M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le Gouvernement a une analyse contraire.

Madame Puissat, votre proposition présente un certain nombre de fragilités juridiques. Je ne suis pas certain qu’un tel dispositif fiscal emporte l’adhésion de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), au regard de ce que nous avons constaté par le passé.

En outre, je ne suis pas sûr que le rendement soit à la hauteur de ce que vous envisagez. Nos services misent plutôt sur un gain de 250 millions d’euros.

M. Olivier Rietmann. Ce n’est pas pareil !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Hélas !

Cela dit, je pense que cette démarche est intéressante. Compte tenu de la jurisprudence de Ruyter, il me semble utile de retravailler ce dispositif.

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Les objets des amendements nos 942 rectifié, 1107, 368 rectifié bis et 1221 rectifié ter s’inscrivent dans une logique tout autre, celle d’augmenter le taux de CSG sur les revenus du capital. Il s’agirait en réalité d’annuler totalement la réforme de la flat tax, qui a pourtant permis des investissements en hausse dans notre pays et fait le succès de la France ces dernières années. Ne cassons surtout pas cette dynamique.

Pour rappel, nous sommes en économie ouverte. Dès lors, s’ils ne sont pas réalisés en France, les investissements le seront dans un pays voisin. Il est donc impératif d’assurer notre attractivité en matière d’investissements.

En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

Madame Souyris, il suffit d’aller chercher l’argent là où il se trouve, dites-vous. Le problème, c’est que les réserves que vous évoquez n’existeront plus !

Je ne dis pas que l’on ne peut pas avoir un débat sur les bons niveaux de fiscalité concernant les revenus du capital. D’ailleurs, l’article 3 du projet de loi de finances pour 2025 instaure une contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR). Toutefois, augmenter cette fiscalité à des montants aussi élevés agirait davantage comme un repoussoir pour les investisseurs.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Mme Apourceau-Poly a interpellé le groupe Union Centriste sur la proposition de couvrir une bonne part du coût de notre protection sociale en augmentant la TVA, formulée par son président Hervé Marseille. C’est un débat que nous devons avoir, nous y reviendrons notamment lors de l’examen du projet de loi de finances.

Faut-il continuer éternellement à faire supporter la protection sociale sur le travail ? N’est-il pas pertinent d’envisager un transfert vers la consommation ? La question n’est pas de savoir qui nous aurait murmuré cette idée à l’oreille : ce n’est pas parce qu’une idée a été formulée par une personne en particulier qu’elle est bonne ou mauvaise – à nos yeux, les idées n’ont pas de couleur, elles ont une valeur.

La TVA présente en outre l’avantage de toucher l’ensemble des produits vendus sur le territoire, y compris les produits étrangers importés, notamment chinois, à la différence des produits qui sont fabriqués uniquement dans les entreprises françaises.

Il s’agit aussi d’assurer notre dynamisme économique.

Cette question, nous devons impérativement nous la poser, qui plus est à l’heure où les États-Unis s’apprêtent à augmenter leurs droits de douane.

Nous ne vivons plus dans le même monde qu’auparavant : il faut le regarder avec les lunettes d’aujourd’hui, voire avec celles de demain. C’est d’ailleurs précisément ce que nous ferions si la TVA servait au financement de notre système de protection sociale.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. L’une des dispositions proposées vise les résidents français au sein de l’Union européenne ; par ailleurs, la jurisprudence de Ruyter a été évoquée. En tant que sénatrice des Français de l’étranger, je tiens à faire un rappel historique.

En 2012, sous la présidence de François Hollande, le gouvernement a décidé de soumettre les revenus du patrimoine immobilier des Français de l’étranger à la CSG-CRDS. Les sénateurs représentant les Français de l’étranger sont alors montés au créneau pour dénoncer la contradiction d’une telle mesure avec le droit européen.

Pour les résidents français assujettis au régime de sécurité sociale d’un autre pays, cette disposition a été déclarée contraire à la liberté des travailleurs. L’État français s’est ainsi vu contraint de rembourser des sommes très importantes à ses ressortissants.

Depuis, le Sénat vote chaque année la suppression de ce qu’il reste de cette CSG-CRDS appliquée aux Français établis hors de l’Union européenne.

Aujourd’hui, Frédérique Puissat suggère de réduire le taux de CSG pour pouvoir augmenter le prélèvement social ; en l’occurrence, il s’agit non pas d’une prestation sociale, mais d’un impôt, puisque nous parlons de TVA. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle votre proposition est valable.

Pour ma part, je ne suis pas d’accord avec le fait d’imposer l’effort suggéré aux ressortissants français établis au sein de l’Union européenne, qui s’acquittent par ailleurs des contributions sociales dans les pays où ils résident et avec lesquels nous avons conclu des accords.

J’espère que cet amendement sera retiré et que nous n’aurons pas à rediscuter de cette proposition dans le cadre du projet de loi de finances.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.

Mme Frédérique Puissat. Je comprends la position de ma collègue Olivia Richard. Pour autant, je maintiens cet amendement.

J’applique ici la jurisprudence du président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller : tout ce qui est inscrit dans le texte sera discuté lors de la commission mixte paritaire et nous connaîtrons alors le sort qui sera réservé à nos propositions. À l’évidence, s’ils ne figurent pas dans le texte, les dispositifs que nous suggérons ne seront pas discutés du tout.

Je rappelle qu’il s’agit d’un amendement de Christine Lavarde qui, en règle générale, sait compter. Elle mentionne une perspective de recettes de 2 milliards d’euros. Quand bien même nous ne récolterions finalement que 250 millions d’euros, ce dispositif assurera des recettes supplémentaires et rétablira une équité fiscale.

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian, pour explication de vote.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Vous avez totalement raison, monsieur le ministre : l’amendement présenté par Frédérique Puissat pose un vrai problème juridique et risque d’être remis en cause.

Malheureusement, il existe une véritable iniquité fiscale entre les Français qui vivent au sein de l’Union européenne et ceux qui résident hors de ses frontières. Néanmoins, nous ne pourrons pas résoudre ce problème en augmentant la fiscalité de l’une de ces catégories de personnes.

Flécher la TVA vers la sécurité sociale, comme cela est proposé, serait à coup sûr assimilé à un détournement des règles européennes. La justice européenne contestera une telle mesure et prononcera une condamnation de la France, comme cela s’est déjà produit.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous discutons d’un amendement sur la TVA qui, en réalité, n’a pas été encore déposé, puisqu’il a vocation à être examiné dans le cadre du projet de loi de finances.

Pour notre part, nous ne sommes pas favorables à une telle disposition, car il n’y a pas d’impôt plus injuste que la TVA. (Marques dapprobation sur les travées des groupes GEST et SER.) En effet, elle fait partie des impôts dégressifs ; or, nous préférons les impôts progressifs.

La dégressivité de la TVA signifie que la charge de l’impôt diminue à mesure que le revenu du contribuable augmente. Ceux qui en paient la plus grande part sont donc les ménages les plus modestes, le poids de l’impôt étant plus important pour les premiers déciles.

C’est sans doute ce caractère dégressif qui a de l’intérêt à vos yeux. Les contribuables des premiers déciles ont souvent la mauvaise habitude de consommer, plutôt que d’épargner et de se constituer un patrimoine, celui-là même que vous rechignez à taxer pour soutenir l’effort collectif.

Quant à vous, monsieur le ministre, vous êtes fier de votre politique, mais c’est elle qui, précisément, a conduit à la dette de la France et de la sécurité sociale !

De quoi êtes-vous fier, exactement ? Des exemptions fiscales offertes aux entreprises depuis 2018, qui représentent plus de 10 milliards d’euros et qui sont parallèles, jusqu’en 2023, à la survenance des déficits de la sécurité sociale ? Des 90 milliards d’euros qui pèsent sur l’État et qui nous obligent à financer notre déficit par la dette ?

Il n’y a pas de quoi être fier de cette politique-là ! Il faut conduire une politique économique assortie de justice sociale, sans faire de cadeaux fiscaux, car ceux-ci alimentent la dette.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Le débat est un peu complexe, car beaucoup d’éléments ont été ajoutés au cours des discussions,…

M. Michel Savin. Ce n’est pas de notre fait !

M. Bernard Jomier. … sans que l’on puisse s’appuyer sur un amendement – j’en suis désolé pour Olivier Henno. J’en dirai tout de même quelques mots.

La place de la fiscalité sur le capital constitue l’objet principal de ce débat. En ce qui nous concerne, nous constatons qu’elle reste insuffisante par rapport à la contribution sur les revenus du travail. C’est une réalité.

Il existe une première injustice persistante, que nous ne parvenons pas à corriger : ceux qui détiennent le plus de capitaux savent très bien se défendre. De manière plus générale, dans la société, ceux qui ont les moyens le font très bien.

La deuxième injustice réside dans le fait que la richesse et le patrimoine se concentrent de plus en plus entre les mains des plus âgés, du moins une partie d’entre eux, car il existe des retraités pauvres. Là encore, nous avons la plus grande difficulté à contrecarrer ce phénomène.

Je vous renvoie aux débats sur la branche autonomie. Le rapport Libault évalue à 9 milliards d’euros le besoin de financements supplémentaires d’ici à 2030. Si nous n’arrivons toujours pas à dégager les pistes qui nous permettraient d’atteindre cet objectif, c’est parce que, pour être justes, nous devrions toucher au patrimoine et aux successions.

J’en viens à la TVA. Cela fait longtemps que le financement de notre protection sociale ne repose plus que sur le travail.

Il n’est pas question de le faire reposer sur la TVA, car il s’agit bien de l’impôt le plus injuste : il frappe 10 % du revenu pour les déciles les plus bas, contre 3 % ou 4 % pour les déciles les plus élevés.

Si nous voulons créer des revenus fiscaux, ce n’est certainement pas la TVA qu’il faut cibler. Cela va de pair avec le principe même de la sécurité sociale, selon lequel on contribue selon ses moyens.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

M. Olivier Rietmann. Encore ? Je pense que nous avons compris !

Mme Cathy Apourceau-Poly. … je suis complètement d’accord avec les propos qu’a tenus Bernard Jomier. La TVA est l’impôt le plus injuste, qui s’applique à tous de la même façon, quels que soient les revenus.

En effet, la charge fiscale de la TVA – que le taux soit de 5,5 % sur les produits alimentaires ou de 20 % sur les autres produits – n’est pas la même pour celui qui gagne 1 500 euros par mois et pour celui qui perçoit un salaire de 4 000 ou de 5 000 euros.

J’insiste, cet impôt est totalement injuste et pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des familles, nous le voyons. Pour notre part, nous avons, à l’amendement n° 942 rectifié, proposé une autre solution. Je vous invite donc à le voter.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je ne voudrais pas prolonger les débats, mais il s’agit d’une question importante.

Madame Poncet Monge, ce n’est pas une question de fierté. Il s’agit d’avoir l’analyse la plus objective possible en matière de mobilité du capital, en fonction de la fiscalité en vigueur.

Force est de constater qu’avec la réforme de la flat tax l’assiette d’investissements, de dividendes et de capital a augmenté. J’en ai pour preuve le fait que le produit fiscal induit a été supérieur à celui de la période précédente, et ce dès 2018.

Bref, réduire les taux sur les assiettes dynamiques fonctionne et fait augmenter les revenus imposables, donc le produit fiscal. C’est là un dispositif gagnant-gagnant : vous favorisez l’investissement dans le pays et, en retour, vous recevez plus de produit fiscal et social.

C’est en cela que cela consiste une bonne politique fiscale. Il est question non pas de fierté idéologique, mais d’efficacité des mesures que nous prenons.

Je comprends parfaitement que vos amendements sont sous-tendus par la volonté d’augmenter les taux de fiscalité sur le revenu du capital.

Vous avez raison, monsieur Jomier, il existe une différence objective entre la fiscalité sur le revenu du capital et celle qui pèse sur le travail. Ce qui est sûr, c’est que l’un est plus mobile que l’autre ! Très rapidement, les recettes issues du capital iront ailleurs si nous revenons à des niveaux de fiscalité qui ne sont pas ceux qui ont fait les belles années de l’investissement en France – il nous faut nous en souvenir.

Il y a deux façons de procéder : soit nous nous considérons en économie fermée et, par pure idéologie, nous augmentons les taux de fiscalité et puisons dans ce que nous croyons être des réserves, soit nous regardons la mobilité du capital comme une réalité factuelle et nous nous efforçons d’attirer les investisseurs dans notre pays plutôt que de provoquer leur fuite.

Tel est l’objet du débat que nous avons eu ces dernières années. À cet égard, je maintiens que la politique économique conduite depuis 2017 a donné raison à la réduction de la fiscalité sur le revenu du capital.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Depuis quelques années, certaines entreprises sont devenues compétitives grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui, je le rappelle, a été voté à gauche, par les groupes socialiste et communiste.

Mmes Céline Brulin et Silvana Silvani. Nous ne l’avons pas voté !

M. Daniel Chasseing. Elles ne l’étaient pas auparavant, parce que le prix moyen de l’heure de travail était plus élevé que dans tous les autres pays d’Europe, notamment en Allemagne.

C’est par des exonérations que nous avons pu réduire le coût du travail.

Nous devons mettre en avant la valeur travail. C’est elle qui suscite de la fierté et assure un développement tant personnel que familial.

La politique de l’offre qui a été conduite ces dernières années doit être poursuivie, pour créer plus d’emplois, plus de cotisants, plus d’entreprises. C’est ainsi que nous réussirons à régler le problème de financement des retraites et de la sécurité sociale, dans son ensemble.

Entre 2018 et 2023, nous avons constaté 600 créations nettes d’entreprises supplémentaires ; entre 2012 et 2018, nous en comptions 600 de moins. Bien sûr, tout n’est pas réglé, mais cette progression est une réussite. Je salue en particulier les avancées intervenues en matière d’apprentissage, dont nous avons parlé tout à l’heure.

Concernant les capitaux, nous sommes en compétition avec d’autres pays d’Europe.

Nous avons également pris des décisions qui n’étaient pas très utiles.

Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation nous a coûté 22 milliards d’euros. Une telle mesure n’est bénéfique que si nous avons les moyens de la compenser. Pourtant, comme pour les 35 heures, ce n’était pas le cas.

De même, la suppression de la contribution à l’audiovisuel public nous a fait perdre 3 milliards d’euros supplémentaires. Là non plus, nous n’avions pas les moyens d’acter ce genre de réforme ! Au total, nous avons perdu 25 milliards d’euros.

Bref, voilà des mesures dont nous aurions pu nous passer.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 942 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1107.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 368 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1221 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Madame Puissat, l’amendement n° 1068 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Frédérique Puissat. J’accepte de retirer cet amendement, sous réserve que le ministre s’engage à ce qu’un rapport sur ce sujet soit élaboré conjointement par l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances.

C’est parole contre parole, monsieur le ministre… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Bernard Jomier. Les rapports, cela ne sert à rien ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Votre demande suscite beaucoup d’émoi, madame la sénatrice !

En l’état, je ne peux m’engager à ce qu’un tel rapport soit produit. Cependant, nous pouvons travailler sur ce sujet et je n’exclus pas de mettre à contribution l’Igas et l’IGF.

Nous pourrons faire le point ultérieurement sur les réflexions qui auront été menées.

M. le président. L’amendement n° 1068 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 945, présenté par Mmes Apourceau-Poly, Brulin et Silvani, M. Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la section 10 du chapitre VII du titre III du livre I du code de la sécurité sociale, il est inséré une section… ainsi rédigée :

« Section…

« Contribution sur les plateformes de mise en relation par voie électronique

« Art. L. 137-18-1. – Il est institué une contribution sociale au taux de 10 % assise sur l’ensemble des bénéfices réalisés en France ainsi que sur ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.

« Elle est affectée aux caisses de retraite du régime de base obligatoire.

« Cette contribution est établie, recouvrée et contrôlée dans les conditions et selon les modalités prévues au III de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale.

« Un décret en Conseil d’État fixe la date d’application du présent article. »

La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Cet amendement vise à faire contribuer les plateformes comme Uber au financement des caisses de retraite.

Depuis plus de dix ans, ces plateformes ont vendu aux travailleurs l’illusion de la liberté et de l’autonomie, alors qu’elles ont en réalité imposé un modèle d’autoentrepreneuriat précaire permettant de s’affranchir des cotisations sociales. Des centaines de milliers de travailleurs se voient ainsi privés d’une véritable protection.

Selon l’Urssaf, en trois ans, Uber aurait fait perdre 2 milliards d’euros de cotisations.

En France, près de 300 000 travailleurs affiliés à ces plateformes subissent cette situation. S’ils étaient requalifiés en salariés et rémunérés au moins au niveau du Smic, ils pourraient contribuer à hauteur de 1,5 milliard d’euros par an à notre système de solidarité.

Pour rappel, ces travailleurs ne sont pas indépendants. Ils subissent une subordination économique et algorithmique reconnue par de nombreuses jurisprudences. Aussi, il est urgent d’instaurer une présomption légale de salariat ; nous avons déjà eu un débat sur ce sujet à d’autres occasions.

À défaut, nous demandons la mise à contribution exceptionnelle de ces plateformes pour financer les retraites. Cela doit être regardé non pas comme une faveur, mais comme un juste dédommagement pour les manques à gagner qu’elles infligent à notre système de protection sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Madame la sénatrice, nous comprenons votre préoccupation et nous la partageons en partie. Néanmoins, sous couvert d’imposer une nouvelle contribution à un certain type d’entreprises, vous entendez quelque peu revenir sur la réforme des retraites. Cela ne peut motiver qu’un avis défavorable de notre part.

Au passage, je vous ferai remarquer que le mode de financement que vous proposez revient à fiscaliser davantage le financement de la protection sociale et conduit donc à renforcer la place de l’État dans la gestion de la protection sociale, au détriment des partenaires sociaux.

J’ose penser que ce n’est pas la direction que vous souhaitez prendre, même si c’est ce que nous ressentons.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.

Mme Monique Lubin. Quand prendrons-nous réellement à bras-le-corps la question des plateformes ?

Madame la rapporteure générale, je ne vois pas en quoi l’adoption de cet amendement aurait pour effet de modifier la réforme des retraites. Il s’agit simplement de faire contribuer tous les revenus du travail au financement de la protection sociale, notamment des retraites.

Les travailleurs affiliés à ces plateformes sont exploités. (Mmes Pascale Gruny et Frédérique Puissat protestent.) Il y a eu beaucoup d’avancées, en particulier grâce à l’Union européenne, mais nous sommes encore très loin du compte.

J’insiste, ce sont des gens exploités…

Mme Monique Lubin. Bien sûr que oui ! Comment pouvez-vous nier cette réalité ? Est-elle réellement contestable ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Les travailleurs Uber ou les livreurs qui traversent Paris par tout temps, dans n’importe quelle condition, ne sont-ils pas exploités ? Bien sûr que si ! Ce sont les esclaves du XXIe siècle. (Mêmes mouvements.)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est pour cela que je ne commande jamais de pizzas sur ces plateformes !

Mme Monique Lubin. Encore une fois, quand allons-nous nous attaquer réellement à ce problème ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 945.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)