Sans cela, nous serions obligés de combler cet oubli en adoptant une autre « petite » proposition de loi – j'entends par là qu'elle ne serait constituée, encore une fois, que d'un seul article. Le mieux serait donc d'éviter tout oubli en faisant d'ores et déjà figurer cette disposition.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous m'excuserez de dépasser le temps de parole prévu pour les explications de vote, étant donné que je souhaite exposer la position de mon groupe sur l'ensemble des amendements et sous-amendements…

Mme la présidente. Nous vous faisons confiance pour rester concise !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La tournure de ce débat m'embarrasse quelque peu car j'ai le sentiment d'une grande confusion dans les propos.

Nous sommes en train de chercher à construire un dispositif d'urgence, qui pourrait être mobilisé en quelques heures ou en quelques jours, pour protéger un enfant, dont, par hypothèse, les parents ne vivent pas une situation de violences conjugales. C'est l'objet, et le seul, de cette proposition de loi.

Ne parlons donc pas de la mesure de l'ordonnance de protection actuelle, puisque son champ d'application n'est pas adéquat.

Ne parlons pas non plus de la compétence du juge des enfants, car, que je sache, nous ne proposons pas systématiquement que l'enfant soit placé. Le placement à domicile n'est en effet pas possible, ce qui impliquerait un placement à l'extérieur – nous n'ouvrirons pas ici le débat sur l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Mon groupe est favorable, par principe, à l'amendement n° 1 rectifié de Maryse Carrère, dont l'adoption rendrait, à mon sens, sans objet l'amendement de Xavier Iacovelli.

Nous sommes favorables au sous-amendement n° 13, qui prévoit d'élargir le dispositif à l'ensemble des titulaires d'une autorité de droit ou de fait.

Il n'est pas tout à fait exact de dire qu'il existe déjà des procédures qui répondent aux situations visées par ce sous-amendement. Il n'est pas ici question de plainte, de poursuites ou de tribunal correctionnel. On parle par exemple d'interdiction de contact avec un professeur de sport, un frère ou un oncle.

Nous sommes donc également favorables au sous-amendement n° 10 qui étend, lui aussi, le dispositif à toute personne titulaire d'une autorité de droit ou de fait.

En revanche, nous sommes défavorables au sous-amendement n° 14, car nous sommes favorables au dépôt d'une plainte. Cela permet en effet de donner lieu à une enquête pénale, et donc, d'aller plus loin dans les investigations.

Nous sommes favorables aux sous-amendements nos 11 rectifié et 15, qui prévoient de rendre possible la délivrance d'une ordonnance de protection lorsque l'enfant ne cohabite pas avec son agresseur. J'en ai exposé précédemment les raisons : l'ordonnance de protection permet non seulement la suspension de l'autorité parentale, mais aussi l'interdiction de contact, parmi d'autres mesures qui peuvent s'appliquer à des personnes qui ne vivent pas avec l'enfant.

J'en viens au sous-amendement n° 16 relatif à la durée de l'ordonnance de protection : il prévoit une possibilité de prolongation au-delà de douze mois, à laquelle nous sommes favorables. En effet, il est difficile d'estimer le temps nécessaire pour résoudre la situation. Le juge aux affaires familiales – il occupe, selon moi, le poste le plus difficile de la magistrature – reçoit les parents et l'enfant, attend les résultats de l'enquête sociale… Il prolongera la durée de l'ordonnance seulement s'il le juge nécessaire. Donnons-en lui donc la possibilité.

Enfin, le sous-amendement n° 17 me laisse perplexe. Le dispositif d'ordonnance provisoire de protection immédiate s'applique aux adultes, et non aux enfants. Le mécanisme devrait être plus formel. Il n'est pas exclu que mon groupe s'abstienne sur ce sous-amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour explication de vote.

M. Xavier Iacovelli. Mme de La Gontrie vient de le rappeler : le but de cette proposition de loi est de trouver une solution d'urgence en quelques jours, voire en quelques heures. C'est la raison pour laquelle mon amendement n° 12 rectifié bis ne prévoit pas le dépôt de plainte obligatoire. Je suis donc favorable au sous-amendement n° 14 de Mme Corbière Naminzo, qui vise à supprimer cette condition. Si celui-ci était adopté, mon groupe voterait volontiers l'amendement n° 1 rectifié de Mme Carrère.

Nous sommes également favorables aux sous-amendements nos 13 et 10, relatifs aux titulaires d'une autorité de droit ou de fait, pour les raisons exprimées par Mme de La Gontrie. C'est une mesure qui va dans le bon sens : il me paraît en effet important de mieux protéger les enfants, y compris des agressions commises par des personnes extérieures au cercle familial.

L'amendement n° 12 rectifié bis que nous défendons est finalement la synthèse de l'amendement n° 1 rectifié de Mme Carrère et de plusieurs sous-amendements. Je vous invite donc à voter l'original ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Ces amendements et sous-amendements ont pour seul but d'apporter des solutions à des situations de violence, en l'occurrence d'inceste.

Peut-être ne sommes-nous pas suffisamment documentés sur le sujet. Je vous invite à relire Le Berceau des dominations de Dorothée Dussy. L'auteure le répète : l'inceste est un système de violence, dont la transmission est assurée par le silence et la protection qui est accordée aux prédateurs… Par cette proposition de loi, c'est cet immense système que nous essayons de briser. Il est donc nécessaire d'empêcher le contact entre l'agresseur et sa jeune victime.

Plusieurs d'entre vous ont insisté, au cours de nos discussions, sur l'incapacité de l'enfant à agir en justice. J'entends cet argument. Pour autant, nous parlons de violences sexuelles, dont découlent, parfois, des grossesses précoces.

Dès lors qu'un mineur a un enfant, il est émancipé. Subitement, il est confronté à la fois aux violences qu'il a subies et à la réalité de la vie d'adulte. Je m'interroge vraiment sur notre volonté de protéger les enfants. Dans la réalité, une gamine de treize ou quatorze ans qui devient mère du fait de violences incestueuses a le droit de saisir la justice. Mais il est déjà trop tard pour elle…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Je tiens à apporter une précision sur l'interprétation du droit, notamment de la dernière jurisprudence de la Cour de cassation. Il me semble en effet que nous ne partageons pas la même appréciation des dispositifs qui peuvent être rapidement mis en œuvre dès lors qu'un enfant est victime de violences sexuelles de la part d'un parent.

En effet, dans un arrêt du 2 octobre dernier, la Cour de cassation a censuré le placement à domicile. Néanmoins, cette jurisprudence vise non pas le placement à domicile prévu dans le cadre de l'ordonnance de protection provisoire, mais le placement à domicile, chez ses parents, d'un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance, dans des conditions quasiment identiques à un maintien à domicile.

Il faut se souvenir que, parmi les dispositifs qui permettent actuellement de répondre aux situations dramatiques de violences commises par des parents sur leurs enfants, l'ordonnance de protection provisoire permet au juge des enfants, qui est le juge naturel de la protection des enfants, d'éloigner le parent auteur des violences et de maintenir à domicile le mineur avec le parent protecteur.

Ainsi, notre droit positif prévoit déjà des modalités de réponse.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 13.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 10.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 14.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 11 rectifié et 15.

(Les sous-amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 16.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 17.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article unique est ainsi rédigé, et les amendements nos 12 rectifié bis, 6, 2, 3, 4 et 5 n'ont plus d'objet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme M. Carrère, M. Bilhac, Mme Briante Guillemont, M. Cabanel, Mme Conte Jaubert, MM. Daubet, Fialaire, Gold et Grosvalet, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Il s'agit d'un amendement de coordination, visant à mettre en adéquation l'intitulé de la proposition de loi avec le nouveau dispositif qui vient d'être adopté – je vous en remercie d'ailleurs sincèrement, mes chers collègues.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. L'avis est favorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Canayer, ministre déléguée. Je m'en remets à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. La protection des enfants contre les violences, notamment sexuelles, est un combat de longue haleine partagé sur toutes nos travées.

En 2021, nous avons franchi une étape importante pour la protection des mineurs : la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste a permis d'établir des règles claires et strictes en matière de consentement. En deçà de l'âge de 15 ans, et de celui de 18 ans en cas d'inceste, toute relation sexuelle avec un adulte est désormais considérée comme un viol. Malgré cette avancée, les victimes sont encore confrontées à des parcours de protection et d'accompagnement fragmentés.

Des dispositifs existent, et il est essentiel de renforcer leur accessibilité et leur efficacité. C'est dans ce contexte qu'a été adoptée la loi du 13 juin 2024, qui vise à améliorer la protection des victimes de violences intrafamiliales mais dont le décret d'application demeure malheureusement en attente de publication. J'insiste sur l'urgence de le publier, pour ne pas retarder davantage la mise en œuvre de ces mesures.

Il y a un an, la Ciivise a formulé quatre-vingt-deux recommandations appelant à des actions judiciaires plus adaptées, mais aussi à des mesures de prévention, de formation et d'accompagnement. Je tiens à cet égard à saluer le travail remarquable de son ancien coprésident, le juge Édouard Durand, et son investissement constant. Il incarnait une figure d'espoir pour les 160 000 enfants qui subissent chaque année des violences sexuelles. Je le rappelle, il y a une victime toutes les trois minutes ! Face à ces chiffres terrifiants, je salue l'initiative du groupe RDSE et de sa présidente, ainsi que les travaux de la rapporteure.

Pour autant, si la proposition de loi que nous avons examinée aujourd'hui est évidemment intéressante, elle demeure insuffisante. Les initiatives s'accumulent et les textes se superposent ; nous devons veiller à leur cohérence.

La méthode du pas à pas ne suffit plus. Le Gouvernement doit se saisir des recommandations de la Ciivise et travailler avec le Parlement pour bâtir un système de protection pleinement opérationnel contre les violences sexuelles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Xavier Iacovelli et Mme Laure Darcos applaudissent également.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, modifiée, dont le Sénat a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l'enfant victime de violences intrafamiliales.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-sept.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Paiement en espèces

Rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues (proposition n° 628 [2023-2024], résultat des travaux n° 121, rapport n° 120).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, est-il normal que, dans notre République, les malfrats bénéficient de droits auxquels n'ont pas accès les honnêtes citoyens ? Pour moi, la réponse à cette question est : non ! Tel est l'objet de la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter, et qui vise à lutter principalement contre le blanchiment des espèces.

En France, le code monétaire et financier précise les plafonds de paiements en espèces pour les transactions entre particuliers, entre professionnels, mais aussi entre particuliers et professionnels. Les textes limitent le paiement en liquide à 1 000 euros, énumérant des exceptions aux articles L. 112-6 à L. 112-8. Ainsi, le paiement en espèces entre particuliers n'a pas de plafond, mais il doit être régularisé par écrit au-delà de 1 500 euros.

Une transaction en liquide entre un particulier et un professionnel, ou entre professionnels, est plafonnée à 1 000 euros, sauf si le domicile fiscal du débiteur se trouve à l'étranger et si celui-ci règle une dépense personnelle : la limite est alors fixée à 10 000 ou 15 000 euros, selon le droit européen. Il existe d'autres exceptions, tout à fait justifiées.

Ma proposition de loi vise à modifier l'article L. 112-6 du code monétaire et financier.

Il s'agit, tout d'abord, de supprimer le deuxième alinéa du I dudit article, pour soumettre le paiement des loyers à l'interdiction du paiement en espèces, au même titre que le paiement des traitements et des salaires. Je vise en particulier, au travers de cette disposition, les loyers de voitures, surtout de grosses cylindrées.

Il s'agit, ensuite, de supprimer le a) du III du même article, pour exclure de la liste des dérogations possibles les paiements en espèces effectués par des personnes n'ayant ni chèque, ni compte de dépôt, ni d'autre moyen de paiement.

Je propose enfin, par un amendement que j'ai déposé, de limiter le champ d'application à ces deux points, sans l'étendre aux transactions entre les particuliers.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au même titre que les salariés, les commerçants, les artisans, les professions libérales, les retraités, les demandeurs d'emploi ou encore les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), vous ne pouvez pas régler plus de 1 000 euros en espèces, car vous êtes titulaires d'un compte bancaire.

Selon la loi, ceux qui ne disposent pas de compte bancaire peuvent, en revanche, régler sans limitation de montant n'importe quel achat ou loyer en espèces. Les honnêtes gens peuvent à peine acheter un vélo d'occasion, alors que les voyous peuvent acquérir une berline de luxe !

Qui sont exactement ces 440 000 personnes concernées parce qu'elles n'ont pas de compte en banque ? Ce chiffre est élevé, compte tenu du droit à l'inclusion bancaire qui permet désormais à ceux qui le souhaitent de disposer d'un compte.

Cette population comprend une bonne partie des personnes sans domicile fixe, dont le nombre a doublé au cours des dix dernières années. Pour ces dernières, la limitation à 1 000 euros ne pose aucun problème puisque c'est un montant exorbitant... Parmi les autres individus ne disposant pas de compte bancaire, on trouve les trafiquants de drogue, d'armes ou d'êtres humains, qui peuvent à loisir blanchir les produits de leur commerce, en toute impunité.

On ne parle pas là de petites sommes, comme le montrent les saisies record de stupéfiants, toujours assorties de saisies d'argent liquide, qui défraient régulièrement la chronique.

Le 9 novembre dernier, lors d'une opération liée au trafic de stupéfiants, le parquet de Marseille a mis la main sur rien de moins que 1,2 million d'euros en espèces ! En Seine-et-Marne, en avril dernier, il s'agissait de 210 000 euros en petites coupures ; et à Angers, voilà deux ans, de 1,5 million d'euros en espèces...

Ces saisies ne sont que la partie émergée de l'iceberg !

À mesure que le narcotrafic s'étend sur tout le territoire français, avec son lot de « narchomicides », il est aussi pourvoyeur de transactions record en espèces et, par la même occasion, de croissance de notre PIB. En 2023, il aurait généré en France entre 3,5 milliards et 6 milliards d'euros de profits – la fourchette est large –, pour un PIB atteignant 2 565 milliards d'euros. « Fumez, sniffez, c'est bon pour le PIB ! », titrait d'ailleurs Charlie Hebdo...

Il faut en effet souligner que, depuis 2018, l'Insee intègre les sommes issues du trafic de drogue et de la prostitution dans le calcul de notre PIB, sous couvert d'harmonisation de la réglementation européenne.

L'argent n'a pas d'odeur – on le savait, et cela se confirme –, mais le narcotrafic est tentaculaire et frappe autant les villes que les territoires ruraux. Son ampleur a été mise au jour dans l'excellent rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, publié en mai 2024 par nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain, lesquels y pointent du doigt la nécessité de contrôler les flux d'argent liquide.

Ce rapport décrit la multiplicité des méthodes de blanchiment des revenus du narcotrafic : réutilisation directe des fonds criminels ; réinjection des espèces dans le travail dissimulé ; blanchiment de proximité dans les commerces locaux – franchement, connaissez-vous beaucoup de gens qui vont acheter des macaronis ou des petits pois à trois heures du matin dans l'une de ces fameuses épiceries de nuit ? Soyons sérieux !... (Sourires sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur s'amuse.) – ; évitement du circuit bancaire... Autant de procédés facilitant l'extraction rapide des liquidités, devenues opaques, intraçables et insaisissables : 47 % des flux financiers produits par ces avoirs criminels sont constitués d'argent liquide, mais personne ne sait ce qu'il en advient.

Avec cette proposition de loi, je m'attache à l'aspect monétaire du trafic. Les malfrats utilisent les espèces, par exemple, pour louer de grosses berlines, acheter des produits de luxe, installer des commerces, mais aussi pour corrompre. Aucune profession n'est épargnée, en particulier dans les ports et les aéroports où l'on corrompt certains agents.

En avril 2023, le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale révélait d'ailleurs que plus de 90 % des billets de banque circulant aujourd'hui en France – y compris ceux que nous avons en poche ! – comportaient des résidus de drogue. Ce taux a doublé en dix ans.

On m'objectera qu'un signalement à Tracfin permettrait de régler le problème. Mais alors, comment se fait-il que des personnes dépourvues de ressources connues roulent encore au volant de grosses berlines ?

Je vois un autre écueil financier, qui est le comble du cynisme. Lutter contre le paiement en espèces entraînerait immanquablement une baisse du PIB au vu des sommes concernées, ce qui augmenterait de facto les ratios de la dette et des prélèvements obligatoires ! Mais, je le répète, l'argent n'a pas d'odeur... S'agirait-il de la véritable raison de l'opposition que rencontre cette proposition de loi dans les sphères financières ? Je m'interroge !

Je préfère conclure ce propos comme je l'ai commencé, en réaffirmant combien je trouve scandaleux que les droits des citoyens malhonnêtes soient plus avantageux que ceux des honnêtes gens. J'espère vous avoir convaincus, mes chers collègues, de voter en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Fabien Gay applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Christian Bilhac et les membres du groupe RDSE d'avoir proposé cette proposition de loi, qui nous donne l'occasion de débattre d'un sujet extrêmement important. Je partage leurs objectifs en matière de lutte contre la criminalité financière.

En effet, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme constituent deux fléaux majeurs que notre appareil législatif doit impérativement combattre, en s'adaptant en permanence à l'évolution des risques et des pratiques frauduleuses.

La crise que traverse actuellement notre pays en matière de narcotrafic, dont nous aurons l'occasion de débattre l'année prochaine, constitue l'un des aspects de cette problématique. Il est impératif que nous employions tous les moyens pour neutraliser les instruments de blanchiment de capitaux. Je rappelle, à cet égard, que les services répressifs ont procédé l'année dernière à plus de 24 000 saisies d'espèces pour un montant de près de 100 millions d'euros.

C'est à ce titre que l'usage des espèces peut constituer un risque. En tant que moyen de paiement anonyme, facile d'utilisation et instantané, la monnaie fiduciaire peut, dans certaines circonstances, présenter un risque de blanchiment de capitaux. Pour autant, l'argent liquide constitue également un moyen de paiement auquel nos compatriotes demeurent largement attachés et qui n'est en aucun cas synonyme de blanchiment d'argent.

Pour répondre au risque réel que représente la monnaie fiduciaire, le droit actuel prévoit déjà un encadrement strict des paiements en espèces.

Cet encadrement, que je rappellerai, se doit d'être strictement proportionné dès lors qu'il entre en conflit avec le droit du paiement en espèces, lequel est l'expression directe du fait que les pièces et billets de banque ont cours légal dans la zone euro et qu'un commerçant ne saurait les refuser comme moyen de paiement sans motif légitime.

Dans sa rédaction actuelle, le code monétaire et financier a prévu un seuil de droit commun de 1 000 euros pour les paiements en espèces effectués par les résidents. Au-delà de cette somme, les résidents français ont l'obligation de recourir à un autre moyen de paiement. Pour les étrangers de passage en France qui, par construction, peuvent être amenés à transporter davantage d'argent liquide, un seuil aménagé à hauteur de 10 000 ou 15 000 euros est prévu dès lors que le paiement n'est pas effectué dans un cadre professionnel.

Il faut relever ici que le plafond applicable en France, qui a été ramené de 3 000 à 1 000 euros en 2015, est l'un des plus robustes de la zone euro. En Belgique ou aux Pays-Bas, ce seuil est trois fois plus élevé, tandis que dans plusieurs pays de la zone euro, parmi lesquels figurent l'Allemagne et la Finlande, aucun plafond n'est fixé pour les paiements en espèces.

Lorsque le règlement européen du 31 mai 2024 entrera en application, les pays de l'Union européenne devront appliquer un plafond d'au plus 10 000 euros à partir de 2027. Mais cette évolution ne changera rien au fait que le plafond français est l'un des plus exigeants de la zone euro.

Enfin, le code monétaire et financier prévoit deux exceptions générales, dont l'objet est de limiter la restriction au droit de payer en espèces pour les situations dans lesquelles le risque de blanchiment n'est pas caractérisé.

Il s'agit, d'une part, des paiements entre particuliers pour des opérations non professionnelles et, d'autre part, des paiements des personnes non bancarisées, c'est-à-dire n'ayant pas de compte bancaire ou ne pouvant s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement.

J'en viens aux mesures prévues dans la proposition de loi, qui sont fondées sur un objectif légitime de renforcement de la lutte contre la criminalité financière.

Le texte prévoit d'abord de fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers.

Il tend ensuite à supprimer le déplafonnement des paiements pour les opérations non professionnelles entre particuliers.

Il vise enfin à supprimer le déplafonnement des paiements pour les personnes non bancarisées.

Sur les deux premiers points, je relève que les loyers sont déjà soumis, en l'état actuel du droit, au plafond de droit commun de 1 000 euros. Quant aux paiements entre particuliers pour une opération non professionnelle, ils font partie des dépenses de la vie courante qu'il n'est pas souhaitable de réglementer dès lors qu'ils ne constituent pas une voie de blanchiment d'argent.

Sur le troisième point, la commission a estimé après réflexion que la mesure proposée avait un caractère disproportionné. Je comprends l'intention de l'auteur de la proposition de loi, qui est d'empêcher tout contournement du droit en vigueur. Pour autant, les représentants des services chargés de la lutte contre la criminalité financière que j'ai entendus m'ont tous confirmé qu'ils n'avaient rencontré aucun cas documenté de contournement de la loi par un refus calculé d'ouvrir un compte bancaire. Peut-être pourrez-vous nous confirmer cette information, madame la secrétaire d'État ?

Les remontées de terrain qui me sont parvenues font apparaître, par ailleurs, qu'aucun trafiquant n'est non bancarisé pour éviter l'application de la loi.

Sur ce point, je tiens également à souligner l'existence d'une réglementation transversale anti-blanchiment dont l'effectivité est assurée par Tracfin, notre cellule nationale de renseignement financier, laquelle est particulièrement efficace.

L'obligation faite aux professionnels assujettis de réaliser un signalement à Tracfin en cas de soupçon de fraude est un instrument majeur qui permet, en l'état actuel du droit, de lutter contre les cas, envisagés par les auteurs de la proposition de loi, de paiements massifs en liquide, par exemple pour acheter une voiture de luxe ; un tel véhicule n'est d'ailleurs pas forcément acheté en France, mais peut l'être dans un pays proche.

Pour autant, les personnes non bancarisées représentent une population de plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes, qui sont le plus souvent dans une situation précaire faisant obstacle à ce qu'ils bénéficient de la procédure du droit au compte. En effet, cette procédure impose la production d'un justificatif de domicile, ce qui n'est pas possible pour certains publics fragiles.

Par conséquent, et bien que je sois entièrement favorable à ce que notre droit s'adapte en permanence aux risques identifiés de criminalité financière, les mesures proposées me semblent avoir un caractère disproportionné dès lors qu'elles pourraient mettre en difficulté des personnes fragiles sans simplifier le travail des services répressifs.

Pour ces différentes raisons, la commission des finances a rejeté le texte lors de sa réunion du 6 novembre dernier. Je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargée de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui pose la question des outils dont nous disposons pour lutter contre la criminalité financière et faire obstacle au blanchiment des capitaux résultant de trafics illégaux. Je remercie donc son auteur, Christian Bilhac, de permettre aujourd'hui cet échange de vues sur ce sujet important.

En axant vos travaux sur les paiements en espèces, monsieur le sénateur, vous faites entrer la vie courante dans ce débat qui peut paraître de prime abord plutôt technique.

Le Gouvernement partage, bien sûr, pleinement l'objectif de s'assurer que nos moyens de contrôle et d'encadrement soient, à tout moment, les plus efficaces possible. La criminalité financière évolue, et elle évolue rapidement. Face à ce constat, il est impératif que nous soyons réactifs en actualisant, si besoin, le cadre réglementaire.

Le texte comporte trois évolutions principales, avec l'objectif que les paiements en espèces entre particuliers pour des opérations non professionnelles ne puissent pas constituer un canal de blanchiment des capitaux.

Premièrement, la proposition de loi prévoit de plafonner à 1 000 euros les paiements en espèces entre particuliers lorsque le débiteur est résident fiscal en France. Il s'agit d'une évolution majeure par rapport à la situation actuelle. Il existe en effet actuellement un plafond de 1 000 euros lorsque l'opération a lieu entre un particulier et un professionnel, mais il n'y a aucun plafond lorsque les personnes n'agissent pas pour des besoins professionnels.

Ce plafond de 1 000 euros pour les opérations professionnelles est l'un des plus stricts en Europe. En effet, sept pays ne connaissent aucune limite, dont l'Allemagne et le Luxembourg ; seule la Grèce a fixé un plafond encore plus strict que le nôtre, à hauteur de 500 euros.

Deuxièmement, le texte vise à supprimer la tolérance dont bénéficient aujourd'hui les personnes n'ayant pas de compte de dépôt. En effet, celles-ci peuvent actuellement payer en espèces au-delà du plafond de 1 000 euros prévu pour les titulaires d'un compte bancaire. Sans cette dérogation, lesdites personnes, souvent fragiles – il est important de le rappeler –, seraient très pénalisées dans leur vie quotidienne.

Troisièmement, la proposition de loi prévoit de mettre en place un parallélisme entre les règles applicables aux salaires et celles qui sont applicables au paiement du loyer entre particuliers : un loyer de 1 500 euros ne pourrait plus être réglé en espèces entre particuliers.

Ces différentes mesures ont le mérite d'ouvrir le débat, mais elles risquent, selon nous, de ne pas atteindre l'objectif de la proposition de loi.

Il est important de rappeler que le cadre français est déjà l'un des plus restrictifs en Europe pour ce qui est de la circulation d'espèces. L'absence de limite aux paiements en espèces entre particuliers est compensée par de multiples limites et contrôles à l'entrée de ces espèces dans le circuit économique. J'en citerai quelques-unes.

Il n'est par exemple pas possible en France de payer ses créances publiques en espèces au-delà de 300 euros. Quant aux mouvements d'espèces aux frontières, ils sont surveillés, avec l'obligation pour les voyageurs de déclarer tout transport d'espèces supérieur à 10 000 euros. Autre exemple, les professionnels du secteur financier doivent informer Tracfin – M. le rapporteur l'a rappelé – des versements ou retraits en espèces effectués sur un compte dont les montants cumulés sur le mois dépassent 10 000 euros.

Enfin, au niveau européen, le règlement qui va entrer en vigueur en 2027 ne prévoit pas de plafond pour les opérations entre particuliers, car la lutte, légitime, contre le blanchiment et le financement du terrorisme est d'abord une affaire de transactions entre professionnels.

L'harmonisation des pratiques à l'échelle européenne est un excellent moyen pour lutter efficacement contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce règlement introduira un plafond à 10 000 euros, alors qu'il n'en existe aucun aujourd'hui lorsqu'un professionnel est en jeu.

Au niveau français, donc, des limites existent déjà. Elles sont en cours d'élaboration au niveau européen. Par ailleurs, ni la police judiciaire, ni Tracfin, ni les services du Trésor n'identifient de risques de blanchiment à la hauteur prévue dans cette proposition de loi.

Le paiement des loyers entre particuliers ne semble pas représenter un outil de blanchiment. Dès lors, introduire à plafond à 1 500 euros n'est pas un outil attendu et utile en la matière, alors que ce plafond représentera une gêne ou un obstacle pour les Français qui souhaitent régler en espèces, et ce en toute légalité.

Ensuite, interdire tout paiement en espèces entre particuliers au-delà de 1 000 euros ne peut être effectif que s'il est possible de contrôler ces transactions. Or c'est bien entendu impossible, et ce n'est même pas souhaitable, sauf à ce que l'administration soit particulièrement intrusive.

En outre, il y a un risque réel, avec un tel plafond, que soient pénalisées les plateformes de revente en ligne ou de fourniture de services ponctuels entre particuliers, et avec eux une forme d'économie circulaire qui va croissant. Je sais que ce n'est bien entendu pas l'objectif de la proposition de loi, mais c'est un effet de bord réel que nous avons identifié.

Enfin, la tolérance accordée aux personnes qui ne disposent ni de compte bancaire ni de chéquier doit être conservée. Le Gouvernement n'adopterait peut-être pas la même position s'il y avait là un canal particulier de blanchiment, mais les services de l'État n'ont jamais identifié de contournement consistant à se priver volontairement d'un compte bancaire pour se soustraire au plafond légal…

Dès lors, la mesure proposée n'aurait que peu d'impact, voire n'en aurait pas du tout, sur la criminalité financière. En revanche, elle restreindrait de manière importante la liberté des personnes concernées.

Je le rappelle, les espèces constituent le seul moyen de paiement pour les centaines de milliers de personnes qui ne possèdent pas de compte bancaire. Leur nombre est certes faible au regard des dizaines de millions de comptes bancaires ouverts en France, mais il n'est pas du tout négligeable.