compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Marc
vice-président
Secrétaires :
Mme Sonia de La Provôté,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 octobre 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès de deux anciens sénateurs
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Guy Lèguevaques, qui fut sénateur de la Haute-Garonne de 1996 à 1998, et de notre ancien collègue Claude Huriet, qui fut sénateur de la Meurthe-et-Moselle de 1983 à 2001.
Le Président du Sénat rendra hommage à ce dernier demain à l’ouverture de la séance.
3
Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. Par lettre en date du 25 octobre, M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a demandé que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, inscrit à l’ordre du jour du mardi 5 novembre soit examiné selon la procédure normale.
Acte est donné de cette demande.
En conséquence, dans la discussion générale, nous pourrions attribuer un temps de quarante-cinq minutes aux orateurs des groupes et fixer le délai limite pour les inscriptions de parole au lundi 4 novembre, à 15 heures.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 28 octobre, le Gouvernement a demandé que les trois conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié, ainsi que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé qu’il soit examiné selon la procédure normale, soient examinés en troisième point de l’ordre du jour du 5 novembre et non en premier point, comme c’est actuellement prévu.
Acte est donné de cette demande.
5
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
6
Candidatures à une commission spéciale
M. le président. J’informe le Sénat qu’ont été publiées des candidatures pour siéger au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
7
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je remercie MM. Philippe Tabarot et Mickaël Vallet, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Il sera clos dans une demi-heure.
8
Régime d’indemnisation des catastrophes naturelles
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des finances, de la proposition de loi visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (proposition n° 612 [2023-2024], texte de la commission n° 62, rapport n° 61, avis n° 60).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Christine Lavarde, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Christine Lavarde, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je n’ai pas l’impression de monter seule à la tribune cet après-midi. En effet, je me fais la porte-parole des deux cent trois autres sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi, ainsi que des sénateurs qui travaillent sur la question des catastrophes naturelles depuis de très nombreuses années.
Pour ma part, la majorité des travaux de contrôle que j’ai réalisés depuis trois ans portent sur ce sujet. Auparavant, en 2019, la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, dont Michel Vaspart était le président et Nicole Bonnefoy la rapporteure, a été à l’origine d’une proposition de loi, qui a été adoptée à l’unanimité du Sénat. Les dispositions qu’elle contenait ont en partie été reprises dans la proposition de loi relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, déposée à l’Assemblée nationale et devenue la loi du 28 décembre 2021, dite loi Baudu.
En 2021, lorsque nous avons examiné ce texte au Sénat, nous sommes tous convenus que, s’il comportait des avancées sur les critères de reconnaissance des catastrophes naturelles, notamment en ce qui concerne le retrait-gonflement des argiles (RGA), il omettait un pan entier de la question, celui de la soutenabilité financière du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime CatNat.
C’est la raison pour laquelle, en tant que membre de la commission des finances, j’ai décidé de réaliser un contrôle budgétaire sur ce thème, qui a débouché sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Celle-ci a été enrichie par les travaux de la commission des finances, mais aussi par ceux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. J’adresse donc mes remerciements sincères aux membres de ces deux commissions, ainsi qu’au président de la commission des finances, qui a demandé l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de nos travaux.
Ce travail conjoint nous a permis d’élaborer un texte global, traitant les deux pans de ce sujet : le volet financier et celui de la prévention, le second étant la conséquence directe du premier.
En premier lieu, cette proposition de loi porte sur l’équilibre financier du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Les chiffres font en effet froid dans le dos.
En 2023, un peu plus de 2 milliards d’euros ont été collectés au travers de la prime des contrats d’assurance dite surprime CatNat, pour couvrir entre 1,6 milliard et 3 milliards d’euros de dommages – cette variabilité s’explique par le fait que l’évaluation financière des sinistres n’est pas terminée. Or ces montants sont très inférieurs au coût des sinistres climatiques, qui s’élève à 6,5 milliards d’euros, car certains biens endommagés ne sont pas assurés. Je pense en particulier aux biens des collectivités locales, comme l’a révélé la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales.
En 2024, la tendance s’aggrave : sur les six premiers mois de l’année, le coût de la sinistralité climatique a augmenté de 20 % par rapport à l’an dernier sur la même période. Les trajectoires sont très mauvaises, nous le voyons bien. La branche catastrophes naturelles des assureurs est déficitaire depuis neuf années consécutives ; en 2023, elle l’était à hauteur de 703 millions d’euros.
Par ailleurs, nous observons une inversion de tendance depuis la création du régime en 1982. Dans le passé, le risque d’inondation était le plus coûteux ; désormais, c’est le risque de sécheresse. Cette tendance n’est d’ailleurs pas près de s’inverser de nouveau, puisque le coût de la sinistralité du risque RGA augmentera de 40 % entre 2020 et 2050. Selon mon calcul, il va falloir trouver en moyenne 1,4 milliard d’euros par an au sein du régime CatNat pour indemniser ce seul risque.
Aussi n’avons-nous exclu aucune piste, lorsque nous avons entrepris la rédaction de cette proposition de loi.
Tout d’abord, nous nous sommes demandé s’il fallait supprimer le régime CatNat ou au contraire y inclure de nouveaux risques. Rapidement, nous avons conclu qu’il convenait de conserver ce régime spécifique à la France que la plupart des pays nous envient, car il est un formidable outil de mutualisation et de partage des risques. Un exemple suffit pour le montrer : alors que 1,8 % des primes d’assurance sont collectées dans les outre-mer, près de 10 % des fonds du régime ont été employés pour indemniser des sinistrés dans ces territoires.
Ensuite, nous nous sommes posé la question d’inclure les grandes tempêtes au régime CatNat. Nous y répondons par la négative, car ce risque particulier est bien couvert par la garantie obligatoire tempête, neige, grêle (TNG) des contrats d’assurance habitation. En l’intégrant au régime CatNat, loin d’apporter des solutions, nous créerions des problèmes d’application du droit.
Ainsi, pour garantir l’équilibre financier du régime, l’article 1er prévoit une actualisation régulière de la surprime CatNat en fonction de la sinistralité observée dans le passé. Cette surprime étant payée par tous les assurés, que ce soit au titre de l’assurance habitation ou de l’assurance automobile, cela nous évitera à tous de subir une augmentation aussi substantielle que celle qui interviendra le 1er janvier 2025, date à laquelle le taux de surprime passera de 12 % à 20 %.
En deuxième lieu, cette proposition de loi porte sur l’équilibre entre les assureurs et les assurés.
Pour favoriser cet équilibre, nous souhaitons renforcer l’expertise, qu’elle provienne des experts d’assurés ou des experts d’assurance, car nous avons lu trop d’articles remettant en question l’honnêteté et l’indépendance de ces professionnels. Il me semble important de graver dans la loi l’indépendance de cette profession, qui requiert un haut degré de technicité.
En outre, nous comptons inscrire dans le droit la suppression de la double franchise en cas de répétition d’un aléa naturel de même nature. Le précédent ministre de l’économie y a procédé par voie de déclaration au moment des inondations de la fin de l’année 2023 et du début de l’année 2024, ce qui a posé des questions d’application, puisque la mesure n’était pas formalisée par le droit. L’article 2 y pourvoit.
Enfin, nous nous attaquons au sujet bien connu du refus d’assurance, que le Premier ministre Gabriel Attal a évoqué lors de sa déclaration de politique générale. À cet égard, je reconnais que notre solution, qui repose sur le bureau central de tarification (BCT), est perfectible. Toutefois, nous ne disposons en l’état d’aucun moyen coercitif pour envoyer aux assureurs le message qu’ils seront rattrapés s’ils tentent de s’extraire de l’effort mutualisateur que représente le régime CatNat. Ces derniers sont tenus de conserver les mauvais risques, si je puis dire, dans leur portefeuille.
La Caisse centrale de réassurance (CCR) a annoncé la création d’un observatoire de l’assurabilité ; peut-être celui prouvera-t-il son efficacité. Si les premiers travaux, attendus, si j’ai bien compris, d’ici à la fin de l’année, suffisent à dissuader les assureurs qui seraient tentés de se retirer du marché par le simple principe du name and shame, alors il conviendra de supprimer l’article 3 dans le cadre de la navette parlementaire.
En attendant, il est important d’envoyer aux assurés habitant dans des zones à risque le message que nous entendons leurs craintes et aux assureurs celui que nous les surveillons.
En troisième lieu, cette proposition de loi porte sur la construction et la reconstruction.
Lorsque survient un aléa naturel, nous devons saisir l’occasion et intervenir sur le bâti pour le rendre plus résilient dans la durée, notamment en réalisant des travaux sur les fondations des maisons. À cet effet, nous souhaitons autoriser une utilisation dérogatoire de l’indemnité d’assurance dans le cas du risque RGA.
J’insiste sur le fait que cette dérogation répond à la fois à un impératif économique – il est déraisonnable d’injecter des sommes d’argent public supérieures à la valeur vénale d’un bien pour reconstruire celui-ci – et à l’impact psychologique des sinistres sur des habitants dont la maison a été rendue inhabitable.
Surtout, nous devons nous saisir de l’ensemble des moyens de la puissance publique pour construire des maisons résilientes face au risque, à commencer par MaPrimeRénov’. De même, nous souhaitons étendre le dispositif « Mieux reconstruire après inondation » (Mirapi) à l’ensemble des autres risques naturels.
En dernier lieu, cette proposition de loi traite le volet de la prévention.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a ajouté plusieurs dispositifs pour développer une véritable culture du risque. Nous avons imaginé des outils financiers incitatifs pour dire aux assurés qu’ils pouvaient être acteurs de la prévention.
J’en termine par une question relative aux moyens financiers alloués à la prévention des risques, que nous aborderons cet après-midi, mais aussi lors de l’examen budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». À compter du 1er janvier 2025, quelque 450 millions d’euros seront prélevés sur tous les assurés du seul fait de l’augmentation de la surprime CatNat. Afin d’honorer la philosophie qui a présidé à l’instauration de ce prélèvement en 1995, lors de la création du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier, le Parlement doit s’assurer que ces 450 millions d’euros se traduisent dans les dépenses de l’État consacrées à la prévention des risques. Madame la ministre, j’ai fait les comptes et nous en sommes actuellement très loin. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – M. Michel Masset applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, en remplacement de M. Jean-François Rapin, rapporteur.
M. Jean-François Husson, en remplacement de M. Jean-François Rapin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient d’examiner la proposition de loi de Christine Lavarde visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
Ce texte est la traduction de neuf des recommandations du contrôle budgétaire que notre collègue a entrepris et dont la commission des finances a adopté les conclusions le 15 mai 2023. Quelques mois avant, Christine Lavarde avait également remis un rapport d’information sur le financement du risque de retrait-gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti. Il s’inscrit également dans le sillage de la mission d’information que j’ai menée sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales et de la mission conjointe de contrôle menée par Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux au nom de la commission des finances et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur les inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024, notamment dans le Pas-de-Calais.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, la commission des finances mène un travail approfondi sur l’assurance des catastrophes naturelles et le financement de la prévention des risques depuis plus de deux ans. Ce texte en est l’un des aboutissements.
Les inondations qui sont récemment survenues en Ardèche sont l’une des trop nombreuses illustrations de la nécessité absolue d’adapter nos territoires et notre régime assurantiel pour faire face à la multiplication des catastrophes naturelles.
En effet, le changement climatique conduira à une augmentation certaine de la fréquence et de l’intensité des inondations, qui a déjà été constatée lors des dernières décennies. La sinistralité sécheresse devrait quant à elle exploser : elle pourrait atteindre 43 milliards d’euros entre 2020 et 2050, alors qu’elle s’élevait à 13 milliards d’euros au cours des trente années précédentes.
Jusqu’à présent, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles a fait la preuve de sa durabilité, comme l’a rappelé Christine Lavarde. La garantie de l’État n’a été appelée qu’une seule fois, en 2000, à la suite des tempêtes Lothar et Martin, et le taux de couverture contre les catastrophes naturelles en métropole est de 97 %. De nombreux pays européens envient notre régime CatNat, comme l’ont montré les auditions que nous avons conduites.
Toutefois, nous constatons que ce régime est à bout de souffle. La provision pour égalisation de la Caisse centrale de réassurance va tomber à zéro à la fin de l’année et le risque que la garantie de l’État soit mobilisée est réel. L’augmentation du taux de la surprime de 12 % à 20 % au 1er janvier 2025 offrira une respiration au régime, mais elle le fera au prix d’une augmentation très sensible du coût de la prime d’assurance pour les assurés.
L’article 1er de la proposition de loi crée ainsi un mécanisme de revalorisation automatique annuelle du taux de la surprime pour tenir compte des effets du changement climatique. Celui-ci doit permettre de lisser l’augmentation de la surprime dans le temps et d’adapter notre modèle assurantiel aux aléas climatiques.
La commission n’a d’ailleurs adopté qu’un amendement d’ordre purement technique, visant à décaler la date de mise en œuvre de la revalorisation au 1er janvier 2027 pour laisser aux compagnies d’assurances le temps de modifier leurs systèmes informatiques et de ramener la clause de revoyure du coefficient de revalorisation à trois ans.
L’article 2 supprime la possibilité d’appliquer de manière répétée la franchise d’assurance en cas de succession d’un même aléa naturel sur une courte période. Il s’agit d’une mesure de justice, qui est parfois appliquée dans la pratique, mais souvent mal comprise, faute de base légale. Un amendement a donc été adopté en commission pour assouplir le dispositif, en supprimant la condition du « même aléa naturel ».
L’article 3 introduit une présomption de refus d’assurance pour le motif d’une exposition aux catastrophes naturelles dans les zones les plus à risque. Actuellement, la possibilité de saisine du bureau central de tarification est entravée par la difficulté pour les assurés de prouver que le refus d’assurance dommages aux biens est lié au risque CatNat. Dans le souci de prévenir le risque de non-assurance, nous renversons la charge de la preuve et imposons aux entreprises d’assurances de prouver que ce refus est motivé par d’autres raisons que le risque CatNat.
De plus, l’ensemble des personnes entendues par la commission ayant souligné l’archaïsme des modes de saisine du bureau central de tarification, la commission a adopté un amendement visant à rendre possible une saisine électronique.
L’article 4 introduit certaines garanties d’indépendance pour les experts en matière d’assurance des catastrophes naturelles. Alors que la profession fait face à une véritable crise de confiance dans nos territoires, il n’existe aucun encadrement des experts d’assurance. Cet article garantit l’indépendance capitalistique des sociétés d’expertise par rapport aux entreprises d’assurances et décorrèle leur rémunération et les résultats de leur expertise. Cette ébauche de statut des experts devrait permettre de rétablir la confiance des assurés envers cette profession et d’en renforcer l’attractivité, alors que les récents épisodes d’inondations ont souligné le manque d’experts qualifiés.
L’article 5 instaure deux dispositifs distincts. D’une part, il rétablit la liberté d’utilisation des indemnités d’assurance en cas de sinistre provoqué par le phénomène de retrait-gonflement des argiles. D’autre part, il impose à l’assureur, lorsque celui-ci établit que le phénomène de RGA constitue la cause déterminante d’un sinistre, de notifier cette information au maire de la commune dans un délai de trois mois. Cet article revient ainsi sur l’obligation imposée à l’assuré par l’ordonnance du 8 février 2023 d’utiliser exclusivement ces indemnités pour réparer les dommages consécutifs au phénomène de RGA.
Si nous partageons l’objectif de l’article 5, un retour à une liberté totale d’affectation des indemnités versées en RGA ne nous paraît pas opportun, notamment au regard du risque de fraude. Les assurés peuvent en effet effectuer des travaux superficiels et vendre le bien. Il nous a donc semblé souhaitable de maintenir le principe d’affectation en prévoyant deux exceptions claires : lorsque le coût des réparations excède la valeur du bien et lorsque le bâtiment est devenu inhabitable. C’est le sens de l’amendement que nous avons adopté en commission.
L’article 6 créait un dispositif de modulation de la franchise en cas d’adoption de mesures de prévention par les assurés. Si nous partagions l’objectif de cet article, à savoir le renforcement de la culture du risque chez les particuliers, ce dispositif ne nous a pas paru pleinement opérationnel. En effet, le faible montant des franchises – 380 euros pour les biens à usage d’habitation ou les véhicules terrestres à moteur et 1 520 euros pour les biens à usage d’habitation en cas de risque RGA – rendait la modulation peu incitative. Cet article a donc été supprimé en commission.
Pour autant, dans un même objectif d’incitation à adopter des mesures préventives, la commission a inséré un article additionnel après l’article 5 pour inclure des préconisations sur les travaux de réduction de la vulnérabilité du bien dans les rapports d’expertise. Ce dispositif s’inspire de ce qui est prévu dans le cadre de l’expérimentation « Mieux reconstruire après inondation ».
Cette identification des travaux nécessaires intervient en complément de l’article 7, qui crée un dispositif incitatif de soutien à l’acquisition de prêts pour la prévention des risques, sur un modèle semblable à ce qui existe pour la rénovation énergétique. Cette disposition nous paraît importante pour diffuser une véritable culture du risque au sein de la population.
L’article 8 conditionne l’octroi de MaPrimeRénov’ à la réalisation de travaux de prévention des risques pour les logements les plus exposés. Pour paraphraser Jean-Marc Jancovici, qui s’est exprimé sur cette proposition de loi, la question posée par cet article est certes désagréable, mais pertinente. Est-il en effet raisonnable de continuer de subventionner la rénovation énergétique de logements que des catastrophes naturelles pourraient faire disparaître au bout de quelques années ? Il s’agit d’un enjeu de cohérence avec la politique d’adaptation au changement climatique.
Enfin, l’article 9 étendait le champ du fonds pour la prévention des risques naturels majeurs à des dispositifs expérimentaux relatifs à la prévention du retrait-gonflement des argiles et du recul du trait de côte. Le risque RGA concerne près de la moitié des logements individuels et il n’existe aucun soutien public de grande ampleur à sa prévention. De plus, ce risque est assuré dans le cadre du régime CatNat.
Pour ce qui concerne le recul du trait de côte, il s’agit d’une question majeure, mais le fait qu’il ne soit pas couvert par le régime CatNat peut poser des difficultés techniques à son intégration dans le champ du fonds Barnier. La commission a donc adopté un amendement pour en retirer la mention.
Ce texte représente une véritable avancée pour adapter notre régime d’assurance et financer la politique de prévention des risques. Il s’agit d’une politique de long terme, mais nous sentons également l’urgence de plus en plus pressante de prendre des mesures fortes.
Cette proposition de loi parvient à tenir cet équilibre. Elle apporte une réponse aux enjeux actuels tout en préparant l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, entre 2020 et 2025, la sinistralité liée aux catastrophes naturelles devrait augmenter de 47 %. Nous commençons déjà à subir cette conséquence dramatique du dérèglement climatique à l’échelle de notre pays : les inondations se sont multipliées, ravageant plusieurs territoires et perturbant la vie de certains de nos concitoyens.
Cela a conduit le Sénat à réagir en constituant une mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024 conduite par Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin, dont les recommandations, formulées après un travail de longue haleine, ont été adoptées à l’unanimité au mois de septembre dernier. En outre, le phénomène de retrait-gonflement des argiles, lié aux sécheresses, s’amplifie.
Le préambule de la Constitution de 1946 proclame « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». Si nous voulons continuer à honorer ce principe constitutionnel, dans un contexte d’intensification de la sinistralité et de montée en charge du risque retrait-gonflement des argiles, nous devons impérativement adapter notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
C’est tout le sens de la proposition de loi de Christine Lavarde, qui vise à la fois à garantir l’équilibre du régime et à mieux protéger les assurés, tout en veillant à ce que la contribution de nos concitoyens demeure juste et proportionnée, de manière à répondre aux besoins futurs.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, conformément à son champ d’expertise, s’est concentrée sur le volet prévention des risques, qui est central pour garantir la pérennité du régime. En effet, nous ne serons pleinement résilients qu’au terme du développement progressif d’une culture du risque généralisée. Aussi est-il nécessaire de renforcer la prévention des risques à tous les niveaux.
Tout d’abord, nous devons renforcer la prévention à la source, en confiant à l’école la mission de sensibiliser aux risques naturels, dans la continuité de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, qui a instauré un objectif d’éducation en matière environnementale. L’article 11, inspiré d’une recommandation du rapport d’information relatif aux inondations survenues en 2023 et au début de l’année 2024, s’inscrit dans cette continuité. Le cadre scolaire me semble en effet propice au développement d’une conscience de la réalité des risques et à l’apprentissage des pratiques à adopter pour mieux les prévenir.
Il faut également renforcer la culture du risque au stade de la cession du terrain, puis à celui de la construction du logement, en rehaussant les exigences des études géotechniques du sol.
En 2018, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, a instauré, dans les zones exposées au risque RGA, l’obligation de réaliser une étude géotechnique dite G1, au stade de la cession du terrain ou de la construction du logement.
Les études G1 sont toutefois très limitées : selon les données que nous ont fournies les administrations, elles ne sont parfois qu’un plagiat des données nationales. Dans certains cas, elles sont même réalisées par des professionnels peu scrupuleux, dépourvus de toute qualification technique.