M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la crise agricole.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Nécessité de former davantage de médecins et soignants
Débat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de réplique, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trouver un rendez-vous chez un généraliste, un spécialiste, un kiné ou un psy est devenu en France une galère quotidienne. On nous en parle tous les jours et nos concitoyens comme les élus locaux sont démunis face à la défaillance de l’offre de soins.
La récente mission d’information du Sénat sur la santé périnatale a aussi démontré le déficit de gynéco-obstétriciens, d’anesthésistes, de pédiatres, de sages-femmes. Y répondre est un impératif ; à défaut, le maillage territorial de nos maternités continuera de s’affaiblir, après que 40 % d’entre elles ont déjà fermé en trente ans.
La situation des urgences commande aussi une telle réponse. De plus en plus de nos services ferment de manière intermittente, comme à Lillebonne ou à Fécamp, dans mon département, où la pression s’accroît sur le groupe hospitalier du Havre, dont les agents sont mobilisés depuis onze semaines pour alerter sur cette situation intenable.
Des gouvernements successifs ont instauré et maintenu, depuis les années 1970, le numerus clausus dans les études de santé, ce qui a fait chuter le nombre d’étudiants en médecine de 8 500 en 1971 à 3 500 en 1990. L’objectif était de réduire les dépenses de santé. Chacun le reconnaît aujourd’hui, cette solution austéritaire s’avère une bombe à retardement.
La population a en effet augmenté et vieilli ; et les professionnels de santé aspirant légitimement à conjuguer vie professionnelle et vie privée, le nombre de médecins comme le temps médical disponible ont diminué à mesure que les besoins s’accroissaient.
Le numerus clausus a été supprimé en 2021 et nous avons salué cette suppression. Mais la réforme des études de santé, mise en œuvre à la rentrée universitaire 2020-2021 de manière particulièrement chaotique, a laissé sur le carreau des centaines d’étudiants qui se destinaient à être médecins : un vrai gâchis !
Les étudiants sont trois fois plus nombreux qu’avant la réforme à redoubler leur deuxième année. Du côté des études en soins infirmiers, le taux d’abandon a doublé en dix ans. Parcoursup et ses trop nombreux choix par défaut sont une des raisons de cette situation. Et ceux-là mêmes qui ont essuyé les plâtres de la réforme des études de santé au début de leur cursus sont de nouveau bousculés au moment de leur accès à l’internat, le nombre d’internes connaissant cette année un net fléchissement.
En 2022, les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur avaient fixé pour objectifs d’ici à 2027 la formation de 20 % d’étudiants supplémentaires en médecine ; la hausse devait être, sur la même période, de 14 % en odontologie, de 8 % en pharmacie et de 2 % à 4 % en maïeutique.
Nous n’y sommes pas. Et, depuis deux ans, la situation est alarmante pour ce qui concerne les études de pharmacie : plus de 1 100 places vacantes en 2022 et 500 en 2023.
Voilà qui nous conduit à penser qu’il faut supprimer le numerus apertus, financer l’augmentation des capacités de formation des universités et développer les terrains de stage.
La faculté de médecine de Rouen, par exemple, a augmenté ses capacités d’accueil de plus de 200 % en vingt ans, à moyens quasi constants. Comment faire plus sans enseignants, sans bâtiments, sans services universitaires supplémentaires ? Il faut former davantage, mais aussi former mieux.
Nous ne pouvons accepter que les internes continuent de pallier les pénuries de médecins en travaillant les nuits et les week-ends pour seulement 6 euros de l’heure !
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que « la lutte contre les déserts médicaux et contre la pénurie de soignants sera[it] l’une des priorités de [s]on gouvernement. Le temps est révolu, a-t-il poursuivi, où l’on avait la crainte de former trop de médecins. Nous allons amplifier l’effort engagé. »
Nous disons : « chiche ! », même si l’annonce d’une diminution drastique de la dépense publique est contradictoire avec cet objectif. Et nous proposons, comme le font des collègues venant de différentes familles politiques, que l’on parte, pour définir l’offre de formation, des besoins des territoires et non des capacités universitaires.
L’Atlas de la démographie médicale en France, publié il y a quelques jours par l’Ordre national des médecins, montre que le nombre de médecins repart très légèrement à la hausse : +0,8 %. Il montre aussi que ce frémissement ne comble pas les inégalités territoriales ; au contraire, celles-ci se creusent. Un département comme l’Eure, par exemple, dispose de moins de 80 médecins pour 100 000 habitants, soit moitié moins que dans les départements qui comptent de grandes métropoles.
L’absence de professionnels de santé en nombre suffisant fait peser sur les épaules des internes et des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) le maintien des services hospitaliers. Les Padhue sont en première ligne dans les services des hôpitaux désertés ; or ils n’ont aucune reconnaissance professionnelle, leur rémunération est bien inférieure aux responsabilités qu’ils exercent et ils se trouvent dans une situation de grande précarité administrative.
Madame la ministre, je vous interpelle, à quelques jours des épreuves de vérification des connaissances : vous devez trouver une solution pour garantir aux Padhue des conditions dignes de travail et de vie.
Le « programme Hippocrate » annoncé par le Premier ministre, dans le cadre duquel internes français et étrangers s’engageraient volontairement à exercer dans les territoires qui manquent le plus de médecins, ne devra pas être hypocrite.
Les collectivités n’ont pas attendu pour financer les dépenses de transport ou de logement d’étudiants venant en stage dans leur territoire, ni même pour financer des postes de chefs de clinique dans les universités, de même qu’elles multiplient par ailleurs les mesures pour accompagner les professionnels qui viennent s’installer. Elles ne pourront pas assumer indéfiniment cette charge seules.
Surtout – on y revient toujours –, il faut former des médecins pour qu’ils viennent exercer dans tous les territoires.
Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) parue au mois de juin dernier, les médecins des zones rurales ont ou vécu pendant leur enfance en zone rurale, ou effectué au moins un stage en zone rurale, ou effectué des remplacements d’au moins trois mois en zone rurale. En France, depuis quelques années, plusieurs facultés de médecine proposent de décentraliser les enseignements de la première année des études de santé vers des villes moyennes – je pense à Pontivy, rattachée à la faculté de médecine de Rennes, ou à Périgueux, rattachée à Bordeaux.
Le déploiement des stages universitaires des étudiants en médecine dans les territoires ruraux doit encore être renforcé ; c’est la condition pour former davantage et c’est aussi un facteur avéré d’installation future en zone rurale.
Aussi est-il à nos yeux nécessaire de démocratiser les études de santé, car, au risque d’être un peu caricaturale, j’affirme que plus il y aura de jeunes médecins issus des quartiers populaires ou des zones rurales, moins les médecins verront d’obstacles à s’y installer.
Il y a donc aussi des mesures à prendre pour contribuer à orienter certains jeunes vers des études de santé qui leur semblent à l’heure actuelle interdites. En la matière, des solutions existent qui restent à améliorer, comme le contrat d’engagement de service public. Et d’autres pistes sont à creuser pour démocratiser l’accès aux études de santé, comme la création d’une école normale préparatoire.
Voilà quelques premières pistes de discussion pour ouvrir ce débat – je sais que nos collègues feront eux aussi des propositions. La question de l’accès aux soins est absolument essentielle. Elle figure parmi les premières préoccupations de nos concitoyens : ceux-ci ne sauraient admettre que, dans un pays comme la France, en 2024, l’on ne puisse pas avoir accès à un médecin quand c’est nécessaire.
Je remercie d’avance chacune et chacun de sa contribution à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et sur des travées du groupe RDSE. – M. Olivier Bitz et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Brulin, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat, car il est important. Le problème sociétal que vous mettez en avant peut se dire de manière simple : tenter d’avoir accès à un médecin et ne pas y arriver. Nous devons tout mettre en œuvre, bien sûr, pour favoriser l’accès dans nos territoires à tous les types de soins, soins primaires, soins de spécialistes, mais aussi, en tant que de besoin, soins hospitaliers.
Il est évident que nous avons encore beaucoup de travail, même si beaucoup de choses ont été réalisées – nous aurons le temps d’y revenir et d’approfondir l’analyse.
En tout état de cause, il me paraît important de placer ce débat dans le cadre d’une prospective de moyen et long terme. Ce dont nous traitons actuellement, en effet, c’est un impensé d’années antérieures, celles-là mêmes qui nous ont conduits dans l’impasse qui a été décrite. Notre responsabilité politique – et la vôtre, en tant que parlementaires – est donc de travailler à une telle prospective de moyen et long terme. Je souhaite vraiment m’inscrire avec vous dans cette dynamique, afin d’éviter à l’avenir les entonnoirs tels que ceux dans lesquels nous nous retrouvons aujourd’hui.
Vous avez parlé de former des médecins, madame la sénatrice, mais nous parlerons aussi ensemble, je l’espère, des infirmiers et des aides-soignants, éléments majeurs de notre système de soins.
Je vous remercie une nouvelle fois d’avoir pris l’initiative de ce débat et suis prête à répondre aux questions qui me seront posées. Peut-être ne saurai-je pas répondre à toutes, mais notre discussion s’annonce en tout cas passionnante.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans nombre de territoires, il suffit d’essayer de prendre rendez-vous avec un médecin, généraliste ou spécialiste, ou bien d’aller aux urgences pour rapidement parvenir à un constat évident : notre pays manque de médecins.
Je m’en excuse d’emblée auprès des soignants : mon intervention traitera davantage des médecins que des soignants au sens large, car je pense que « la nécessité de former davantage de médecins » soulève en elle-même beaucoup de questions, et ce même si traiter le sujet de l’accès aux soins nécessite, en pratique, de se pencher sur la question de la coopération entre tous les professionnels de santé.
En 2024, le nombre de médecins, y compris remplaçants et retraités actifs, est d’environ 237 000, contre 215 000 il y a à peine quinze ans. C’est donc 22 000 de plus, et cette augmentation est tout aussi encourageante que frustrante : comment peut-on ne pas réussir à faire mieux avec plus ?
Tout d’abord, il est évident que les nouveaux médecins travaillent différemment par rapport à ceux des générations précédentes. Beaucoup d’entre eux, et c’est bien légitime, recherchent un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle et ne souhaitent plus travailler douze heures par jour six jours – voire sept – sur sept.
Ensuite, plusieurs facteurs concourent à ce que les besoins de la population en matière de soins augmentent : le vieillissement de la population, l’augmentation de la dépendance, l’explosion des maladies chroniques ou encore la dégradation de la santé mentale.
Il est donc nécessaire de continuer à former davantage de médecins et, plus largement, de soignants. Mais il est tout aussi nécessaire d’optimiser le temps médical que représentent ces effectifs supplémentaires.
Les difficultés sont connues depuis longtemps.
Je ne saurais évidemment commencer mon propos sans mentionner le problème de la surcharge administrative : un accident du travail, par exemple, implique la rédaction d’un certificat médical initial, éventuellement d’un arrêt de travail, d’une ordonnance, d’une feuille de soins, etc. autant de documents sur lesquels il faut chaque fois réinscrire des informations identiques. Pensons aussi aux nombreux certificats médicaux inutiles.
Diminuer cette surcharge administrative reviendrait à dégager davantage de temps médical pour les médecins et de consultations pour les patients qui en ont besoin.
L’informatique représente aussi une perte de temps ahurissante. Comment est-il possible que, dans certains – je dis bien « certains » – hôpitaux, en 2024, il n’y ait pas de logiciel unique ? Un médecin doit se connecter sur le logiciel des scanners, puis, via un mot de passe différent, sur le logiciel de biologie, et ainsi de suite en fonction des examens nécessaires. Un urgentiste me disait récemment : « Cinq minutes avec un patient, c’est quinze minutes d’informatique. »
Je me dois de mentionner aussi le problème de la répartition des médecins sur le territoire et parmi les différentes spécialités ; la psychiatrie, et notamment la pédopsychiatrie, est en grande souffrance. J’en profite d’ailleurs pour saluer le choix du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Il y a quelques mois, ici au Sénat, nous adoptions une proposition de résolution invitant précisément le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.
La médecine générale et beaucoup d’autres spécialités sont aussi en difficulté : on manque d’urgentistes, de rhumatologues, de chirurgiens pédiatriques, de gastro-entérologues, etc. Se pose ainsi la question du nombre de places et de l’opportunité de laisser aux étudiants la possibilité de redoubler en vue d’obtenir certaines spécialités au détriment d’autres, sachant qu’un tel redoublement a été particulièrement important cette année.
Optimiser le temps médical, cela relève aussi de la responsabilité des patients. Il est tout bonnement inacceptable qu’un patient se rende aux urgences parce qu’il a le nez qui coule, qu’il bénéficie d’un examen et d’un traitement qui doit durer quatre jours et qu’il retourne aux urgences le lendemain… car il présente exactement le même symptôme.
Heureusement, un tel cas ne représente pas la majorité des patients ; mais il y a là une réalité dont tous les médecins vous parleront. Responsabiliser, cela ne veut pas dire pénaliser les plus démunis : cela veut dire sanctionner les abus – et c’est une nécessité.
Tous ces problèmes sont connus, comme sont connues beaucoup de solutions : revoir les études et les modalités de choix des spécialités, augmenter les capacités d’accueil des facultés et des lieux de stage, investir dans des systèmes informatiques adaptés, automatiser l’usage du dossier médical partagé (DMP), alléger et simplifier la charge administrative.
Madame la ministre, ma question est plutôt simple : à l’heure où la situation budgétaire nous oblige à des choix particulièrement contraints, parmi toutes les solutions possibles, laquelle vous semble prioritaire afin d’optimiser le temps des médecins ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Bourcier, vous posez une question importante : comment faire en sorte que les médecins fassent de la médecine, c’est-à-dire, très simplement, soignent les patients et, pour ce faire, posent des diagnostics et procèdent à des examens cliniques ?
Vous le savez, les assistants médicaux sont une des solutions à ce problème, mise en œuvre depuis la fin de l’année 2019 : en septembre 2024, nous en étions à 6 700 assistants médicaux recrutés, ce qui est tout à fait significatif. Grâce à un assistant médical, le médecin généraliste peut prendre en charge en moyenne 10 % de patients supplémentaires à nombre d’heures travaillées constant ; ce sont plus de 500 000 patients qui ont déjà trouvé un médecin traitant grâce à ce dispositif : voilà une amélioration.
Mais il ne s’agit pas là du seul axe de travail. La présence dans les cabinets médicaux ou les maisons de santé d’infirmières en pratique avancée (IPA) spécialisées dans certains domaines peut, elle aussi, soulager les médecins en les déchargeant de certains actes, voire d’un certain temps consacré à la prévention, sujet majeur de santé publique. Voilà qui permet là encore de libérer du temps médical, purement et simplement.
Quant aux simplifications administratives, vous en avez parlé, madame la sénatrice : il faut par exemple éviter les certificats médicaux inutiles ou faciliter les facturations à l’assurance maladie pour les médecins libéraux.
Pour ce qui est de s’appuyer sur les outils informatiques, effort évidemment nécessaire, la difficulté – je l’ai vécue – est que chacun a son outil, qui n’est pas toujours compatible avec ceux des hôpitaux ou des laboratoires. La transformation numérique doit donc se faire avec tous les acteurs concernés afin de fluidifier les choses au bénéfice des patients.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour la réplique.
Mme Corinne Bourcier. Je vous remercie, madame la ministre.
Il y a en effet des choix importants à faire, qui ne se traduiront pas forcément en réponses immédiates. Les assistants médicaux, comme les orthoptistes, par exemple, sont extrêmement importants : ils apportent des solutions aux patients.
Il faut agir vite et bien pour que nos concitoyens puissent être soignés comme il le faut ; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut bien sûr s’interroger sur les études de médecine. Beaucoup d’étudiants souhaiteraient faire ces beaux métiers, mais ne peuvent suivre le parcours qui y mène – et certains partent à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Brigitte Devésa et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRCE – Kanaky d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants, car ce sujet nous préoccupe tous – il fait partie des premières préoccupations de nos concitoyens et des élus. Car, au-delà de la prise en charge des patients et de la réponse à leurs besoins de santé, il s’agit aussi d’un sujet d’aménagement du territoire !
Oui, madame la ministre, il faut former plus de médecins et de soignants dans notre pays, pour l’hôpital comme pour la ville ! L’affirmation est simple, et la réponse attendue rapidement sur le terrain, voire urgemment dans certains territoires, alors que le sujet de la formation s’inscrit dans un temps long. Nous avons perdu trop de temps depuis dix ans – dix ans, c’est tout simplement le temps qu’il faut pour former un médecin…
L’accès aux soins ambulatoires est un enjeu politique majeur, et, en parallèle des différents textes de loi adoptés ces derniers temps, je me réjouis de l’élan insufflé par le nouveau gouvernement en faveur de l’accès aux soins, dont témoigne le programme Hippocrate annoncé par le Premier ministre. Et je salue les propos qu’il a tenus lors de sa déclaration de politique générale, qui ont déjà été rappelés : « Le temps est révolu où l’on avait la crainte de former trop de médecins. »
Je m’en réjouis d’autant plus que le groupe Les Républicains a proposé dans son pacte législatif, avant la constitution du Gouvernement, une loi santé dont les grands axes sont clairement énoncés. J’espère, madame la ministre, que vous vous saisirez de ces propositions !
Il est donc indispensable de former plus de médecins et de soignants, mais aussi, ajouterai-je, de techniciens ; nous manquons par exemple de manipulateurs en radiologie. Aussi le sujet est-il vaste, car il concerne nombre de professions de santé. Je parlerai essentiellement de médecine générale, pierre angulaire de notre système de santé en ville.
Former davantage de médecins, c’est territorialiser les études de médecine.
C’est continuer à créer des antennes universitaires de première et deuxième années d’études, parfois plus accessibles pour les étudiants, tant géographiquement que financièrement.
C’est revoir la réforme récente de la première année d’études de santé : il n’est pas acceptable que la réforme dite Pass (parcours accès santé spécifique) – LAS (licence accès santé) ne soit pas appliquée de la même manière dans toutes les universités. Certaines universités ont même inventé la « LAS 50-50 » ; je vous laisse y réfléchir…
C’est reconnaître que la suppression du numerus clausus a eu des effets limités, car on ne peut pousser les murs des facultés et créer des terrains de stage d’un coup de baguette magique !
C’est faire en sorte que la volonté du législateur ne soit pas détournée pour ce qui est de la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale, évolution souhaitée par le Sénat via le vote de la proposition de loi de Bruno Retailleau avant d’être introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Il conviendra surtout, madame la ministre, de veiller à ce que les stages afférents soient prioritairement réalisés en ambulatoire dans des zones sous-denses, plutôt qu’orientés vers l’hôpital par dérogation. Bien sûr, il faudra en contrepartie que la qualité de l’accueil réservé à ces futurs médecins soit au rendez-vous, sur le plan tant des locaux que de l’accompagnement professionnel.
Selon l’indice d’attractivité défini par la Drees, la médecine générale occupe la quarante-deuxième place parmi les spécialités choisies par les internes en 2023, sur un total de quarante-quatre spécialités. C’est une réalité, la médecine générale est de moins en moins considérée par les futurs internes.
Dès lors, même si nous observons avec attention la légère augmentation du nombre de médecins en activité annoncée par l’ordre des médecins – en 2023, il y avait 1 672 médecins en activité régulière de plus que l’année précédente –, cette hausse ne suffit pas à répondre aux besoins compte tenu des enjeux liés au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques. Si l’âge moyen des médecins continue de baisser, s’établissant à 48,1 ans contre 48,6 ans l’an dernier pour les médecins en activité régulière, le temps médical, quant à lui, diminue.
Former plus, c’est aussi corriger les effets négatifs de la réforme des études de santé, laquelle a affecté, par exemple, la filière pharmacie – ma collègue l’a rappelé. Depuis la réforme, cette filière n’est plus visible et les deuxièmes années de pharmacie ne font plus le plein !
Les inégalités territoriales en matière d’accès aux soins s’aggravent. Nous parlons de déserts médicaux et nous commençons à parler de déserts pharmaceutiques. Les bonnes volontés existent, mais il y a urgence ! Sans un nombre suffisant de professionnels de santé, la volonté de partage des tâches ne réglera pas tout.
Madame la ministre, mes questions sont simples.
Comment pensez-vous vous saisir des propositions faites par le groupe Les Républicains du Sénat en matière de santé ?
Comment envisagez-vous de travailler avec votre collègue ministre chargé de l’enseignement supérieur pour corriger la réforme des études de santé ?
Où en sont les décrets d’application de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux ? Je pense par exemple à l’élargissement du contrat d’engagement de service public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, la réforme de l’accès aux études de santé est en place depuis quatre ans. La Cour des comptes a procédé à une évaluation des trois premières années. Nous attendons ses conclusions, qui ne devraient pas tarder.
Bien qu’il soit trop tôt pour estimer les effets à long terme de cette réforme, il sera sans doute opportun de réfléchir à des ajustements. C’est un point que j’aborderai avec le ministre de l’enseignement supérieur. Quoi qu’il en soit, il me paraît opportun d’attendre les conclusions des travaux de la Cour des comptes.
En tout état de cause, les principes fondamentaux de la loi, à savoir favoriser la réussite des étudiants et diversifier les profils de ces derniers pour mieux répondre aux enjeux futurs du système de santé, doivent être conservés. J’y serai très attentive.
Vous souhaitez mettre l’accent sur les stages dans les zones sous-denses. Je souscris à vos propositions, mais les universités envoient déjà leurs externes de quatrième année, par exemple, dans les hôpitaux des villes moyennes. C’est un vrai enjeu pour irriguer tous nos territoires ruraux de jeunes médecins en stage, qui apprendront à connaître cet environnement.
Concernant l’état des lieux de la loi Valletoux, 34 textes d’application ont été recensés, dont 14 pour le seul article 36 relatif aux épreuves de vérification des connaissances des Padhue, dont la parution avait été actée en 2024.
Actuellement, 10 décrets ont été publiés, soit 50 % des textes publiés à ce jour ; 8 décrets d’application sont prêts ou ont été débloqués à la suite de la dissolution, soit 23 % des textes à prendre ; 2 décrets d’application sont actuellement en concertation – ils devraient paraître d’ici au mois de novembre prochain ; enfin, 14 décrets ne sont pas encore prêts. Il me semble donc que je vais signer des décrets très rapidement…