M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable partage pleinement les objectifs des auteurs de ce texte.

La transition énergétique est une nécessité évidente pour nous tous. Nous saluons à ce titre l’ambition de l’Union européenne, qui, dans le cadre de la loi européenne sur le climat adoptée en 2021, s’est fixé un objectif intermédiaire de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Nous devons maintenant être collectivement à la hauteur de cette ambition.

Pour ce faire, il convient d’abord d’établir un plan stratégique puis de définir des moyens pour l’exécuter. Les gouvernements précédents ont malheureusement choisi d’inverser ces deux étapes et nous ont proposé une chronologie à l’envers qui manque donc cruellement de cohérence.

La loi Aper, examinée au fond par notre commission avec la commission des affaires économiques en novembre 2022, a ainsi prévu des mesures permettant de développer les énergies renouvelables, tandis que la loi Nouveau Nucléaire du 22 juin 2023, examinée par notre commission, a accompagné la relance du nucléaire, sans qu’à aucun moment nous débattions de la stratégie d’ensemble du mix énergétique qui nous permettrait d’atteindre nos objectifs climatiques.

Sur un sujet aussi crucial pour l’avenir de notre pays, un débat parlementaire est pourtant indispensable.

Je remercie mes éminents collègues Daniel Gremillet et Dominique Estrosi Sassone, ainsi que Bruno Retailleau, pour cette proposition de loi qui comble une lacune regrettable.

Le texte fixe un objectif de réduction des émissions brutes de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030, conforme aux engagements internationaux de la France.

Pour y parvenir, il repose sur deux piliers : la réduction de 30 % de la consommation énergétique par rapport à 2012 et la décarbonation du mix énergétique, avec une part d’énergie décarbonée supérieure à 50 % en 2030. Je souscris pleinement à ces objectifs.

Les travaux de la commission se sont concentrés sur le volet des énergies renouvelables, essentiel pour atteindre nos objectifs énergétiques. Cette programmation énergétique fixe des objectifs pour 2030 ; à cette date, la relance du nucléaire n’aura pas encore produit ses effets, puisque la livraison des six premiers EPR2 est prévue pour 2035 à 2037.

Pour atteindre nos objectifs de décarbonation et garantir la sécurité de nos approvisionnements, il est donc nécessaire d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Le Sénat en a d’ailleurs approuvé le principe lors de l’adoption de la loi Aper en 2022.

Le texte initial de cette proposition de loi prévoit des objectifs pour l’hydrogène décarboné, les biocarburants, le biogaz et l’énergie hydraulique. Nous avons enrichi cette programmation en fixant des objectifs pour l’énergie photovoltaïque, en mentionnant l’énergie hydrolienne et en précisant que le repowering sera privilégié pour le développement de l’énergie éolienne.

En parallèle à cet axe relatif aux énergies renouvelables, qui constitue le principal apport de notre commission à ce texte, nous souhaitons également alerter sur la question des puits de carbone.

Pour atteindre l’objectif de réduction des émissions nettes de 55 % d’ici à 2030, nous devons à la fois réduire nos émissions brutes par rapport à 1990 de 50 % et augmenter la capacité d’absorption de nos puits de carbone.

Malheureusement, cette capacité a été divisée par deux au cours des deux dernières décennies, pour des raisons que je ne développerai pas ici. Nous invitons le gouvernement qui se met tout juste en place à prendre en compte cette réduction dans sa programmation énergétique et à engager sans délai un plan pour restaurer ces puits de carbone, faute de quoi l’objectif de réduction nette des émissions restera hors d’atteinte.

Enfin, je souhaite vous faire part d’une réflexion sur les technologies de captage et de stockage du CO2 : celles-ci doivent être réservées aux émissions incompressibles et non servir de prétexte pour retarder les efforts nécessaires de transition énergétique.

En résumé, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ne peut que saluer cette programmation nécessaire, complétée sur le volet des énergies renouvelables. Nous formons le vœu que le Gouvernement se saisisse de cette opportunité pour organiser un véritable débat au Parlement sur ce sujet, qui suscite tant d’attentes chez nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie
Discussion générale (suite)

7

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur, une délégation de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) composée de seize parlementaires issus de huit pays de l’Alliance atlantique : l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, le Luxembourg, le Portugal, la Turquie, la Roumanie et le Royaume-Uni.

L’Assemblée parlementaire de l’Otan assure le lien entre les parlements des pays membres et l’organisation internationale ; elle constitue à ce titre un forum de discussion privilégié et, par ses rapports et ses résolutions, un instrument utile et efficace de la diplomatie parlementaire.

Après Paris, où elle rencontrera nos industriels de la défense, la délégation, conduite par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notre collègue Cédric Perrin, se rendra à Belfort pour une visite au 1er régiment d’artillerie et au 35e régiment d’infanterie, puis à l’Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis, dédié à l’armement.

Nous souhaitons à nos collègues une visite fructueuse ainsi que la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la ministre déléguée se lèvent et applaudissent.)

8

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie
Discussion générale (suite)

Programmation et simplification dans le secteur économique de l’énergie

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie.

Discussion générale (suite)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 77

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, de lénergie, du climat et de la prévention des risques, chargée de lénergie. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un honneur pour moi de prononcer mon premier discours à cette tribune, sur un sujet majeur pour notre pays.

Les décisions que nous prenons aujourd’hui en matière de politique énergétique auront des répercussions dans dix, vingt ou trente ans, et jusqu’à la fin du siècle ; elles influeront sur la place de la France dans le monde dans plusieurs dizaines d’années.

Nous l’avons constaté par le passé avec le plan Messmer, quand la France a lancé, au début des années 1970, son premier programme électronucléaire. Ces décisions prises il y a plus d’un demi-siècle ont permis à notre pays de devenir le plus attractif d’Europe.

Le sujet énergétique se trouve donc au cœur de notre économie, de nos infrastructures, de notre industrie et de notre empreinte sur l’environnement ; il s’agit d’un véritable enjeu de souveraineté.

Pour ces raisons, notre besoin est clair : une énergie abondante, décarbonée et compétitive. Décarbonée, car nous devons répondre à l’urgence climatique ; abondante, car il nous faut relocaliser un certain nombre de productions pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles ; enfin, compétitive pour notre industrie et nos concitoyens, afin de continuer à protéger leur pouvoir d’achat, comme nous l’avons fait au moment de la covid-19 et depuis l’invasion russe en Ukraine.

Je crois pouvoir affirmer que nous partageons tous ici ces objectifs, mais nous pouvons éventuellement diverger tant soit peu sur la façon d’y parvenir. C’est pourquoi je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur Daniel Gremillet. Je connais votre implication sincère et toujours efficiente sur les sujets relatifs à l’énergie.

Votre texte présente le mérite premier de proposer une voie pour les générations à venir, que nous partageons sur plusieurs points. J’ai souhaité que nous puissions avancer ensemble sur tous les autres, ceux qui nous posaient une difficulté.

Ma position est claire : j’ai entendu reprendre chaque amendement déposé par le précédent gouvernement avant l’été et les travailler avec les rapporteurs. Grâce à ce travail en commun, je souhaite que nous aboutissions à un texte sur lequel nous pourrions tous nous retrouver.

Je mesure toute l’importance de disposer d’un cadre législatif solide sur l’avenir énergétique de la France ; c’est pourquoi nous avons entamé dès mon arrivée au ministère un important travail de coconstruction, et je remercie nos équipes pour leur mobilisation.

Je sais gré aux rapporteurs Alain Cadec et Patrick Chauvet de leur disponibilité et de leur écoute. Nous sommes parvenus à trouver de nombreux points d’accord, voire de consensus. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que ceux-ci pourront emporter votre assentiment, notamment sur la définition d’un cap clair pour les trente prochaines années.

Ce cap, le Président de la République l’a indiqué à Belfort, en 2022. Il s’agit d’une stratégie reposant sur quatre piliers : deux pour la consommation, auxquels je tiens tout particulièrement, sobriété et efficacité énergétique, et deux pour la production d’énergie décarbonée, avec le nucléaire et les énergies renouvelables.

Ces dernières recouvrent tous les vecteurs. Tout le monde pense à l’électricité, mais il s’agit aussi du biogaz, de la chaleur et des biocarburants. Avec Agnès Pannier-Runacher, nous avons mené des travaux sur la stratégie française énergie-climat jusqu’en 2023, lesquels ont enrichi nos réflexions.

Pour répondre à cette stratégie, je porte trois objectifs qui tiennent en un simple mot : maîtriser.

Maîtriser les prix pour protéger les consommateurs et œuvrer en faveur du pouvoir d’achat de toutes les familles sur l’ensemble du territoire.

Maîtriser nos consommations en poursuivant nos efforts en matière de sobriété et d’efficacité énergétique. Nous entendons ainsi les réduire de 30 % d’ici à 2030, en faisant porter un effort particulier sur les énergies fossiles, avec une baisse de 45 %. Nous nous rejoignons sur ces objectifs, monsieur le sénateur Gremillet : ceux-ci correspondent à l’article 5 de votre proposition de loi.

Enfin, nous souhaitons maîtriser nos outils de production en nous appuyant sur la relance du nucléaire et sur le développement des énergies renouvelables. Il s’agit du choix le plus pertinent d’un point de vue écologique et économique, de celui qui répond le mieux à nos besoins de court et de long termes, du plus sûr pour notre sécurité d’approvisionnement et donc pour notre souveraineté – ne nous enfermons pas dans une seule technologie ! Enfin, c’est le choix le plus consensuel.

Nous disposons des talents, des ressources et des technologies pour atteindre ces objectifs.

En ce qui concerne le nucléaire, notre proposition est claire : nous entendons nous assurer que les centrales fonctionnent de façon sûre et compétitive, poursuivre l’exploitation des centrales existantes et développer le nouveau nucléaire avec un haut niveau d’exigence et de sûreté.

Notre projet comprend ainsi six EPR de deuxième génération à Penly, Gravelines et Bugey. Huit réacteurs supplémentaires sont à l’étude, ainsi que de petits réacteurs nucléaires et des réacteurs nucléaires innovants. Tels sont les objectifs sur lesquels nous avons tenté de converger avec les rapporteurs et que nous avons proposés par voie d’amendement.

Notre volonté à long terme consiste à poursuivre, au-delà de 2040, la stratégie française pour l’aval du cycle du combustible, dans la perspective de fermeture dudit cycle.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, abordons d’abord la production de chaleur. Nos objectifs dans ce domaine sont ambitieux, mais réalistes : nous voulons multiplier par cinq le biogaz d’ici à 2030, en privilégiant l’injection dans les réseaux, et nous aspirons à doubler notre capacité en matière de chaleur renouvelable d’ici à 2035.

Ensuite, concernant l’électricité, il convient d’évoquer l’éolien en mer. J’ai connaissance des craintes de certains, ici ou là, à propos d’un impact paysager, de la conciliation des usages avec les activités de pêche, notamment, ou les migrations de certains oiseaux.

C’est la raison pour laquelle nous avons lancé, en début d’année, une grande concertation à l’échelle nationale sur toutes nos façades maritimes. Nous devons développer l’éolien en mer sur l’ensemble de notre domaine maritime en nous assurant de son acceptabilité partout et en tout temps. Cette concertation inédite s’est déroulée dans le cadre de la planification maritime que vous avez inscrite dans la loi l’année dernière.

Ne misons pas uniquement sur l’éolien flottant, mais également sur l’éolien en mer accepté, efficace, respectueux des usages et de la biodiversité. Notre objectif est ambitieux : atteindre 45 gigawatts de capacités à l’horizon 2050, dont 18 gigawatts d’ici à 2035.

S’agissant du photovoltaïque, nous visons une multiplication par cinq de notre capacité d’ici à 2035, mais cet objectif n’aura de sens qu’assorti de l’accompagnement de projets industriels. C’est ce qui se profile : plusieurs usines de très grande capacité sont en préparation.

Concernant l’éolien terrestre, là encore, je connais vos réticences, celles des élus locaux, et je les entends. Pour autant, vous le savez, il s’agit d’une énergie qui fonctionne et qui se révèle très compétitive. Il nous faut donc continuer à la développer et maintenir le rythme actuel d’installations annuelles. Nous devons le faire en travaillant sur son développement et, surtout, en ne freinant pas les projets soutenus par les élus et qui trouvent leur chemin, nous en avons bien conscience. Ce sujet peut également donner lieu à une véritable conciliation, comme nous tenons à la mener pour l’éolien en mer.

Enfin, l’hydroélectricité représente environ 12,5 % de la production électrique. Nous devons réinvestir dans ce domaine pour préserver notre compétitivité.

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Plusieurs options sont à l’étude pour garder la pleine maîtrise des barrages et éviter les mises en concurrence.

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée. Tel est l’objectif de la mission d’information lancée par les députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo, laquelle nous permettra de disposer de tous les éléments pour analyser le régime juridique le plus adapté.

Je suis consciente que ce sujet connaît un blocage qui dure depuis trop longtemps, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises. Les conclusions de la mission nous permettront enfin de résoudre les contentieux et de prendre une décision éclairée sur le sujet.

Telle est, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, notre ambition concernant le mix énergétique de la France : nous le souhaitons équilibré. Tout cela ne pourra évidemment pas se concrétiser sans les réseaux électriques, pour lesquels nous prévoyons des investissements massifs d’ici à 2040 : 100 milliards d’euros pour le réseau de distribution et autant pour le réseau de transport.

Cette proposition de loi me permet de détailler tout l’engagement du Gouvernement pour assurer la sécurité énergétique de la France.

Sortons des énergies fossiles, préservons notre attachement au nucléaire et aux renouvelables, protégeons les consommateurs.

Ma volonté est de faire de la France une grande nation de l’énergie, un objectif dont je sais qu’il est également le vôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que l’indépendance énergétique est au cœur de toutes nos préoccupations, nous devons, plus que jamais, faire preuve d’ambition et d’efficacité pour relever ces défis majeurs pour notre avenir et pour celui des générations futures.

La guerre en Ukraine nous a douloureusement rappelé nos insuffisances et notre dépendance en matière énergétique. Non sans mal, nous avons réussi un virage impressionnant, à la fois au niveau national et au niveau européen.

À ce titre, je tiens à rappeler l’adoption de plusieurs textes, notamment sur l’accélération des énergies renouvelables, sur la relance du nucléaire ou encore sur l’industrie verte. Nous avons également fait évoluer la réglementation en y apportant simplification et flexibilité.

Je suis fier d’avoir porté, avec le groupe Les Indépendants et d’autres collègues, des sujets tels que l’encadrement de l’agrivoltaïsme, repris dans la loi Aper de 2023. Notre groupe s’est toujours positionné très clairement pour un mix énergétique faisant la part belle au couple énergies renouvelables-nucléaire.

Dans ses conclusions rendues au début de juillet, la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 soutient que la décarbonation du pays passera par une électrification des usages. Afin de faire face à la progression significative de la consommation électrique dans les années à venir, il convient donc d’élaborer un plan national d’électrification pour la couvrir : prolongation optimisée du parc nucléaire, essor raisonnable des moyens de production renouvelables, développement de l’énergie hydraulique, nouveaux réacteurs, etc.

Cela étant dit, la proposition de loi qui nous est proposée contient des dispositions intéressantes. Nous sommes conscients de l’impatience des acteurs des secteurs concernés par la programmation énergétique : il est primordial de disposer d’un cap.

La relance du nucléaire est un enjeu vital. Dès lors, les dispositions de ce texte allant dans ce sens sont les bienvenues : l’utilisation d’une part de matière recyclée dans la production nucléaire est particulièrement intéressante, dont le traitement et la revalorisation des déchets constituent des points importants. Il est essentiel que nous nous donnions des objectifs et des moyens en ce domaine, condition essentielle de l’acceptabilité sociale de ce mode d’énergie.

Le groupe Les Indépendants - République et Territoires croit également aux promesses de l’hydrogène vert. Des objectifs chiffrés et ambitieux en permettront une production plus importante. Cependant, un maillage précis en vue de son déploiement sur nos territoires demeure la condition de son émergence. J’ai notamment à l’esprit les besoins du transport routier : la voiture à hydrogène est une réalité, mais il n’en est pas de même de l’accès à une station.

J’en profite pour évoquer les transports aériens, un sujet qui me tient particulièrement à cœur en tant qu’élu de Haute-Garonne. Avec mon collègue député Jean-François Portarrieu, j’ai rendu au mois de mai un rapport à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur la décarbonation du secteur de l’aéronautique.

S’il est certain que le secteur aéronautique contribue de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre, la croissance du trafic aérien sera une réalité de demain. Travaillons à faciliter la décarbonation de ce secteur, qui joue un rôle de premier plan dans l’économie mondiale, en facilitant le commerce international, le tourisme et les échanges culturels. Il ne fait aucun doute que les évolutions technologiques attendues dans ce domaine trouveront des applications très positives dans tous les modes de transport.

Plusieurs recommandations sont émises afin de permettre le développement d’une aviation décarbonée : électrification, hydrogène, innovation dans la conception, optimisation des opérations, des trajectoires, ou encore développement des carburants durables, dits SAF (Sustainable Aviation Fuel).

Certaines dispositions de cette proposition de loi ouvrent dès lors une porte à l’innovation, et donc au progrès, nous permettant de nous montrer vertueux et ambitieux, alors que la décroissance prêchée par certains serait tout à fait mortifère.

Enfin, concernant les barrages, un dossier défendu depuis longtemps par notre groupe, nous voyons d’un bon œil le régime d’expérimentation proposé. Une solution doit impérativement voir le jour avec la Commission européenne ; il y va de la sécurité énergétique de la France et de l’Union européenne. N’oublions pas non plus le bois, ma chère Anne-Catherine Loisier.

Madame la ministre, je profite de cette discussion pour vous demander de nous fournir un calendrier et des perspectives claires sur les prochaines étapes concernant la programmation de l’énergie. Comme vous le comprenez, il s’agit d’une préoccupation majeure de cet hémicycle.

Ce texte nécessaire est, certes, perfectible, mais il est encourageant ; c’est pourquoi notre groupe le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parfois, les crises révèlent des évidences. Ainsi, les conséquences du conflit ukrainien sur le marché de l’énergie ont déclenché une prise de conscience collective sur le caractère éminemment stratégique des politiques publiques liées à l’énergie. Assurer un approvisionnement fiable et, si possible, bon marché doit faire partie des priorités d’un exécutif pour le développement, la souveraineté et la prospérité d’un pays.

La politique énergétique est donc redevenue, comme durant les crises pétrolières des années 1970, un sujet majeur de préoccupation de nos concitoyens, frappés de plein fouet par des choix dogmatiques funestes qui ont enfermé la France dans un schéma qui ne correspond ni à ses intérêts ni à ses atouts. Même les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le disent désormais : nous devons passer du dogmatisme au pragmatisme.

Première étape : s’appuyer sur nos succès.

Il fallut beaucoup d’audace et une sacrée vision pour lancer le plan Messmer en 1973 à partir d’une page blanche et ainsi desserrer l’étau des chocs pétroliers successifs imposés par les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Une électricité produite sur notre sol, essentiellement par l’industrie nucléaire et l’hydraulique, permettait d’assurer une certaine souveraineté, dont nous avons profité durant des décennies. Nier cette réalité relèverait de la schizophrénie.

Deuxième étape : s’accorder sur les atouts et les faiblesses de notre pays.

La France ne dispose ni du potentiel hydraulique de la Norvège ni des opportunités qu’ont les régions inondées de soleil toute l’année, et encore moins de réserves fossiles. Comme toujours en politique, il s’agit de faire des arbitrages, si possible en faveur de la technologie la moins mauvaise, en se fiant davantage à des critères scientifiques qu’à des lubies dogmatiques.

Troisième étape : la constance.

Dire tout et son contraire est rarement porteur d’une politique publique cohérente. En matière d’énergie, domaine dans lequel le développement des projets se heurte à une inertie importante, c’est véritablement une catastrophe. C’est pourtant à cela que nous avons assisté depuis 2017 avec la fermeture des réacteurs de Fessenheim, puis l’arrêt du programme Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration), avant un changement total d’orientation avec le retour en grâce du nucléaire.

Aujourd’hui, quel est donc notre cap ? Les collectivités territoriales ne manquent pas de documents de planification pour atteindre la multitude d’objectifs fixés, le plus souvent, au niveau international : les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddett) pour les régions, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les schémas directeurs pour les départements, le tout décliné dans des plans d’action établis commune par commune. Mais cette architecture globale n’a de sens que si elle s’inscrit dans un cadre clair qui définit les priorités à l’échelle nationale et fixe les axes de progrès de telle ou telle filière de production, en cohérence avec les atouts géologiques et technologiques de notre pays.

Cette programmation pluriannuelle de l’énergie existe bel et bien : engagée en 2019, elle devait être révisée avant le 1er juillet 2023 pour actualiser les objectifs. Pourtant, en dépit de nombreuses demandes d’inscription au calendrier parlementaire, les gouvernements Philippe, Borne et Attal ont lourdement procrastiné.

M. François Bonhomme. C’est trop bête !

M. Stéphane Piednoir. Pour pallier ce qui ressemble à un refus d’obstacle bien regrettable, nous avons, au Sénat, pris le dossier à bras-le-corps en élaborant notre propre texte législatif sous la houlette, notamment, de Daniel Gremillet.

Le point de départ est un consensus quasi unanime sur la nécessité de décarboner notre mix énergétique, déjà plutôt vertueux : avec environ six tonnes de CO2 émises par habitant, la France occupe la septième place des pays de l’OCDE, qui émettent en moyenne près de huit tonnes de CO2 par habitant, très loin des quinze tonnes de l’Amérique du Nord. Comme dans toute compétition, il est souvent plus difficile de progresser au classement quand on est déjà dans le peloton de tête, mais la vertu n’empêche pas les efforts.

Nous aurons l’occasion de débattre de chacun de ces sujets dans quelques instants, mais je veux évoquer quelques points particuliers.

Le texte permet d’acter la fin de la fin du nucléaire parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible, surtout quand on veut réindustrialiser le pays tout en abandonnant les énergies fossiles. Le vent et le soleil ne pourront pas tout. Osons donc affirmer la nécessité de faire fonctionner nos centrales pendant soixante, quatre-vingts ou cent ans (M. Yannick Jadot sexclame.), et engageons parallèlement les grands projets d’EPR afin d’éviter l’effet falaise.

Dans le prolongement de cette logique, je vous proposerai un amendement visant à sanctuariser notre stock d’uranium appauvri, ces 320 000 tonnes qui nous assureront des siècles de production électronucléaire lorsque les projets de réacteurs à neutrons rapides arriveront à maturité.

Un mot, enfin, sur les SMR, un secteur dont vous connaissez particulièrement bien l’effervescence, madame la ministre. Les rapports d’expertise, notamment celui de l’Opecst, doivent permettre de faire un diagnostic précis afin d’encourager les innovations dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « s’attaquer à l’épée de Damoclès redoutable de la dette écologique », c’est la volonté qu’a affichée le Premier ministre, ici même, il y a deux semaines. Lors de sa déclaration de politique générale, il a ainsi annoncé que « les travaux de planification » allaient reprendre « immédiatement ».

Nous y sommes favorables, et c’est ce à quoi le Sénat s’attelle aujourd’hui au travers de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par notre collègue Daniel Gremillet.

Si nous voulons atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de transition écologique et énergétique, et si nous voulons réussir la réindustrialisation de notre pays, nous devons engager la France dans une planification énergétique complète, secteur par secteur, qui livre un véritable plan de bataille pour les prochaines décennies. Cela permettra dans le même temps d’envoyer un signal fort à l’ensemble des acteurs du secteur de l’énergie qui attendent de la clarté.

Sans vision de long terme, la France ne pourra pas devenir le premier grand pays industriel à sortir des énergies fossiles et à atteindre la neutralité carbone. C’était d’ailleurs l’objectif originel recherché par la loi Énergie-climat de 2019 qui avait fixé le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie, la fameuse loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC).

Alors que ce texte avait été annoncé pour juillet 2023, la ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher avait finalement dévoilé un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique à la fin de l’année. Celui-ci s’inscrivait dans la suite des travaux menés durant l’été par sept groupes de travail auxquels nous étions plusieurs à avoir participé. Mais nos espoirs ont été vite refroidis lorsque Bercy a supprimé le volet relatif à la programmation du projet de loi au mois de janvier 2024, avant d’annoncer que celle-ci serait actée par voie réglementaire.

Il faut rappeler les attentes fortes de notre chambre quant à la possibilité d’examiner une loi de programmation énergétique. Sur des enjeux aussi cruciaux, il nous semble important que le Parlement puisse s’exprimer. En effet, les décisions qui seront prises engageront la France pendant plusieurs années.

Adoptée en commission le 29 mai dernier, cette proposition de loi a vu son examen interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale, avant d’être réinscrite à l’ordre du jour du Sénat il y a quelques semaines.

Malgré certaines réserves sur lesquelles je reviendrai, avec mes collègues du groupe RDPI, nous nous prononcerons favorablement sur le dispositif présenté, car nous en partageons l’esprit. Sa philosophie et plusieurs des objectifs fixés sont d’ailleurs largement inspirés de la stratégie française pour l’énergie et le climat annoncée en septembre 2023.

Comme je le disais en introduction, il y a urgence à agir. L’année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée et le Giec estime que la trajectoire du réchauffement climatique augmentera de 3,2 degrés Celsius d’ici à 2100. Nous devrons réussir à faire en six ans ce que nous avons fait en trente ans.

Le défi à relever est exceptionnel. Il faut poursuivre et amplifier nos efforts. Ainsi, en France, nous avons pu atteindre en 2023 une baisse record des émissions de CO2 de près de 6 % en une seule année. Cette baisse s’est poursuivie au premier semestre de 2024. Elle serait jusqu’aux deux tiers structurelle et attribuable à l’effet des politiques mises en place. Elle est aussi rendue possible grâce à l’Europe et résulte de l’action de la France dans ce cadre : plan de relance, Pacte vert et nouvelle définition de la taxonomie favorable au nucléaire. Car oui, au Sénat, nous n’avons pas le nucléaire honteux.

Comme je le rappelais déjà en février dernier, la relance de ce secteur créera 100 000 emplois dans les dix ans à venir. Elle doit nous permettre de répondre à plusieurs enjeux : réduire nos émissions, baisser la facture pour les ménages, tenir nos engagements de sortie des énergies fossiles, participer à la réindustrialisation de la France et renforcer la souveraineté énergétique de notre pays dans un contexte géopolitique de plus en plus instable.

Pour réussir à atteindre la neutralité carbone, il nous faudra compter sur toutes les énergies décarbonées, nucléaire comme renouvelables. C’est en marchant sur ces deux jambes que nous relèverons les défis de la neutralité carbone et de la réindustrialisation.

Au total, les dépenses de l’État en faveur de la décarbonation seront en hausse en 2024, pour atteindre près de 40 milliards d’euros à l’horizon 2027.

Les collectivités et les entreprises jouent également un rôle clé dans la réorientation des financements vers la décarbonation. Aussi, elles doivent pouvoir se projeter. Je prendrai un exemple finistérien : la liquidation de la société quimpéroise Sabella a été un coup dur pour l’hydrolien français. L’absence d’appel à projets empêche le déploiement industriel de ces turbines qui utilisent les courants marins pour produire de l’électricité, offrant ainsi une solution de choix pour nos îles. Pour rappel, la Bretagne concentre un cinquième du potentiel national, soit un gigawatt. Si l’hydrolien a fait ses preuves depuis 2022, d’un point de vue technologique, il lui faut de la visibilité.

Enfin, sans entrer en détail dans le texte, mon groupe présentera plusieurs amendements visant à introduire certains objectifs de décarbonation supplémentaires, notamment sur le biogaz, les biocarburants et l’éolien, ou via un objectif de production d’électricité décarbonée comprenant un mix d’origine renouvelable et nucléaire.

D’autres points du texte nous apparaissent en revanche plus sensibles. Je pense par exemple à certains objectifs excessifs de l’article 3 sur le nucléaire ou sur l’expérimentation du régime d’autorisation pour les barrages hydroélectriques prévue à l’article 21.

Toutefois, les membres de notre groupe se retrouvent globalement dans ce texte, qu’ils voteront. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)