionnel de 200 millions d’euros aux départements, qui a été annoncé, et l’ensemble des aides pour couvrir les dépenses de l’APA et de la PCH – vous les avez citées, madame la rapporteure générale.
Le sujet du financement de l’autonomie reste central. Faut-il que cela passe par une augmentation du temps de travail ? Vous avez eu le mérite de poser le débat dans les bons termes, au travers de ces amendements. En réalité, c’est la question plus générale du financement de notre modèle social qui est posée, considérée ici sous l’angle de la cinquième branche.
Dans notre pays, le modèle de protection sociale repose essentiellement sur le travail. C’est un choix que certains contestent, mais qui reste fidèle, me semble-t-il, aux idéaux de ceux qui ont créé la sécurité sociale.
Mme Cécile Cukierman. Nous tenons le nouvel Ambroise Croizat…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Si nous finançons notre régime social par le travail et que nous devons faire face à une multiplication des besoins et des dépenses, alors il faut travailler plus : il suffirait d’un simple produit en croix pour le démontrer.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous savez calculer !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. N’est-ce pas ? J’ai fait des mathématiques, madame la sénatrice. (Sourires.)
Plus sérieusement, pourquoi est-il pertinent et intéressant de poser la question du temps de travail ? Comme certains d’entre vous l’ont fait, il faut comparer notre situation à celle des autres pays pour mesurer ce qu’est la réalité du travail effectif dans notre pays. Les chiffres précis…
M. Guillaume Gontard. Quels chiffres ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … indiquent que la durée annuelle de travail effectif est de 1 664 heures en France, soit 122 heures de moins qu’en Allemagne.
M. Michel Savin. Voilà !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Comme l’a dit le sénateur Canévet, les jours de congé font toute la différence, puisqu’on en compte, en moyenne, 34 en France, contre 27 au Royaume-Uni et 26 au sein de l’Union européenne.
Comparons avec des pays où le niveau de vie et le niveau de protection sociale sont proches des nôtres. La durée annuelle de travail effectif est de 1 696 heures en Belgique, de 1 729 heures en Espagne et de 1 786 heures en Allemagne. Quant à la moyenne européenne, elle est de 1 792 heures.
Chacun peut tirer les conclusions qu’il veut de cette comparaison et considérer que la réponse au problème de la cinquième branche n’est pas dans l’augmentation du temps de travail. Reste qu’il faudra bien, à un moment ou à un autre, trouver les moyens de financer notre système de protection sociale – ni plus ni moins. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Si nous voulons continuer de financer notre système de protection sociale grâce aux cotisations sur le travail des salariés et des employeurs, alors la question du temps de travail n’est pas un tabou et doit être posée.
Mme Audrey Linkenheld. Est-ce une annonce ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Cela doit-il se faire via un amendement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Le Gouvernement ne le souhaite pas, car nous considérons que travailler le sujet avec les partenaires sociaux serait une bonne idée. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. C’est même un préalable !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Quoi qu’il en soit, il serait hypocrite d’écarter ce débat d’un revers de main, en laissant croire que le temps de travail n’est pas un problème dans notre pays, alors que les besoins de notre régime de protection sociale sont supérieurs à ceux des pays voisins.
Certains voudraient ainsi se payer un système de protection sociale déconnecté de la réalité démographique et de la notion de temps de travail. La contradiction est aussi simple que cela.
Quel modèle voulons-nous préserver dans notre pays ? Je suis certain que, sur l’ensemble des travées, vous tenez tous au renforcement de notre système de protection sociale à la française.
M. Patrick Kanner. Oui !
M. Guillaume Gontard. Ce que vous proposez n’est pas le modèle à la française.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Il faudra avoir le courage d’envisager la question de son financement. Et si nous voulons continuer de le financer par le travail, alors il faudra travailler plus, d’une manière ou d’une autre.
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas sûr !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de tous les amendements et sous-amendements en discussion commune ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Figurant dans le rapport d’information de la commission des affaires sociales sur la situation des Ehpad, qui n’a pas été adopté à l’unanimité, voilà que la proposition d’une journée de solidarité fait son retour, après que celle-ci a été rebaptisée « contribution de solidarité par le travail ». Même sous ce nom, elle pèse bien une journée. Malgré votre tentative de la calculer sur la semaine – pourquoi pas sur un an ? –, cette euphémisation ne change rien à l’affaire : il s’agira bien d’une journée de repos en moins.
Cette fausse bonne idée, madame la rapporteure générale, a été écartée par le rapport de Dominique Libault, qui soulignait que la mise en place d’une nouvelle journée de solidarité n’était apparue opportune à aucun participant de la concertation sur le grand âge et l’autonomie.
De même, le rapport Vachey a jugé que les effets d’une telle mesure seraient incertains sur l’économie et l’emploi. En lieu et place, il recommandait de revenir sur les exonérations de cotisations sociales, en montrant qu’un abaissement de 3,5 Smic à 2,5 Smic du « bandeau » famille, qui n’a aucun effet sur notre compétitivité, rapporterait 1,1 milliard d’euros, et ce sans mauvais effet notable sur l’emploi.
Nous vous proposons une autre option que cette contribution de solidarité par le travail, qui permettrait de dégager autant d’argent : il s’agit de revenir sur un dispositif rétabli en 2019, bien que des études aient démontré son inefficacité, à savoir les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, non compensées par le budget de l’État.
La perte de recettes qui découle de ces exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires correspond exactement au rendement attendu d’une augmentation de sept heures du temps de travail, soit environ 2,4 milliards d’euros. Au total, ce sont 10 milliards d’euros qui ont été donnés aux entreprises, sous la forme d’heures non compensées, qui créent pourtant des droits pour les salariés concernés.
Notons au passage que ces sept heures de travail gratuites viendront en déduction du paiement des heures supplémentaires réalisées : la mesure proposée par la commission constitue donc bien une baisse immédiate de pouvoir d’achat pour les salariés.
L’actuelle journée de solidarité, elle, est financée par le versement de la contribution de solidarité pour l’autonomie (CSA), laquelle, je tiens à le redire, est déjà une contribution sur les salaires et non une contribution employeur. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Raymonde Poncet Monge. Cette contribution de solidarité par le travail devrait donc s’appeler « contribution de solidarité par les travailleurs » !