Alors que nos vulnérabilités se multiplient face au réchauffement climatique et qu’elles sont renforcées par l’absence de planification énergétique comme de cloud souverain, semble-t-il vraiment opportun d’aller vers un système dans lequel nos capacités de paiement seraient tributaires d’immenses data centers privés, gourmands en énergie et exposés aux pannes, sans autre solution ? Nous ne le pensons pas.

Le paiement en espèces n’est pas un archaïsme ; c’est un système inclusif, respectueux de la vie privée, qui permet des microtransactions à l’échelle locale. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Thomas Dossus applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, présentée par le groupe du RDSE, vise à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude en limitant les paiements en espèces.

Elle tend notamment à réduire le seuil des transactions en espèces à 1 000 euros, à interdire le paiement des loyers en liquide et à supprimer les exemptions pour les personnes sans compte bancaire. Bien qu’elles découlent d’une volonté de transparence financière, ces mesures soulèvent des questions majeures d’inclusion sociale. Elles ratent totalement leur cible, si celle-ci est bien la fraude et le blanchiment.

Nous partageons tous l’objectif de lutter contre la fraude et le blanchiment d’argent sale. Le fléau du narcotrafic, qui touche durement notre pays, appelle des réponses fortes de l’État dans ces domaines.

Toutefois, cette proposition de loi n’aurait aucun impact sur les fraudeurs ou les narcotrafiquants, dont les lessiveuses et autres mécanismes de blanchiment à grande échelle continueraient de fonctionner sans avoir que faire des évolutions souhaitées.

En revanche, elle affecterait durement certains de nos concitoyens et concitoyennes, en particulier les personnes les plus vulnérables. Le recours aux espèces reste aujourd’hui une réalité pour de nombreux ménages en difficulté, qui utilisent l’argent liquide non seulement comme moyen de paiement, mais aussi comme réserve de valeur.

Supprimer les dérogations pour les personnes ne possédant pas de compte bancaire compliquerait le quotidien des plus précaires.

Rappelons-le, bien qu’un droit au compte bancaire existe en France, des obstacles réels à son exercice persistent. Les démarches à engager auprès de la Banque de France pour le faire valoir, les restrictions liées aux autorisations systématiques demandées par les services bancaires et l’absence d’autorisation de découvert compliquent l’accès aux services financiers, rendant ce droit souvent très théorique.

Exiger de personnes précarisées qu’elles trouvent d’autres moyens de paiement que l’argent liquide pour les transactions supérieures à 1 000 euros, y compris pour le paiement des loyers, pourrait accentuer leurs difficultés et, dans certains cas, accélérer leur exclusion.

Par ailleurs, la mesure visant à plafonner à 1 000 euros les transactions entre particuliers pourrait également poser problème.

Actuellement, ces échanges en liquide sont libres de toute limite, bien qu’un écrit soit requis au-delà de 1 500 euros. Imposer un tel plafond pourrait restreindre des habitudes de paiement courantes, comme lors de ventes de biens d’occasion ou de prêts informels. En limitant cette liberté, la loi risquerait de pénaliser des pratiques ordinaires qui, jusqu’ici, ne font pas l’objet de soupçons d’illégalité.

Enfin, le groupe écologiste soutient qu’il est nécessaire d’harmoniser le plafond des paiements en espèces à l’échelon européen, ainsi que le recommandent les auteurs du rapport de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Cependant, la fixation d’un seuil aussi bas que 1 000 euros à l’échelle nationale, alors que l’Union européenne préconise un plafond de 10 000 euros dans un souci d’harmonisation, soulève une question de cohérence vis-à-vis de nos partenaires.

De plus, l’ordre de grandeur des sommes brassées par le narcotrafic est d’une tout autre ampleur. Les travaux du journaliste spécialiste des mafias Roberto Saviano ont mis en évidence le rôle joué par les cartels lors de la crise des subprimes en 2008. Selon lui, c’est le recyclage de leurs liquidités colossales, issues du trafic de cocaïne, qui a alors largement permis de sauver les banques américaines et européennes. Ces affirmations sont vertigineuses, et cette proposition de loi n’est pas proportionnée aux mesures nécessaires pour lutter contre le blanchiment.

Au-delà de ces considérations, la liberté des paiements en espèces relève de la philosophie politique. Est-ce le rôle d’une société libérale que d’imposer un contrôle aussi renforcé des échanges monétaires entre acteurs économiques, nous rapprochant ainsi de la société de surveillance globale ?

En conclusion, bien que les objectifs de la proposition de loi soient louables, ses mesures doivent être examinées avec prudence. La lutte contre la fraude et le blanchiment est essentielle, mais elle ne doit pas être menée au détriment des populations les plus fragiles. Pour toutes ces raisons, notre groupe a choisi de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac, qui vise à limiter le paiement en espèces. Son but est de renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et les activités criminelles connexes, telles que le trafic de stupéfiants ou la traite d’êtres humains.

Ce texte modifie le code monétaire et financier en vue d’interdire l’utilisation des espèces pour le règlement des loyers au-delà d’un seuil. Il prévoit aussi de supprimer les exceptions permettant des paiements supérieurs à 1 000 euros pour les transactions entre particuliers et pour les personnes non bancarisées.

L’objectif affiché est de mieux contrôler l’usage de l’argent liquide, qui peut constituer un levier de fraude et de blanchiment. Nous y souscrivons tous, mais il est légitime de se demander si les mesures proposées sont vraiment efficaces et adaptées. Surtout, nous devons réfléchir à leurs impacts, notamment sur les populations les plus précaires.

Pour commencer, rappelons que, selon la Banque de France, les espèces représentent encore 50 % des transactions aux points de vente en France, au-dessous de la moyenne de la zone euro. L’utilisation des espèces est notamment le fait des petites transactions quotidiennes, ce qui témoigne du caractère profondément ancré de cette habitude chez nos concitoyens.

L’attachement envers les paiements en espèces est particulièrement visible chez les plus précaires, pour qui l’argent liquide est un outil indispensable de gestion de leur budget, surtout en période d’inflation.

La Banque de France estime que, en France, environ 444 000 personnes ne possèdent pas de compte bancaire. Pour elles, les espèces sont souvent le seul moyen de paiement, que ce soit pour acheter des produits de première nécessité, pour louer un logement ou pour régler d’autres dépenses. En supprimant les dérogations existantes, la proposition de loi pourrait causer des difficultés considérables aux plus fragiles.

Comme l’a souligné la Banque de France, de nombreuses personnes en situation de précarité éprouvent des difficultés à ouvrir un compte bancaire à cause de leur situation socio-économique. En limitant le recours aux espèces, cette proposition de loi pourrait aggraver leur précarité et constituer pour elles une double peine.

De plus, la fixation d’un plafond pour les paiements en espèces des loyers soulève des questions. En effet, les services spécialisés dans la lutte contre la criminalité financière n’ont pas identifié de risques significatifs de blanchiment d’argent concernant ces transactions.

De même, nous nous interrogeons au sujet de la suppression des dérogations pour les paiements en espèces entre particuliers. Là encore, les autorités compétentes n’ont pas relevé de risques notables en matière de blanchiment. Cela nous amène donc à nous demander si cette mesure sera vraiment efficace pour lutter contre les réseaux criminels.

L’exposé des motifs cite l’exemple de la location de véhicules de luxe. Toutefois, ainsi que le rapporteur le souligne à juste titre, il serait plus pertinent de concentrer nos efforts sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, en imposant des obligations spécifiques aux professions concernées, plutôt que de prendre des mesures générales sur l’ensemble des paiements en espèces.

Je souhaite également appeler l’attention sur un phénomène que nous constatons tous : le recul progressif de l’utilisation des espèces constitue un frein aux dons faits aux personnes sans-abri, qui dépendent largement de ces gestes de solidarité pour survivre.

En conclusion, bien que les objectifs affichés de cette proposition de loi soient tout à fait louables, on peut s’interroger sur l’efficacité de son dispositif. La suppression des dérogations pour les personnes non bancarisées ou pour les transactions entre particuliers ne répond pas de manière adéquate aux problématiques du blanchiment et pourrait aggraver les difficultés des plus vulnérables.

Dans ce contexte, bien que nous comprenions l’intention des auteurs de cette proposition de loi, nous estimons que les restrictions souhaitées ne permettent pas d’atteindre les objectifs fixés.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Christian Bilhac et ses collègues du groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi qui vise à lutter contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale.

Nous souhaitons évidemment tous que les politiques publiques atteignent cet objectif. Le blanchiment d’argent est l’aboutissement de tous les trafics. La drogue suscite entre 3 milliards et 6 milliards d’euros de bénéfices par an en France, sans compter les ressources des réseaux criminels de prostitution ou des braquages.

La fraude fiscale nous empêche de financer nos politiques publiques.

Outre les problématiques de santé publique qu’ils soulèvent, ces trafics ont donné lieu ces dernières années à de nombreux règlements de comptes entre bandes criminelles, provoquant autant de violences et d’insécurité dans nos villes et nos campagnes. Mes pensées aujourd’hui vont particulièrement aux populations marseillaises et grenobloises, qui ont connu cette année de nombreux homicides liés à ces trafics.

Avant de légiférer, nous devons néanmoins nous interroger sur l’utilité des dispositions souhaitées par les auteurs de cette proposition de loi dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude fiscale.

Lutte-t-on contre les trafics de drogue, contre la prostitution illégale, contre les braquages et l’évasion fiscale en interdisant à nos concitoyens d’utiliser leur argent pour les quelques usages où cela est encore permis ? Non, je ne le crois pas.

On ne lutte pas contre les problématiques rencontrées par notre société en s’attaquant aux conséquences plus qu’aux causes. Une politique pénitentiaire ambitieuse et une justice ferme à l’égard des trafiquants sont les seules solutions pour lutter contre ces trafics. Il en va de même pour les services des ministères de l’économie et de l’intérieur dans la lutte contre les fraudes.

Restreindre la liberté de nos concitoyens dans l’usage de leur argent n’est pas une solution. Il s’agit là encore d’une ingérence supplémentaire de l’État dans le quotidien des Français. La libre utilisation de leur argent liquide est aussi un symbole de leur liberté. Certes, il ne s’agit pas d’être libertaire à outrance, mais l’utilisation des moyens de paiement liquides est déjà très largement encadrée.

Par ailleurs, réguler l’utilisation de l’argent liquide ne permettra malheureusement pas de mettre fin aux trafics, au blanchiment et la fraude. Comme toujours, les criminels s’adapteront. Ils utiliseront des solutions dématérialisées, telles que les cryptomonnaies, pour s’échanger de l’argent.

La société Chainalysis a estimé à cet égard que le volume des transactions illicites réalisées en cryptomonnaies, en premier lieu desquelles les fraudes et le blanchiment, a atteint 24,2 milliards de dollars en 2023 dans le monde, quand il était cinq ans plus tôt de seulement 2,3 milliards de dollars. C’est dire la professionnalisation des milieux criminels en la matière.

Enfin, et c’est là le principal écueil de cette proposition de loi, l’utilisation de l’argent liquide est le premier et parfois le seul moyen de paiement des populations fragiles.

Les personnes les plus précaires et défavorisées, ceux qui n’ont pas de comptes en banque, n’ont d’autre choix que d’utiliser leurs espèces pour vivre au quotidien. Les personnes âgées et ceux qui ne sont pas familiers du numérique – j’en fais partie ! – sont eux aussi les principaux utilisateurs de l’argent liquide. Ne l’oublions pas, les chèques ne sont plus souvent acceptés par les commerçants.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe Les Indépendants voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Olivier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Olivier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre la criminalité financière constitue, à n’en point douter, une priorité unanimement partagée au sein de cet hémicycle.

Dans un contexte d’explosion du narcobanditisme faisant craindre une « mexicanisation » de notre pays, ainsi que le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau l’a très justement indiqué, l’assèchement des vecteurs de blanchiment apparaît plus que jamais indispensable.

La mobilisation collective autour de cet impératif a permis des avancées notables au cours des dernières années, parmi lesquelles figurent la réorganisation des services d’enquête de la douane française, le renforcement des moyens humains et financiers consacrés à la lutte contre la criminalité financière, et, plus récemment, la rénovation de la réglementation européenne via le paquet de lutte contre le blanchiment des capitaux publié en juin 2024.

La présente proposition de loi s’inscrit dans cet élan et mérite à ce titre d’être saluée. Son article unique vise à généraliser le plafond de paiement en espèces via la suppression de certaines dérogations. Une telle adaptation permettrait de s’assurer, selon son auteur, de l’absence de voies de contournement de la réglementation actuelle à des fins frauduleuses.

Cette généralisation de la contrainte semble à première vue opportune. La question est légitime : pourquoi des pans entiers de la population seraient-ils exonérés de ce plafond ?

Aujourd’hui, les seuils d’autorisation de paiement en espèces font en effet l’objet d’aménagements pour tenir compte des particularités de certaines catégories de paiement. Parmi celles-ci, trois dérogations sont en cause : le paiement des loyers, les transactions non professionnelles entre particuliers et les transactions effectuées par des personnes dites non bancarisées.

Si les deux premières dérogations ne semblent pas constituer d’efficaces moyens de blanchiment, du fait du niveau des montants qui sont concernés en général, l’exception adressée aux publics non bancarisés apparaît davantage propice au développement de certaines formes de criminalité financière.

Toutefois, cette déduction mérite d’être confrontée à la réalité des faits. Les conclusions du rapporteur sont à ce titre pour le moins éclairantes : aucun des experts auditionnés n’a permis de confirmer l’hypothèse d’une exploitation de ce régime dérogatoire comme vecteur de blanchiment.

Les quelque 400 000 personnes non bancarisées en France sont en majorité dans une situation de grande précarité, qui ne leur permet pas de bénéficier de la politique de droit au compte bancaire mise en œuvre par la Banque de France.

Dès lors, comment imaginer qu’ils puissent à loisir effectuer des transactions supérieures à 1 000 euros ? Si l’hypothèse de leur mise à contribution par les réseaux de blanchiment, en tant qu’intermédiaires, peut être envisagée, elle ne résiste pas à la réalité des faits.

Plus largement, les auditions ont également permis de confirmer l’absence de risque d’injection de fonds d’origine criminelle dans le circuit économique et financier pour les deux autres aménagements visés.

Bien loin d’apporter une solution efficace à l’endiguement des pratiques de blanchiment, la présente proposition de loi augure donc d’une inutile complexification du régime dérogatoire actuel, mais aussi de restrictions des libertés manifestement disproportionnées.

Ainsi que Mme la ministre l’a indiqué, le régime français apparaît déjà comme l’un des plus solides de la zone euro. Toutefois, cette robustesse ne doit pas modérer notre détermination dans la lutte contre la criminalité financière.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous séjournez à Amsterdam et vous tombez nez à guidon sur le vélo cargo de vos rêves ? (Sourires.) Vous êtes de passage à Berlin et vous flashez sur une toile d’art contemporain ? Vous souhaitez faire l’acquisition d’un ordinateur sur un site de particulier à particulier ? Oui, mais vous souhaitez régler en espèces… Eh bien, prenez garde, car les plafonds autorisés pour ce type de transaction diffèrent d’un pays à un autre, d’un type de paiement à un autre.

Sur la base d’un règlement de mai 2024 relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux, les paiements en liquide sont toutefois limités à 10 000 euros dans l’ensemble des pays européens, ce plafond pouvant toujours être abaissé selon les opérations.

La proposition de loi de notre collègue Christian Bilhac vise justement un point précis : restreindre les possibilités de paiement en espèces au-delà de 1 000 euros pour les particuliers, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le code monétaire et financier définit en effet des plafonds pour les paiements en espèces suivant la nature de la transaction et la finalité professionnelle ou non de l’opération.

Ainsi, le paiement des traitements et des salaires, d’une dette ou d’un prêt sur gage ne peut s’effectuer en espèces au-delà d’un montant fixé par décret. Ce montant varie : pour les salaires, la limite est fixée à 1 500 euros ; pour une dette, elle est de 1 000 euros, sauf exception.

Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux transactions entre particuliers n’agissant pas pour des besoins professionnels, aux paiements réalisés par des personnes incapables de s’obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n’ont pas de compte de dépôt.

Avant d’en venir au contenu du texte et à sa finalité, deux constats peuvent être dressés.

Si nous observons ces dernières années le recul de l’usage des espèces dans notre pays, ce mode de paiement reste largement utilisé. Il représente la moitié des transactions aux points de vente et plus de deux tiers des opérations entre particuliers. Le recours aux espèces est particulièrement répandu pour les opérations non professionnelles entre particuliers, dont 71 % en volume sont payés en liquide.

En outre, l’encadrement reste bien plus contraignant en droit national qu’en droit communautaire.

L’article unique de la présente proposition de loi comporte trois mesures.

La première vise à fixer un plafond spécifique pour le paiement des loyers, ces derniers étant actuellement soumis au plafond de droit commun de 1 000 euros.

La deuxième tend à soumettre les paiements non professionnels entre particuliers au plafonnement de 1 000 euros prévus pour les résidents français.

Enfin, la troisième consiste à soumettre les personnes non bancarisées au même plafonnement.

Mon groupe entend évidemment également renforcer la lutte contre la criminalité financière, mais nous ne pensons pas que ce combat nécessaire passe par un durcissement du droit au paiement en espèces. Celui-ci fait l’objet, nous l’avons rappelé, d’un encadrement très strict. À ce jour, plusieurs pays n’appliquent aucun plafond, comme l’Allemagne.

L’exposé des motifs mentionne l’exemple du renforcement de l’encadrement de la location de véhicules de luxe. Nous partageons à ce sujet la position du rapporteur : l’objectif serait plus efficacement atteint au moyen d’aménagements du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux, qui assujettit certaines professions à des obligations spécifiques, plutôt que par des mesures générales concernant l’ensemble des paiements en espèces.

Enfin, on compte plus de 400 000 personnes non bancarisées en France. Elles sont souvent dans une situation précaire qui ne leur permet pas de bénéficier de la procédure de droit au compte qui est ouverte par la Banque de France.

Leur inclusion dans le régime proposé conduirait à interdire les paiements en espèces de plus de 1 000 euros pour les personnes résidant en France et n’ayant pas d’autre moyen de paiement, ce qui ne nous paraît pas souhaitable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas nouveau, le trafic organisé tue, la fraude fiscale fragilise notre pacte sociétal, le travail dissimulé déstabilise notre économie et l’industrie du blanchiment d’argent alimente toute cette machine mortifère.

Pour s’en convaincre, il suffit de considérer l’actualité inquiétante de ces derniers jours, liée aux conséquences tragiques du trafic de drogue : un jeune de 15 ans assassiné à Poitiers, une personne tuée à coups de couteau à Rennes ou encore un mort dans une fusillade à Valence.

Quel est le point commun entre ces tragédies ? Leurs auteurs ont tous bénéficié directement ou indirectement du recours au paiement en espèces pour parvenir à leurs fins. Autrement dit, le paiement en espèces facilite le financement des activités illégales et constitue une véritable « malédiction du cash », pour reprendre les termes de certains économistes.

En réponse, les mesures judiciaires et policières pour stopper les trafics en tout genre et la fraude fiscale sont indispensables. À cet égard, nous serons très attentifs au nouveau plan de lutte contre le narcotrafic présenté la semaine dernière par les ministres de la justice et de l’intérieur.

Plus largement, cette actualité met l’accent sur un sujet qui doit nous mobiliser : la lutte contre l’économie souterraine. Ce sujet me paraît important à deux titres.

D’une part, d’un point de vue financier et économique, l’économie souterraine représente aujourd’hui 11,6 % du PIB selon la Banque de France. Une manne fiscale considérable échappe donc à l’État.

Mes chers collègues, cela doit nous interpeller au moment où nous nous interrogeons sur l’avenir du financement du budget de l’État. Ne faudrait-il pas mener aujourd’hui une évaluation de l’efficacité et du caractère complet de notre boîte à outils pour lutter contre ce phénomène ? Un débat doit être ouvert sur ce point.

D’autre part, il faut identifier les moteurs de cette économie souterraine. Sur ce point, le cash joue le rôle principal, en raison de l’anonymat des échanges qu’il permet. Dans une note publiée cet été, la Banque de France confirme qu’il existe un lien étroit entre la taille de l’économie souterraine et la demande de billets. Autrement dit, la régulation du paiement en espèces constitue un levier essentiel pour lutter contre l’économie illégale.

Dans cet esprit, la limitation des transactions en cash s’impose comme une réponse complémentaire et fondamentale à l’action judiciaire et policière menée par le Gouvernement, en particulier pour traiter le bas du spectre des activités illégales, qui reste pour l’instant sous les radars.

En ce sens, la proposition de loi, présentée par notre collègue Christian Bilhac au nom du groupe du RDSE, apporte quelques solutions. En s’attaquant au financement des activités illégales, elle participe à la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif d’intérêt général suffisant pour justifier un cadre juridique plus strict sur le paiement en espèces.

À cet instant du débat, mes chers collègues, j’ai bien compris que, sur toutes les travées, vous étiez contre cette proposition de loi. Elle a pourtant le mérite d’ouvrir le sujet et de poser la question fondamentale de la lutte contre cette économie parallèle et illégale qui nous fait tant de mal.

Les orateurs précédents l’ont dit de manière plus ou moins affirmée : nous sommes tous d’accord pour mener ce combat, qui exigera de nous lucidité et courage. En effet, nous ne pourrons plus nous cacher derrière l’objectif jamais atteint du maintien de la paix sociale : nous devrons réaliser un véritable travail de fond. Voilà ce vers quoi je vous invite à tendre, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier mon collègue rapporteur Michel Canévet, qui a réalisé un travail éclairant sur cette proposition de loi.

Le présent texte, proposé par Christian Bilhac, répond à une préoccupation qui nous est commune : le renforcement de l’efficacité de la lutte contre la criminalité financière. Cependant, si nous souscrivons à la volonté de lutter contre le blanchiment, l’article unique de cette proposition de loi ne constitue pas la voie adéquate pour atteindre cet objectif.

Nous faisons nôtres les griefs exprimés par notre collègue rapporteur pour rejeter le texte. Ces trois mesures de restriction du droit au paiement en espèces risqueraient de complexifier le régime actuel et d’entraver certaines libertés individuelles, sans garantir de bénéfice réel en matière de lutte contre la criminalité financière.

Premièrement, en ce qui concerne l’introduction d’un plafond spécifique pour le paiement des loyers, les services de la direction générale du Trésor n’ont pas identifié de risque significatif de blanchiment relatif au versement des loyers. De la même manière, le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme estime, lui aussi, que la menace de blanchiment liée à la location immobilière est faible au regard du cadre existant.

Dès lors, introduire un nouveau plafond pour cette catégorie de transactions compliquerait le régime en vigueur, sans aucune certitude de renforcer la lutte contre la fraude.

La seconde mesure, qui consiste à étendre le plafonnement de 1 000 euros au-delà duquel le paiement en espèces est interdit aux transactions non professionnelles entre particuliers, apparaît quant à elle disproportionnée.

Outre que, encore une fois, aucun risque particulier de blanchiment n’est lié à ce type de transaction, le plafond applicable constitue déjà l’un des seuils les plus stricts de la zone euro.

Or le paiement en espèces reste le moyen privilégié pour les opérations entre particuliers. En restreignant cette liberté, nous risquerions d’entraver des transactions légitimes du quotidien, alors même que nous serions dans l’incapacité de vérifier l’effectivité de la mesure, puisque ces transactions ne font pas l’objet d’un contrôle systématique de l’administration.

Enfin, la troisième et dernière mesure, qui consiste à soumettre les personnes non bancarisées au plafond de 1 000 euros, soulève un enjeu social important. En effet, quelque 400 000 personnes ne disposent ni d’un compte bancaire ni d’un chéquier en France. De plus, ces citoyens sont souvent confrontés à la précarité, ce qui les écarte de la procédure de droit au compte mise en œuvre par la Banque de France.

Dès lors, leur interdire les paiements de plus de 1 000 euros en espèces, alors même qu’ils n’ont pas de moyen de paiement de substitution, laisse poindre un risque important d’accroissement de leur précarité. En ce sens, supprimer le régime dérogatoire dont bénéficient les personnes non bancarisées nous semble disproportionné, d’autant que, je tiens à le rappeler, rien ne garantit qu’une telle mesure permettrait de renforcer la lutte contre la criminalité financière, dans la mesure où aucune corrélation entre les deux n’est établie.

Bien entendu, nous partageons les préoccupations du sénateur Bilhac, qui s’attaque, au travers de cette proposition de loi, à un véritable problème, qu’il est bon de remettre sur la table. Il nous faut continuer à combattre le blanchiment des capitaux issus de trafics illicites et, plus encore, veiller à ce que la réglementation actuelle ne soit pas contournée.

Néanmoins, l’article unique de la présente proposition de loi ne permet pas d’atteindre les effets attendus par l’auteur du texte. Ainsi, nous rejoignons les craintes de notre collègue rapporteur quant à la mise en place d’un durcissement disproportionné de l’encadrement actuel du droit au paiement en espèces.

En effet, nous ne saurions ignorer les indications des services du Trésor, qui n’établissent pas de lien entre, d’un côté, les transactions non professionnelles entre particuliers, le versement des loyers et les personnes non bancarisées, et, de l’autre, la criminalité financière.

Nous bénéficions d’ores et déjà d’un encadrement strict visant à lutter contre le blanchiment. Complexifier le cadre en vigueur, sans aucune garantie de tenir les résultats escomptés, nous semble contreproductif. Cela nuirait à la clarté du dispositif, entraverait certaines libertés individuelles et risquerait de fragiliser les personnes non bancarisées.