M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.

Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses. Comme vous, je suis favorable à la diversité des profils : ce n’est pas parce que l’on rate un examen de mathématiques ou de physique que l’on sera forcément un mauvais médecin…

Toutefois, renseignez-vous : on demande aux étudiants en licences accès santé (LAS) d’avoir la moyenne à la fois en santé et dans l’autre filière choisie, ce qui pourrait les empêcher de passer en deuxième année. Ce n’est compréhensible ni pour les étudiants ni pour les sénateurs que nous sommes. Cette exigence dévoie, selon nous, l’objectif de la réforme.

En ce qui concerne les lieux de stage, je pensais essentiellement à la quatrième année d’internat et de médecine générale. Soyons attentifs à ne pas accorder trop de dérogations et veillons à bien respecter la volonté du législateur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Je remercie tout d’abord le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir pris l’initiative de demander l’organisation de ce débat.

La préoccupation de l’accès à des soins de qualité pour tous, partout sur notre territoire et à tout moment de la vie, nous rassemble sur toutes les travées.

Je ne l’apprends à personne, la France fait face à une pénurie croissante de soignants et de médecins, avec des déserts médicaux dans de nombreuses régions. On estime aujourd’hui que près d’un Français sur trois vit dans un désert médical.

Par ailleurs, le vieillissement des médecins et de la population exige une augmentation de l’offre de soins.

Nous le voyons tous dans nos territoires respectifs : nos hôpitaux, nos Ehpad, nos centres de soins et nos cabinets libéraux sont sous tension permanente. Partout en France, des postes restent vacants, les services d’urgence saturent et les listes d’attente pour consulter un spécialiste s’allongent.

La solution la plus évidente pour remédier à ces pénuries, révélées notamment par la crise sanitaire, est d’augmenter le nombre de praticiens en en formant davantage. C’est un impératif pour l’avenir.

Pour les médecins, le numerus clausus a été supprimé en 2020, sous l’impulsion du Président de la République. Quatre ans après cette réforme si nécessaire, nous en constatons déjà les premiers résultats. On observe une nette augmentation du nombre d’étudiants accédant à la deuxième année de médecine.

De 8 150 en 2017, le nombre de places en médecine à l’université est passé à 10 000 en 2023. Il augmentera à 12 000 places par an en 2025, puis à 16 000 places par an en 2027. On formera jusqu’à deux fois plus de médecins qu’avant 2017.

Néanmoins l’augmentation du nombre d’étudiants, tant en médecine que pour les autres formations de santé, pose des défis logistiques majeurs, notamment en termes de capacité d’accueil des universités, de qualité de l’encadrement et de disponibilité des terrains de stage.

Les facultés doivent s’adapter rapidement pour garantir un niveau de formation élevé malgré l’afflux d’étudiants.

Par ailleurs, si l’augmentation du nombre de médecins formés peut, à terme, aider à combler les déficits dans les zones sous-dotées, cela dépend également de la mise en place de politiques plus incitatives pour encourager les jeunes médecins à s’installer dans ces régions, voire de la mise en place d’une politique coercitive, comme c’est le cas pour plusieurs professions médicales.

Enfin, il nous faut aussi prendre en compte l’impact sociétal : le mode d’exercice de la pratique médicale a largement évolué depuis les années 1970, avec un temps de travail plus faible, comme dans beaucoup d’autres secteurs d’activité. On peut estimer qu’il faut maintenant près de trois jeunes médecins pour remplacer un départ à la retraite.

La suppression du numerus clausus est donc un premier pas majeur vers une transformation profonde de la formation médicale en France, même si son effet ne se fera ressentir que dans quelques années.

En complément, un deuxième levier serait d’aller chercher à l’étranger les talents qui souhaiteraient s’établir en France et de faire revenir les praticiens français établis à l’étranger. C’est une politique que l’Allemagne applique d’ailleurs dans des proportions bien supérieures. En 2022, environ 52 000 médecins étrangers exerçaient en Allemagne, contre 26 000 en France.

Cela étant, je me réjouis que la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, adoptée l’an dernier, soit venue consolider le statut des Padhue, ce qui permettra de faciliter leur venue.

Par ailleurs, un troisième levier est également possible, via une plus grande collaboration entre les différents professionnels de santé, pour libérer du temps médical, en confiant notamment à des non-médecins des activités et des actes aujourd’hui réservés aux médecins.

Le précédent gouvernement a beaucoup œuvré en ce sens. Au mois d’avril dernier, l’objectif était de « reconquérir 15 millions à 20 millions de rendez-vous chez le médecin » dès 2024. Ces mots ont très vite été suivis d’actions : par décret pris au mois de juin dernier, ce ne sont pas moins de seize procédures qui ont été simplifiées.

Ainsi, les pharmaciens peuvent désormais prescrire directement des antibiotiques en cas d’angine ou de cystite. Dans certains cas, il est aussi possible de recevoir une nouvelle ordonnance pour des lunettes directement chez l’opticien.

Par ailleurs, depuis le mois de juin, une expérimentation permettant l’accès direct à un kinésithérapeute ou à un médecin spécialiste, sans passer par un médecin traitant, a été lancée dans treize départements.

Ces dispositions viennent répondre à une demande de la profession : non seulement elles présentent l’avantage de libérer du temps médical, mais elles permettent d’améliorer l’accès aux kinésithérapeutes, qui est rendu de plus en plus compliqué faute de rendez-vous chez les médecins.

Toujours dans l’idée de libérer du temps pour les praticiens, le nombre d’assistants médicaux passera de 6 000 à 10 000 à la fin de l’année. Nous saluons aussi la généralisation du service d’accès aux soins (SAS), effective depuis le mois de juin. Elle vise à répondre à la demande de soins vitaux, urgents et non programmés de la population partout et à toute heure, grâce à une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l’hôpital et de la ville d’un même territoire.

Continuer de former davantage de médecins et de soignants, aller chercher des talents à l’étranger et libérer du temps médical : ces trois orientations sont complémentaires.

Toutefois, ce débat sur les ressources humaines des professionnels de santé doit s’inscrire dans une stratégie globale, à la fois pour le système de santé et en matière de gestion des ressources humaines.

Déterminer le nombre de professionnels à former n’a que peu d’intérêt opérationnel si l’on ne s’assure pas que ceux-ci accomplissent effectivement les missions attendues.

Par ailleurs, lors d’une audition au mois de mai dernier par la commission des affaires sociales, le président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) avait souligné la nécessité d’une évaluation des besoins territoriaux.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous devons travailler ensemble pour coconstruire une feuille de route. Le groupe RDPI vous soutiendra dans cet objectif, de façon exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir détaillé toutes les mesures mises en place ces dernières années.

En définitive, la restructuration de notre système de santé s’opère bien au quotidien, de façon progressive et en prenant surtout appui sur les acteurs de terrain. Vous avez évoqué les SAS, mais on peut aussi citer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Tous ces services constituent véritablement la source vive de la transformation de notre système de santé.

Nous avons besoin d’étudiants et de jeunes médecins. Je donnerai quelques chiffres que vous connaissez certainement sur l’évolution du nombre d’étudiants dans les différentes formations en santé.

En médecine, avant 2017, quelque 8 700 places étaient offertes, contre 11 000 aujourd’hui, soit une hausse de 26 %. En pharmacie, il y avait 3 200 places, contre 3 600 aujourd’hui. En odontologie, où il manque aussi beaucoup de praticiens sur le terrain dans certains territoires, il y avait 1 250 places en 2017, contre 1 450 aujourd’hui. Enfin, en ce qui concerne la maïeutique et les sages-femmes, il y avait 1 020 places, contre 1 100 aujourd’hui. Tous ces chiffres témoignent d’une augmentation.

La réalité des admissions est bonne en médecine et en odontologie, mais plus difficile en pharmacie et en maïeutique. Il nous faudra y prêter attention.

Bien entendu, il ne faudra pas non plus décréter arbitrairement un nombre d’étudiants en deuxième année – 20 000, par exemple. Tout cela nécessite de la prospective, afin de déterminer exactement le nombre de professionnels de santé nécessaire pour répondre aux besoins de la population.

Il faut donc d’abord mesurer l’évolution de la population, estimer ses besoins, évaluer son vieillissement, calculer la consommation des soins, établir les grandes pathologies, fixer l’organisation du système de santé et tenir compte du progrès médical et technologique. C’est donc un ensemble de paramètres qui nous permettra de déterminer le nombre de médecins à former, car il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès inverse et former trop de médecins. (Protestations sur diverses travées.)

M. Michel Savin. On ne sait jamais !

Mme Cathy Apourceau-Poly. Trop de médecins, maintenant ?

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour la réplique.

Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, nous sommes loin de courir un tel risque au regard du manque de praticiens ! J’aimerais que vous ayez une attention particulière pour la formation des soignants. Le groupe CRCE-K a mis le doigt sur un problème d’actualité, que nous devons tous contribuer à régler.

M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on connaît le nombre de villages qui recherchent désespérément un généraliste,…

M. Michel Savin. Et de villes !

M. Raphaël Daubet. … quand on voit la situation des services de gérontologie dans les hôpitaux périphériques, quand on sait que nombre de médecins sont contraints, comme cela a été mon cas, de fermer leur cabinet sans avoir trouvé de successeur, l’intitulé de ce débat « sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants » pourrait franchement passer pour une provocation aux yeux de nos concitoyens !

Pourtant, je veux remercier le groupe CRCE-K, car ce débat pose de vraies questions. Les projections démographiques sont-elles suffisantes ? Prend-on en compte l’attractivité des filières ? Comment résorber les inégalités territoriales ?

Je souhaite sincèrement, madame la ministre, que ce débat soit suivi d’effets, pour une simple et bonne raison : au-delà des enjeux de santé publique, la situation médicale est aujourd’hui ce qui alimente le plus, avec le délabrement des services publics, le sentiment de déliquescence, l’angoisse de l’avenir et la colère de nos concitoyens.

Pour les professions médicales, le numerus apertus est essentiel afin de redresser la démographie. Mais je vous le dis tout net : le nombre de places ouvertes au concours n’est pas à la hauteur des enjeux. J’ai examiné les projections de très près. On nous annonce que la densité des médecins généralistes connaîtra une augmentation de 23 % en 2050 – ce n’est donc pas demain –, ce qui la portera à 172 généralistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c’est exactement la densité du Limousin en 2012, à une époque où l’on parlait déjà de désertification médicale !

Pour les chirurgiens-dentistes, la densité s’accroîtra de 40 % en 2050. Heureuse nouvelle a priori… On atteindra 78 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c’est huit de moins que la densité actuelle en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) !

Le plus inquiétant, c’est que ces prévisions ne tiennent pas compte des facteurs sociétaux, de l’évolution des pratiques et de la baisse du temps médical, que l’on a évidemment du mal à évaluer.

De surcroît, ces chiffres intègrent le flux des soignants diplômés à l’étranger, sur lequel nous n’avons aucune prise.

C’est particulièrement inquiétant pour les chirurgiens-dentistes, puisque la moitié, j’y insiste, des inscrits au tableau de l’Ordre cette année sont diplômés de l’étranger. Plutôt que d’ouvrir le robinet du numerus clausus, on laisse nos jeunes aller se former dans les pays voisins à 10 000 euros ou 12 000 euros l’année, ce qui exclut de facto les enfants de milieux défavorisés.

M. Raphaël Daubet. C’est à la fois une rupture d’égalité scandaleuse, un coup porté à l’excellence universitaire française et une remise en cause de notre souveraineté, puisque, sans ces diplômés étrangers, nous sommes incapables de répondre au besoin de soins de la population.

Notre nation aura renoncé à sa capacité de former la totalité des soignants utiles au pays. Il faut donc augmenter le nombre de places au concours, pour atteindre des seuils de densité suffisants bien avant 2050.

La massification des étudiants est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour résoudre les disparités géographiques. Il faut y associer des dispositifs de régulation : l’État, les pouvoirs publics et le monde universitaire doivent se doter d’une stratégie d’aménagement du territoire – créer des options santé dans les lycées, développer les stages dans les territoires, ouvrir les hôpitaux périphériques aux internes.

Bref, il faut se donner les moyens d’une politique déconcentrée pour garantir le déploiement équilibré de l’offre de soins sur le territoire national.

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder la question des pharmaciens, des sages-femmes, des kinésithérapeutes, des infirmiers, des aides-soignants, autant de professions dont la démographie, le statut ou l’attractivité doivent nous préoccuper.

Madame la ministre, former des soignants, c’est investir dans l’humain et dans l’avenir. Le RDSE vous alerte sur la nécessité de recalibrer les ambitions à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Nous nous tenons à votre disposition pour vous proposer des solutions concrètes. Comment comptez-vous vous y pendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Je fais un peu la même analyse que vous : on a vraiment manqué d’anticipation pour les trente années qui viennent. (M. Pascal Savoldelli sexclame.)

Depuis 2017, nous enregistrons néanmoins un rebond, grâce à la suppression du numerus clausus et à l’accueil de davantage d’étudiants dans les universités. Pour ce faire, il faut certes des locaux, mais aussi des professeurs, ainsi que des stages à la hauteur de la formation. Tout cela s’est mis en place, mais il existe toujours un temps de latence.

Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait favorable à une politique déconcentrée pour les formations, car je crois que c’est cela qui fera connaître les territoires à nos jeunes étudiants.

La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi OTSS, de 2019 a mis en place une planification pluriannuelle du nombre de professionnels à former pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités d’accès aux soins et permettre l’insertion professionnelle des étudiants. Des objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former pour cinq ans – 2021-2025 – ont été ainsi arrêtés par les ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur après la tenue d’une conférence nationale chargée de présenter des propositions concrètes.

Cette première conférence s’est tenue en mars 2021. Il revient ensuite aux universités et aux écoles de maïeutique, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), de déterminer le nombre d’étudiants à admettre chaque année pour atteindre les objectifs de professionnels à former.

Ces objectifs sont quelquefois différents selon les territoires, car la situation n’y est pas la même, mais, au-delà des approches diverses, l’ambition commune est d’avoir une régulation quantitative.

Le numerus clausus fixait directement un nombre d’étudiants autorisés à poursuivre dans les études de santé. À l’inverse, la détermination d’objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former implique la concertation des acteurs et impose une approche territoriale d’analyse prospective des besoins en professionnels, en fonction des besoins de santé.

Fixer un objectif pluriannuel donne donc plus de latitude aux acteurs locaux. Nous travaillerons en 2025 sur la feuille de route 2026-2030.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Rojouan applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat proposé aujourd’hui est vaste et difficile à circonscrire. Il ne doit pas nous cantonner dans les idées reçues.

Tous ici, dans nos familles, dans nos lieux de vie et dans nos fonctions d’élus, nous constatons la difficulté à accéder aux soins. La question du nombre de soignants formés s’impose.

Dans cette situation de pénurie, il serait cependant dangereux d’amalgamer différentes réalités : celles des territoires ruraux, où l’accès s’entend aussi au sens littéral du transport vers les lieux de soin, et des zones urbaines ; celles des médecins et des autres soignants ; celles des généralistes et les spécialistes ; celles des soignants de ville et des soignants hospitaliers ; celles des soins urgents et des soins programmés ; celles du secteur public et du système privé.

Une évidence s’impose pourtant : l’offre de soins n’est globalement pas à la hauteur de la demande de soins. L’équation n’est pas équilibrée.

Alors que l’on raisonne souvent en nombre de soignants formés, je préfère m’en tenir à la seule jauge qui ait du sens : celle du temps de soin effectif. Sinon, on pourrait croire à tort que les 12 000 médecins formés actuellement produisent autant de temps médical que les mêmes professionnels formés dans les années quatre-vingt.

Or on reconnaît désormais que les médecins nouvellement formés produisent globalement, pour diverses raisons, notamment le nécessaire équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, environ moitié moins de temps médical que leurs aînés. Par un calcul simple, on obtient en fait le temps médical de 6 000 médecins d’il y a quarante ans…

Dans ce sens, oui, il faut former encore plus de médecins, en proratisant constamment leur nombre par le temps médical fourni à une population vieillissante, dont les besoins augmentent.

Évidemment, cette logique a ses limites : prenons le cas des infirmiers que l’on n’a jamais formés en si grand nombre et qui n’ont jamais eu une durée d’exercice aussi courte, usés sans doute prématurément par leurs conditions de travail.

Pourtant, un autre moyen de gagner du temps médical est le report de tâches vers d’autres professionnels de santé, qui doivent eux aussi être en nombre suffisant.

La réforme des études médicales est une piste, avec l’arrivée tant attendue, dès l’automne 2026, des fameux docteurs juniors en milieu rural. Ces étudiants en quatrième année de médecine générale approfondiront leur formation tout en apportant du temps médical dans des zones sous-dotées. La condition de réussite de ce dispositif est cependant la qualité de leur accueil et de leur encadrement, comme le soulignait Corinne Imbert.

Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que tout sera prêt en temps et en heure pour accueillir dans les meilleures conditions ces jeunes praticiens ?

Une autre piste est celle du temps médical produit par des étudiants français qui font leur cursus à l’étranger. Des passerelles sont-elles à l’étude, par exemple pour les jeunes qui sont en Roumanie ou en Espagne, leur permettant de revenir dès les troisième, quatrième ou cinquième années ? Peut-on leur redonner une possibilité de réussite aux épreuves classantes nationales, qui leur sont quasiment inaccessibles depuis la dernière réforme ?

Pour ceux qui sont au-delà de la sixième année, donc les internes, est-il envisagé de favoriser leur retour en France, par exemple en contrepartie d’un exercice en zone sous-dense ? Ce serait particulièrement intéressant en cette année qui connaîtra un déficit d’internes…

J’évoque enfin, madame la ministre, le cas des médecins en situation de cumul emploi-retraite, à qui une exonération totale des cotisations sociales avait été promise. Certains d’entre eux seraient prêts à donner plus de temps médical. Pouvez-vous nous confirmer que cette disposition sera prochainement effective dans les termes initialement prévus ?

Pour conclure, une chose est certaine : les exonérations fiscales ne donnent pas de temps médical supplémentaire.

En revanche, le temps médical des docteurs juniors, le temps médical des docteurs seniors, le temps médical des futurs docteurs, qu’ils soient formés en France ou à l’étranger, le temps de soin en général, toutes professions confondues, sont autant de leviers qui doivent être actionnés simultanément, afin que plus aucun patient, en France, ne se sente abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice, comment augmenter le temps médical et comment faire en sorte que de jeunes médecins en fin de formation puissent être utiles dans tous les territoires, particulièrement ceux qui sont en difficulté ?

Jusqu’à maintenant, la médecine générale était la seule spécialité à n’avoir que trois années d’internat. Cette absence de phase de consolidation était considérée comme une faiblesse, qui ne favorisait pas une installation immédiate en sortie de cursus.

La nouvelle maquette des formations de diplômes d’études spécialisées de médecine générale, publiée en 2023, prévoit une augmentation d’une année de leur cursus. Nous avons également besoin de médecins pour accompagner ces jeunes praticiens. Ce sont certes des médecins juniors, mais ils doivent encore être encadrés par des praticiens tuteurs.

Partout dans nos territoires, 3 600 docteurs juniors pourront donner des consultations sous la supervision de médecins généralistes dès 2026. C’est plutôt une bonne nouvelle : le processus est en cours de structuration.

Ils exerceront également dans des déserts médicaux sur la base d’incitations. L’incitation est couplée à la fin du numerus clausus en vigueur depuis 2019. Cette réforme pédagogique représente un tournant majeur pour un soutien aux territoires en déprise.

Vous avez évoqué des étudiants français qui font leurs études dans des pays européens. Il existe des équivalences qui permettent à ces étudiants de postuler au sein des universités françaises. Ces derniers peuvent également accéder au troisième cycle des études médicales pour effectuer leur formation de spécialité en France. Il leur est enfin possible de signer des contrats d’engagement de service public.

Quoi qu’il en soit, ils peuvent prendre la place d’étudiants français. Tout cela est donc à étudier avec finesse.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, nous attendons tous avec impatience ces fameux étudiants en quatrième année de médecine générale.

Or, à en croire les potentiels tuteurs, la formation ne serait pas opérationnelle pour l’instant. Il existe peut-être quelque chose à Nantes, mais c’est très compliqué dans la Nièvre où je suis élue. Je me permets de vous alerter sur ce point avant qu’il ne soit trop tard.

Quant aux jeunes qui étudient en Roumanie, certains toquent à la porte et aimeraient faire leur internat en France. Il serait utile d’agir, car nous allons être confrontés à une année creuse. C’est donc le moment ou jamais de leur accorder des facilités, peut-être en négociant une installation dans des territoires sous-dotés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un médecin traitant ou obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou un généraliste est devenu un parcours du combattant pour nos concitoyens, tandis que les élus, les maires et les présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne savent plus à quel saint se vouer pour rendre leur territoire attractif afin d’apporter des réponses durables à la désertification médicale.

Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dans le Pas-de-Calais, le président de la communauté de communes du Ternois, Marc Bridoux, a présenté une motion signée par plus de 90 maires. Cette motion, que je vous ai adressée par courrier, contient des propositions de bon sens. Je vous invite à y répondre.

Nous manquons de médecins, et les années à venir seront encore plus problématiques compte tenu de la vague de départs à la retraite qui nous attend d’ici à 2030. Nous payons aujourd’hui les effets de la politique de non-formation d’il y a quarante ans.

Il y a donc urgence à former dès à présent beaucoup plus de professionnels de santé et de professionnels paramédicaux, y compris pour faire face au vieillissement de la société et à l’explosion des maladies chroniques.

Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus a certes permis d’augmenter le nombre d’internes en médecine, mais cela reste bien insuffisant.

Empêcher la démission des personnels passe par une revalorisation des carrières et des rémunérations et par l’amélioration des conditions de travail. Dans le même temps, le dogme de la réduction des dépenses publiques appliquée à la santé a fait fuir des dizaines de milliers de soignants, écœurés, lessivés.

Madame la ministre, le cœur de la solution réside dans le budget que vous allez décider d’octroyer aux universités et à notre système de santé tout entier. Ce sera possible si vous résistez aux injonctions de Bruxelles de réduire encore les dépenses publiques, alors que l’Ondam est en hausse de 2,8 % pour 2025, quand les besoins nécessiteraient une augmentation de 5 %.

Madame la ministre, allez-vous expliquer à vos homologues de Bercy que les politiques d’austérité menées pendant des années à l’hôpital sont en grande partie responsables du montant de la facture de la gestion de la covid-19, imputée au budget de la sécurité sociale alors qu’elle aurait dû être supportée par l’État ?

Les services publics et la sécurité sociale doivent être sanctuarisés, au-dessus des logiques de réduction de moyens. Or les gouvernements d’Emmanuel Macron ont supprimé 21 000 lits d’hospitalisation, soit 5 % des capacités d’accueil de notre pays.

Toutefois, au-delà du nombre de médecins, la question qui se pose, mes chers collègues, est celle de leur répartition sur le territoire. L’Académie nationale de médecine a récemment suggéré « l’instauration d’un service médical citoyen d’un an pour les médecins nouvellement diplômés dans les zones sous-denses ».

Pour notre part, nous y sommes favorables, tout comme à la régulation des lieux d’installation des médecins et à la réquisition automatique des médecins spécialistes des cliniques privées pour maintenir la permanence des soins.

Je conclurai par l’exemple de la situation vécue en Seine-et-Marne par ma collègue Marianne Margaté, qui a déposé la semaine dernière une question écrite à son sujet : l’opérateur de télémédecine HD4 vient de cesser ses activités, privant les habitants du département d’une solution qui, si elle était loin d’être idéale, avait le mérite d’exister.

Ce n’est pourtant pas faute d’argent public, puisque l’entreprise a empoché 100 000 euros par machine et près de 1,5 million de crédit d’impôt recherche (CIR) ! Les élus sont mis devant le fait accompli et ont dépensé ces sommes pour rien.

Mes questions sont donc les suivantes, madame la ministre : allez-vous défendre la piste d’une régulation de l’installation ? Allez-vous imposer une obligation de participation à la permanence des soins les soirs et les week-ends aux professionnels de santé, quel que soit leur mode d’exercice ? Allez-vous défendre l’idée qu’il faut augmenter le nombre de professionnels de santé, ainsi que leur rémunération, et améliorer leurs conditions de travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)