Dans la discussion générale, nous en sommes parvenus à l'intervention des orateurs des groupes.

La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, rien de grand ne s'est jamais fait sans l'intuition du temps long. En France, on le voit dans tout ce qui structure encore nos territoires et notre économie. Je pense particulièrement à un secteur cher à mon cœur et qui m'anime depuis de nombreuses années : le domaine ferroviaire.

Le développement du réseau ferré dans l'Hexagone a permis l'essor de nos territoires, en reliant les petits villages de nos campagnes aux grandes villes et aux grands ports. Tout ce pan de l'histoire n'aurait jamais été possible avec une approche à court terme des politiques publiques, dans laquelle chaque budget est remis en cause chaque année.

Nous pourrions tout à fait en dire de même du nucléaire, de l'industrie, de la recherche fondamentale, ou encore de notre patrimoine et de nos savoir-faire artisanaux.

Nous sommes nombreux ici à souhaiter un renforcement de la planification. Il s'agit non pas de faire l'éloge des méthodes soviétiques pour organiser l'économie et la société, mais simplement, comme l'ont rappelé notre collègue Vanina Paoli-Gagin puis M. le garde des sceaux, d'organiser l'action publique sur le temps long, en bâtissant des consensus politiques par-delà les cycles électoraux.

C'est pourquoi je tiens à saluer cette proposition de loi constitutionnelle, qui nous invite à renouer avec le temps long.

L'inversion du rapport entre annualité et pluriannualité pourrait constituer une révolution budgétaire que je crois indispensable.

À cet égard, j'ai l'honneur d'affirmer faire preuve de constance. En effet, le texte que le groupe Les Indépendants présente aujourd'hui s'inspire assez largement, dans sa rédaction et dans son architecture, du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, adopté par le Sénat en 2011.

Je fais partie de ceux qui, à l'époque déjà, l'avaient voté, tout comme nombre d'entre vous. Malheureusement, certains de ceux qui l'ont alors voté ne siègent plus au Sénat. J'espère que les autres confirmeront leur vote aujourd'hui.

Bien sûr, la situation de 2011 n'est pas celle de 2024. Les rapporteurs ont expliqué pourquoi ce qui nous apparaissait alors comme nécessaire et salutaire leur semble aujourd'hui superfétatoire et contre-productif.

Bien sûr, il y a eu le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, adopté par l'Union européenne en 2012. Bien sûr, il y a eu, sous François Hollande, la création du Haut Conseil des finances publiques, que vous connaissez très bien, monsieur le garde des sceaux. Mais qui peut dire que tout cela a permis de résoudre la crise budgétaire ? Qui peut dire que la situation s'est globalement améliorée depuis 2011 ?

Nos rapporteurs sont-ils bien certains que la situation de nos finances publiques n'aurait pas été meilleure si le projet de loi constitutionnelle avait été finalement promulgué ? En serions-nous là où nous en sommes si la programmation des finances publiques avait été ainsi renforcée ?

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, nous souhaitons tous le rétablissement de nos comptes publics.

Bien sûr, il est sain, et même nécessaire, que nous débattions des moyens d'atteindre cet objectif. Nous le ferons longuement à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Mais il est aussi indispensable de changer la méthode par laquelle nous votons le budget, et donc de réviser la Constitution.

Nous en avons aujourd'hui l'occasion. Saisissons-la. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques.

Il s'agit, à n'en pas douter, d'une priorité unanimement partagée au sein de cet hémicycle.

Comme je l'ai rappelé, nous sommes en effet confrontés à une situation d'état d'urgence budgétaire qui impose d'agir : agir d'abord pour empêcher le décrochage de la France à l'échelle européenne ; agir aussi pour garantir la soutenabilité de la dette publique pour les prochaines générations.

Certes, notre action au service du redressement des finances publiques se traduit déjà, en recettes comme en dépenses, par des mesures budgétaires fortes visant à réduire notre déficit primaire. Mais cet effort n'est pas suffisant.

Pour redresser efficacement nos finances, nous devons conduire dans le même temps des réformes de structure. Nous nous y attelons également.

Les grands principes budgétaires qui font la force du modèle français sont aujourd'hui mis à l'épreuve. Il nous incombe, en conséquence, de proposer un cadre plus performant et plus lisible.

Trois grands enjeux m'apparaissent prioritaires. Il faut d'abord réduire la fragmentation budgétaire, qui contribue à rendre le budget illisible et empêche une vision intégrée des finances publiques, pourtant nécessaire.

Il faut ensuite renforcer le rôle du Parlement, aujourd'hui trop concentré sur la budgétisation, alors qu'il mérite d'être davantage mobilisé sur le contrôle de l'exécution et sur la responsabilisation, afin de redonner tout son sens au « chaînage vertueux ».

Il faut enfin introduire une véritable logique de pluriannualité transversale, au moment où l'on parle beaucoup de planification et de la nécessité d'assurer un contrôle plus strict de nos trajectoires, assorti d'une réelle vision de long terme.

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à répondre à ces enjeux par la création d'une nouvelle catégorie de texte financier. Une loi portant cadre financier pluriannuel remplacerait les actuelles orientations pluriannuelles des finances publiques définies dans la loi de programmation des finances publiques.

Le dispositif proposé se rapproche ainsi de celui qui avait été adopté voilà un peu plus d'une décennie, en réponse à des enjeux similaires de modernisation du cadre financier, et conformément aux exigences européennes.

La solution défendue dans ce texte vise donc à défendre un objectif à la pertinence renouvelée. Toutefois, elle se heurte ce faisant à des obstacles juridiques et pratiques d'importance.

En premier lieu, cette solution présente un risque de rigidification excessive du pilotage budgétaire, en particulier de l'action parlementaire en la matière.

Le cadre pluriannuel des finances publiques qui est proposé et qui remplacerait les lois de programmation des finances publiques s'imposerait systématiquement et pendant toute la législature aux autres textes financiers, qu'il s'agisse du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cela reviendrait à remettre en cause le principe constitutionnel d'annualité budgétaire, pourtant essentiel à l'expression du consentement démocratique à l'impôt et au contrôle de l'utilisation de ce dernier. Les droits du Parlement s'en trouveraient nécessairement endommagés.

Le cadre budgétaire, d'ailleurs, ne pourrait être révisé qu'au moyen d'une procédure quelque peu complexe nécessitant l'accord des trois cinquièmes des membres du Congrès. Sa révision serait donc délicate et difficile et tout ajustement rapide de la trajectoire budgétaire du pays en cas de crise serait ainsi empêché, en l'absence d'un improbable quasi-consensus sur ses modalités.

Ce risque de paralysie institutionnalisée me semble aller à l'encontre de l'esprit de nos institutions.

Le basculement de la fiscalité dans le domaine réservé des lois de finances contribuerait également à amoindrir le pouvoir budgétaire du Parlement et, de manière plus large, la capacité d'initiative des parlementaires dans ce domaine.

En deuxième lieu, la solution proposée serait susceptible d'entraver la libre administration et l'autonomie financière de nos collectivités territoriales.

Ainsi, la fixation pour cinq ans dans une loi-cadre de la trajectoire des prélèvements obligatoires aurait nécessairement un effet par ricochet et de long terme sur les ressources des collectivités.

En troisième lieu, enfin, le renforcement du rôle du Conseil constitutionnel et la constitutionnalisation de celui du Haut Conseil des finances publiques suscitent des interrogations.

En chargeant explicitement le Conseil constitutionnel d'une mission d'évaluation de la conformité des lois de finances au cadre financier pluriannuel, cette proposition de loi constitutionnelle risque de transformer en partie l'office du juge constitutionnel : ce dernier deviendrait en quelque sorte un juge financier, exerçant un quasi-contrôle d'opportunité sur les décisions, au regard d'indicateurs chiffrés complexes, essentiellement étrangers au droit constitutionnel et remontant parfois à plusieurs années. Cela pourrait contribuer à dénaturer le rôle de cette institution.

La décision en matière budgétaire est en effet avant tout de nature politique ; elle doit donc revenir au Parlement et au Gouvernement.

Par ailleurs, compte tenu de la présence de la Cour des comptes dans la Constitution, l'inscription du Haut Conseil des finances publiques n'apparaît pas indispensable.

Pour conclure, je rappellerai que la rigidité des procédures n'est pas synonyme de rigueur dans la gestion des affaires publiques. Nous pouvons donc identifier des voies moins contraignantes que celles qui sont proposées dans ce texte et dénuées d'obstacles institutionnels et juridiques. Je partage donc l'analyse prudente du rapporteur pour avis.

Néanmoins, nous devons poursuivre notre réflexion sur ce sujet. Les propositions formulées par la commission sur l'avenir des finances publiques qu'a présidée Jean Arthuis apparaissent à cet égard très opportunes, tout en permettant d'agir à cadre constitutionnel constant.

Pour ces raisons, et dans la continuité de la position qu'il a exprimée en commission, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui soulève des questions fondamentales sur la gestion de nos finances publiques, à un moment où notre déficit atteint des niveaux alarmants.

Plus précisément, ce texte a pour but d'inscrire dans la Constitution la primauté d'un cadre budgétaire pluriannuel sur le principe d'annualité.

Depuis 1974, aucun budget n'a en effet été voté à l'équilibre et la dette publique s'élève désormais à plus de 113 % du PIB.

Ce texte vise donc à instaurer des lois-cadres financières pluriannuelles, qui fixeraient pour chaque législature des plafonds de charges et des objectifs budgétaires contraignants dans les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Ses auteurs proposent aussi d'attribuer le monopole des dispositions fiscales aux lois de finances et de constitutionnaliser le Haut Conseil des finances publiques en élargissant ses missions.

Cette proposition de loi constitutionnelle suscite toutefois des réticences, lesquelles ont été exprimées lors de l'examen du texte en commission. Celles-ci tiennent notamment aux implications de ce texte sur les prérogatives budgétaires du Parlement et sur l'autonomie des collectivités territoriales.

La remise en cause du principe d'annualité budgétaire paraît particulièrement problématique. Ce principe, garant du consentement à l'impôt et du contrôle régulier des dépenses, permet au Parlement d'adapter chaque année les budgets aux réalités économiques. L'imposer sur toute une législature risquerait de rigidifier notre cadre budgétaire, compromettant ainsi notre réactivité en cas de crise.

De plus, la rigidité de la loi-cadre que ce texte propose d'instaurer, dont la révision devrait être adoptée par une majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès, soulève des questions démocratiques. Cette majorité qualifiée, habituellement réservée aux réformes d'ampleur dépassant les enjeux partisans, pourrait contraindre les futurs gouvernements, y compris en cas de changement de contexte.

Cette proposition de loi constitutionnelle soulève également des inquiétudes légitimes au regard de l'autonomie des collectivités territoriales.

Alors que ces dernières sont à l'origine de la majorité des investissements publics, leur imposer des plafonds de prélèvements obligatoires et des orientations d'investissement centralisées pourrait compromettre leur libre administration financière.

Enfin, la constitutionnalisation de critères budgétaires évolutifs imposés par des règles européennes régulièrement révisées pourrait contraindre notre cadre budgétaire de façon disproportionnée. Le Conseil constitutionnel serait chargé de juger la conformité de ces critères en fonction de prévisions, un rôle délicat qui pourrait mettre en péril la cohérence de notre politique budgétaire.

Si le groupe RDPI partage l'objectif d'un redressement des finances publiques, nous restons convaincus que c'est avant tout par une volonté politique que nous pourrons instaurer et tenir la discipline financière nécessaire à la résorption du déficit des comptes publics.

Nous voterons donc contre ce texte, dont nous tenons toutefois à saluer l'ambition louable de maîtrise des déficits. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons vise à inscrire dans notre norme fondamentale le principe de pluriannualité budgétaire, qui prévaudrait sur l'actuel principe d'annualité.

Les motivations avancées par l'auteure du texte sont tout à fait louables et ne devraient pas faire l'objet d'une contestation large dans notre assemblée, particulièrement dans le contexte que nous connaissons. S'il n'y a pas lieu de rentrer dans les détails de cette situation, je tiens à souligner que l'instabilité politique participe de ce phénomène qui plonge le monde économique dans l'incertitude.

À ce titre, renforcer la visibilité sur la trajectoire budgétaire de la France pourrait contribuer à améliorer la situation économique de notre pays tout en nous permettant de nous rapprocher des objectifs européens.

En 2020, dans un rapport intitulé Finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance, la Cour des comptes, que vous connaissez bien, monsieur le garde des sceaux (Sourires.), constatant le bilan décevant des lois de programmation des finances publiques, préconisait de renforcer la programmation pluriannuelle. Ces lois de programmation, dont l'adoption repose sur des prévisions souvent optimistes et dont le suivi est peu lisible, ne sont que rarement respectées. Il s'agit là avant tout d'un problème politique auquel le droit constitutionnel ne saurait apporter une réponse satisfaisante.

Le principe d'annualité budgétaire peut paraître désuet, mais il garantit le contrôle parlementaire du budget, impératif démocratique issu de la Révolution française. La délibération parlementaire annuelle permet à la fois aux citoyens de constater le projet défendu par leurs représentants et au Gouvernement de soumettre sa vision à l'épreuve de la représentation nationale.

Sanctuariser une volonté politique dont les conséquences sont aussi lourdes pour une période de cinq années me paraît disproportionné au regard des exigences démocratiques.

En outre, le principe d'annualité n'est pas incompatible avec les exigences de programmation imposées par le droit européen et le rythme économique. Il doit au contraire être associé à une surveillance accrue de ladite programmation, comme le préconise le rapport de la Cour des comptes susvisé.

Je m'inscris en accord avec la philosophie de cette proposition de loi constitutionnelle, qui vise à réaffirmer la responsabilité politique qu'emportent les choix budgétaires et à renforcer la programmation des finances publiques. En l'état, le texte conduirait toutefois, au contraire, à dépolitiser les débats que nous menons en dessaisissant le Parlement de ses pouvoirs budgétaires.

Le texte prévoit de plus une procédure de révision des lois-cadres bien trop stricte, dont la mise en œuvre semble quasi impossible. Si la programmation doit être un guide sérieux et réaliste dans la préparation du budget, elle ne peut devenir un carcan qui rendrait nos discussions actuelles accessoires.

M. le rapporteur, dont je salue le travail, a très justement identifié les difficultés juridiques et politiques posées par ce texte, au regard tant de la libre administration des collectivités territoriales que de la contraction de notre Constitution qui pourrait découler des évolutions du droit européen.

En définitive, ce texte apporte une pierre supplémentaire au débat légitime et nécessaire relatif à nos finances publiques et à la meilleure manière d'en assurer la soutenabilité. J'estime toutefois que la solution viendra davantage des élus de la République que de la contrainte du droit.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE se positionnera majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je salue l'initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin et du groupe Les Indépendants et les propositions de contraintes budgétaires supplémentaires qu'ils formulent.

De fait, convient-il ou non d'introduire des contraintes budgétaires supplémentaires ? Si j'ai entendu de nombreuses critiques et des objections parfois légitimes lors des interventions précédentes, j'ai entendu très peu de propositions – certes, nous sommes peu nombreux… L'objectif que ses auteurs assignent à ce texte est unanimement reconnu comme excellent, mais l'on estime que face à un déficit de 35 % et à une dette qui représente les recettes perçues au titre de l'impôt pendant dix ans, la volonté politique suffira.

M. le garde des sceaux, qui a souscrit à cette idée lors de son intervention, a même qualifié la période actuelle d'« épisode budgétaire ». Dans la mesure où cela fait quarante ans que cela dure, je parlerai plutôt d'une longue série, monsieur le garde des sceaux ! Or, pour ma part, je suis lassé de cette situation.

M. Didier Migaud, garde des sceaux. Cela fait plutôt cinquante ans !

M. Vincent Delahaye. Je vous accorde que cela fait près de cinquante ans, même s'il faut reconnaître qu'au départ, les déficits étaient assez faibles.

Reste qu'il faut agir.

L'une des objections formulées tient à l'atteinte à la libre administration financière des collectivités territoriales. Or celle-ci a été largement rognée ces dernières années. Aujourd'hui, chaque année, les budgets des collectivités locales sont bouclés avec un déficit de 0 %, et contrairement au garde des sceaux, je considère, non pas le tendanciel, mais le réel. Or les collectivités en sont à se demander comment elles pourraient aller plus loin, plutôt que l'inverse.

Les collectivités locales n'ayant donc pas de réelle autonomie financière, je ne vois pas en quoi ce texte pourrait restreindre cette autonomie.

Une autre objection tient à la restriction des pouvoirs budgétaires du Parlement. Avez-vous le sentiment, messieurs les rapporteurs, que le Parlement détient de forts pouvoirs en la matière ? Notre intervention se borne à changer 1 %, voire 2 %, du budget les bonnes années. C'est le Gouvernement qui fait le budget, comme il le fera encore cette année en activant l'article 43.3 de la Constitution.

Si elles sont nombreuses, les propositions des parlementaires ne prospèrent que minoritairement. L'argument selon lequel ce texte restreindrait les prérogatives budgétaires du Parlement me paraît donc de peu de poids.

Comme je l'ai indiqué lors des travaux de la commission des finances à notre rapporteur pour avis, que j'apprécie, j'aurais souhaité que nous fassions des propositions. Nous aurions pu, en effet, nous saisir de cette proposition de loi constitutionnelle et créer un groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des finances. Notre assemblée, dont la sagesse est reconnue, s'honorerait à souligner que, sur un sujet comme celui-ci – j'en suis désolé, monsieur le garde des sceaux –, la volonté politique ne suffit pas, car comme nous l'avons constaté dans le passé, elle ne dure pas. Si le Gouvernement et vous-même avez aujourd'hui cette volonté, monsieur le garde des sceaux, nous ne savons pas ce qu'il en sera dans six mois ou dans un an.

Telle est la raison pour laquelle j'estime qu'il faut nous doter de contraintes, comme l'ont fait la plupart des pays qui ont redressé leurs finances publiques : la Suède, la Finlande récemment, et avant eux le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Irlande ou le Danemark. Ces pays, qui ne sont du reste en rien antisociaux, se sont engagés dans la réduction de la masse salariale avec des contraintes fortes.

J'ai hélas ! le sentiment que, sans contrainte, notre pays ne sera pas capable de s'imposer la rigueur qui sied à la gestion de l'argent public. Au-delà des propositions de Mme Paoli-Gagin, nous devons donc trouver une voie.

Or, avec mon collègue Olivier Cadic, nous sommes les seuls à avoir formulé des propositions – je les présenterai dans la suite de la discussion. J'aurais aimé que nous soyons plus nombreux à le faire. En tout état de cause, ce débat est nécessaire et il doit avoir lieu.

Les pays étrangers qui ont redressé leurs comptes publics se sont dotés d'un cadre contraignant, mais ils ont aussi emprunté un chemin qui n'est pas le nôtre, monsieur le garde des sceaux.

Dans notre pays, chaque fois que nous voulons redresser les comptes publics, nous faisons un choc fiscal, comme nous sommes en train de le faire. Or l'expérience des pays étrangers montre que la réduction de la dépense publique a des effets récessifs à la fois moins forts et moins longs.

Les priorités sont donc la réduction de la dépense publique et l'arrêt des zigzags fiscaux auxquels nous nous adonnons. Après avoir baissé l'impôt sur les sociétés pendant plusieurs années pour essayer de nous rapprocher de la norme européenne et mondiale, nous sommes en train de remettre cette baisse en question. Or, comme vous le savez, les acteurs économiques, et plus généralement notre pays, ont besoin de stabilité. Je défendrai tout à l'heure les propositions de mon collègue Olivier Cadic qui vont dans le sens d'une plus grande stabilité fiscale.

Le groupe Union Centriste votera contre ce texte en raison des objections légitimes que l'on peut lui opposer. Je m'abstiendrai, pour ma part, comme plusieurs collègues, car j'estime qu'il nous faut mener un travail collectif. (Marques d'approbation au banc des commissions.) Si je me réjouis que nos collègues au banc des commissions approuvent cette idée, les propos tenus précédemment par le rapporteur général de la commission des finances n'allaient pas dans ce sens. J'espère toutefois que les deux commissions représentées au banc répondront à cet appel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Annick Billon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous discutons, au Sénat, d'une proposition de loi constitutionnelle de droite dont les auteurs, considérant que l'article 49.3 de la Constitution ne suffit pas, proposent de limiter encore la démocratie parlementaire.

Une orientation des plus libérales sous-tend cette proposition de loi constitutionnelle. Il s'agit de dépolitiser le débat budgétaire et de supprimer toute forme de controverse et d'option progressiste sur les finances publiques.

Cette proposition de loi constitutionnelle intervient au moment même où la droite tend à imposer une nouvelle austérité sans majorité à l'Assemblée nationale.

Enfin, cette proposition de loi constitutionnelle laisse à penser que le Parlement serait responsable de la dette publique. Nous savons tous ici que ce n'est pas vrai.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter contre ce texte, mes chers collègues. D'ailleurs, par un cheminement politique différent – je vous rassure –, le garde des sceaux et les rapporteurs partagent cet avis. En tout état de cause, nous espérons une opposition la plus large possible à cette tentative de rationaliser le Parlement, et partant, de nous contraindre à une démission démocratique.

Ce texte portera un coup fatal au débat démocratique, pourtant déjà bien limité. Je citerai l'article 40 de la Constitution, qui rend irrecevable toute proposition de financement d'un service public ; l'article 47-1, instauré en 1996 pour cadenasser la démocratie sociale et l'héritage du Conseil national de la Résistance (CNR) ; l'article 49.3, qui symbolise à lui seul la crise démocratique, plus particulièrement la crise de confiance envers nos institutions.

La loi-cadre qu'il est proposé d'instaurer irait encore plus loin, puisque son adoption serait le préalable obligatoire au débat sur le projet de loi de finances, ce qui rendrait illégitimes les écarts par rapport à ce carcan, sans que les modalités d'une telle disposition soient du reste précisées.

Il n'y aurait au fond de véritable débat budgétaire que tous les cinq ans, tandis que la loi-cadre, qui serait inscrite dans le marbre et ne pourrait plus être modifiée à la majorité simple, pourrait être adoptée – tant qu'à faire ! – par ordonnance ou par activation de l'article 49.3 de la Constitution.

Enfin, une telle loi priverait les parlementaires de toute initiative fiscale. Le Gouvernement aurait donc le monopole de la fiscalité, moyennant quelques amendements qui seraient conformes à la trajectoire.

C'est en somme une règle, non pas d'or, mais de plomb qu'il nous est proposé d'adopter. Vous auriez même pu aller, ma chère collègue, jusqu'à demander que les parlementaires votent en bloc le budget plutôt que de l'étudier mission par mission !

La pluriannualité existe d'ores et déjà, même s'il faut reconnaître qu'elle n'a jamais été respectée. Les lois de programmation pluriannuelle sont caduques dès leur adoption. La dernière de ces lois a été durcie par la majorité sénatoriale. Un mois plus tard, lors de l'examen du premier projet de loi de finances qui a suivi, cette même majorité sénatoriale semblait avoir oublié ses engagements et, par ses amendements, proposait déjà de déroger à la trajectoire de rigueur tout juste programmée.

Il y a un enjeu de crédibilité. Or il n'est pas crédible, de surcroît en temps de crise, de supprimer 60 milliards d'euros de fiscalité non financés. Ces baisses d'impôt se retrouvent d'ailleurs à l'euro près dans les déficits publics.

Pour sa part, le groupe CRCE-K prône la planification comme mode de gouvernance budgétaire, non pas pour introduire des rigidités et annihiler le débat parlementaire, mais pour proposer une orientation politique claire, conforme aux besoins de la Nation et non centrée sur les besoins des marchés financiers.

À rebours de la proposition que nous examinons aujourd'hui, les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky proposaient il y a un an d'abroger l'article 40 de la Constitution.

Une telle réforme aurait contribué à introduire un renouveau dans la procédure budgétaire et aurait constitué une respiration pour la démocratie parlementaire. Par son rejet, les élus que nous sommes se trouvent malmenés – cela se vérifiera encore dans les prochaines semaines. Le rejet de cette proposition entrave également l'intervention populaire dans les choix budgétaires de la Nation. Le Gouvernement décide de ce qu'il faut dépenser, et le Parlement se borne à en prendre acte.

Nous gardons notre cohérence, mes chers collègues. Le peuple français n'est pas irresponsable ; la représentation nationale ne l'est pas non plus. Notre société a besoin, non pas de nouvelles limites à l'intervention parlementaire, mais bien d'un nouveau souffle démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'une proposition de loi présentée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin visant à inscrire dans la Constitution un cadre plus strict pour nos débats budgétaires au travers de lois-cadres financières pluriannuelles.

Cette initiative, inspirée par la tentative de réforme constitutionnelle de 2011, cherche à ancrer dans notre Constitution des plafonds de dépenses pour contraindre notre approche des finances publiques, dans l'espoir d'éviter les dérapages et les sorties de route.

La préoccupation majeure qui a présidé au dépôt de cette proposition de loi peut être partagée sur toutes les travées, en particulier dans le contexte actuel : face à la détérioration phénoménale que connaissent les finances publiques de notre pays, il est essentiel d'en garantir la viabilité.

Mais cet état de fait est-il le fruit d'un cadre législatif trop laxiste ? Au groupe GEST, nous ne le pensons pas. Nous estimons qu'il est le résultat de choix politiques assumés et, ces dernières années, souvent imposés au Parlement via l'activation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

La méthode proposée aujourd'hui n'est pas la garantie d'un redressement vertueux. Elle pourrait en revanche entraîner des effets de bord délétères, sur les plans tant budgétaire que démocratique.

Ce texte porte en lui la réduction de la capacité de l'État et du Parlement à répondre aux défis socio-économiques et environnementaux. Cette nouvelle rigidité introduite dans l'élaboration du budget pourrait se révéler nuisible pour notre démocratie et pour notre politique économique.

Si la pluriannualité budgétaire est un cadre sécurisant qui peut être promu, notamment dans le respect des lois de programmation, elle doit aussi permettre une certaine flexibilité, notamment en cas de crise. En 2020, face à la pandémie de covid-19, la France a déployé des moyens financiers massifs pour protéger l'économie et les citoyens, montrant ainsi la nécessité de pouvoir intervenir rapidement sans entraves excessives.

La règle pluriannuelle stricte prévue par ce texte, en dépit de ce qu'affirme à tort l'exposé des motifs, aveugle aux circonstances, interdit des écarts budgétaires trop importants, puisque ceux-ci devront être obligatoirement rattrapés à un rythme peu soutenable.

De plus – c'est à notre sens le plus grave –, cette proposition de loi ne fait aucune distinction entre les dépenses courantes et les dépenses d'investissement. L'intégration d'une règle verte dans le calcul des déficits publics aurait par exemple permis d'exclure les dépenses d'investissement écologique du champ des restrictions. Une telle règle permettrait de satisfaire à un objectif de soutenabilité des finances publiques sans nous faire renoncer à notre engagement écologique, car notre avenir vital est en jeu.

La rigidification des règles d'équilibre budgétaire pourrait par ailleurs emporter un affaiblissement de la souveraineté démocratique. Nous vivons déjà, depuis 2022, un appauvrissement du débat budgétaire du fait du recours immodéré à l'article 49.3. Le temps dévolu à l'examen du budget est de plus si bien corseté par la Constitution que des débats pourtant cruciaux pour le quotidien des Français et l'avenir de notre pays sont parfois conduits au pas de charge. Resserrer encore le cadre constitutionnel régissant la politique budgétaire en rigidifiant certains impératifs comptables aboutirait à dévitaliser totalement notre débat parlementaire.

Cette nouvelle rigidité budgétaire ancrerait dans la Constitution une règle d'or qui s'imposerait de facto à toutes nos politiques. Une telle révolution copernicienne n'arrive pas en tête des préoccupations de nos concitoyens, contrairement à l'affaissement généralisé des services publics ou aux besoins de base que sont se loger, se nourrir dignement ou vivre en sécurité dans un environnement sain.

Bien que cette proposition parte du constat, partagé dans cet hémicycle, de la dégradation continue de nos comptes publics, je rappelle que des baisses d'impôt et des exonérations de cotisations ont largement été votées sur les travées de la majorité sénatoriale. La dégradation des finances publiques est le fruit de choix politiques dont certains ont été soutenus ici même, au Sénat.

Ne nous dédouanons donc pas de notre propre responsabilité, mes chers collègues : sans garantir le moindre redressement financier, l'instauration de contraintes dans le cadre de nos discussions budgétaires entravera notre capacité collective à répondre aux enjeux de notre temps et pose de sérieux risques démocratiques que nous ne pouvons pas accepter.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe GEST votera contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, invoquant la nécessité de « changer la méthode par laquelle on élabore le budget » pour « reprendre la maîtrise de nos comptes », cette proposition de loi constitutionnelle, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, vise à modifier ou à compléter les dispositions budgétaires et financières de la Constitution.

Les modifications proposées par cette proposition de loi constitutionnelle sont de trois ordres.

Ce texte crée tout d'abord une nouvelle catégorie de loi, les lois portant cadre financier pluriannuel, qui se substitueraient aux lois de programmation des finances publiques et dont certaines dispositions auraient une force supérieure à celle des lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

Cette proposition de loi constitutionnelle confère ensuite aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale le monopole des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires.

Enfin, elle constitutionnalise l'existence du Haut Conseil des finances publiques aux côtés de la Cour des comptes, institution auprès de laquelle le Haut Conseil est placé.

Ce texte s'inspire d'un projet de loi constitutionnelle, déposé en 2011 dans un contexte de crise de la dette souveraine dans la zone euro, qui n'a finalement jamais été soumis au référendum ni au Congrès. Une décision du Conseil constitutionnel disposant qu'il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution pour transposer les exigences européennes a temporairement clos ce débat.

Face à la situation dégradée que nous connaissons, il est légitime de nous interroger de nouveau sur la pertinence d'une modification de notre loi fondamentale pour atteindre nos objectifs.

Comme le président Raynal l'a indiqué devant la commission des finances, l'on entend trop souvent des arguments éculés. Certains, par exemple, avancent que les comptes publics ne sont plus à l'équilibre depuis 1974, alors qu'il faudrait en finir avec cette référence datée. Le monde a changé. Aujourd'hui, presque aucun État ne vote un budget à l'équilibre, et le modèle du « zéro emprunt » n'a aucune crédibilité. Un emprunt est bon dès lors qu'il est lié aux dépenses d'avenir, et la question est d'avoir une dette soutenable et bien orientée.

Aujourd'hui, comme en 2008 ou en 2020, la dégradation massive et soudaine des finances publiques résulte d'une crise – celle des subprimes en 2008, celle de la covid en 2020 –, mais pas uniquement : les choix budgétaires et fiscaux des gouvernements d'hier et d'aujourd'hui, privant l'État de dizaines de milliards d'euros de recettes, ont largement contribué à alourdir la charge de la dette.

Pour le dire clairement, je ne suis pas convaincu que ce texte aurait empêché la dégradation récente de nos finances publiques. La responsabilité première dans cette dégradation est à chercher, me semble-t-il, du côté de ceux qui écrivent le budget, à savoir le Gouvernement. On pourrait évidemment incriminer ceux qui le votent et l'amendent, mais le parlementarisme rationalisé fournit à mes yeux un alibi convaincant.