M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous l’accorde, aujourd’hui, le rôle des médias consiste non plus uniquement à assurer le pluralisme des courants de pensée et à faire état de la réalité, mais, de plus en plus, à fabriquer l’opinion et à proposer leur propre interprétation de la réalité, ce qui – je l’admets – peut poser problème.
Évidemment, mes chers collègues, selon que l’on est systématiquement épargné ou mis en valeur, on ne voit pas les choses de la même manière, mais quand on est systématiquement accablé, coupable avant même que le papier soit écrit, je peux vous garantir que l’on voit les choses autrement…
Les journalistes sont un pilier essentiel à la bonne santé intellectuelle d’une nation, mais les droits fondamentaux sur lesquels reposent leur sécurité et le bon exercice de leur profession doivent être assortis du respect de devoirs tout aussi cruciaux, que certains bafouent pourtant allègrement.
Être journaliste, ce n’est pas bénéficier d’un totem d’immunité morale ou intellectuelle. On peut tout à la fois être journaliste d’opinion et respecter le contradictoire, vérifier ses sources et rechercher la vérité vraie, et non celle qui arrange, en somme suivre des principes qui sont loin d’être optionnels.
Certains s’émeuvent, parfois à juste titre, des affaires CNews et C8 ; il est vrai qu’il s’agit de chaînes privées, même si cela ne doit surtout pas les dédouaner de faire preuve de rigueur et de respecter les règles de déontologie.
Ces deux chaînes sont ici clairement visées, puisque les auteurs de ce texte souhaitent établir une classification politique des intervenants. Cela conduirait pourtant à prendre le risque de causer de sacrés dommages collatéraux : comment catégoriser un intervenant libéral-libertaire ? Estimez-vous, par exemple, que Pascal Praud est de gauche par intermittence quand il défend la gestation pour autrui (GPA) pendant cinq minutes ?
Vous voyez bien que cette démarche n’a aucun sens et qu’une telle typologie ne peut éventuellement procéder que d’éléments factuels et d’une appréciation générale du média concerné.
Que dire par ailleurs de l’audiovisuel public, qui ne propose, lui, que cinquante nuances de gauche et envers lequel nous devrions faire preuve de la même capacité d’indignation et avoir les mêmes exigences ?
Oui, l’audiovisuel public doit être encore plus neutre, plus impartial, et plus exemplaire sur un plan déontologique que le reste du paysage médiatique, parce qu’il est financé par les impôts de tous les Français, lesquels méritent le plus grand respect et attendent à juste titre une représentation de toutes les opinions.
De la même manière, renforcer le champ d’action de l’Arcom est louable à condition que cette autorité de régulation se préserve de toutes les turpitudes évoquées précédemment.
J’en profiterai, avant de conclure, pour saluer la nomination de mon cher ami et frère d’armes Bruno Bilde au conseil supérieur de l’Agence France-Presse. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe SER.)
Mme Audrey Linkenheld. Ce n’est pas rassurant !
M. Christopher Szczurek. J’ai toute confiance en lui pour veiller au bon respect de la loi du 10 janvier 1957 qui dispose que l’AFP « ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information » et qu’elle « ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ». Vous imaginez bien que je ne douterai jamais de l’objectivité de l’Agence !
Pour le reste, même si cette proposition de loi prévoit le renforcement de la protection des sources, ce qui nous inciterait à voter pour l’article 5, elle nous paraît partiale, à dessein et, surtout, très politique. Elle nous semble de surcroît n’apporter aucune garantie en matière d’indépendance des journalistes et de pluralisme d’opinion. Aussi, nous nous y opposerons !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste nous présente une proposition de loi qui part d’un bon sentiment. Mais, comme le dit le proverbe, l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Le texte comporte des mesures qui vont dans le bon sens : je pense aux dispositions concernant la protection des sources ou le renforcement des droits voisins, dont nous aimerions que le périmètre soit redéfini, afin qu’il s’applique non plus seulement à Google, mais aussi aux autres plateformes et réseaux sociaux qui partagent sans limites les productions des éditeurs de presse.
Mais le cœur du réacteur, la raison d’être de ce texte, l’article qui changerait tout, c’est celui qui reprend les termes de la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 et qui enjoint à l’Arcom de prendre en compte les différentes sensibilités politiques de l’ensemble des intervenants, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités.
Ne faisons pas semblant de ne pas avoir compris : il s’agit de s’attaquer à CNews, à C8, en résumé aux médias du groupe Bolloré.
M. Max Brisson. Voilà !
M. Olivier Paccaud. Tout à fait !
M. Pierre-Jean Verzelen. La proposition de loi du groupe socialiste traduit d’ailleurs une forme de cohérence, car elle s’inscrit dans la droite ligne des travaux de la commission d’enquête sur la concentration des médias en France.
Un certain nombre d’entre vous en conviendront ici, le Conseil d’État n’est pas non plus le gardien absolu de la vérité. On se demande bien du reste pourquoi celui-ci vient se mêler de l’organisation du débat public, politique et intellectuel au sein des chaînes de télévision ou des stations de radio.
En réalité, c’est injouable : avec un tel texte, nous mettrions le doigt dans un engrenage dont nous ne sortirions jamais. Imaginez le salarié de l’Arcom, derrière son écran, qui devrait, avec son chronomètre, décompter les minutes de tel ou tel et déterminer si les propos tenus sont de gauche, de droite ou d’ailleurs…
Je n’aimerais pas être à la place de celui qui devra, par exemple, se pencher sur l’émission de Michel Onfray.
M. Olivier Paccaud. C’est vrai !
M. Pierre-Jean Verzelen. Il faudrait distinguer parmi ses prises de position celles qui sont très à gauche et celles qui sont très à droite. Bon courage !
Quid des humoristes qui interviennent quotidiennement dans des matinales ? Une blague de Philippe Caverivière, comment faire pour savoir si elle est de droite ou de gauche ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. C’est complètement lunaire !
Sur le fond, admettez qu’il est tout de même assez inquiétant de vouloir attribuer des étiquettes aux uns et aux autres. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout propos n’est pas motivé par des intentions partisanes ou électorales.
Aujourd’hui, il existe une multitude de chaînes et de stations où sont émises des opinions différentes, divergentes, contradictoires, et c’est une chance ! Chacun a le droit de zapper et de changer de chaîne.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Pierre-Jean Verzelen. Moi-même, il m’arrive d’écouter France Inter,… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Roger Karoutchi. Non ! (Sourires.)
M. Pierre-Jean Verzelen. … et je reconnais volontiers que cela contribue à me forger une opinion ! J’espère que d’autres prennent le temps d’écouter des émissions comme L’Heure des pros, car cela les aiderait eux aussi à se forger un avis.
Mme Audrey Linkenheld. C’est ce qu’on fait. D’ailleurs, on lit Le Figaro tous les jours ! (M. Patrick Kanner brandit un exemplaire du journal.)
M. Pierre-Jean Verzelen. Il y a quelques semaines, l’Arcom a exclu les chaînes CNews et NRJ 12 de la TNT. À titre personnel, je vois dans ce choix une forme de mépris social, pour ne pas dire du mépris de classe. (Protestations sur les travées du groupe SER. – Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Qui sont ces personnes qui savent pour les autres ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est bien ? Qui sont ces personnes qui veulent imposer leur façon de penser, comme si les uns et les autres n’étaient pas capables de choisir ce qu’ils souhaitent écouter ou regarder ? Dans quelle démocratie décide-t-on de la disparition d’une chaîne de télévision nationale, de surcroît à capitaux français ?
Ce qui fait la saveur de l’audiovisuel, c’est sa diversité, sa complémentarité et sa pluralité. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Il y a quarante ans, on assistait à l’émergence des radios libres, à l’arrivée de Canal+ et à la création de nouvelles chaînes ; aujourd’hui, on a plutôt l’impression que certains n’ont d’autre projet politique pour l’audiovisuel qu’un retour à l’ORTF ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Très bien !
M. Olivier Paccaud. Très bien !
M. Pierre-Jean Verzelen. Ne faisons pas semblant de ne pas savoir que l’indépendance et la crédibilité de l’information se jouent désormais sur internet et sur les réseaux sociaux.
Vous l’aurez compris, une grande majorité des sénateurs du groupe Les Indépendants sont hostiles à ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. C’est beau l’union des droites ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour débattre d’une proposition de loi qui touche au cœur même de notre démocratie, car elle concerne les médias et leur indépendance.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sur laquelle repose une grande partie de notre cadre législatif dans ce domaine, a été élaborée à une époque où les défis et les enjeux dans ce secteur étaient profondément différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui.
Nous vivons dans un monde où la manière dont l’information est produite, diffusée et consommée est radicalement différente. Les nouvelles technologies ont bouleversé notre façon de communiquer : les réseaux sociaux, les plateformes numériques et l’accès instantané à l’information ont profondément modifié le paysage médiatique et ont supprimé un certain nombre de filtres.
Face à ces transformations, je pense, comme beaucoup d’entre vous, qu’il est nécessaire d’ajuster notre législation. Mais je le dis avec gravité, cette tâche doit être menée avec précaution, « d’une main tremblante », pour reprendre une expression chère à notre histoire parlementaire.
Si je salue certaines des ambitions de Mme la rapporteure concernant le pluralisme ou la protection des sources, chacun sait bien ici que l’on ne légifère pas avec de bonnes intentions et, moins encore, avec de mauvaises intentions – l’exposé des motifs de votre proposition de loi, ma chère collègue, ne cherche pas à les dissimuler ! – à l’encontre d’un groupe médiatique qui semble particulièrement ciblé.
M. Olivier Paccaud. Tout à fait !
M. Cédric Vial. Avant toute modification législative touchant à la liberté de la presse ou à la liberté d’expression, il convient de veiller attentivement à ne pas compromettre les libertés fondamentales que nous devons protéger.
Le Conseil d’État, dans une récente décision, a en effet demandé qu’un contrôle plus poussé soit exercé. Il est indéniable que la régulation des médias et de la communication est devenue plus complexe à mesure que le paysage médiatique s’est fragmenté et que les dérives se sont multipliées, notamment avec l’émergence des fake news et une forme de désinformation à grande échelle.
M. Max Brisson. Exact !
M. Cédric Vial. Cependant, la recherche de l’équilibre est un art délicat. Nous devons veiller à ne pas franchir cette frontière ténue entre la régulation nécessaire et une restriction de la liberté d’information et de communication qui serait automatiquement excessive.
Je suis convaincu – chacun peut en convenir ici – que la loi de 1986 peut être complétée et adaptée aux enjeux actuels dans le secteur des médias. Nous ne pouvons pas ignorer les bouleversements qu’entraînent les nouvelles technologies. Nous sommes confrontés à un flux constant d’informations, qui est parfois déformé, qui fait parfois l’objet de manipulations et qui nécessite un cadre juridique adapté pour protéger à la fois les journalistes, les citoyens et la qualité de l’information.
Les véritables défis auxquels nous faisons face aujourd’hui sont nombreux. L’indépendance des journalistes est sans doute le plus important d’entre eux : c’est elle qui garantit que l’information diffusée est libre de toute influence extérieure, qu’elle soit économique ou politique. Cette indépendance est la clé de voûte d’une presse libre et d’une démocratie forte.
Si nous devons renforcer certains mécanismes de contrôle, ce doit être dans le respect absolu de cette indépendance, afin de ne pas menacer le rôle fondamental des journalistes et des médias dans notre société.
La lutte contre les fake news est un autre combat que nous devons mener. La désinformation prolifère à une vitesse inédite et sème la confusion, la méfiance, voire la haine au sein de nos sociétés. Lutter contre ce phénomène est une priorité absolue, mais, là encore, nous devons agir avec prudence. Le but est non pas de museler l’information, mais de permettre à chacun de disposer d’informations vérifiées, fiables et pluralistes.
Notre objectif devrait être de compléter la loi de 1986 sans pour autant tomber dans le bavardage législatif. L’Arcom a su démontrer qu’elle disposait, avec les pouvoirs qui lui ont été confiés, de moyens suffisants pour limiter et contrôler certaines dérives dans le secteur de la communication et de l’information.
M. Max Brisson. Exact !
M. Cédric Vial. Si je peux approuver votre démarche et certaines de vos ambitions, madame la rapporteure, je ne peux pas souscrire aux solutions que vous proposez, lesquelles me semblent, comme l’ont rappelé mon collègue Max Brisson et Mme la ministre elle-même, à contretemps des nécessaires conclusions qui mériteront d’être tirées après une phase de consultation et de concertation consécutive aux états généraux de l’information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre-Jean Verzelen et Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes
Chapitre Ier
DU RENFORCEMENT DE L’INDÉPENDANCE DES MÉDIAS
Article 1er
Le troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle apprécie le respect par les éditeurs de services, dans l’exercice de leur liberté éditoriale, de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes audiovisuels, notamment dans les programmes consacrés à l’information, en prenant en compte, dans l’ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. C’est une noble ambition que de vouloir renforcer l’indépendance des médias et mieux protéger les journalistes, mais l’exposé des motifs de votre proposition de loi, ma chère collègue, m’a troublé : en ciblant le Journal du dimanche (JDD), Europe 1 et CNews, vous légiférez ad personam, ce qui est bien moins chevaleresque !
Dans votre texte, vous convoquez de grands principes comme la liberté d’expression. Au passage, c’est à l’article 11 et non à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que ce droit est reconnu. Un bon journaliste doit vérifier ses sources, un bon législateur aussi ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la ministre rit également.)
Vous redéfinissez la liberté d’expression, en en faisant une sorte de vérité absolue, très inquiétante, parce qu’elle ne peut que ressusciter la censure et qu’elle nie la spécificité de la presse d’opinion.
Certes, il y a toujours eu des noces prodigues entre la presse et la politique. Et heureusement d’ailleurs ! Heureusement qu’en 1898 L’Aurore de Georges Clemenceau a publié le « J’accuse… ! » de Zola ! Heureusement, mon cher Pierre Ouzoulias, que de Jean Jaurès à Fabien Gay, L’Humanité exprime sa vérité, qui n’est pas la mienne !
M. Pierre Ouzoulias. Désolé, mais je suis lecteur de La Croix ! (Sourires.)
M. Olivier Paccaud. Heureusement que Le Figaro, que son propriétaire soit Hersant ou Dassault, exprime une vérité qui n’est pas la vôtre ! Heureusement que CNews fait entendre un son différent de certaines voix de France Télévisions ! Heureusement qu’Europe 1 contrebalance France Inter ! Heureusement que le JDD donne une autre version de l’information que Libération !
Mes chers amis, personne n’a le monopole du cœur et personne ne peut s’arroger celui d’une presse d’opinion sans impureté. Dans une démocratie, le droit au désaccord est fondamental.
Chacun connaît cette tirade de Beaumarchais, devenue la devise du Figaro : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. » Sans le JDD, sans CNews, sans Europe 1, notre paysage démocratique perdrait de sa pluralité, de sa vitalité, de sa crédibilité. Un tout petit peu de bleu à côté du blanc et du rouge nous fait beaucoup de bien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Christopher Szczurek applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.
M. Adel Ziane. Mes chers collègues, je m’interroge également, car j’ai entendu un certain nombre de choses surprenantes au cours de la discussion générale. De notre point de vue, il n’est jamais trop tôt pour défendre la liberté d’expression, le pluralisme des courants de pensée, le cadre républicain et démocratique des débats et la diversité des opinions.
M. Max Brisson. Ils ne sont pas menacés !
M. Adel Ziane. Comme cela a été évoqué hier lors de l’audition du président de l’Arcom par la commission de la culture, cette autorité de régulation, qui a pris la suite du CSA, exerce une mission de contrôle depuis les années 1980. On ne comptait à cette époque que six chaînes de télévision et seuls quelques journaux étaient diffusés à horaires réguliers. Aujourd’hui, ce sont vingt-sept chaînes qui diffusent leurs programmes sur la TNT.
Il faut donc saluer et soutenir la décision du Conseil d’État du 13 février dernier. (M. Max Brisson proteste.) Le juge, après avoir été saisi de différentes polémiques, a fait évoluer l’interprétation de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi Léotard.
Cette décision met en lumière la nécessité de faire évoluer la régulation des médias audiovisuels, d’assurer une véritable pluralité et diversité des courants de pensée et d’opinion, y compris ceux qu’incarnent les chroniqueurs, animateurs et invités.
Aujourd’hui, l’Arcom attribue les fréquences de la TNT selon des règles précises. J’ai beaucoup entendu dire ici que C8 aurait été désignée à la vindicte populaire. Or, mes chers collègues, cette chaîne s’est vue retirer sa fréquence, non pas par pure vue de l’esprit : elle a été sanctionnée pour publicité clandestine,…
M. Max Brisson. Double peine !
M. Adel Ziane. … pour des propos stigmatisants et discriminatoires,…
M. Max Brisson. La chaîne a payé ses amendes !
M. Thomas Dossus. C’est de la récidive !
M. Adel Ziane. Monsieur le président, je souhaiterais que les interruptions de Max Brisson soient décomptées de mon temps de parole.
Je reprends : la chaîne a été sanctionnée pour des propos complotistes, des insultes et de la désinformation.
M. Roger Karoutchi. Il y en a pas mal aussi sur le service public !
M. Adel Ziane. On ne peut donc pas dire, comme certains intervenants l’ont laissé entendre, que cette chaîne a été injustement sanctionnée.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux diffusent des fake news – ce terme a été employé. Dans un tel contexte, je considère qu’il est important, pour apaiser notre débat, de rappeler que cette sanction a été prise à la suite de manquements aux règles dont l’Arcom garantit le respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Jérémy Bacchi applaudit également.)
M. Max Brisson. La chaîne a payé ses amendes !
M. Adel Ziane. Oui, plus de 8 millions d’euros en huit ans…
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Brisson, Piednoir et Paumier, Mmes Evren, P. Martin et Belrhiti, M. Grosperrin, Mmes Borchio Fontimp, Ventalon, Drexler et Joseph, M. Bruyen, Mmes Puissat et Micouleau, MM. Michallet, Klinger, Burgoa et D. Laurent, Mmes Dumont, Malet et Dumas, MM. Meignen et Paccaud, Mme Gruny, M. Reynaud, Mme Demas, MM. Reichardt, Belin, Milon, Lefèvre et E. Blanc, Mme Imbert, MM. Bouchet, Rojouan, Genet et Sido, Mme Eustache-Brinio et M. Le Rudulier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Je ne reviendrai pas sur les propos de mes collègues Pierre-Jean Verzelen et Olivier Paccaud, qui ont dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas sur ces travées. Cela dit, la délibération de l’Arcom a évité bien des pièges que vous avez décelés.
Rappel des faits : le recours de Reporters sans frontières a débouché sur une injonction du Conseil d’État à l’Arcom, qui a pris la forme d’une décision rendue le 13 février 2024. Il s’agit d’un véritable revirement de jurisprudence, puisque le respect de la diversité des courants de pensée et d’opinion n’est désormais plus cantonné aux seuls hommes et femmes politiques, mais étendu à tous les participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, les animateurs et les invités. Il s’agit d’une tâche bien complexe, comme certains d’entre nous l’ont souligné lors de la discussion générale.
Le 13 juillet dernier, l’Arcom a pris une décision qui tient compte de ce revirement de jurisprudence et a proposé une approche équilibrée sur le temps long. La décision du Conseil d’État a été prise à droit constant. Sa mise en œuvre par l’Arcom a apaisé les craintes exprimées sur ces travées. La jurisprudence a fixé un nouveau cadre sans qu’il soit utile de l’inscrire dans la loi.
Aussi, il ne me semble pas nécessaire de légiférer sur la décision du Conseil d’État et la mise en application intelligente et équilibrée actée par l’Arcom. Il convient de supprimer l’article 1er, un article inutile et fruit d’une pensée quelque peu obsessionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sylvie Robert, rapporteure. Sans surprise, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression de l’article 1er.
Je resterai très calme, tout en précisant que je ne suis absolument pas obsessionnelle…
Permettez-moi simplement d’indiquer que, à titre personnel, je regrette la position de la commission, parce qu’il serait beaucoup plus prudent et plus respectueux des droits du Parlement de fixer notre propre interprétation de la loi de 1986 plutôt que de confier cette mission à une juridiction.
La décision du Conseil d’État a fait date. Elle n’est pas anodine et va, à mon sens, dans la bonne direction, pour peu que nous nous donnions les moyens de la consacrer.
Je reste persuadée, mes chers collègues, qu’il existe une excellente raison, surtout sur un plan symbolique, et puisqu’il est question de pluralisme, d’adopter l’article 1er, d’autant que j’avais fait en sorte d’en amender le dispositif en commission pour le rendre encore plus conforme qu’il ne l’était à la délibération de l’Arcom. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je partage tout à fait les arguments de M. le sénateur Brisson.
Comme vous l’avez dit vous-même, madame la rapporteure, la décision du Conseil d’État est très claire. J’ajoute qu’elle est aussi d’application directe et que l’intégration de cette jurisprudence dans un texte n’apporterait rien de plus. En outre, l’Arcom l’a mise en œuvre sans aucune difficulté.
Je suis donc favorable à la suppression de l’article 1er.
Mme Audrey Linkenheld. L’explication est loin d’être limpide !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis très surpris de votre argumentaire, mes chers collègues, parce que vous dénoncez très souvent ici, dans cet hémicycle, le gouvernement des juges, et très récemment encore les décisions du Conseil constitutionnel.
Or, dans le cas d’espèce, vous expliquez que, finalement, la jurisprudence du Conseil d’État serait quasiment équivalente à la loi. Je pense au contraire que, si l’on veut éviter ce que vous appelez le gouvernement des juges, il convient de préciser la loi autant que faire se peut.
Par ailleurs, je crains très fortement que ce que vous condamnez ici ne soit rien d’autre que l’article 3-1 de la loi de 1986, qui prévoit que l’autorité régulatrice veille « à ce que la programmation reflète la diversité de la société française ». Or cela vous ennuie.
Pour dire les choses franchement, vous défendez l’action de Vincent Bolloré, qui – il l’assume lui-même de façon forte et crue – mène un combat civilisationnel. C’est du reste son droit, même si nous le combattons. En réalité, ce qui est préjudiciable à la démocratie, c’est qu’il s’empare de la totalité des médias français…
M. Olivier Paccaud. Il ne possède pas encore Libération et L’Humanité… (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. … pour assouvir cette ambition.
Mme Audrey Linkenheld. D’où la nécessité de cette loi !
M. Pierre Ouzoulias. Voilà ce dont nous discutons ce matin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Nous reconnaissons tous l’habileté de Mme la rapporteure. (Sourires.) Elle vient encore d’en faire la preuve en faisant dire à la commission quasiment le contraire de ce qu’elle avait exprimé. (Protestations sur des travées du groupe SER.)
Une telle habileté permet à notre collègue de camoufler largement…