Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.
Conclusions de la conférence des présidents
4. Candidatures à des commissions
5. Croissance de la dette publique de la France. – Débat organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste
M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains
M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics
M. Laurent Saint-Martin, ministre
M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
6. Crise agricole. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
M. Vincent Louault ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; M. Vincent Louault ; Mme Annie Genevard, ministre ; M. Vincent Louault.
M. Jean-Claude Anglars ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Bernard Buis ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Henri Cabanel ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; M. Henri Cabanel ; Mme Annie Genevard, ministre.
M. Franck Menonville ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; M. Franck Menonville ; Mme Annie Genevard, ministre.
Mme Marie-Claude Varaillas ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Daniel Salmon ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Sebastien Pla ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Daniel Laurent ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Denis Bouad ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Pierre Cuypers ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Lucien Stanzione ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Martine Berthet ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Christine Bonfanti-Dossat ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
M. Hervé Reynaud ; Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
7. Nécessité de former davantage de médecins et soignants. – Débat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky
Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Corinne Bourcier ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Imbert ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Corinne Imbert.
Mme Solanges Nadille ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Solanges Nadille.
M. Raphaël Daubet ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Nadia Sollogoub ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Nadia Sollogoub.
Mme Cathy Apourceau-Poly ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Anne Souyris ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Anne Souyris.
Mme Émilienne Poumirol ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Émilienne Poumirol.
M. Bruno Rojouan ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; M. Bruno Rojouan.
Mme Brigitte Devésa ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Brigitte Devésa.
Mme Anne Ventalon ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins
Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky
Suspension et reprise de la séance
Conclusions de la conférence des présidents
9. Situation des urgences pendant l’été 2024. – Débat à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins
M. Jean Sol ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Solanges Nadille ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Guylène Pantel ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. Olivier Henno ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Silvana Silvani ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Silvana Silvani.
Mme Anne Souyris ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Anne Souyris ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. Daniel Chasseing ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; M. Daniel Chasseing.
Mme Florence Lassarade ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Brigitte Devésa ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; Mme Brigitte Devésa.
Mme Audrey Bélim ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. Alain Milon ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; M. Alain Milon.
M. Franck Montaugé ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins ; M. Franck Montaugé.
M. Khalifé Khalifé ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Sabine Drexler ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Laurence Muller-Bronn ; Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
10. Ordre du jour
Nomination de membres de commissions
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
Mme Nicole Bonnefoy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 2 octobre 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, au lendemain des commémorations du pogrom du 7 octobre, je tiens à vous dire à la fois ma colère et mon incompréhension.
Il y a quelques mois, lors d’une séance de questions d’actualité, j’interrogeais le gouvernement en place pour savoir comment il comptait agir pour juguler le financement de diverses associations en lien avec les Frères musulmans – la Commission européenne leur a versé plus de 800 000 euros. Il m’avait à l’époque assuré qu’il interrogerait la Commission ; or celle-ci n’a pas répondu…
Sa réponse est-elle aujourd’hui de déléguer quatre programmes Erasmus à l’association religieuse frériste Al Sharq et d’y associer la faculté des sciences islamique de Skopje, ainsi que l’université des sciences et technologies de Gaziantep, qui vient de rendre un hommage vibrant à Ismaïl Haniyeh, l’ancien chef du Hamas, avec 250 000 euros en prime ?
M. Albéric de Montgolfier. Voilà des économies à faire !
Mme Nathalie Goulet. À ces subventions s’ajoutent les financements accordés à des associations comme Femyso.
Monsieur le ministre, repartons du bon pied avec votre gouvernement. Ces actions ont des conséquences. Erasmus est un programme de formation de la jeunesse aux principes de l’Union européenne : je doute que le culte du Hamas et des Frères musulmans en relève, de même que la promotion de l’antisémitisme…
Monsieur le président, notre Haute Assemblée doit se saisir de cette question et, à tout le moins, y consacrer un débat, de sorte que nous arrêtions, au nom de la diversité, de financer les ennemis de la République. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. Michel Savin. Bravo ! Le ministre n’a rien à répondre ?
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
3
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie le mercredi 2 octobre 2024, sont consultables sur le site du Sénat.
En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 8 octobre 2024
À 14 h 30
- Débat sur la croissance de la dette publique de la France (demande des groupes Les Républicains et Union Centriste)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Réponse du Gouvernement aux orateurs
• Conclusion par le groupe Union Centriste : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 octobre à 15 heures
- Débat sur la crise agricole (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 octobre à 15 heures
- Débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants (demande du groupe CRCE-K)
• Temps attribué au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 octobre à 15 heures
Le soir
- Débat sur la situation des urgences pendant l’été 2024 (demande du groupe SER)
• Temps attribué au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 octobre à 15 heures
Mercredi 9 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 9 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 664, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 672, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 octobre à 15 heures
Le soir
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 4 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur des commissions et des groupes pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 4 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 8 octobre à 15 heures
Jeudi 10 octobre 2024
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (texte n° 862, 2022-2023)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 678, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 octobre à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 15 octobre 2024
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves, présentée par MM. Gilbert Bouchet, Philippe Mouiller et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 670, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 15 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 octobre à 15 heures
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet, présentée par Mme Annick Billon, M. Bruno Retailleau, Mme Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 662, 2023-2024) (demande du groupe UC et du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 14 octobre à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 11 octobre à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : lundi 14 octobre à 15 heures
- Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 643, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 mai matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 6 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 15 octobre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 octobre à 15 heures
Mercredi 16 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 16 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Suite de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 643, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Jeudi 17 octobre 2024
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (texte n° 741, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport avec une saisine pour avis de la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues (texte n° 682, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé au groupe SER
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte n° 660, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre à 14 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 14 octobre à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 11 octobre à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 16 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », présentée par M. Jean-Michel Arnaud et plusieurs de ses collègues (texte n° 556, 2023-2024) (demande du groupe UC)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 22 octobre 2024
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30
- Éloge funèbre de Jean-Pierre Bansard
À 15 h 15 et le soir
- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de simplification de la vie économique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 635, 2023-2024)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 21 octobre à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 22 octobre à 12 h 30
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 (procédure accélérée ; texte A.N. n° 3)
Ce texte sera envoyé à la commission des finances.
• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 22 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 21 octobre à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (procédure accélérée ; texte A.N. n° 4)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.
• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 22 octobre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 21 octobre à 15 heures
Mercredi 23 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 23 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte n° 759, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 23 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 octobre à 15 heures
- Proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, présentée par M. Cédric Vial, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Roger Karoutchi, Laurent Lafon et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte n° 720, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 23 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 octobre à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 29 octobre 2024
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, présentée par Mme Christine Lavarde et plusieurs de ses collègues (texte n° 612, 2023-2024) (demande de la commission des finances)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 29 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 28 octobre à 15 heures
Mercredi 30 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 30 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE-K)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie (texte n° 653, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 30 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 29 octobre à 15 heures
- Proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics présentée par Mme Cécile Cukierman, M. Ian Brossat et plusieurs de leurs collègues (texte n° 760, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 30 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 29 octobre à 15 heures
Commémoration, dans l’hémicycle, le 7 novembre 2024 à 10 h 30, de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents : mardi 8 octobre 2024 à 18 heures
4
Candidatures à des commissions
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires économiques, de la commission des lois et de la commission des finances ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Croissance de la dette publique de la France
Débat organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la croissance de la dette publique de la France.
Dans le débat, la parole est tout d’abord à M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Fargeot et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat et, en particulier, sa commission des finances ont longtemps été les seuls à parler de la dette. Mais aujourd’hui, après de nombreuses années d’aveuglement budgétaire, la gravité de notre situation financière fait enfin l’objet, sinon d’un consensus, du moins d’une prise de conscience salutaire.
M. André Reichardt. Il est temps !
M. Albéric de Montgolfier. En effet, mon cher collègue.
Il y a encore quelques mois, Bruno Le Maire se félicitait d’« avoir sauvé l’économie française »…
M. André Reichardt. Et il continue !
M. Michel Savin. Il est en Suisse…
M. François Patriat. C’était un bon ministre !
M. Albéric de Montgolfier. Sauf erreur de ma part, il est l’inventeur du « quoi qu’il en coûte », qui nous coûte aujourd’hui très cher. En tout cas, je me félicite que le nouveau gouvernement, dirigé par Michel Barnier, ait enfin renoué avec un discours de vérité sur cette question absolument cruciale.
En effet, la situation de nos finances publiques détermine nos marges de manœuvre face aux multiples défis de notre époque, qu’ils soient économiques, sociaux, démographiques, environnementaux ou géopolitiques. L’actualité nous le démontre.
De même, c’est de notre trajectoire budgétaire que dépend notre crédibilité lors des discussions avec nos partenaires européens. Or, alors même que l’immense majorité des États membres ont consenti d’importants efforts de redressement dans la période récente, la Commission européenne nous a placés en procédure de déficit excessif. Nous sommes devenus le mauvais élève.
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », j’ai pu mesurer les conséquences très concrètes de notre endettement public sur le budget de la Nation. Aussi est-ce à la lumière de mes travaux récents, notamment mon rapport d’information de juillet dernier, Charge de la dette : de la divergence avec nos partenaires européens jusqu’à l’explosion ?, que je souhaite vous soumettre quelques réflexions, quelques constats essentiels à la veille de l’examen du projet de loi de finances.
Toutefois, avant de se projeter vers 2025, il importe de revenir sur l’évolution passée de notre endettement public.
Au début de l’année 2008 – je siégeais déjà au sein de notre commission des finances –, la dette publique de la France représentait, d’après l’Insee, 1 290 milliards d’euros, soit 67 % du PIB. Notre niveau d’endettement public était comparable à celui de l’Allemagne et proche du seuil de 60 % du PIB fixé par les traités européens.
À la suite de la crise des subprimes et de la crise de la zone euro – c’était précisément en 2008 –, notre endettement public a explosé : ce fut le cas dans la plupart des pays qui ont dû sauver leurs banques. Il s’élevait, à la fin de 2012, à 1 890 milliards d’euros, soit 92 % du PIB.
J’y insiste : face à la crise des subprimes, la plupart des pays ont dû consentir une telle augmentation. C’était indispensable dans ce contexte de crise économique internationale.
M. François Patriat. Mais bien sûr, pour Emmanuel Macron, c’est différent…
M. Albéric de Montgolfier. Au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2017, notre dette publique s’élevait à 2 250 milliards d’euros, soit 99 % du PIB. À la fin de l’année 2019, c’est-à-dire à la veille de la pandémie de covid, elle atteignait 2 370 milliards d’euros, toujours autour de 99 % du PIB.
Ainsi, malgré l’absence de crise économique majeure ou d’événement particulier depuis 2008, notre endettement a continué d’augmenter significativement. Pour être tout à fait exact, il a progressé de 360 milliards d’euros sous la présidence de François Hollande et de 120 milliards d’euros durant les deux premières années de la présidence d’Emmanuel Macron.
Dans la même période – c’est à ce titre que le constat devient inquiétant –, de nombreux États européens, en particulier l’Allemagne, qui, en 2008, avait peu ou prou le même niveau de déficit que la France, consentaient d’importants efforts pour réduire leurs niveaux d’endettement public. Bref, nous creusions notre dette quand beaucoup d’autres pays réduisaient la leur.
La trajectoire des finances publiques françaises n’était donc aucunement rétablie à la veille de la pandémie, et les deux années de crise sanitaire se sont évidemment traduites par une nouvelle envolée de la dette publique. Cette dernière a atteint 2 820 milliards d’euros à la fin de 2021, soit 113 % du PIB.
La France n’est pas le seul État où le ministre des finances a « sauvé l’économie » : l’ensemble des pays ont créé des dispositifs de chômage partiel et de soutien à l’activité. Mais les autres États ont su y mettre un terme. Ils ont suivi une stratégie de sortie du « quoi qu’il en coûte » : tel ne fut pas notre cas. La dette française a continué sa progression pour atteindre 3 230 milliards d’euros au deuxième trimestre de 2024, soit 112 % du PIB.
M. François Patriat. Et les effets de l’inflation ?
M. Albéric de Montgolfier. L’Allemagne, elle, est à 64 % : notre ratio représentera bientôt le double du sien, alors qu’en 2008 nos taux d’endettement étaient équivalents.
Mes chers collègues, voilà d’où nous venons. Le constat est clair : depuis 2017, notre endettement public a crû de plus de 1 000 milliards d’euros. Notre dette publique s’élève aujourd’hui à 3 230 milliards d’euros – j’insiste sur ce chiffre. De cet endettement massif, alimenté par cinquante années de déficit – le dernier budget en équilibre est celui de l’année 1974 –, un tiers résulte donc de la politique budgétaire menée depuis sept ans. Voilà la réalité.
M. André Reichardt. Eh ben…
M. Albéric de Montgolfier. Rapporté au PIB, notre ratio de dette, de 112 % au deuxième trimestre de 2024, affiche certes une légère baisse par rapport au pic observé en 2021. Toutefois, son maintien à un niveau élevé, pour ne pas dire sa remontée récente, singularise fortement notre pays, alors que – je le répète – les autres États de la zone euro ont repris des trajectoires de désendettement très rigoureuses. Je pense en particulier à plusieurs pays d’Europe du Sud, qui se trouvaient dans des situations très difficiles et qui ont fait les efforts nécessaires.
À présent, où se trouve cette dette ? Il me semble important d’être tout à fait précis, chiffres à l’appui, car on entend beaucoup de choses à ce propos, y compris au sujet des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, la dette publique de la France se décompose de la manière suivante : 2 630 milliards d’euros pour l’État ; 70 milliards d’euros pour les organismes divers d’administration centrale (Odac) ; 250 milliards d’euros pour les administrations publiques locales ; et 280 milliards d’euros pour les administrations de sécurité sociale.
Autrement dit, la dette de l’État représente 80 % de la dette publique totale. C’est son creusement qui explique l’évolution de notre endettement public dans la période récente. En effet, cette dette était de 1 690 milliards d’euros à la fin de 2017, et sa croissance continue a contribué pour 95 % à l’augmentation générale. C’est d’abord l’État qui est responsable de l’augmentation de la dette totale. (M. André Reichardt acquiesce.)
Cette spirale de l’endettement a des conséquences extrêmement concrètes pour le budget de l’État. Depuis 2022, la charge annuelle des intérêts de la dette se maintient à plus de 50 milliards d’euros, contre 38 milliards d’euros en 2021 : imaginez tout ce que l’on pourrait faire avec les 12 milliards d’euros dont il s’agit.
Selon les éléments communiqués par le précédent gouvernement au titre du programme de stabilité d’avril 2024, la charge de la dette de l’État pourrait dépasser 70 milliards d’euros en 2027 : il s’agit, je le précise, des simples intérêts que nous payons à nos créanciers.
En somme, le contribuable français paie pour la retraite du fonctionnaire américain, singapourien ou néerlandais : merci beaucoup ! Par nos déficits, donc indirectement par nos impôts, nous finançons les retraites des pays détenteurs de la dette française.
En 2027, les intérêts de la dette de l’État se rapprocheraient ainsi des dépenses du ministère de l’éducation nationale, notre premier poste budgétaire. À terme, si cette trajectoire haussière n’est pas maîtrisée, les intérêts de la dette pourraient absorber en totalité le produit de l’impôt sur le revenu.
M. François Patriat. Pas un mea culpa…
M. Albéric de Montgolfier. En effet, l’époque des taux bas, voire négatifs, est bel et bien révolue. Le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) est même historiquement élevé, à 3,5 %.
Nous sommes vraiment très loin des anciens taux, qui ont peut-être anesthésié les gouvernements successifs ; ces derniers ont eu le tort d’oublier que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel… Voilà pourquoi, aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation extrêmement difficile.
L’aveuglement dont le précédent gouvernement a fait preuve en la matière, en laissant filer le déficit public, a affecté la confiance des investisseurs. Au-delà, les taux d’intérêt applicables à la France diffèrent de plus en plus de ceux auxquels sont soumis nos voisins – Jean-François Husson y reviendra sans doute.
Il nous faut donc une trajectoire crédible et documentée de retour à l’équilibre budgétaire : ce sera tout l’enjeu du projet de loi de finances pour 2025.
J’appelle votre attention sur un dernier phénomène inquiétant : la maturité de notre dette augmente. Longtemps de l’ordre de sept ans, elle est passée à huit ans et demi. À mesure que le temps passe, notre dette nous coûte plus cher et l’on s’endette pour plus longtemps. Depuis 2003, cette maturité a augmenté de 2,7 années. On nous oppose que cette évolution vise à répondre aux demandes des investisseurs ; mais, malheureusement, elle pèse sur les générations futures.
Le projet de loi de finances, dont nous allons commencer l’examen dans quelques jours, est évidemment au cœur de ces débats. Il faut stabiliser notre dette : c’est une question, non seulement de soutenabilité, mais de souveraineté. C’est un enjeu tout à fait essentiel. Il est urgent de suivre enfin une stratégie claire et résolue, visant à stabiliser notre endettement à défaut de pouvoir le diminuer tout de suite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé du budget et des comptes publics, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat pour cette première prise de parole. (M. François Patriat applaudit.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier d’avoir organisé ce débat sur la croissance de la dette. Par la même occasion, je salue l’ensemble des auteurs du rapport d’information relatif à la question, à commencer par vous-même, monsieur de Montgolfier.
Il s’agit là d’un débat important, auquel le Sénat est davantage habitué que l’Assemblée nationale – vous le soulignez avec raison. C’est précisément pourquoi, quand j’étais député, j’ai souhaité qu’un débat relatif à la dette publique se tienne chaque année, sans exception, à la Chambre basse. C’est la proposition de loi organique relative à la gestion des finances publiques, texte coécrit avec Claude Raynal et Jean-François Husson, qui nous a permis de le faire. Ce débat aura lieu la semaine prochaine à l’Assemblée nationale.
De même, vous avez raison de relever que le sujet est au cœur de l’actualité ; il vaut néanmoins en tout temps, qu’il s’agisse de la dette de l’État ou de la dette publique dans son ensemble, toutes administrations confondues. C’est là un sujet crucial pour l’ensemble de nos concitoyens. L’enjeu, c’est non seulement la soutenabilité, mais aussi, et surtout, la souveraineté de la France.
Le moment retenu est particulièrement opportun pour en parler. Dans deux jours, le Gouvernement présentera au Parlement le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
La situation de nos finances publiques est désormais connue. Elle nous impose une véritable gravité, que l’on ne saurait confondre avec de l’anxiété. Je l’ai toutefois précisé : en l’état actuel des choses, notre déficit public risque de dépasser 6 % du produit intérieur brut en 2024. Si nous ne faisons rien, la dynamique spontanée de la dépense publique pourrait porter ce même déficit au-delà de 7 % en 2025.
Nous devons tout faire pour l’éviter. À ce titre, je ne vais pas répéter les chiffres que vous venez de citer ; je centrerai mon propos sur l’origine de notre endettement actuel, peut-être avec une lecture quelque peu différente de la vôtre,…
M. François Patriat. Heureusement !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … le rétablissement des finances publiques étant évidemment une priorité.
Vous connaissez l’objectif retenu par le Gouvernement. Le Premier ministre l’a présenté et j’ai pris soin de le répéter : contenir le déficit à hauteur de 5 % en 2025, c’est-à-dire deux points en deçà des 7 % auxquels conduirait la tendance actuelle. Cet effort représente 60 milliards d’euros. Nous aurons l’occasion d’y revenir : ce quantum d’effort sur les finances publiques est absolument historique.
Vous connaissez également notre méthode. Comme annoncé, l’effort doit être réparti entre 40 milliards d’euros de baisse de la dépense publique et 20 milliards d’euros de contributions temporaires, ciblées et exceptionnelles.
C’est un effort exigeant, dont l’ampleur est à la mesure de la situation. Vous l’avez dit : notre pays a accumulé une dette qui s’élève désormais à 3 200 milliards d’euros, représentant 112 % de notre PIB au deuxième trimestre de 2024.
En l’état, la charge de la dette atteindrait 54 milliards d’euros l’année prochaine. Vous relevez que cette somme équivaut au budget de l’éducation nationale ; on peut également souligner qu’elle dépasse le budget des armées – ce sont là des ordres de grandeur qui parlent à beaucoup de nos concitoyens. On mesure, grâce à de telles comparaisons, à quel point le service de la dette est un poste budgétaire prioritaire. C’est là autant d’argent que nous ne plaçons pas dans les services publics, que nous n’employons pas au service de nos concitoyens.
M. Michel Savin. Eh oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’y insiste : derrière ces chiffres, il y a à la fois un enjeu de soutenabilité et un enjeu de souveraineté.
Il y a un enjeu de soutenabilité, d’abord, parce que la donne a changé. L’alourdissement de la charge de la dette s’explique moins par l’augmentation de l’endettement que par la forte hausse des taux d’intérêt.
En 2020, nous pouvions emprunter à des taux négatifs. J’étais alors rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, et vous-même, monsieur de Montgolfier, étiez mon homologue au Sénat. On payait la France pour qu’elle emprunte sur les marchés… C’était une autre époque ; ce temps est à la fois bien proche et bien loin.
M. Michel Savin. Ah !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Aujourd’hui, les taux d’intérêt ayant remonté, la donne a complètement changé. À l’époque, le taux d’intérêt des bons du Trésor était d’environ - 0,45 % ; il avoisine désormais les 3 %.
Cette évolution résulte, d’une part, des mesures décidées par la Banque centrale européenne pour lutter contre l’inflation et, d’autre part, des différentes crises que nous avons connues, notamment la crise inflationniste.
Ne nous y trompons pas : cette évolution résulte également d’une dégradation de la signature France. En témoigne le nouveau creusement de l’écart de taux d’emprunt entre l’Allemagne et la France : cet écart est passé de 0,5 % au début de l’année 2024 à environ 0,8 % aujourd’hui.
En d’autres termes, si nous ne redressons pas rapidement la barre, nous nous exposons à un risque réel : que nous financions notre dette de plus en plus chèrement. Or imaginons que se produise, demain, un choc des taux de l’ordre de 1 % : combien coûterait-il à nos finances publiques ? La réponse est assez simple : la charge de la dette augmenterait d’environ 3,2 milliards d’euros la première année, de 20 milliards d’euros à l’horizon de cinq ans et de 33 milliards d’euros à l’horizon de neuf ans. Ces ordres de grandeur doivent nous en convaincre collectivement : nous ne pouvons pas courir un tel risque.
En effet, il y va également de notre souveraineté, donc de notre capacité à agir.
Lors de ma prise de fonctions comme ministre du budget et des comptes publics, je me suis engagé à tenir un discours de vérité. Or, à présent, mon propos va différer du vôtre.
Pour ma part, je considère que la dette actuelle est la conséquence de choix politiques forts faits hier…
M. Pascal Savoldelli. Ça, c’est vrai…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … et, à mon sens, ces choix étaient nécessaires, utiles et bons. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Eh oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le Gouvernement devra, à son tour, assumer de proposer des choix tout aussi forts de redressement des comptes.
Bien sûr, je ne vous présenterai pas aujourd’hui le contenu du PLF et du PLFSS pour 2025 : ce n’est pas l’objet de ce débat. En revanche, je vous exposerai la philosophie guidant les mesures que nous nous apprêtons à vous soumettre, car il faut savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va.
D’où venons-nous ? Il faut reconnaître que, malgré de réels efforts de maîtrise, les dépenses des administrations publiques ont connu une hausse structurelle au cours des dernières années.
À l’époque, lors de l’examen des projets de loi de finances initiale et des différents collectifs budgétaires, j’avais plutôt l’impression, comme rapporteur général du budget, de contenir la volonté collective de hausse des dépenses publiques… Quoi qu’il en soit – et nous pouvons en être fiers –, nous avons collectivement réussi à protéger le pays, ses entreprises, son économie, ses salariés et ses collectivités territoriales (M. André Reichardt proteste.) face à deux grandes crises absolument majeures : la crise sanitaire et la crise inflationniste, qui a tout particulièrement frappé le secteur de l’énergie.
Face à ces crises, nous avons choisi, de manière résolument transpartisane, de déployer un filet de sécurité parmi les plus efficaces et les plus généreux d’Europe. Nous avons fait collectivement le choix de dépenser plus en assumant, à titre temporaire et exceptionnel, le creusement du déficit et la hausse de l’endettement. À l’époque, rares étaient ceux qui contestaient ce choix ; mais, aujourd’hui, nous devons en affronter les conséquences.
Si nous avons agi ainsi, c’était pour préserver la croissance, dont chacun sait l’importance. Cette année, la croissance française s’établit ainsi à 1,1 %, au-dessus de la moyenne de la zone euro.
J’ajoute que nous avons agi avec sérieux. La dette publique française a certes progressé de 1 000 milliards d’euros entre 2017 et 2023 : c’est tout à fait exact. Mais, en parallèle, notre pays a bénéficié d’une croissance supérieure à celle de ses voisins européens et il est tout aussi vrai d’affirmer que le PIB a progressé de 569 milliards d’euros sur la même période. À titre de comparaison, le taux d’endettement de notre pays a progressé de trente-quatre points de PIB entre 2007 et 2017, contre seulement douze points de PIB entre 2017 et 2022.
Bien sûr, ce constat factuel ne change rien à la gravité de la situation actuelle.
En résumé, la hausse de la dette s’explique avant tout par une hausse de la dépense : c’est donc prioritairement par la réduction de la dépense que devra passer le redressement. J’insiste sur ce point, qui sera au cœur du budget pour 2025.
Nous devrons procéder sans casser le moteur de la croissance : c’est elle qui nous a permis, entre 2017 et 2022, de maîtriser le rythme de notre endettement.
Il ne doit pas non plus y avoir de cure d’austérité : un tel choix conduirait à la récession et l’on ne redressera pas les comptes sans activité.
Nous le ferons collectivement, parce qu’il le faut. Sinon, nous perdrons notre capacité à investir, à préparer l’avenir et à construire la croissance de demain. En outre, si nous ne reconstituons pas aujourd’hui nos marges de manœuvre budgétaires, comment pourrons-nous, demain, protéger notre pays face à de nouvelles crises, par exemple face à une autre pandémie ? Nous devrons être prêts à faire face : voilà pourquoi nous devrons avoir les reins solides.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le chemin du redressement sera ardu, mais il existe. Je vous rappelle qu’avant la pandémie de covid le déficit public avait été ramené sous la barre des 3 % et que la procédure de déficit excessif était derrière nous. Je vous le dis donc avec confiance : si nous avons su redresser les comptes à la veille de cette crise, nous saurons le faire à la suite des crises que nous venons de connaître. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France se retrouvera-t-elle au bord du gouffre ? C’est la question que pose le Premier ministre et que nous pouvons légitimement nous poser.
De dérapage en dérapage, l’illusion d’une bonne tenue des comptes publics s’est dissipée. Pis, la gestion calamiteuse de nos finances publiques, doublée d’un mensonge, est avérée.
Monsieur le ministre, il y a un mois encore, Bruno Le Maire affirmait devant la commission des finances de l’Assemblée nationale pouvoir tenir un objectif de déficit public à 5,1 % du PIB pour 2024. Or vous l’admettez désormais : le déficit dépassera les 6 %.
Résultat : la France affiche un des déficits les plus élevés de la zone euro. La dette publique atteint 3 228 milliards d’euros, soit plus de 112 % du PIB. Quant au service de la dette, il dépasse désormais 50 milliards d’euros, devenant notre deuxième poste budgétaire.
Ces presque 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire depuis 2018 pèsent lourdement sur nos comptes. Ils forcent la France à emprunter sur cinq ans à des taux plus élevés que la Grèce.
M. François Patriat. Cynisme absolu…
Mme Florence Blatrix Contat. Dans un geste d’adieu quelque peu inélégant, le précédent gouvernement a tenté de se défausser sur les collectivités territoriales ; mais les chiffres sont têtus. Sur les 880 milliards d’euros de nouvelles dettes contractées entre 2018 et 2023, les collectivités ne sont responsables, annuellement, que de 10 milliards d’euros.
En outre, il convient de rappeler que les collectivités territoriales sont le premier investisseur public : elles représentent 53 % de l’investissement public, contre 38 % pour l’État et ses opérateurs.
Le précédent gouvernement a également tenté de justifier ses échecs en invoquant la crise de la covid-19 et la guerre en Ukraine. Mais nos voisins européens, dont la dette a, comme la nôtre, connu une hausse de quinze points, ont su depuis lors réduire leur endettement ou du moins cesser de l’alourdir.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), seule la moitié de cette nouvelle dette est imputable aux crises. L’autre découle directement de la gestion gouvernementale.
Un tel constat révèle l’échec d’une politique de l’offre menée tambour battant depuis sept ans. Cette politique est fondée sur la croyance que des baisses d’impôt couplées à des aides massives aux entreprises favorisent l’emploi et la croissance.
M. François Patriat. Mais oui !
Mme Florence Blatrix Contat. Les baisses d’impôt ont bien été massives – elles ont représenté près de 450 milliards d’euros depuis 2018 –, mais c’est un pari perdu : de l’aveu même de Jean Pisani-Ferry, les emplois créés sont, pour beaucoup, des emplois peu qualifiés, qui ont induit de faibles recettes fiscales.
Pendant cette période, la productivité de la France s’est même dégradée de six points. Or un décrochage de la productivité, c’est un décrochage de la croissance et des recettes fiscales. Le Conseil d’analyse économique (CAE) estimait en 2019 que cette baisse de productivité représentait 140 milliards d’euros de PIB et 65 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales.
Les conséquences de cette gestion calamiteuse n’ont pas tardé : la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif contre la France. La crédibilité de la signature française est affectée et notre capacité à investir pour répondre aux urgences climatiques et sociales se réduit. Chaque euro dédié au service de la dette est un euro de moins pour nos services publics.
Pour remédier aux problèmes actuels, vous proposez une solution qui a déjà échoué par le passé : le recours à l’austérité. L’économie française est malade, mais le remède que vous proposez est pire que le mal : vous préconisez 40 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, alors que des économistes comme Olivier Blanchard et Patrick Artus ne recommandent, eux, que 20 milliards d’euros par an.
Affirmer qu’un État aux services publics déjà exsangues pourrait encore trouver 40 milliards d’euros de dépenses inefficaces, c’est proférer un mensonge. En procédant à de telles coupes, vous supprimerez des dépenses utiles pour nos concitoyens, celles qui soutiennent leur consommation et la croissance. Le Trésor précise d’ailleurs qu’une baisse de 15 milliards d’euros de dépenses publiques représente en réalité 27 milliards d’euros retirés de l’économie, par l’effet multiplicateur.
Selon nous, mieux vaut revenir sur un certain nombre d’aides aux entreprises, dispositifs dont l’efficience est sujette à caution : plusieurs rapports ont mis en lumière leur manque de ciblage et leur coût exorbitant pour la puissance publique.
Les élus du groupe SER feront des propositions pour rompre avec le dogme des baisses d’impôt et renouer avec la justice fiscale. Là est bien l’erreur originelle de la politique conduite depuis sept ans.
Monsieur le ministre, une question demeure : après avoir accumulé des milliards d’euros de dettes, sacrifié nos services publics et compromis les investissements dans la transition écologique, comment pouvez-vous encore affirmer que votre politique trace la bonne voie pour notre pays ? Allez-vous en changer ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour un débat constructif sur un sujet si important que celui de l’état des finances publiques de la Nation, encore faudrait-il s’accorder sur les chiffres de départ.
Lorsque nous devions voter le budget pour 2024, l’hiver dernier, le Gouvernement nous promettait un niveau de déficit public à 4,5 % du PIB et un effort de maîtrise « à l’euro près » des dépenses publiques.
Et puis, au cours du premier semestre de 2024, Bercy a purement et simplement annulé 10 milliards d’euros de crédits et des rumeurs de dérapage du déficit à plus de 5 % se sont fait entendre. À l’époque, déjà, Bercy refusait de transmettre au Parlement les documents budgétaires nécessaires au légitime contrôle de l’action du Gouvernement.
Et puis, le 26 juillet dernier, l’Union européenne a lancé une procédure pour déficit public excessif contre notre pays.
Et puis, dans son discours de politique générale, le Premier ministre nous annonce qu’en réalité, le déficit public est supérieur à 6 %, pour un montant de dette record à 3 228 milliards d’euros – pour l’instant.
En définitive, le bilan du Mozart de la finance, c’est une France qui emprunte sur les marchés à des taux supérieurs à ceux de la Grèce, en faillite il y a encore dix ans, c’est 400 milliards de prestations sociales additionnelles, c’est 1 000 milliards de dette supplémentaires alors que nos services publics sont malmenés.
Ces chiffres sont implacables. L’État représentant 80 % de la dette publique, c’est à lui de fournir l’effort, non pas aux collectivités territoriales, injustement désignées comme coupables par Bruno Le Maire, alors que, tout en portant une grande part de l’investissement public, elles ont stabilisé leur endettement depuis sept ans.
Enfin, ce n’est ni aux retraités ni aux ménages français de payer votre incompétence. Faites des économies sur ceux qui profitent des largesses de notre système : je parle, par exemple, du coût de l’immigration, ou encore de la fraude fiscale et sociale – nous demandons depuis longtemps, au Rassemblement national, notamment la mise en place de la carte Vitale biométrique.
Par ailleurs, l’État dépense 750 millions d’euros par an en subventions à plus de 1 300 associations immigrationnistes,…
M. Claude Raynal. On est à la maille !
M. Aymeric Durox. … quand il investit moins de 70 millions d’euros pour les centres de rétention administrative (CRA).
Le Gouvernement cherche des pistes d’économies ? En voici une, de taille : il est temps de mettre fin à cette folie qui consiste à engraisser avec l’impôt des Français des associations dont l’objectif avoué est d’empêcher la reconduite à la frontière des clandestins !
Quand j’entends le ministre du budget nous dire fièrement, à cette tribune, que l’augmentation de la dette de 1 000 milliards d’euros résulte de choix politiques pertinents et bons, les bras m’en tombent. Quand je l’entends parler de souveraineté alors que cette dette est largement détenue par des fonds souverains étrangers, je m’étouffe. Quand j’entends le ministre du budget s’exprimer, digne représentant de la Macronie, je me dis que, décidément, le nouveau monde n’a toujours pas entendu le cri de colère d’un peuple français qui l’a pourtant largement désavoué, à trois reprises, il y a à peine plus de quatre mois. L’alternance, vite !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous parler d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. (Sourires.)
En ce temps-là, en France, la dette publique avoisine les 60 % du PIB et le déficit est maîtrisé autour des 3 %. Outre-Rhin, la situation est à peu près la même. En ce début du XXIe siècle, la France et l’Allemagne respectent chacune les critères de Maastricht. C’est le moins que l’on puisse attendre du couple franco-allemand : qu’il donne l’exemple au niveau européen.
Aujourd’hui, notre dette publique dépasse les 100 % du PIB et le déficit public s’est durablement installé au-dessus de 5 %.
Le Gouvernement présentera jeudi le projet de loi de finances pour 2025. L’effort pour réduire le déficit est annoncé entre 45 et 60 milliards d’euros, selon que l’on compare avec le budget exécuté cette année ou avec un budget qui n’a jamais existé et qui, je l’espère, n’existera jamais…
Quelle que soit l’année de référence, l’effort, monsieur le ministre, doit reposer bien davantage sur les dépenses que sur les recettes. Au reste, cet effort nous permet seulement de contenir le déficit à 5 % du PIB. Autrement dit, si difficile soit-il, il n’empêchera pas le creusement de la dette.
Si nous en sommes arrivés là, c’est que, pendant plus d’un demi-siècle, la France a voté des budgets en déficit. Cette incurie est une faute collective, qu’il faut maintenant corriger. La solution la plus évidente serait de voter un budget à l’équilibre, voire en excédent. Mais ce remède, un brin radical, j’en conviens, risquerait en fait d’être pire que le mal.
Car le mal profond, mes chers collègues, c’est l’addiction chronique à la dépense publique. Et après cinquante ans d’accoutumance, on se soigne non du jour au lendemain, mais de façon progressive. Suivons la devise des médecins : « D’abord, ne pas nuire. » (M. Thierry Cozic ironise.)
Le chemin sera long et douloureux – il est de notre responsabilité de le dire. Nous sommes nombreux, au Sénat, à tenir ce langage, et ce depuis plusieurs années. Je pense, bien sûr, à notre rapporteur général, Jean-François Husson, qui a toujours fait preuve de constance en la matière, ainsi qu’à son prédécesseur, qui vient de s’exprimer.
Pour ne pas dévier de ce cap, pour tenir bon, nous devons dire et répéter une vérité : la croissance de la dette menace notre souveraineté. Notre dette est détenue à plus de 50 % par des acteurs étrangers. Malheureusement, rien ne garantit que les intérêts de ces créanciers soient alignés avec ceux de la Nation. Cela nous impose de raisonner sans céder à la paranoïa. Ainsi, le plus sûr, en la matière, c’est qu’un créancier, qu’il soit français ou étranger, tient d’abord et surtout à être payé. Or c’est notre devoir que de payer nos dettes.
Mais là réside l’ineptie de la situation : chaque titre émis par le Trésor est une obligation faite aux contribuables français de payer des créanciers étrangers, ce qui n’est pas la meilleure façon d’employer les deniers publics…
La charge de la dette sera bientôt le premier budget de l’État, comme M. le ministre l’a esquissé. Nous consacrerons alors plus d’argent à rembourser nos créanciers qu’à payer nos enseignants, nos médecins et nos militaires. Cette situation, intenable, prépare le terrain à des solutions plus radicales et, sans doute, moins souhaitables.
Pour les éviter, il faut, de toute urgence, bifurquer vers la décroissance. Vous avez bien entendu, mes chers collègues : bifurquer vers la décroissance, la décroissance… de la dette ! (Sourires sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Excellent !
M. Claude Raynal. On avait compris !
M. Emmanuel Capus. Cela implique la maîtrise du déficit, la croissance de l’économie, et donc l’amélioration de notre compétitivité. C’est le seul chemin qui nous éloigne de la crise. Il est à notre portée. La preuve, c’est que nous l’avons pris, sous le gouvernement d’Édouard Philippe, de 2017 à 2019. La France sortait de la procédure pour déficit excessif en ramenant son déficit sous la barre des 3 % du PIB. La dette était stabilisée et la croissance au rendez-vous.
Aujourd’hui, l’Allemagne, qui a connu les mêmes crises que la France, respecte les critères de Maastricht…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Emmanuel Capus. … avec un déficit à 3 % et une dette à 60 % du PIB. Nous devons, j’en suis convaincu, nous remettre au niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en guise d’introduction, je veux rappeler quelques constats simples. Entre juin 2017 et juin 2024, le stock de la dette publique française a augmenté de près de 1 000 milliards d’euros, se situant désormais à 3228,4 milliards d’euros. Si l’on peut bien parler de croissance de la dette publique, de tels chiffres n’ont pas de sens en eux-mêmes. Mieux vaut considérer le ratio de la dette par rapport au PIB, passé sur la même période de 99,2 % à 112 %, soit une hausse de 13 points, dont seule une partie résulte des crises que le pays a traversées.
De ce point de vue, la France fait clairement partie des mauvais élèves européens. Regardons la réalité en face : en 2017, la France était le sixième pays le plus endetté de la zone euro alors qu’aujourd’hui, seules la Grèce et l’Italie sont devant nous.
La dette n’est pas mauvaise en elle-même, mais il est nécessaire de la maîtriser, voire, dans certains cas, de la réduire. Ainsi, lors d’une récession, une politique budgétaire contracyclique, qui augmente le déficit et le stock de dette publique, est recommandée pour maintenir une croissance suffisante. En effet, cela permet, dans un second temps, d’encaisser les recettes susceptibles de remettre la trajectoire budgétaire sur de bons rails.
Dans ces circonstances, s’endetter pour investir est particulièrement efficace à court terme, en maintenant la croissance, et à long terme, pour renforcer le potentiel de l’économie.
Au-delà même des seules considérations économiques, Christine Lavarde évoquera la dette écologique. Il est important de penser les deux ensemble dans la définition de nos politiques publiques.
Ainsi, lorsque l’endettement est maîtrisé, il peut être bénéfique. On peut alors faire « rouler » la dette : puisque l’État est réputé éternel, il lui suffit, pour rembourser sa dette, d’emprunter de nouveau. Mais attention : le remboursement de la dette s’accompagne du paiement d’une charge d’intérêts. Sa dynamique peut être maîtrisée si la croissance dépasse les taux d’intérêt, mais, dans le cas contraire, si le déficit public est trop élevé, l’on risque l’effet « boule de neige ».
À la fin de la décennie 2010, la charge d’intérêts avait fortement diminué, car l’État empruntait à des taux faibles, voire négatifs. Cependant, depuis 2020, elle suit une tendance haussière du fait de l’augmentation du stock de la dette, de l’inflation, qui se répercute dans la charge de la dette à cause des obligations indexées sur elle, et de l’augmentation des taux d’intérêt.
La charge de la dette se situe sur une trajectoire dangereuse, d’une cinquantaine de milliards d’euros actuellement à plus de 80 milliards d’euros à l’horizon 2027-2028. L’effet « boule de neige » n’est donc pas loin – vous le savez, monsieur le ministre. Seuls des taux ou des niveaux d’emprunt – et donc de déficit – plus faibles nous permettront de la maîtriser.
Cette question est indissociable de celle de la crédibilité de notre trajectoire budgétaire. Les économistes qui s’étaient penchés sur la question des seuils critiques de dette publique à partir desquels la croissance du PIB et la soutenabilité de la dette sont menacées s’accordaient autour du totem de 90 %. Désormais, ils considèrent plutôt que prévaut la trajectoire de cette dette publique et, plus largement, des objectifs de déficit. Ne pas respecter la trajectoire que l’on s’est fixée constitue inévitablement un grave et important signal d’alarme pour les marchés.
Or c’est exactement ce qui s’est passé dans notre pays. Du fait de la mauvaise gestion budgétaire de la France, la dette est devenue un sérieux problème. En effet, d’une part, notre déficit est trop élevé ; d’autre part, nous ne respectons pas la trajectoire budgétaire que nous nous sommes pourtant fixée. En 2023, le déficit public s’est élevé à 5,5 % du PIB au lieu des 4,9 % initialement prévus. En 2024, au lieu de 4,4 % du PIB, comme l’a dit M. le ministre, nous dépasserons les 6 %.
C’est un mélange explosif : le dérapage des finances publiques suppose d’emprunter davantage et, depuis juin dernier, l’instabilité politique et la succession de mauvaises nouvelles, qui révèlent notre incapacité à tenir notre trajectoire budgétaire et à atteindre un niveau de déficit de 3 % du PIB en 2027, dégradent nos conditions d’emprunt. Il nous faut donc emprunter plus et dans de moins bonnes conditions, ce qui ne fera qu’accroître la charge de la dette.
Ainsi, alors que notre spread à dix ans avec l’Allemagne oscillait entre 40 et 60 points de base, il est à ce jour compris entre 60 et 80 points. Ainsi, en septembre, le taux à dix ans de la France rejoignait celui de l’Espagne, tandis que les taux à cinq ans du Portugal et de la Grèce, deux pays qui se trouvaient dans un marasme économique il y a peu, étaient inférieurs à ceux de la France. C’est dire combien la situation est préoccupante.
Le 17 juillet, une note de la direction générale du Trésor avertissait déjà le ministre et préconisait d’« éviter des hausses de programme de financement trop importantes pour pouvoir être absorbées par la base d’investisseurs sans dégradation des conditions de financement », précisant que « cette dernière contrainte risqu[ait] d’être plus forte que la contrainte européenne ».
Depuis lors, force est de le reconnaître, la situation ne s’est pas améliorée…
Cette gestion calamiteuse des finances publiques lie déjà les mains du nouveau gouvernement et liera celles des suivants : on est bien loin de la « souveraineté » prônée depuis 2017 par le Président de la République.
Évitons aussi de nous lier les mains vis-à-vis des investisseurs non-résidents, qui détiennent plus de 50 % de notre dette.
Il est donc impératif d’éviter le cercle vicieux de la dégradation des conditions d’emprunt et de la situation budgétaire, situation qu’a connue la Grèce en 2010.
Au-delà, on peut s’interroger sur notre dépendance aux marchés financiers. Si l’on ne souhaite pas se plier à leurs contraintes, se pose la question des canaux alternatifs de financement. En cas de crise, ne serait-il pas opportun de recourir à une part de financement hors marché, compte tenu notamment du niveau d’épargne des Français ? La France a déjà eu recours à de tels instruments – grand emprunt, circuit du Trésor, etc. – et pourrait les adapter aux conditions actuelles. Il s’agit d’une réflexion de longue haleine, mais gérer le présent ne doit pas interdire de penser à l’avenir en le préservant. Tel est notre devoir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Dhersin et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dire la vérité exige de reconnaître les faits tels qu’ils sont. Reconnaître que, pour la fin du deuxième trimestre de l’année 2024, la dette publique de la France s’établit à plus de 3 228 milliards d’euros selon l’Insee. Dire également que, ces sept dernières années, le taux d’endettement français a progressivement augmenté, pour atteindre 112 % du produit intérieur brut en 2024, contre 98,1 % en 2017.
Alors oui, l’état dans lequel se trouvent nos comptes publics doit nous préoccuper et faire comme si de rien n’était serait tout simplement irresponsable.
Mais dire la vérité, toute la vérité, exige aussi de contextualiser et d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés à une telle situation. Il est exact d’affirmer que le taux d’endettement français progresse, mais il faut revenir en arrière, bien avant 2017, pour en trouver le point de départ. En réalité, selon les données d’Eurostat et de Fipeco, la dette publique française, en pourcentage du PIB, n’a cessé d’augmenter depuis 2007.
Certes, il y a eu des périodes de stabilisation, entre 1997 et 2007 et de 2016 à 2019. Mais si l’on met de côté ces moments où la dette a pu être maîtrisée, force est de constater que celle-ci n’a pas connu de diminution importante depuis les années 1980. S’agissant de la dette publique brute, nous sommes ainsi passés de 21,1 % du PIB en 1980 à 110,7 % du PIB à la fin du premier trimestre de l’année 2024.
Cela ne vous a pas échappé, mes chers collègues : la dette de la France a dépassé les 100 % du PIB pour la troisième année consécutive. Mais dans quel contexte ? Celui d’une période où notre pays a dû affronter les conséquences économiques de la pandémie de covid-19, de la guerre en Ukraine et de l’inflation, trois crises majeures, différentes à bien des égards, mais qui ont eu pour point commun de créer des difficultés considérables pour notre économie, tant pour nos entreprises que pour nos concitoyens.
Alors oui, face aux risques catastrophiques qui existaient, les gouvernements successifs, sous l’impulsion du Président de la République, ont privilégié la sauvegarde et la protection de milliers d’entreprises, le maintien du salaire de millions de Français, avec une contrepartie inévitable : celle de l’endettement.
M. François Patriat. Très bien !
M. Didier Rambaud. Mes chers collègues, dire la vérité, c’est aussi se demander dans quel état serait notre économie si nous n’avions pas fait ces choix. Fallait-il moins s’endetter, au risque de voir le chômage augmenter, les faillites se multiplier et les factures d’énergie flamber davantage, comme ce fut le cas chez bon nombre de nos voisins européens ?
Certes, nous devons reconnaître que tout n’a pas été parfait. Il fallait faire vite et certaines mesures ont été prises dans l’urgence. Cependant, je suis fier d’avoir soutenu des gouvernements qui ont eu le courage de prendre des décisions difficiles, mais responsables.
Reconnaissez aussi, mes chers collègues, que cet hémicycle a bien souvent soutenu les décisions budgétaires liées à la politique du « quoi qu’il en coûte », qui était nécessaire. À l’époque, parmi vous, qui a dit que nous dépensions trop ? J’entendais même parfois que nous n’en faisions pas assez.
Cette crise étant désormais passée, nous devons maintenant relever le défi immense de la réduction de notre dette actuelle, un défi nécessaire, inévitable et, surtout, collectif.
Je constate que la notion de « responsabilité budgétaire » semble faire consensus dans nos prises de parole. J’espère donc qu’elle se traduira concrètement dans nos actes et dans nos votes, à plus forte raison lors de l’examen du projet de loi de finances à venir.
Depuis septembre 2017 et mon élection en tant que sénateur, j’ai souvent entendu, en commission, et cet après-midi encore dans l’hémicycle, des remarques et des critiques sur la gestion gouvernementale de notre dette, du déficit et, plus largement, de nos finances.
Mais n’est-il pas curieux d’avoir toujours appelé à toujours plus de rigueur budgétaire alors que d’aucuns déposent, défendent et votent des amendements au projet de loi de finances représentant plusieurs milliards d’euros de dépenses supplémentaires sans nouvelles recettes ?
Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat. Bravo !
M. Didier Rambaud. Nous n’avons pas à rougir de notre bilan. Le plan de relance et le fonds vert étaient nécessaires, et je suis fier de les avoir soutenus. S’il est un sujet que je défends, c’est la politique de l’offre menée depuis sept ans. Nous avons fait baisser le chômage, qui n’est plus un sujet, ou presque. Nous avons amorcé la réindustrialisation de notre pays et fait revenir les investisseurs. (M. le ministre délégué acquiesce.)
La semaine dernière vous avez, monsieur le rapporteur général, présenté à la commission des finances un état des lieux des comptes publics de la France, une présentation à mes yeux objective et dénuée de tonalité polémique. Cet exposé mentionnait la part dans les dépenses de l’augmentation de la masse salariale au sein de nos finances. Mais, de nouveau, je m’interroge : regrettons-nous la création de 50 000 équivalents temps plein publics entre 2017 et 2024 ?
M. Albéric de Montgolfier. Oui, nous le regrettons !
M. Didier Rambaud. Si c’est le cas, lesquels ?
M. Albéric de Montgolfier. Ceux des agences : les agences régionales de santé (ARS) ou l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ! (M. Jean-François Husson renchérit.)
M. Didier Rambaud. En ce cas, j’ose espérer que je n’entendrai plus dire, lors des questions d’actualité au Gouvernement ou de l’examen des missions budgétaires, que le compte n’y est pas et que l’on ne crée pas assez d’emplois dans la santé, la sécurité ou la justice.
Le groupe La Poste a, par exemple, annoncé une coupe budgétaire de 50 millions d’euros dans le contrat de présence territoriale qui le lie à l’État, lequel finance ses 17 000 antennes en France. Autrement dit, certains bureaux de poste communaux pourraient donc fermer. Il y a quelques minutes, j’ai appris que le Gouvernement revenait sur cette décision, mais cela illustre bien les difficiles arbitrages que devra désormais réaliser l’État face à l’impératif de réduction de la dépense publique.
Ainsi, comment réduire les dépenses publiques tout en améliorant la qualité de nos services publics ? Autrement dit, comment dépenser moins, mais aussi, et surtout, comment dépenser mieux ?
Nos concitoyens sont inquiets, exigeants, et ils veulent savoir, à juste titre, où vont et à quoi servent leurs impôts.
Dans le prolongement de vos propos en commission, monsieur le rapporteur général, puisque la situation l’exige et que les Français attendent de nous de la responsabilité, j’espère, mes chers collègues, que nous pourrons aborder collectivement l’examen du budget avec une volonté constructive et un esprit d’ouverture. Ainsi pourrons-nous voter ensemble des propositions d’économies et des mesures de justice fiscale indispensables à la réduction de notre dette publique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette publique et le déficit sont de véritables marronniers parlementaires, de vieux marronniers, même, puisque voilà cinquante ans que nous n’équilibrons pas nos comptes publics. Nous collectionnons, en la matière, les médailles d’or aux jeux Olympiques de la finance. Cocorico !
Aujourd’hui, nous abordons le sujet avec un nouveau ministre des comptes publics. L’avantage, avec un nouveau ministre, c’est que l’on peut se répéter.
Mme Nathalie Goulet. C’est mieux que de se contredire ! (Sourires.)
M. Christian Bilhac. Je m’en excuse, d’ailleurs, auprès de mes collègues… Je rappelle donc les mots pleins de sagesse de Pierre Mendès France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent. »
Dans sa déclaration de politique générale, le nouveau Premier ministre s’est engagé à ramener le déficit de la France à 3 % en… 2029. Or, en 2007, le Premier ministre d’alors, M. Fillon, parlait d’un État en faillite pour « seulement » 1 150 milliards d’euros de dette, soit 63 % du PIB, alors qu’aujourd’hui nous atteignons 3 228 milliards d’euros, soit 112 % du PIB. Je me tourne donc vers vous, car je n’ai pas trouvé, dans le dictionnaire, un mot pour caractériser cette dette abyssale…
À ce rythme, le remboursement des intérêts va bientôt devenir le premier poste de dépenses dans le budget de la France, devant l’éducation, la santé, la solidarité ou encore la sécurité. Me reviennent alors les paroles de mon professeur de droit financier, selon qui « les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain ». En la matière, les réveils sont douloureux, alors mieux vaut ne pas s’endormir…
Monsieur le ministre, vous semblez, avec le Premier ministre, vouloir prendre le problème à bras-le-corps en agissant sur les dépenses, mais aussi sur les recettes. Je m’en réjouis.
Cependant, le retour à un déficit de 3 % est programmé pour 2029… Comme je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, les lois de programmation et autres prévisions budgétaires pluriannuelles, exercices imposés pour les parlementaires que nous sommes, ne sont que rarement, voire jamais respectées, parce que les prévisions macroéconomiques sont de plus en plus aléatoires au gré des crises sanitaires ou de la géopolitique mondiale, mais surtout – surtout ! – par manque de courage et d’imagination. Ainsi, la dernière loi prévoyait cet objectif de 3 % à l’horizon 2027. Mais chacun sait, surtout les marins, que, à mesure qu’on se rapproche de l’horizon, il s’éloigne… (M. Philippe Grosvalet s’en amuse.)
Pour la France et pour nos enfants, nous devons y croire. Alors je me réfère au conseil amical de Blaise Pascal, comme le chantait si bien notre poète sétois, Georges Brassens, dans Le Mécréant :
« Mettez-vous à genoux, priez et implorez
« Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez. »
Cependant, j’avoue qu’avec l’esprit laïque qui me caractérise, même en m’employant à la génuflexion et aux prières, j’ai du mal à y croire… Car pour atteindre 3 %, ce n’est pas gagné, et même à ce taux, nous continuerons à nous endetter.
Monsieur le ministre, je vous souhaite de réussir, aux côtés du Premier ministre, avec du courage et de l’imagination pour faire, enfin, baisser la dette. Alors je formule quelques suggestions, pour prendre le taureau par les cornes : supprimez des opérateurs ! Au hasard : les ARS, l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les agences de l’eau et bien d’autres ! (Très bien ! et marques d’approbation sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.) Il y en a 493, qui coûtent 80 milliards d’euros : vous pouvez y aller ! Supprimez carrément des ministères et donnez des responsabilités aux collectivités locales en décentralisant encore plus.
Pour revenir à la dette, je rappelle que le seul responsable en est l’État, car les collectivités locales, encore récemment montrées du doigt par l’ancien ministre de l’économie et des finances, votent des budgets à l’équilibre. Je m’interroge : comment font les 30 000 maires ruraux, qui ne sont pas sortis de grandes écoles et sont assistés par une secrétaire de mairie qui, parfois, n’a pas le bac et exerce à temps partiel, comment font-ils, diantre, pour voter des budgets en équilibre alors que les ministres les plus compétents de la République, que nous voyons passer depuis cinquante ans, entourés des hauts fonctionnaires les plus diplômés, n’y parviennent pas ? Faut-il alors nommer un maire rural auvergnat ? (Rires. – Mmes Sonia de La Provôté et Évelyne Perrot applaudissent.)
Je conclus sur les paroles de Pierre Mendès France, rejoignant le Premier ministre : « Il est urgent d’agir, il ne faut jamais sacrifier l’avenir au présent. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la dette est une idée opportune, même s’il ne porte pas sur la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Je me souviens, monsieur le ministre, que nous avions imaginé ce débat annuel dans votre bureau, où vous m’aviez reçue en qualité de rapporteur de la mission « Engagements financiers de l’État ». Depuis lors, notre idée a fait son chemin et, au gré de la réforme de la Lolf, elle s’est formalisée en un débat qui nous permet aujourd’hui de parler de la dette.
« Le déficit annihile la liberté », dit notre ami l’inoxydable Jean Arthuis. Le réveil est difficile, mais prévisible, après des années de taux négatifs et leur effet totalement anesthésiant, comme l’a rappelé le rapporteur de la mission « Engagements financiers de l’État » tout à l’heure.
Or, telle sœur Anne ne voyant rien venir, les saints Thomas des finances ont persisté dans leur voie. Pourtant, notre collègue Delahaye et moi-même leur avions dit que cela ne pouvait continuer ainsi et que les taux allaient remonter.
Il a donc fallu attendre que ces taux remontent, et nous voilà aujourd’hui menottés et entravés pour un certain temps.
Monsieur le ministre, le moment est venu de vous demander qui sont exactement les propriétaires de notre dette ; c’est une question tout de même importante. Par ailleurs, comment comptez-vous gérer les engagements hors bilan, qui représentaient plus de 3 756 milliards d’euros au 31 décembre 2023 ?
Le moment est aussi venu de rappeler les positions fortes de notre groupe. Nous étions opposés à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et, en grande majorité, à celle de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle – j’ai une pensée pour Catherine Morin-Desailly, présente aujourd’hui dans l’hémicycle.
Les mesures prises en ce sens ont certes été compensées par la TVA, mais celle-ci manque à notre budget.
Notez que nous étions favorables à une taxe sur les superprofits et les rachats d’actions. Nous avions également formulé de très nombreuses propositions contre les fraudes sociale et fiscale, un sujet qui m’est cher. Nous avions ainsi suggéré la mise en place d’un dispositif empêchant l’arbitrage de dividendes, fraude qui représente tout de même 3 milliards d’euros par an – une paille !
Nous défendons également depuis plusieurs années l’encadrement des prix de transfert et bien d’autres mesures pour lutter contre la fraude sociale, dont certaines, victoire de l’optimisme sur l’expérience, sont entrées dans notre droit positif.
Reste qu’un certain nombre de problèmes persistent. On annonce cette année un déficit de la sécurité sociale de 18 milliards d’euros ; voilà un problème qu’il nous faudra prendre à bras-le-corps.
Je répète aujourd’hui ce que j’ai dit à plusieurs reprises par le passé : il n’y a pas de lien entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale. Autrement dit, un titre de séjour qui se périme ne désactive pas automatiquement les prestations sociales : c’est une porte ouverte à tous les fraudeurs. Il faut impérativement régler ce problème d’automaticité, de sorte que les prestations liées à un domicile régulier soient versées aux personnes qui résident bel et bien à un tel domicile.
Il me reste une toute petite minute pour vous dire tout le mal que je pense du versement social unique, monsieur le ministre. Le problème du non-recours, qui est bien réel, sera probablement réglé, mais il peut aussi se révéler un véritable aimant à fraudeurs. Aujourd’hui, la base des bénéficiaires est truffée de fraudeurs.
Pour rappel, 33 millions de Français ont vu leurs données de santé piratées, laissant place à des usurpations d’identité ou de compte bancaire, entre autres. (Mme Sonia de La Provôté acquiesce.)
Ce n’est vraiment pas le moment d’ouvrir une boîte de Pandore de la fraude via des versements automatisés, alors que la base des bénéficiaires n’est toujours pas apurée ! Le problème du non-recours doit évidemment être réglé, mais pas à ce prix-là, pas maintenant et pas dans ces conditions-là !
Encore une fois, un fraudeur content est un fraudeur qui revient. J’y insiste : je ne crois pas du tout qu’il faille aujourd’hui procéder à cette opération.
Pour conclure, mes collègues Michel Canévet, Sylvie Vermeillet, Vincent Capo-Canellas, Vincent Delahaye, Jean-Marie Mizzon, Bernard Delcros et moi-même serons très attentifs à vos propositions, en espérant que vous serez attentif aux nôtres, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était une fois le grand méchant loup de la dette publique. Les discours anxiogènes redoublent d’intensité dans la période récente et la préparation du budget 2025 est très tendue. À l’évidence, les gouvernements successifs cherchent non pas à faire réfléchir la population, mais à lui faire peur.
Le dernier budget équilibré de notre pays date de cinquante ans exactement : c’était en 1974. Cinquante années plus tard, le pouvoir s’est donné un budget financé pour une moitié par les impôts et les taxes, pour l’autre moitié par de la dette. Cette année, l’État va emprunter a minima 285 milliards d’euros sur les marchés financiers : un record historique.
Notez-le, 150 milliards d’euros serviront à équilibrer le budget et 135 milliards à rembourser les emprunts arrivés à terme. J’ai parfois l’impression que la République française est cliente chez Sofinco, Cetelem ou Cofidis.
Dans le même temps, nous paierons à nos créanciers la jolie somme de 55 milliards d’euros d’intérêts : ce monde marche sur la tête – ou sur la dette !
Nos gouvernants nous expliquent que nous dépensons trop, que nous vivons au-dessus de nos moyens. Pour notre part, nous avons regardé du côté des recettes et force est de reconnaître qu’il s’est passé beaucoup de choses ces dernières décennies.
Prenons l’impôt sur le revenu : en 1986, il existait quatorze tranches d’impôt, avec un taux maximal à 65 % ; aujourd’hui, nous en comptons cinq avec un taux maximal à 45 %.
En 2010, la suppression de la taxe professionnelle fut décidée, amputant nos recettes de 23 milliards d’euros. Le taux d’impôt sur les sociétés était établi à 50 % en 1986 ; il est aujourd’hui ramené à 25 % – certains envisagent même d’aller plus loin.
Entre-temps, l’imposition des dividendes a été plafonnée à 30 % via le prélèvement forfaitaire unique (PFU) et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la CVAE – impôt de production – et la taxe d’habitation ont été supprimés.
Certes, on nous explique que la TVA compensera les pertes. Toutefois, la TVA représentait 47,3 % des recettes de l’État en 2017 ; aujourd’hui, ce chiffre a chuté à 27 %. Le déséquilibre, le déficit est donc davantage dû à un problème de recettes manquantes, selon nous.
Le discours anxiogène s’accompagne aussi de propos culpabilisateurs. Nous serions l’horrible génération de profiteurs…
M. Vincent Delahaye. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. … qui s’endettent sur le dos de leurs enfants et petits-enfants. Quelle honte ! Et pourtant, c’est bien nous qui remboursons la dette !
Sur le site de l’Agence France Trésor (AFT) de Bercy, que j’ai consulté ce matin, il est indiqué que la maturité de la dette, soit sa durée de vie, est désormais de 8 ans et 173 jours exactement.
Pour les seuls intérêts, nous avons payé un peu plus de 491 milliards d’euros entre 2011 et 2022. Selon l’Insee, nous avons versé 1 350 milliards d’euros d’intérêts aux marchés financiers depuis 1979.
Combien d’enseignants, de médecins, de personnels soignants, de places de crèche, combien de places à l’université ont été sacrifiées ? Faites le compte !
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dette de la France s’établissait à 160 % du PIB, car il y avait un pays à reconstruire. Trente années plus tard, ce taux était tombé à 20 % : c’était le résultat non pas d’une politique de réduction de la dépense publique, mais, bien au contraire, d’une politique de croissance et d’investissements tant publics que privés.
Dans ces années d’après-guerre, vouées à la reconstruction, c’est la Banque de France, avec son réseau de banques partenaires, qui formait le circuit du Trésor. Celui-ci collectait l’épargne des Français et faisait des avances à l’État. C’était un système vertueux qui nous protégeait de l’emprise des marchés financiers. Or il fut démantelé progressivement au tournant des années 1970 et 1980.
Mes chers collègues, connaissez-vous le montant total de notre épargne ? Selon la Banque de France, les placements financiers de la Nation représentent aujourd’hui 6 111 milliards d’euros. N’y aurait-il pas là une piste à explorer pour inventer un autre système de financement de l’État ? Le rapporteur général lui-même y a fait référence lors de son intervention.
Enfin, je voudrais évoquer l’échelon européen. En vertu de l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la Banque centrale européenne n’a pas le droit de financer la dette des États membres.
Or, à la suite de la crise sanitaire que nous avons traversée, la BCE se trouve détenir 3 800 milliards d’euros de titres de dette publique sur les 6 800 milliards de son bilan. Elle détient aujourd’hui 25 % de la dette française. Autrement dit, la BCE s’est affranchie de ses propres règles, parce qu’il y avait le feu dans la maison économique mondiale.
N’est-ce pas le moment de poser le débat sur un rôle nouveau que pourrait jouer la BCE dans le financement des États ?
Dans les débats, on brandit souvent la menace d’une perte de confiance des marchés financiers. Je vous assure, face à l’anxiété entretenue à dessein s’affiche l’extrême sérénité de nos prêteurs.
Le débat sur la dette publique n’est pas une question budgétaire, comptable et financière ; c’est un sujet hautement politique qui est donc de nature à donner lieu à débat démocratique.
Le véritable enjeu, à nos yeux, est de se libérer de la tutelle des marchés financiers sur les États. Pour alimenter la réflexion, je souhaiterais vous lire une citation de John Adams, deuxième président des États-Unis, entre 1797 et 1801 – 1797, année marquée par la « banqueroute des deux tiers », soit la dernière fois où la France a fait défaut sur le remboursement de sa dette – : « Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation : l’une par les armes, l’autre par la dette. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er octobre dernier, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a présenté la priorité absolue de son nouveau gouvernement : « la réduction de notre double dette, budgétaire et écologique ». Nous souscrivons à ses propos : il y a en effet une double urgence.
Commençons par la dette budgétaire. Au deuxième trimestre de l’année 2024, elle s’établissait à 3 228 milliards d’euros, soit 112 % du PIB, avec un déficit public annoncé de 5,1 %, puis de 5,6 %, et qui pourrait finalement dépasser les 6 %, selon le Trésor.
Ce dont nous discutons ici, c’est surtout du bilan, d’une vision, d’une idéologie d’un homme qui l’a incarnée pendant sept ans, Bruno Le Maire, sans oublier ses complices : les ministres des comptes publics MM Attal et Darmanin, entre autres, qui redoublent aujourd’hui d’inventivité antisociale pour trouver une solution au problème qu’ils ont largement créé.
En quittant Bercy, le précédent ministre de l’économie et des finances et ses équipes nous ont laissé un bilan incomparable : 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire depuis 2017 !
Bien sûr, les soutiens du Président de la République et de l’ancien ministre ne cessent de rappeler que la période a été marquée par des crises importantes auxquelles il a fallu répondre avec de l’argent public. Ils ont raison de le rappeler, mais en partie seulement.
En effet, voyez ce que dit l’Observatoire français des conjonctures économiques : sur les 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire, la crise covid et la crise énergétique qui l’a suivie ont engendré un accroissement de dette de 458 milliards d’euros, soit moins de la moitié du total. La gabegie vient donc d’ailleurs.
De nombreux cadeaux fiscaux non ciblés, à l’efficacité douteuse et financés par la dette, ont été versés aux entreprises et aux plus aisés : voilà la méthode Le Maire !
Quand je parle d’efficacité douteuse, je me réfère aux finances publiques et à l’activité économique, car, selon un autre indicateur, les mesures prises par l’ancien ministre de l’économie ont été extrêmement efficaces, mais pour certains seulement.
Entre 2017 et 2023, le patrimoine des cinq cents plus grandes fortunes françaises a été multiplié par deux, passant de 600 à 1 200 milliards d’euros. Notre dette a donc fait quelques heureux.
Tous ces cadeaux financés par celle-ci ont eu une conséquence directe dont nous mesurons aujourd’hui les effets : moins de rentrées fiscales, moins d’argent pour alimenter des services publics qui s’en trouvent dépréciés.
On ne peut y voir qu’un cercle vicieux dont nous connaissons la justification idéologique : affamer la bête. Il s’agit de fragiliser le budget de l’État, puis, en guise de compensation, de baisser les ressources du service public, pour ensuite prouver artificiellement son inefficacité et le livrer en pâture à la prédation du secteur privé – un classique maintes fois répété à travers le monde depuis quarante ans.
Nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre. Si votre gouvernement a semblé faire le bilan des années Le Maire afin d’éviter les 6 % de déficit en proposant quelques timides hausses d’impôt çà et là – nous verrons à cet égard ce que nous réservera le projet de loi de finances à venir –, une bonne partie de l’effort va être fait sur le dos des ministères qui préparent l’avenir et les services publics.
En définitive, on change d’équipe, on change un peu de méthode, mais on ne touche pas au fond du programme.
Vient ensuite le deuxième pilier de la dette évoqué par le Premier ministre : la dette écologique. C’est sans doute le plus important, car nous parlons ici des conditions mêmes de la vie sur Terre.
Il y a bien une dette écologique, c’est-à-dire un bilan de l’activité humaine qui peut être mesuré et quantifié, notamment par le biais des émissions de gaz à effet de serre.
Depuis les débuts de l’ère industrielle, l’humanité a émis plus de 1 700 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Notez que 1 032 milliards de tonnes ont été émises par l’Europe et l’Amérique du Nord, soit les deux tiers du total ; quant à la France, elle a en a émis 39 milliards.
À titre de comparaison, la totalité des pays du continent africain, qui compte aujourd’hui 1 milliard d’habitants, ont seulement émis 51 milliards de tonnes de CO2.
Les responsabilités ne sont pas les mêmes : les populations les plus violemment affectées sont les moins responsables.
L’angle du climat n’est qu’une facette de la dette écologique ; il y en aurait bien d’autres. Combien d’espèces vivantes ont disparu ? Combien d’habitats ont été dégradés ou détruits, et avec eux les services écosystémiques qu’ils rendaient ? Combien de limites planétaires ont été dépassées chaque année de plus en plus tôt ?
N’oublions pas que cette dette n’est pas remboursable : elle se paiera cash en vies détruites, en déplacements forcés, en souffrances multiples. L’urgence absolue est d’éviter l’emballement fatal et le chaos qui suivra.
Face à l’urgence, il nous faut, nous pays occidentaux, agir et investir aujourd’hui pour la transition et l’adaptation au changement climatique.
France Stratégie réévaluait hier les besoins déjà décrits l’an dernier dans le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz : les investissements nécessaires chaque année passent ainsi de 60 milliards à 85 milliards d’euros, secteurs public et privé confondus.
L’état particulièrement dégradé des finances publiques ne doit pas nous faire dévier de cet horizon. Pour cela, au lieu de sabrer ces dépenses d’avenir, il faudra trouver des financements et des recettes, mais aussi accepter de continuer parfois à s’endetter pour assurer un avenir viable.
Dette budgétaire et dette écologique sont liées, mais elles ne font pas peser la même menace sur notre avenir. Toutefois, aujourd’hui, ce sont les deux faces d’un même problème, celui de l’accaparement des ressources et de la prédation des plus aisés. S’y attaquer doit être bénéfique à la fois au climat et à notre avenir : c’est la conviction profonde des écologistes depuis toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant remarqué que j’étais le dixième sénateur à intervenir dans ce débat, je me suis dit que j’avais peu de chances d’apporter quelque chose de nouveau et que tout serait dit avant moi. Ce fut en effet le cas.
Je poserai toutefois cette question : pourquoi tenir ce débat sur la dette aujourd’hui ? Est-ce à cause de son montant ? On le croirait en lisant la presse, qui, en criant à la catastrophe et à la banqueroute, répète que la dette atteint 3 228 milliards d’euros à la fin du premier semestre de 2024.
Si le sujet n’est autre que celui du montant de la dette, les Français n’en ont pas fini de sitôt ! Quelles que soient les décisions prises par le gouvernement actuel et ceux qui suivront, d’ici à 2029, et même bien après, malheureusement, ce chiffre va continuer à grossir.
Il est pour moi essentiel que les Français comprennent la question de la dette et saisissent son utilité comme son éventuelle nocivité. En revanche, il peut être contre-productif de les inquiéter exagérément, sauf à vouloir faire passer des mesures de redressement particulièrement impopulaires.
La dette en elle-même est-elle un gros mot ? Les Français savaient bien que les seules familles qui s’enrichissent dans notre pays sont celles qui s’endettent. Pour un État, c’est la même chose. Il y a d’ailleurs de nombreuses bonnes raisons de s’endetter : lissage des impôts dans le temps, financement d’infrastructures, renflouement des banques, soutien ponctuel lors de réformes structurelles et financement des transitions, comme cela a été rappelé à l’instant.
On nous renvoie à 1974 pour nous expliquer que la France n’était pas endettée, mais c’était une autre époque et le monde n’était pas celui que nous connaissons maintenant. En effet, il n’y a pas un seul d’État qui ne soit pas endetté aujourd’hui.
Nous devons garder à l’esprit cette question : nos enfants doivent-ils pouvoir bénéficier d’une croissance économique forte dans un pays viable – sur ce point, je vous renvoie au rapport Draghi –, ou être en difficulté dans un pays faiblement endetté ? Autrement dit, faut-il mourir sans dette ? (M. Jean-François Husson ironise.)
La qualité de la dette est un préalable. L’augmentation de plus de 12 points, entre 2017 et 2023, du ratio de dette par rapport au PIB est due pour moitié seulement aux différentes crises que nous avons traversées. Pour l’essentiel, cet écart est lié à la réduction de la fiscalité de plus de 60 milliards d’euros. De toute évidence, cette baisse aurait pu être imaginée en pleine période de crise. Or, nous l’avons dit à plusieurs reprises, ce n’était pas possible.
Il faudra donc pour partie y revenir, qu’on le veuille ou non, si l’on veut en revenir aux grands équilibres, singulièrement l’équilibre entre les dépenses à réduire et les recettes à retrouver. Il était temps de sortir de ce débat abscons de ligne rouge et de mettre enfin ce sujet sur la table.
En réalité, mes chers collègues, la dette n’est qu’un voyant, un clignotant. Seule compte la trajectoire du solde de nos comptes publics. Je vous donne donc rendez-vous dans quelques jours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais montrer au président Raynal que, même en onzième position, on peut toujours dire des choses originales ! (M. Jean-François Husson sourit.)
M. Claude Raynal. Je ne doute pas de votre talent !
Mme Christine Lavarde. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a évoqué la réduction d’une double dette, à la fois budgétaire et écologique. Depuis une heure que nous sommes dans cet hémicycle, vous avez sans doute tous compris que la dette financière et son coût pour les finances publiques sont bien connus et documentés.
La dette écologique, elle, est beaucoup plus difficile à évaluer. Pour ce faire, il convient d’observer la trajectoire d’émission et d’absorption des gaz à effet de serre. Cette dette climatique a une valeur économique calculée comme le coût des dommages engendrés par le rejet d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère et, quelle que soit la définition retenue, le prix social du carbone suit une évolution exponentielle.
Tout retard pris dans la décarbonation aujourd’hui sera payé plus cher par les générations futures. Dans une note de 2020, l’Insee évaluait, dans une approche comptable, le prix social du carbone à environ 500 euros en 2030, à 1 010 euros en 2040 et à 2 050 euros en 2050.
À l’instar de notre trajectoire financière, celle de notre dette écologique n’est pas soutenable.
Plusieurs textes engageants sont attendus : programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).
Malheureusement, je suis obligée de le dire, la dissolution ne porte pas la responsabilité de tous ces retards.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. La discussion de ces textes et du prochain projet de loi de finances sera l’occasion de mettre en avant les outils à même d’infléchir notre dette écologique. Depuis la fin de la crise des « gilets jaunes », la fiscalité carbone est devenue un sujet tabou.
Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes, après avoir constaté que la gouvernance de la fiscalité énergétique était peu orientée autour des objectifs énergétiques et climatiques, invitait le législateur à une réflexion structurante tant pour garantir l’atteinte des objectifs environnementaux que pour préserver les grands équilibres budgétaires de l’État.
L’élargissement du système européen des quotas de CO2, qui va augmenter le prix des énergies fossiles à partir de 2027 dans tout un tas de secteurs de notre économie, nous oblige à nous saisir de cette question à très brève échéance.
Réduire notre dette climatique repose sur l’électrification des usages, avec pour corollaire un développement du réseau électrique et un verdissement de la production d’électricité. Les besoins d’investissement sont colossaux : je vous renvoie aux travaux de la commission d’enquête du Sénat portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.
Il devient donc urgent de définir la place du nucléaire dans notre transition énergétique. Je le dis ici : nous ne pourrons pas nous passer du nucléaire, mais celui-ci ne sera pas une solution miracle pour autant.
L’affaiblissement du puits de carbone forestier est aussi un signal. La capacité d’absorption du CO2 en France a été divisée par près de trois entre 2005 et 2023. Nous ne pourrons pas infléchir la trajectoire de notre dette climatique sans des politiques plus volontaristes permettant d’accroître la résilience des systèmes agricoles et forestiers.
Réduire notre dette écologique nécessite un engagement financier significatif de la part de tous les acteurs. Les ménages devront réduire leur consommation d’énergie en isolant leur domicile et en adoptant des modes de transport moins carbonés.
La puissance publique a aussi un rôle à jouer. Elle devra continuer à accompagner tous ceux qui ne choisissent pas leur empreinte carbone, mais la subissent.
Quid des collectivités territoriales ? Dans un rapport de mai 2024, l’inspection générale des finances (IGF) évaluait les investissements nécessaires pour réussir la transition écologique à 21 milliards d’euros par an d’ici à 2030, soit 40 % des dépenses d’équipement des collectivités. Ce montant est cohérent avec celui du rapport Pisani-Ferry-Mahfouz de 2023, qui imputait aux collectivités locales 20 milliards d’euros sur les 60 milliards annuels nécessaires à la transition écologique.
Ce montant vient d’ailleurs d’être révisé dans une note de France Stratégie, rendue publique hier, qui évalue l’investissement national à 85 milliards d’euros, dont deux tiers d’investissements qui ne sont pas rentables sans intervention de la puissance publique.
Les collectivités ont un rôle clé à jouer face à la dette écologique. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime que 75 % des leviers pour une transition écologique réussie sont territoriaux.
Aujourd’hui, les collectivités portent déjà plus des deux tiers de l’investissement public, qu’elles financent à 80 % par de l’autofinancement. Toutefois, ce modèle de financement est mis à rude épreuve avec la hausse des charges de fonctionnement due à l’inflation et la baisse des dotations de l’État pour redresser les finances publiques.
Je reprendrai à mon compte ces mots prononcés par Christophe Béchu quand il était ministre de la transition écologique : « À partir du moment où l’on fait des investissements pour l’avenir, la légitimité d’utiliser un emprunt est forte. Elle devient absolument évidente si cet emprunt vous permet de diminuer vos charges de fonctionnement ou les dépenses que vous auriez à faire plus tard. »
Prenons l’exemple de l’éclairage public, qui représente près de 40 % des dépenses énergétiques de toutes les communes de France. Seulement 15 % des lampadaires publics utilisent aujourd’hui des LED, alors que cette technologie permet une économie d’énergie de 50 % par rapport à une ampoule classique.
L’accroissement de la dette est traditionnellement perçu comme un signe de mauvaise gestion des deniers publics et de hausse future des impôts.
La dette écologique nous oblige à changer de paradigme. La dette verte est à penser à l’aune des coûts de l’inaction climatique, largement supérieurs aux coûts de l’action.
La multiplication des aléas climatiques entraîne déjà une hausse substantielle des primes d’assurance des collectivités. La loi de finances pour 2024 permet d’ailleurs à ces dernières d’isoler leur dette verte.
Au-delà du symbole, cet outil doit permettre d’exercer un effet de levier sur l’investissement ; il doit modifier le regard des agences de notation avec une meilleure valorisation des externalités positives de cette dette ; il doit servir à recalculer la capacité de désendettement des collectivités ; il doit s’accompagner de conditions de financement de cette dette, par exemple par des prêts bonifiés.
Dans un contexte budgétaire contraint, une réflexion globale doit être menée pour permettre aux collectivités d’assurer leur rôle clé dans la transition écologique.
La fiscalité environnementale ne doit plus être un tabou, sans quoi nous n’arriverons jamais à faire coïncider transition écologique et justice sociale. Je nous invite donc tous ensemble, à la suite de Winston Churchill, à penser que « la responsabilité est le prix à payer du succès ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, non seulement la dette augmente, mais elle accélère. Il a fallu vingt-trois ans pour qu’elle atteigne 1 000 milliards d’euros, onze ans pour la faire parvenir à 2 000 milliards et seulement sept à huit ans pour l’accroître encore de 1 000 milliards.
Je ne veux pas inquiéter tout le monde, monsieur Bocquet, mais une telle trajectoire est la preuve d’une phase d’accélération.
Et si c’était de la bonne dette ? La bonne dette, c’est celle qui finance des investissements d’avenir. La mauvaise dette, c’est celle qui finance des dépenses courantes. Or c’est elle qui pèse sur nous aujourd’hui.
Alors, d’où vient-elle ? Il faut déjà se mettre d’accord sur le diagnostic si tant est que l’on veuille résoudre le problème.
À cet égard, il est dommage que la dissolution ait mis fin à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui s’intéressait à la formation de la dette.
D’où viennent les 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire constituée ces huit dernières années ? Beaucoup de choses ont été dites depuis le début de ce débat, mais tout n’a pas été dit.
Le « quoi qu’il en coûte » et les crises sanitaire et énergétique sont les facteurs d’accroissement de la dette que mes collègues ont dénoncés en premier. Or ils n’expliquent qu’un quart environ de la dette supplémentaire, soit 250 milliards d’euros.
J’en profite pour dire que tout le monde n’était pas favorable au « quoi qu’il en coûte », monsieur le ministre. Je sais que vous n’étiez pas souvent au Sénat à l’époque, mais sachez que je faisais partie de ceux qui s’y opposaient.
Apporter des aides ponctuelles est une bonne chose, pourvu qu’elles soient ciblées et de courte durée. Or le dispositif d’aides mis en place était large et s’étalait dans le temps.
L’autre quart de la dette supplémentaire provient de diminutions d’impôt qui n’étaient pas financées. Quand on réduit les impôts et qu’on supprime tout à la fois la taxe d’habitation, la redevance audiovisuelle et l’impôt de solidarité sur la fortune sans baisse de dépenses correspondante, on endette forcément la France.
La moitié de dette supplémentaire restante est liée aux retraites. Alors que je suis le douzième sénateur à m’exprimer depuis le début de ce débat, je n’en ai pas entendu un mot.
Les retraites expliquent la moitié de notre déficit annuel. Cette année, nous aurons à payer un déficit induit de 75 milliards d’euros.
Si l’on n’aborde pas la question autrement que de manière démagogique, on n’arrivera jamais à régler le problème.
Quand certains proposent de revenir sur la réforme des retraites, ce qui aura pour effet d’alourdir encore la charge de la dette, c’est de la démagogie. Je sais bien que chacun fait attention au vote des retraités, mais à un moment donné, il faut dire la vérité. Je regrette que personne, ici, n’ait parlé des retraites ; il faudra en parler si l’on veut résoudre le problème du déficit et de l’endettement.
Je suis l’auteur d’un ouvrage qui s’intitule Les vertus de l’équilibre : l’anti « quoi qu’il en coûte », que personne n’a lu ici (Sourires.),…
M. Michel Canévet. Si !
M. Vincent Delahaye. Ah ! Merci Michel Canévet ! (Mêmes mouvements.)
Je crois aux vertus de l’équilibre parce que les pays qui sont en équilibre budgétaire et qui ont un endettement raisonnable me semblent se porter beaucoup mieux que le nôtre. Il est important d’aller dans cette direction, et pour cela, il faut dépenser moins.
Monsieur le ministre, nous serons très attentifs à vos propositions de réduction de la dépense. Nous vous avons déjà fait des propositions d’économies et nous vous en ferons d’autres, même si elles ne seront pas forcément acceptées par tous.
Nous souhaitons en finir avec les baisses d’impôt qui ne sont pas financées par une baisse de dépenses correspondante. Nous souhaitons aussi que l’on arrête de faire des retraites un totem, en disant qu’il ne faut pas y toucher. À un moment donné, il faut que tout le monde s’y mette et que les mesures touchent l’ensemble de la population ; sinon, nous n’arriverons pas à redresser les finances publiques.
Tel est le fond de ma pensée. Je me montrerai constructif dans les débats, mais je serai aussi exigeant, comme je l’ai toujours été. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous venons de bien résumer en une heure la nature éminemment politique du débat sur la dette publique. Nous avons abordé un certain nombre de sujets techniques – il était bien normal de le faire –, mais nous avons surtout démontré à quel point ce débat relevait de la politique d’hier, et parfois des toutes dernières années, comme l’ont clairement montré nos discussions sur l’origine de l’endettement public actuel.
Notre débat a également porté sur la situation actuelle : que faire de la dette et quelle est sa soutenabilité ?
Surtout, nous avons anticipé à juste titre sur des questions liées au projet de loi de finances, qui sera examiné dans quelques jours : que faire aujourd’hui des déficits publics de notre pays et que faire demain de notre dette ?
Dans ce triptyque hier-aujourd’hui-demain, les positions de chacun se résument assez bien, telles qu’elles se dégagent de vos différentes interventions.
Vous avez posé la question de savoir si nous allions changer de politique, pour reprendre la manière dont vous avez présenté les choses. J’ai cru comprendre que Vincent Delahaye n’était pas pour le « quoi qu’il en coûte ». Toutefois, sans faire d’idéologie – car je peux changer d’avis et n’en fais pas un principe –, je considère que la baisse de la fiscalité depuis 2017 est directement à l’origine de l’attractivité de notre pays, de sa capacité de réindustrialisation, ainsi que du développement des investissements internationaux et de l’emploi industriel. Vous pouvez estimer que le coût est trop élevé pour le résultat, mais vous ne pouvez pas nier que les investissements se font parce que nous avons rendu notre pays plus compétitif et que l’investissement est devenu plus rentable en France grâce à la baisse de la fiscalité. Et ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres.
Faut-il pour autant être totalement inflexible quant à la politique fiscale de notre pays ? Non. J’en veux pour preuve que, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, nous proposerons la mise en place de contributions exceptionnelles sans pour autant vouloir casser ou freiner cette politique d’offre et d’attractivité qui a porté ses fruits, comme je le crois profondément.
Cela dit, il serait erroné de croire que la baisse de la fiscalité a été à elle toute seule à l’origine de l’endettement que nous connaissons aujourd’hui. En effet, les 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaires sont d’abord et principalement liés à la hausse de la dépense publique (M. Jean-François Husson approuve.). Certes, il s’agissait de faire face à la crise, mais cette hausse de la dépense publique comprend également une part structurelle, comme je l’ai dit lors de la discussion générale.
Il ne faut pas s’en cacher non plus, certaines mesures qui faisaient consensus ont été prises pendant la crise et surtout pendant la période de relance. On peut citer le Ségur de la santé ainsi qu’un certain nombre d’autres mesures de financement massif. Mais avec quoi a-t-on financé ces programmes ? Pour dire les choses clairement, c’est là qu’est la difficulté, car on les a financés grâce à des taux d’intérêt négatifs de sorte que, en réalité, on ne les a pas financés.
Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec une part de dépense publique nécessaire pour financer les services publics, et je crois que personne ne remettra en question l’argent supplémentaire dépensé pour les salaires des enseignants ou pour le Ségur de la santé. En revanche, il nous faut trouver des financements si nous voulons maîtriser le déficit public chronique et en augmentation de notre pays, puisque c’est bien par de la dette et du déficit que ces dépenses ont été financées jusqu’à présent.
Quant à la dette d’aujourd’hui, il faudra en effet nous poser la question de la composition des déficits, et c’est même essentiel. Nous ne pouvons pas ignorer l’éléphant au milieu de la pièce qu’est la dette sociale, absolument colossale, dès lors qu’il est question du déficit public français.
La dette est-elle soutenable ? Nous avons sans doute oublié de rappeler dans ce débat le rôle massif de la Banque centrale européenne pendant les dernières années, c’est-à-dire depuis la crise des subprimes jusqu’à 2022, avec la politique de quantitative easing, qui a bien évidemment été la raison numéro un non seulement du resserrement des spreads, mais aussi du refinancement à taux quasi nul, voire négatif, de notre dette.
En effet, le fait que le quantitative easing ne soit plus d’actualité, parallèlement à la remontée des taux d’intérêt, change absolument tout dans le regard que l’on porte sur la dette actuelle.
En ce qui concerne le cantonnement de la dette, rappelez-vous les débats que nous avions eus sur le sujet. La question de savoir s’il faut cantonner la dette peut être intéressante, car c’est précisément ce que nous faisons pour la dette sociale que nous remboursons à travers la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Il y a aussi eu des initiatives pour la dette d’État, à hauteur d’à peu près 250 milliards d’euros, que nous remboursons par les fruits de la croissance chaque année. Cela fait l’objet d’un programme budgétaire spécifique. Faut-il donc cantonner la dette quand on sait la refinancer ? Je livre cette interrogation à votre sagacité, mais personnellement je ne suis pas convaincu qu’il faille toujours le faire.
Quelle trajectoire devons-nous suivre pour la dette de demain ? Vous avez eu raison d’évoquer ce sujet et vous l’avez bien fait.
Quel avenir pour la dette écologique, qui est la deuxième urgence après la dette financière ? Je crois que nous pouvons tous, ici, reconnaître qu’au cours des dernières années, jamais la dette écologique n’a été sacrifiée sur l’autel de la dette financière. Preuve en est, les crédits ont chaque année augmenté. Ce sera encore le cas dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, vous le verrez. Jamais l’investissement public dans la transition écologique, avec le concours d’ailleurs des collectivités territoriales, n’a été aussi élevé.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devrons faire des choix forts pour le redressement de nos comptes publics. Je suis sûr que, ici, au Sénat, vous ferez beaucoup de propositions complémentaires pour baisser la dépense publique, ce qui sera probablement la clé du problème.
N’oublions jamais que, si le niveau de notre déficit public est aussi important, c’est d’abord parce que nous avons dépensé plus et non pas parce que nous avons reçu moins. Il faudra donc que la baisse de la dépense publique soit une priorité absolue et que nous nous accordions au moins sur ce constat.
Tout comme M. Bilhac, je finirai mon propos en citant Pierre Mendès France : « Un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne. » Je crois que nous aurons largement l’occasion d’en débattre ensemble dans les prochaines semaines et les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Michel Canévet, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux remercier l’ensemble des groupes qui ont apporté des contributions tout à fait intéressantes, soulevant plusieurs interrogations. Ainsi, Albéric de Montgolfier constate que nous sommes devenus le mauvais élève de l’Europe ; Florence Blatrix Contat se demande si la France se trouve au bord du gouffre ; Emmanuel Capus craint que la croissance de la dette ne menace notre souveraineté ; Christian Bilhac affirme que les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain ; Éric Bocquet suggère que l’on marche sur la tête et sur la dette ; Claude Raynal se demande pourquoi nous tenons ce débat aujourd’hui ; quant à Vincent Delahaye, il décrit une dette qui augmente et qui accélère.
À cette dette financière que nous avons longuement évoquée, il faut ajouter la dette écologique. Christine Lavarde et Thomas Dossus en ont largement parlé, annonçant notamment les investissements qui seront nécessaires pour y faire face.
Pourquoi est-il donc nécessaire de maîtriser notre dette financière ? Tout simplement parce que les besoins sont importants pour que la France puisse répondre aux enjeux du monde de demain. Il nous faut dégager des marges de manœuvre et cela sera particulièrement difficile.
Pour quelle autre raison faut-il maîtriser notre dette ? Tout simplement parce que nous avons pris, au niveau européen, l’engagement de respecter un certain nombre de critères. En 2017, nous étions le sixième plus mauvais élève de l’Europe ; or nous sommes devenus le troisième plus mauvais élève. Est-il acceptable de continuer ainsi ? Non, bien sûr, ce n’est pas possible.
Certes, les crises se sont succédé, mais, comme l’a dit Vincent Delahaye à l’instant, l’évolution récente de la dette ne peut être imputée aux crises que pour un quart, un autre quart étant lié à la hausse de la dépense publique sans oublier les retraites, qui constituent un fardeau dont il faudrait pouvoir s’alléger.
Tout cela représente une contrainte forte, qui déterminera l’examen du budget. Le Sénat sera en mesure de faire des propositions. Jean-François Husson, le rapporteur général, ainsi que l’ensemble des rapporteurs spéciaux ont déjà eu l’occasion d’en formuler de nombreuses. Nous espérons que la parole du Sénat sera enfin entendue cette année.
M. Jean-François Husson. Ce serait bien !
M. Michel Canévet. C’est absolument nécessaire, car le Sénat, si on l’écoute, apportera une partie des réponses aux problèmes qui se posent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
Nathalie Goulet a suggéré quelques pistes, qui concernent notamment la fraude fiscale, tout comme Aymeric Durox. Toutefois, l’impact financier des mesures proposées sera trop limité pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Certains de mes collègues considèrent qu’il n’est pas forcément inintéressant de s’endetter. Claude Raynal a ainsi expliqué que les familles qui s’enrichissaient étaient celles qui s’endettaient. Certes, mais encore faut-il veiller à ce que l’endettement soit réellement productif.
Les collectivités territoriales ont l’obligation de présenter des comptes à l’équilibre. Il faut que l’État le fasse aussi, de manière que l’on puisse individualiser très précisément les dépenses d’investissement pour lesquelles un recours à l’emprunt peut être justifié et surtout sortir de la spirale de l’endettement issue des dépenses de fonctionnement excessives. Il n’est absolument pas possible de continuer dans cette voie.
Il faut aussi prendre en compte la question des prêteurs. Le Japon a un taux d’endettement public bien plus élevé que le nôtre, à hauteur de 255 %. Mais la différence, c’est que la dette japonaise est détenue par la banque centrale du Japon. En outre, les taux d’intérêt sont nuls. La dette ne pèse donc pas sur le budget de l’État japonais.
Comme le rapporteur général l’a suggéré, un grand emprunt serait peut-être le moyen de mieux juguler la charge des taux d’intérêt qui, si nous continuons dans la voie où nous sommes, finira par grever totalement notre capacité d’agir. Cette charge passera en effet de 50 milliards d’euros à plus de 80 milliards d’euros d’ici à deux ans. Soyons donc attentifs et gardons à l’esprit que plus nous consacrerons d’argent aux intérêts de la dette, moins nous aurons la capacité de répondre aux besoins de nos concitoyens qui, vous le voyez bien, restent particulièrement importants.
Nous entendons la proposition du Gouvernement qui consiste, comme le souhaite Claude Raynal, à ce que l’effort se traduise pour deux tiers en économies et pour un tiers en recettes supplémentaires. Mais, monsieur le ministre, il faudra trouver où faire des économies et le Sénat sera là pour répondre à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la croissance de la dette publique de la France.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures douze, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Crise agricole
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « La crise agricole. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande du débat dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est un secret pour personne, l’année agricole 2023 avait été relativement favorable pour le revenu des agriculteurs de notre pays. Le cours des céréales, du porc et, dans une moindre mesure, du lait étaient plutôt porteurs, les récoltes étaient globalement bonnes et la France n’avait pas été parcourue par un épisode de sécheresse majeur comme l’année précédente.
Et c’est pourtant cette année plutôt prospère que les agriculteurs ont choisie pour se révolter, pour retourner les panneaux dans les villages afin de nous expliquer que l’on marchait sur la tête, pour se rassembler à des points de blocage sur les routes, pour protester devant les administrations de l’État, les préfectures ou l’Office français de la biodiversité. Comment expliquer ce paradoxe ?
Il y a bien certaines circonstances : l’épidémie de maladie hémorragique épizootique (MHE) dans le Sud-Ouest, les règles contre-productives sur les prairies temporaires devenant prairies permanentes au bout de cinq ans dans les régions herbagères, les retards chroniques du versement des aides de la politique agricole commune (PAC), partout en France, et la contagion à toute l’Europe d’une protestation née en Allemagne et en Europe de l’Est.
Mais, au fond, je crois que c’est Tocqueville qui nous donne les clés de compréhension les plus fines. En effet, dans son essai L’Ancien Régime et la Révolution, il montre que les révoltes éclatent souvent dans les périodes prospères, comme celle qui a précédé la Révolution française : « Un peuple qui avait supporté sans se plaindre, et comme s’il ne les sentait pas, les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. »
Les économistes savent bien que la crise, ce n’est pas le point bas, mais, au contraire, le point haut ; c’est le retournement, le point de bascule. Les agriculteurs, avec leur bon sens paysan, pressentaient le retour à la réalité et les difficultés du lendemain devant lesquelles ils sont maintenant.
L’année agricole qui se termine n’a pas démenti leur pressentiment : elle a été calamiteuse et a même été, sans doute, l’une des plus mauvaises depuis plusieurs décennies.
Les rendements moyens en blé tendre sont en baisse de 17 % : sans les aides de la PAC, nos céréaliers auraient enregistré des pertes de 550 euros à l’hectare.
En viticulture, la déconsommation et les difficultés liées à l’abondance des pluies, au gel et au mildiou ont, cette année encore, accentué les pressions sur la production.
Dans l’élevage, où la conjoncture n’est pourtant pas si mauvaise, la multiplication des crises sanitaires a causé des pertes non seulement directes, mais aussi indirectes, telles que la fièvre catarrhale ovine (FCO) pour les ovins et les bovins, la MHE pour les bovins, sans oublier l’influenza aviaire, qui a continué de sévir cette année.
Enfin, plus récemment, les producteurs de lait ont été abandonnés par Lactalis dans certains territoires laitiers.
Si l’on suit l’adage de Tocqueville, après cette année moins prospère, il n’y aura peut-être pas de révolte agricole cet hiver – peut-être ! Mais est-ce une raison valable pour oublier les revendications légitimes formulées par les agriculteurs l’hiver dernier ? Le Gouvernement peut-il se permettre, l’orage passé, de remiser au grenier les engagements qu’il a pris au printemps dernier ? La réponse est non, et résolument non.
Dans l’euphorie des soixante-deux engagements du gouvernement précédent, on pourrait croire que le plus dur est fait et que le monde agricole a été entendu.
Dans le même temps, la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne ont su faire amende honorable, en temporisant sur le Pacte vert et en adaptant certaines bonnes conditions agroenvironnementales (BCAE), sur les prairies ou sur les jachères, ce dont nous nous sommes félicités le 9 avril dernier dans une proposition de résolution européenne du groupe de suivi de la PAC, commun aux commissions des affaires économiques et des affaires européennes du Sénat.
Mais il est un principe bien connu qui dit que c’est à la fin de la foire qu’on fait le décompte. Cela doit vous être familier, madame la ministre, puisque les comices agricoles sont nombreux dans votre région. Or si l’on fait le décompte de ce qui n’a pas été obtenu, ou du moins pas encore, il reste beaucoup à faire.
Je citerai quatre chantiers.
Premièrement, les prêts garantis, que j’ai proposés dans le dernier projet de loi de finances, ne sont toujours pas devenus réalité, même si le Premier ministre les a une nouvelle fois promis, vendredi dernier, depuis le sommet de l’élevage. Dans un contexte où les taux d’intérêt sont encore élevés et où les besoins d’investissement de la ferme France sont considérables, je crois qu’il s’agit d’une mesure prioritaire pour notre agriculture.
Deuxièmement, la réflexion que le Gouvernement avait lancée sur les lois Égalim est restée en suspens après la dissolution. Or plusieurs dispositifs arrivent à échéance l’année prochaine et la place des indicateurs de coûts de production n’est toujours pas définie, alors que nous sommes à la veille de la date où les industriels doivent envoyer leurs conditions tarifaires. C’est une question centrale à laquelle il est nécessaire d’apporter une réponse.
Il nous faut avancer rapidement sur ce dossier si nous voulons maintenir des entreprises, notamment de taille petite ou moyenne, dans l’ensemble des territoires. Avec ma collègue Anne-Catherine Loisier, au sein du groupe de suivi des lois Égalim, nous travaillons sur des propositions d’amélioration du cadre existant.
Le troisième chantier est de taille. Le Premier ministre Michel Barnier a promis une « pause sur les normes ». Nous avions organisé ici, au Sénat, un débat, en février dernier, sur l’avenir de notre modèle agricole. J’avais été amené à prendre la parole et j’avais alors souligné que, « à cause des carcans administratifs, une vache n’y retrouvait plus son veau », selon une expression bien paysanne. Cette pause est donc salutaire, mais il reste à en définir les contours. En effet, madame la ministre, votre gouvernement n’est pas le premier à nous faire cette promesse.
Je voudrais là encore citer Tocqueville, qui rappelait cette évidence : « Rien n’est plus superficiel que d’attribuer la grandeur et la puissance d’un peuple au seul mécanisme de ses lois ; car, en cette matière, c’est moins la perfection de l’instrument que la force des moteurs qui fait le produit. »
Le moteur de notre agriculture, en effet, c’est d’abord l’esprit d’entreprise et d’innovation de nos agriculteurs, de nos entreprises agroalimentaires et de nos coopératives. Ce ne sont pas les normes qui font pousser les choux, ce ne sont pas les normes qui font pousser les carottes, ce ne sont pas les normes qui font pousser les céréales, ce ne sont pas les normes qui nourrissent les vaches ! Bref, ce ne sont pas les normes qui remplissent l’assiette des Français.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Daniel Gremillet. Quatrièmement, pour finir sur une thématique qui me tient particulièrement à cœur et qui nous permettra de regarder vers l’avenir, la proposition de règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NTG) n’a pas pu aboutir avant la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne : c’est bien dommage. Dans une proposition de résolution transpartisane du 20 mars dernier au nom de la commission des affaires européennes, Jean-Michel Arnaud, Karine Daniel et moi-même réaffirmions la nécessité de s’appuyer sur les biotechnologies pour adapter nos cultures au changement climatique et renforcer la résilience des chaînes alimentaires, tout en nous opposant à la brevetabilité de ces végétaux et en appelant à plus de transparence en aval.
Madame la ministre, nous savons tous que c’est là notre dernière chance de maintenir l’indépendance des semenciers dans notre pays, enjeu dont dépend l’avenir de notre agriculture.
Nous espérons que la prochaine PAC redonnera toutes ses lettres de noblesse à l’acte de production.
Lors du débat de février dernier, j’avais souligné que l’agriculture française avait avant tout besoin d’un chemin et de perspectives. Voilà modestement les quelques idées que j’ai pour lui en redonner. Mais, madame la ministre, il importe surtout de redonner envie à notre jeunesse de s’installer en agriculture ; il importe surtout de faire confiance aux femmes et aux hommes qui font l’agriculture dans nos territoires et dans nos villages et de leur rendre une capacité décisionnelle pour qu’ils retrouvent l’esprit d’entreprendre. C’est ainsi que nous permettrons à la France de garantir sa souveraineté alimentaire et que nous aurons l’assurance de bien vivre dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas sans une certaine émotion que je monte aujourd’hui à la tribune du Sénat, où je m’exprime pour la première fois, en qualité de ministre de surcroît.
Je veux commencer par vous remercier, cher Daniel Gremillet, des propos que vous avez tenus, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir.
Je vous remercie également, mesdames, messieurs les sénateurs, de cette invitation à débattre devant la Chambre haute sur la crise que traverse notre agriculture et, par là même, sur l’avenir de la ferme France.
En plaçant ce débat en tête de l’ordre du jour de la nouvelle session ordinaire après celui, essentiel, sur la dette publique, le Sénat a envoyé un signal fort au monde agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous jouez encore une fois votre rôle de lanceur d’alerte reconnu par tous les professionnels agricoles. Sur la compétitivité de la ferme France, sur les limites du cadre législatif Égalim, sur le mal-être des agriculteurs, sur les sujets forestiers, la Chambre haute a toujours visé juste lorsqu’il s’agissait d’alerter sur le sort des territoires et, surtout, sur celui des femmes et des hommes qui les font vivre et les façonnent.
Élue de terrain, c’est avec cette méthode sénatoriale, si je puis dire, que je souhaite travailler en lien quotidien avec les élus locaux, les députés et vous-mêmes. C’est un véritable pacte de travail que je vous propose aujourd’hui : l’agriculture a besoin de toutes les forces vives pour sortir de la crise.
Car la crise qu’elle traverse est très profonde. J’ai été frappée de constater, en prenant mes fonctions, que la quasi-totalité des filières agricoles connaissent des difficultés. En grandes cultures, la dernière récolte de blé est la pire depuis près de quatre décennies. Dans l’élevage, les risques sanitaires croissent et s’alimentent mutuellement. La production viticole souffre tant de la mutation rapide de la structure de la demande que d’aléas climatiques toujours plus fréquents. Nos industries agroalimentaires connaissent des risques de restructuration. Les problèmes sont partout.
À ces difficultés s’ajoute le fait que les agriculteurs ont le sentiment que les promesses qui leur ont été faites l’hiver dernier n’ont pas encore été tenues.
J’ai bien conscience de la gravité de la situation et je ne m’y résous pas. C’est pourquoi le Premier ministre et moi-même avons souhaité agir immédiatement.
Nous avons fait plusieurs annonces, au sommet de l’élevage, sur la fièvre catarrhale ovine et je suis sûre que nous en reparlerons au cours de ce débat. Des garanties ont, en outre, été apportées pour accélérer l’indemnisation des pertes des éleveurs liées à d’autres maladies vectorielles, comme la maladie hémorragique épizootique.
S’agissant de la viticulture, dans la lignée de mon prédécesseur, j’ai obtenu que l’Union européenne valide un dispositif d’arrachage définitif pour un montant de 120 millions d’euros. C’était une demande majeure des filières et je crois qu’il faut s’en féliciter. Cette mesure s’accompagnera d’un plan d’avenir, car il faut voir plus loin que le seul arrachage, dont on ne peut se satisfaire en soi.
Je travaille résolument afin de proposer très vite des solutions concrètes aux problèmes de trésorerie des agriculteurs après la récolte catastrophique de cet été. Et je veillerai à ce que, lors de nos débats sur le projet de loi de finances dans les prochains jours, les engagements fiscaux et sociaux pris par le Gouvernement l’hiver dernier soient tenus.
Le monde rural nous regarde et ses attentes sont grandes. Je serai donc au rendez-vous. Ces actions sont des urgences vitales, qui permettront de répondre à la crise agricole.
Cela étant, sortir l’agriculture de la crise, c’est aussi lui donner un objectif clair, un cap, une vision sans laquelle nous ne pourrons motiver les jeunes et leur donner envie de s’engager dans les métiers agricoles.
Le débat qui nous rassemble aujourd’hui est aussi une manière de discuter ensemble de cette vision. C’est aussi la raison pour laquelle il est essentiel.
Nous avons déjà identifié les grands défis que le monde agricole doit relever, notamment grâce à l’ensemble des travaux parlementaires menés ces dernières années.
Le premier défi est celui du renouvellement des générations en agriculture, comme M. le sénateur Gremillet l’a rappelé. Avec près d’un agriculteur sur deux âgé de plus de 55 ans, le renouvellement n’est pas assuré et le nombre d’exploitations, qui baisse de façon dramatique depuis vingt ans, continue de décroître.
Le métier n’attire pas toujours suffisamment et la détresse pointe parfois. Trois des principales causes de cette situation ont été rappelées avec force par les agriculteurs : le revenu, la surcharge administrative et le manque de considération.
Pour ce qui est du revenu, nous relancerons, dans les semaines à venir, les réflexions sur l’évolution du cadre législatif décliné par les lois Égalim.
Nous réfléchissons actuellement avec la secrétaire d’État chargée de la consommation, l’une de vos anciennes collègues, Laurence Garnier, à la meilleure façon de poursuivre notre travail à vos côtés sur ce sujet. Cette évolution se fera, bien entendu, en lien avec le groupe de suivi de la commission des affaires économiques piloté par Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier.
La surcharge normative est une problématique qui intéresse beaucoup d’entre vous – je pense notamment au sénateur Duplomb. En la matière, comme je l’ai rappelé dès ma prise de fonction, l’exploitant agricole est avant tout un chef d’entreprise. Il faut le dire et le redire, l’activité agricole revêt évidemment une dimension économique ; il ne faut jamais l’oublier.
Ma mission est de faire en sorte que l’agriculteur passe plus de temps dans les champs que derrière un ordinateur. Or la plupart des agriculteurs croulent aujourd’hui sous les démarches administratives. Comme l’a déclaré le Premier ministre, l’heure est à la pause sur les normes.
Il faut également redonner du bon sens à la réglementation : comment expliquer à un agriculteur qu’il ne peut pas engager des travaux d’épandage, car il a dépassé la date fixée dans un texte pris à Paris, alors qu’il ne cesse de pleuvoir depuis plusieurs semaines ? C’est un point sur lequel le Premier ministre est revenu à ma demande, ce dont je le remercie.
Voilà toute la philosophie de l’action de ce gouvernement : des solutions rapides aux problèmes concrets.
Enfin, il reste un travail fondamental à mener sur le manque de considération envers le monde agricole.
Je veux le dire clairement à toutes les agricultrices et tous les agriculteurs : l’agriculture représente un intérêt général majeur. Oui, il est primordial de rappeler que la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux, une déclaration de principe que le Sénat avait proposé d’inscrire dans la loi dès 2023.
L’Assemblée nationale a ensuite réalisé un travail précis pour enrichir ce concept, qui a été adopté dans le cadre du projet de loi d’orientation agricole.
Certes, un tel texte n’apportera pas de réponse à tous les problèmes de l’agriculture – vous et moi en sommes conscients –, mais il comporte des avancées essentielles. Ces mesures très attendues doivent entrer en vigueur. C’est pourquoi je propose que ledit projet de loi soit examiné très prochainement au Sénat.
Aux côtés des rapporteurs du texte, Laurent Duplomb et Franck Menonville, je sais d’emblée que les travaux seront ancrés dans la réalité du terrain. J’en profite pour saluer aussi la qualité des travaux conduits par les rapporteurs pour l’Assemblée nationale.
Bien sûr, ce texte n’est pas suffisant. Il pourra être complété par d’autres textes, le cas échéant sur votre proposition – je suis prête à y travailler avec vous.
Nous devrons ensuite répondre ensemble aux défis du temps long.
Face au réchauffement climatique, nous devons dès aujourd’hui penser l’agriculture de demain avec nos voisins européens.
En matière de souveraineté alimentaire, les chiffres sont très préoccupants. D’un côté, nous nous apprêtons à connaître une très mauvaise année 2025 en matière d’exportations – je pense, bien entendu, aux exportateurs de lait et de cognac – ; de l’autre, les Français consomment des produits importés sans même le savoir.
Nous ne devons jamais transiger avec la protection de nos filières. Il y va de notre souveraineté. Aussi faudra-t-il lutter contre les nombreuses distorsions de concurrence dont souffrent nos producteurs. Je soutiendrai à ce titre le projet européen d’instituer des clauses miroirs envers les États tiers qui choisissent le dumping. Nous aurons besoin pour cela d’une action internationale résolue et ferme, ainsi que du soutien de nos partenaires européens.
Monsieur le sénateur Gremillet, vous avez abordé la question des nouvelles techniques génomiques : c’est un point sur lequel il faudra revenir. La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre constituera une aide précieuse, car c’est un parfait connaisseur des arcanes de l’Union européenne.
Pour relever tous ces défis et répondre aux attentes du monde agricole, notre travail commence dès aujourd’hui et se poursuivra dans les mois à venir.
En conclusion, sachez que ma porte sera toujours ouverte pour quiconque souhaitera faire progresser notre agriculture. J’aurai le plaisir de répondre à vos questions dans le débat qui va s’engager. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Michel Masset applaudit également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Madame la ministre, comme Daniel Gremillet l’a très bien exposé, nos paysans, qui ont manifesté en début d’année, vont aujourd’hui encore plus mal. Ils ont un besoin urgent de trésorerie ! Aussi, j’espère a minima que l’Agence de services et de paiement (ASP) sera au rendez-vous le 15 octobre prochain pour que soit payé l’acompte de nos primes PAC. Vous le leur devez d’autant plus aujourd’hui !
Sans compter que la crise n’est pas seulement conjoncturelle : elle est structurelle, comme l’ont très bien compris et, du reste, écrit mes excellents collègues Laurent Duplomb et Sophie Primas dans leurs rapports sur la compétitivité de la ferme France.
Fiscalité, main-d’œuvre et surréglementation doivent être adaptées ; à défaut, il faudra augmenter les aides directes européennes. La Commission européenne l’a-t-elle vraiment compris ?
L’Europe se montre aujourd’hui tellement naïve : j’ai l’impression que nous échangeons notre préférence communautaire contre des produits importés à bas prix, des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou d’autres produits interdits depuis plus de vingt ans en France… Ainsi, l’Union européenne négocie un accord de quasi-libre-échange avec l’Ukraine, qui ne comporte ni droit de douane ni clause miroir ! Pire, elle affiche sa volonté de signer un accord d’association avec le Mercosur en fin d’année.
Madame la ministre, la France aurait-elle changé de position depuis les annonces du Président de la République et les engagements du Premier ministre en début d’année ? Allez-vous enfin renverser la table et sauver la souveraineté agricole ? (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Vincent Louault, je vous remercie de votre question.
S’agissant des avances sur les aides de la PAC, dont le paiement est attendu au 16 octobre prochain, je tiens à vous rassurer sur trois points.
Concernant les délais de paiement d’abord, un bilan précis est dressé chaque semaine par mon directeur de cabinet : aucune alerte n’est à signaler à cette heure, mais mes services sont prévenus. Je mets un point d’honneur à ce que cette échéance soit respectée.
Sur les montants unitaires ensuite, les arrêtés ont été publiés – les derniers l’ont été ce matin. Ceux-ci sont globalement supérieurs ou égaux à ceux qui ont été versés à la même échéance en 2023 ; nous notons un léger effet de vase communiquant entre aides couplées, comme le prévoyait le plan stratégique national (PSN).
Enfin, au vu du contexte que nous connaissons, et comme je l’ai annoncé à Cournon-d’Auvergne, le taux de l’avance sera porté à 70 % pour le premier pilier et à 85 % pour l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN), soit le niveau maximum prévu par la réglementation européenne.
Tout est fait pour que nous soyons au rendez-vous des versements tant attendus dans le contexte actuel – et j’ai bon espoir que nous y parvenions.
Monsieur le sénateur, vous me parlez de l’Ukraine. L’ouverture du marché européen a été pensée dans une logique de soutien à ce pays, mais elle a effectivement affecté les filières du blé, de la volaille et du sucre, et a conduit à l’importation de produits ne respectant pas les standards sanitaires de l’Union européenne.
Pour rappel, cet accord a été reconduit jusqu’en juin 2025. Un accord de libre-échange est en cours de négociation : il intégrera notamment les exigences sanitaires. Il n’y aura pas de réouverture du marché européen sans l’application des standards continentaux, et ce pour éviter toute concurrence déloyale. Cette expérience doit nous inciter à faire de l’origine un facteur de différenciation visible de nos produits.
Enfin, vous avez parlé du Mercosur. L’Union européenne et le Mercosur ont en effet conclu un accord de principe en 2019 pour créer une zone de libre-échange. Cependant, l’accord n’a pas été ratifié, et la France, comme vous le savez, n’y est pas pour rien. À titre personnel, je fais partie d’un groupe politique qui a toujours dénoncé un tel accord – je ne vais donc pas changer d’avis aujourd’hui.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Nous allons poursuivre ce travail sur l’approbation des clauses miroirs avec l’Union européenne, afin de protéger les consommateurs et nos producteurs.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour la réplique.
M. Vincent Louault. Madame la ministre, j’ai insisté sur la souveraineté agricole, et non sur la souveraineté alimentaire que l’on nous propose. C’est en fait totalement différent. Toute la nuance tient aux importations : on peut ainsi très bien imaginer une souveraineté alimentaire européenne grâce aux importations de tous les États membres.
Je m’en tiendrai durant le reste de nos débats, ainsi que lors de l’examen du projet de loi d’orientation agricole au Sénat qui, je l’espère, n’aura pas lieu au mois de janvier, à ce concept de souveraineté alimentaire. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Monsieur le sénateur, j’entends ce que vous dites.
Hier, l’ancienne présidente d’une formation syndicale m’a expliqué que, lorsqu’elle avait commencé à parler de souveraineté alimentaire au niveau de l’Union européenne, les gens l’avaient regardée éberlués, y voyant là un repli nationaliste. Cette notion s’est néanmoins progressivement imposée dans le débat et elle est devenue fondamentale.
Aujourd’hui, la France n’est plus autosuffisante, ce qui pose une réelle difficulté à un moment où l’on s’aperçoit que l’alimentation est devenue une arme. Le conflit russo-ukrainien en a du reste été la démonstration.
Cette souveraineté que vous appelez de vos vœux est nécessaire pour nos producteurs. D’ailleurs, dans la loi d’orientation agricole (LOA), nous n’avons jamais cessé de réintroduire cette notion de production, alors que n’y figurait que l’agroécologie.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. La production est importante : nous continuerons à faire valoir ce point absolument fondamental.
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault.
M. Vincent Louault. Nous en reparlerons lors de l’examen du projet de LOA. Hélas, ce texte a vraisemblablement été élaboré non par l’ancien ministre Marc Fesneau, mais bien plutôt par les conseillers de l’Élysée. Justement, toute la subtilité résidait dans le fait que la production n’était pas mise en avant. Il s’agissait bien d’une autre vision de l’agriculture. Sur ce point, nous serons nombreux à ne pas lâcher.
Aujourd’hui, les agriculteurs n’ont même plus envie de manifester tant ils sont dégoûtés ! Ils constatent que toutes les filières, qu’il s’agisse des vendeurs de tracteurs, des vendeurs de produits phytosanitaires ou des groupes coopératifs, s’enrichissent. Dans ce monde de Bisounours, ils ont compris qu’ils étaient les seuls couillons de l’histoire ! (M. Pierre Jean Rochette applaudit.) Étant moi-même agriculteur, je comprends leur agacement et leur résignation. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Madame la ministre, comme l’a dit Daniel Gremillet, la rentrée agricole se fait sous haute tension.
La situation sanitaire, le projet de loi d’orientation agricole, le système assurantiel, le prix du fermage, l’attractivité du métier, le renouvellement des générations : la liste des sujets d’actualité s’allonge, tandis que les mobilisations du monde agricole datent d’il y a plus de huit mois.
Il n’y a plus de temps à perdre pour sortir de cette crise. Sans amélioration notable et rapide, notamment en ce qui concerne la rémunération des agriculteurs, au sujet de laquelle les annonces du précédent gouvernement n’ont pas eu les effets escomptés, la situation pourrait empirer.
J’étais présent, la semaine dernière, au sommet de l’élevage à Cournon-d’Auvergne, au cours duquel j’ai pu constater, tout comme vous, qu’il n’y avait pas de temps à perdre. La filière élevage, qui est confrontée à la fièvre catarrhale ovine (FCO) et à la maladie hémorragique épizootique (MHE), est particulièrement sous tension, et c’est d’ailleurs pourquoi vous avez pris ce dossier en main.
Madame la ministre, j’attire votre attention sur trois points essentiels.
Tout d’abord, comme l’ont souligné les précédents orateurs, le dispositif de gestion des aides de la PAC par l’Agence de services et de paiement a pris du retard, ce qui se répercute sur les procédures de paiement des acomptes. En Aveyron, entre 300 et 400 exploitations sont concernées. Il est urgent de faire le nécessaire pour que les délais de paiement – lequel paiement intervient habituellement à la mi-octobre – soient respectés cette année. Vous venez de nous donner quelques précisions à ce sujet.
Ensuite, sur un plan plus général, je souhaite réaffirmer la nécessaire ambition agricole de la France : la crise a révélé combien les contraintes handicapaient l’agriculture, tandis que les agriculteurs souffrent d’un manque de vision stratégique. La souveraineté alimentaire et la compétitivité sont désormais en jeu. Il y a donc urgence à poursuivre l’examen du projet de loi d’orientation agricole et à renforcer le volet du texte relatif au cap à fixer pour notre agriculture et dédié à notre stratégie de production. Pourriez-vous nous en préciser les lignes directrices ?
Enfin, j’attire votre attention sur les bâtiments agricoles et le zéro artificialisation nette (ZAN). Cela fait trois ans que je défends, avec plusieurs de mes collègues, la nécessité d’extraire les bâtiments agricoles de la nomenclature des surfaces artificialisées. C’est une mesure nécessaire et de bon sens ! J’espère que le Gouvernement partage cet objectif.
M. Vincent Louault. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir répondre en deux minutes.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Jean-Claude Anglars, comme je l’ai indiqué au précédent orateur, sachez que je mets un point d’honneur à ce que les avances des aides de la PAC soient versées en temps et en heure. S’il existe un problème spécifique à l’Aveyron, cela mérite que nous nous y penchions plus précisément et, dans ce cas, nous vous recontacterons, parce que 300 à 400 exploitations, c’est énorme !
Vous évoquez un certain nombre de contraintes qui pèsent sur l’activité agricole. C’est une évidence : il faut avoir fréquenté les agriculteurs pour savoir à quel point l’exercice de leur métier est devenu très compliqué. Le respect de ces contraintes les amène parfois à douter du sens même de leur métier.
Si j’ai parlé précédemment de souveraineté alimentaire, je n’ai pas évoqué la question de la compétitivité. À l’évidence, ce sujet rejoint celui des contraintes : lorsque l’on alourdit les contraintes et que l’on surtranspose certaines normes européennes, cela porte atteinte à la compétitivité des entreprises agricoles.
Enfin, vous avez mentionné le ZAN, un sujet cher à cette maison et au sénateur Longeot, qui a traité de cette question dans le cadre de la commission qu’il préside.
La possibilité de soustraire les bâtiments agricoles au ZAN vous tient à cœur, je le sais. Je suis tout à fait ouverte à la discussion sur cette question. Elle est certes complexe, mais j’y ai été très régulièrement confrontée en tant que députée : beaucoup d’agriculteurs, empêchés dans leurs projets de construction, m’ont en effet saisie de cette difficulté, qui est bien réelle. Il nous reste du temps pour la traiter, mais votre question est parfaitement légitime.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la ministre, depuis la fin de l’été, la fièvre catarrhale ovine sévit en Europe et progresse très rapidement sur le territoire français.
Dans la Drôme, plus de 300 exploitations sont touchées et les pertes sont colossales. On y observe une mortalité de 25 % à 30 % dans les troupeaux ovins, selon les données de la chambre départementale d’agriculture. Nous serons confrontés à une forte diminution du nombre de naissances d’agneaux. Par conséquent, il faudra deux, voire trois ans pour reconstituer les cheptels, si tant est que les éleveurs puissent le faire.
Madame la ministre, face à la gravité de la situation, le Premier ministre et vous-même avez annoncé, à l’occasion de votre déplacement au sommet de l’élevage, le déblocage d’une enveloppe de 75 millions d’euros pour faire face à la fièvre catarrhale ovine de sérotype 3, maladie détectée récemment qui touche, selon les chiffres fournis par votre ministère, 4 644 foyers.
Par ailleurs, vous avez annoncé, d’une part, la commande par l’État de 11,7 millions de doses de vaccins contre la FCO de sérotype 3, soit la quantité suffisante pour vacciner 40 % du cheptel bovin et 100 % du cheptel ovin et, d’autre part, la prise en charge financière de la vaccination par l’État, désormais ouverte à toute la France pour la filière ovine.
Madame la ministre, si une telle annonce doit assurément permettre de mieux lutter contre la propagation de l’épizootie, pourriez-vous apporter des précisions sur la mise en œuvre et le calendrier de ces mesures, ainsi que sur la prise en compte du remboursement des vaccins s’agissant de la FCO de sérotype 8 ? D’autres mesures collectives à l’échelle européenne sont-elles prévues ou en cours de négociation ?
Il faudrait en outre garantir le maintien des aides de la PAC, ainsi que l’ICHN et les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), qui constituent des revenus importants pour les agriculteurs et dont le montant ou l’ampleur est très souvent lié au nombre d’agneaux vendus.
Dans un contexte où l’agriculture traverse une crise majeure et où la prédation sévit dans de nombreux territoires, les prêts garantis par l’État (PGE) pourront-ils être accordés aux éleveurs, afin de les aider à reconstituer leurs cheptels ?
Il conviendrait enfin de prévoir un retour d’expérience pour tirer les enseignements de cette crise catastrophique et éviter de reproduire certains dysfonctionnements constatés – équarrissage, distribution des vaccins, retard des laboratoires d’analyse –, tout en mettant en place le soutien psychologique que les éleveurs demandent.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous venez d’évoquer de nombreux sujets majeurs.
La FCO de sérotype 3 est une maladie vectorielle émergente ; la FCO de sérotype 8, quant à elle, est une maladie vectorielle endémique, ce qui signifie qu’elle existait préalablement. Par principe, quand il s’agit d’un virus émergent, l’État prend en charge ; quand on a affaire à un virus endémique, en revanche, le relais est pris par les éleveurs.
Pour ce qui est de la FCO, il y a une petite ambiguïté dans la mesure où le sérotype 8 du virus est un mutant : c’est à la fois le même virus et pas le même…
À Cournon-d’Auvergne, j’ai en effet annoncé un certain nombre de mesures, en particulier pour la filière ovine, qui connaît une situation cataclysmique tant le taux de mortalité des animaux est considérable ; les éleveurs sont totalement découragés, voire désespérés. On assiste à une décapitalisation brutale, qui pose les problèmes d’équarrissage que vous avez soulevés. Si l’on y ajoute la prédation du loup, voilà dressé le tableau apocalyptique d’une filière pourtant reconnue comme d’excellence.
J’ai notamment annoncé que nous disposions de la quantité suffisante de vaccins pour les élevages bovins – du moins une partie d’entre eux, parce que tous les éleveurs ne les demandent pas – et pour la totalité de la filière ovine, et ce tout simplement parce que nous disposions de vaccins préalablement acquis par mon prédécesseur.
J’ai également demandé au Premier ministre de réfléchir à la création d’un fonds d’urgence du fait de la décapitalisation massive du cheptel, qui entraîne une forte baisse des revenus. La question de la recapitalisation de la filière ovine se posera aussi par la suite.
Autre annonce, il n’y aura pas de réfaction des aides européennes, compte tenu de la situation tout à fait extraordinaire que connaît cette filière.
S’agissant de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8, qui sévit dans une autre partie de la France, parfois de pair avec le virus de sérotype 3 – tout cela se mélange –, nous sommes confrontés à une difficulté de taille qui implique une réflexion au niveau européen, à savoir que nous n’avons pas de vaccins à notre disposition.
Le laboratoire français susceptible de nous les fournir ne pourra pas le faire avant le mois de juin 2025, et les laboratoires espagnols n’ont pas suffisamment de vaccins pour répondre à la demande en Espagne. Hier, à l’occasion d’une réunion bilatérale avec le ministre de l’agriculture espagnol, j’ai tâté le terrain pour tenter de savoir si nous pourrions disposer d’une partie de ces vaccins. Mon homologue m’a expliqué qu’ils n’en avaient déjà pas suffisamment pour eux-mêmes…
Chacun voit bien qu’il faut traiter cette question à l’échelle européenne. Les maladies vectorielles se rient des frontières !
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Derrière cette question fondamentale qui englobe tous les enjeux, qu’ils soient environnementaux, économiques, fonciers ou de santé publique, il y a la problématique du renouvellement des générations et de l’attractivité du métier.
Quand les tracteurs ont quitté les champs en signe de colère pour signifier le mal-être des paysans, les Français ont découvert une profession en danger. La lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et vient affaiblir notre compétitivité sur un marché où la concurrence internationale est exacerbée.
Il ne faut plus seulement avoir peur des charges sociales qui sont moins élevées ailleurs, ou des mesures environnementales qui sont moins lourdes chez nos concurrents. Il faut aussi anticiper les crises qui se succèdent : les crises sanitaires, climatiques, mais aussi politiques, puisque certaines taxes sont mises en place pour sanctionner des décisions ou des conflits qui, au-delà du drame humain qu’ils constituent, ont des incidences directes sur les matières premières.
Les agriculteurs l’ont dit et redit en janvier dernier : ils sont à bout de forces, à bout de souffle ! Ils souffrent de problèmes de revenus que nous n’avons pas le droit de nier.
Je citerai quelques exemples : les prédations et les épidémies qui se développent affaiblissent les éleveurs ; les rendements des céréaliers sont très faibles cette année, tandis que les vendanges qui s’achèvent laissent présager un enlisement de la crise viticole.
Pour autant, le groupe auquel j’appartiens, le RDSE, place l’agriculture au cœur de la ruralité que nous défendons : nous ne baisserons pas les bras !
Il existe des solutions, mais encore faut-il vouloir les mettre en œuvre. Parmi celles-ci figurent les paiements pour services environnementaux (PSE), qui concernent tous les agriculteurs. Il s’agit tout simplement d’encourager les agriculteurs qui s’engagent dans des pratiques vertueuses et de les récompenser pour les bénéfices qu’ils offrent à la société : restructuration des sols qui captent le dioxyde de carbone, lutte contre les incendies, préservation des écosystèmes, façonnage des paysages.
Ma question est donc simple, madame la ministre : avez-vous prévu des mesures en ce sens dans la future LOA, qui souffre encore véritablement d’un manque de vision stratégique ? (Mme Mireille Jouve applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Henri Cabanel, tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour votre rapport sur les suicides en agriculture. C’est un sujet tout à fait capital.
Je suis très favorable au principe d’une meilleure valorisation des externalités positives de l’agriculture. Il y en a beaucoup : le stockage du carbone dans les sols, la biodiversité, l’aménagement du territoire en sont quelques exemples.
Cela étant, il faut faire attention à ce que cela ne fasse pas baisser les aides aux revenus du budget de la PAC. Dans le projet de loi d’orientation agricole, l’objectif de reconnaître et de mieux valoriser les externalités positives de l’agriculture, notamment en termes de services environnementaux et d’aménagement du territoire, est préservé à l’article 1er. Je veillerai à ce que cette mesure demeure dans le texte, dans une version que vous pourrez enrichir.
Il n’est pas pour autant nécessaire de s’en remettre à la loi pour développer les paiements pour services environnementaux, car ceux-ci peuvent d’ores et déjà être déployés par les collectivités locales ou les agences de l’eau. Il faut mieux accompagner pour faciliter leur déploiement. Mes services et moi-même pourrons y travailler avec vous, en lien avec M. le sénateur Franck Montaugé, que je sais également très attaché à cette idée.
Vous avez évoqué fugitivement la question de la prédation, un sujet sur lequel j’ai travaillé pendant de très nombreuses années au sein de l’Association nationale des élus de la montagne (Anem) lorsque j’y exerçais des responsabilités.
La semaine dernière, il s’est produit un événement très important en la matière, puisque les pays membres de l’Union européenne se sont accordés sur un affaiblissement du niveau de protection du loup, ce qui n’équivaut aucunement à un premier pas vers une éradication de l’animal – il n’en a jamais été question, je tiens d’emblée à lever toute ambiguïté !
Pour ce qui concerne les vendanges, la situation de la filière viticole est connue, mais nous travaillons d’ores et déjà avec celle-ci.
Enfin, j’ai apprécié votre engagement en faveur d’une ruralité qui ne veut pas baisser les bras. C’est la ruralité que je connais, que j’aime et que je veux défendre.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Il est nécessaire de coconstruire une stratégie avec les filières, parce que les investissements et l’endettement des agriculteurs ne peuvent pas systématiquement pâtir de la nouvelle loi agricole que chaque nouveau gouvernement veut mettre en œuvre. Les agriculteurs ont besoin d’une vision à long terme.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Pour vous répondre en un mot, il y a actuellement un projet de loi d’orientation agricole qui est pendant – ce n’est donc pas un nouveau texte –, et que vous allez bientôt examiner. J’espère qu’il prospérera dans cette maison.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la propagation fulgurante de la fièvre catarrhale ovine est un nouveau coup dur pour nos agriculteurs, qui font déjà face à des difficultés économiques notamment causées par des conditions météorologiques catastrophiques, lesquelles ont lourdement affecté les moissons tant en quantité qu’en qualité.
Vingt-deux territoires sont actuellement concernés par la FCO. Le 4 octobre, dans le département de la Meuse, dont je suis élu, 507 foyers étaient détectés contre 188 quinze jours plus tôt. Les répercussions sont dramatiques. Les mesures de confinement auxquelles il faut ajouter les pertes directes d’animaux, les pertes indirectes en termes de production, les dépenses liées à la gestion de la maladie, notamment les frais vétérinaires, mettent les exploitations en péril.
Les éleveurs se sentent démunis face au manque d’anticipation au niveau tant européen que national, et face à une réponse trop tardive. À cet égard, les réponses apportées par le Gouvernement lors du sommet de l’élevage vont dans le bon sens.
Nos agriculteurs doivent être soutenus et accompagnés, non seulement pour faire face aux surcoûts en matière sanitaire, mais aussi pour reconstituer leurs cheptels décimés.
Madame la ministre, pourriez-vous préciser les mesures que vous comptez mettre en œuvre, et dans quels délais ? Quels enseignements tirez-vous de cette crise et de ce manque de coordination européenne dans la prévention comme dans les stratégies vaccinales suivies ? Comment expliquer le retard de la réponse vaccinale française face à une maladie pourtant bien connue et à la vitesse de propagation fulgurante ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Franck Menonville, je vous remercie de cette question portant sur la fièvre catarrhale ovine, un sujet qui occupe l’actualité. Permettez-moi de détailler les mesures annoncées par le Premier ministre à Cournon-d’Auvergne.
Tout d’abord, la vaccination contre la FCO de sérotype 3 sera désormais ouverte aux filières ovine et bovine partout en France, et non plus dans certains territoires seulement.
Pour ce qui concerne la maladie hémorragique épizootique, la MHE, nous avons retenu la stratégie du cordon sanitaire, dont le périmètre peut changer selon l’évolution de l’infection.
Venons-en à la question de l’indemnisation. Le Premier ministre a annoncé la création d’un fonds d’urgence de 75 millions d’euros pour indemniser les éleveurs confrontés à la perte de revenus massive que l’épidémie de FCO de sérotype 3 a occasionnée.
Pour ceux qui sont confrontés à la FCO de sérotype 8, nous ouvrons le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) jusqu’à la fin de l’année. Nous verrons alors quels sont les besoins.
J’insiste sur un point important, monsieur le sénateur : j’ai demandé la mise en place d’un comité de suivi des besoins au sein du ministère. Pour calibrer la réponse, il faut en effet pouvoir compter sur une juste évaluation des besoins. Lorsque les divers représentants des filières nous énoncent les sommes dont ils ont besoin, nous devons savoir sur quoi sont fondés leurs calculs.
Dans la situation budgétaire que nous connaissons, nous ne pouvons évaluer au doigt mouillé. Nous avons procédé à une juste évaluation pour calibrer ce fonds d’urgence. Si nécessaire, il appartiendra au Gouvernement d’étudier l’opportunité d’aller au-delà.
Il est très important de calibrer l’aide en fonction des besoins. Ce sera l’objet de ce comité de suivi, où seront présents l’ensemble des services concernés : la direction générale de l’alimentation (DGAL), la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), les membres de mon cabinet, mais aussi les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf). Nous essayons d’obtenir des remontées de terrain aussi précises que possible.
Vous saluez le fait que ces mesures vont dans le bon sens et je vous en remercie. Je le crois aussi.
J’aborderai un dernier point : une stratégie à l’échelle européenne est indispensable.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Mon homologue espagnol, avec qui j’ai parlé hier, est d’accord avec moi pour mettre ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l’agriculture de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.
M. Franck Menonville. Je vous remercie de vos réponses précises, madame la ministre. La dimension européenne est absolument indispensable. Compte tenu des moyens technologiques qui sont déployés pour contrôler nos agriculteurs, notamment l’imagerie satellitaire, nous devons être capables de veiller à certains aspects sanitaires et de réagir rapidement pour éviter ce type de crises.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour la réplique.
Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut bien identifier l’apparition et le développement de la maladie. Les vaccins contre la FCO de sérotype 3 ont été commandés dès juillet. Je rappelle que nous dénombrions sept foyers de contamination au début du mois de juillet, contre environ 3 700 un mois plus tard. La croissance a été exponentielle. Des capteurs de terrain très performants doivent être placés pour faire remonter les données sanitaires.
Par ailleurs, à l’échelle européenne, il faut bien comprendre que la crise sanitaire ne date pas d’aujourd’hui. Le Premier ministre a dit l’autre jour quelque chose qui m’a frappée : en 2008, lorsqu’il était ministre de l’agriculture, la fièvre ovine catarrhale existait déjà. Nous avons dû gérer le sérotype 3, le sérotype 8 mutant, la MHE, et il est question d’un retour du sérotype 1… Sans une meilleure stratégie d’anticipation et de prévention, nous sommes condamnés à courir après une nouvelle maladie vectorielle. Or une telle stratégie ne peut s’élaborer qu’à l’échelle européenne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, la crise qui a traversé le monde agricole au printemps dernier a fait l’objet de la part du précédent gouvernement d’engagements et de promesses qui ont été compromis par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Toutes filières confondues, nos agriculteurs ont dû faire face à de nombreux aléas durant tout l’été : les récoltes de céréales ont diminué de manière historique – moins 23,9 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années – ; Lactalis a décidé de manière unilatérale de réduire sa collecte de lait, obligeant près de six cents producteurs à trouver une solution de substitution ; la production viticole pourrait être inférieure de 10 % à 16 % par rapport à l’année 2023, et même de 30 % dans le Gard.
Quant aux éleveurs, ils font face à trois épizooties en même temps, qui ne font qu’aggraver la crise profonde de l’élevage. Dans le département de la Dordogne, dont je suis élue, celle-ci s’est traduite par la perte de 24 % des éleveurs en dix ans.
Si les récentes annonces gouvernementales, comme la gratuité de la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, sont salutaires, il est urgent d’engager un travail de fond pour rénover les outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.
Enfin, l’objectif d’autonomie alimentaire est essentiel pour garantir notre souveraineté alimentaire, et pour cela il nous faut donner la priorité à l’approvisionnement des populations par des productions locales. L’échec des lois Égalim impose de changer de logique : nous devons prendre un tournant en mettant en place des prix minimum d’entrée. C’est la seule façon de garantir un revenu digne à nos paysans.
Madame la ministre, dans ce contexte où les braises de la colère ne sont visiblement pas éteintes, confirmez-vous les annonces budgétaires pour 2025, qui sont pour le moins inquiétantes ?
La baisse des crédits alloués à l’agriculture de 9,5 % en autorisations d’engagement, soit 6,8 milliards d’euros, et de 4,5 % en crédits de paiement, soit 6,6 milliards d’euros est, je le répète, très inquiétante. De telles baisses ouvriraient une nouvelle fois la voie à l’extrême droite et à ses méthodes d’instrumentalisation en renforçant le sentiment d’abandon du monde paysan et agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Sebastien Pla applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Varaillas, votre question comporte plusieurs points importants.
Tout d’abord, je rejoins votre constat en ce qui concerne les terribles aléas qui frappent nos agriculteurs. Quand je vois les volumes d’eau qui tombent en ce moment, je pense notamment à tous ceux qui s’apprêtent à récolter le maïs et vont se trouver en grande difficulté. La baisse de rendement des céréales est une évidence et elle est très grave.
Ensuite, la perte de collecte de 450 millions de litres de lait par Lactalis, soit 8 % du lait collecté par l’entreprise, est en effet une terrible nouvelle pour plus de sept cents éleveurs. Surtout, elle portera un préjudice non seulement à l’éleveur, à son exploitation et à sa famille, mais aussi à la vie rurale en général. Je recevrai le dirigeant de Lactalis dans les jours qui viennent.
Par ailleurs, la filière viticole a réalisé un gros travail d’analyse sur les aléas climatiques, les changements de consommation, le vieillissement d’une partie des viticulteurs… Elle a proposé un programme d’arrachage qui vient d’être validé à l’échelle européenne, et qui sera doté de 120 millions d’euros.
Pour répondre à la question de l’autonomie alimentaire, vous évoquez les productions locales. Celles-ci sont extrêmement importantes, et ce n’est pas une élue de la terre du comté qui vous dira le contraire ! Pour autant, elles ne sont pas l’unique solution à l’autonomie alimentaire que vous appelez, à juste titre, de vos vœux.
Sur le prix minimum, vous le savez, nous ne serons pas d’accord. Nous considérons en effet que le prix plancher, si c’est ce que vous entendez par prix minimum, peut être un prix plafond. Nous avons une approche stratégique différente. En tout cas, le prix doit être juste.
En ce qui concerne le budget, nous vous en dirons davantage ultérieurement puisqu’il sera présenté jeudi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le géant Lactalis a décidé, le 25 septembre dernier, de réduire ses volumes de collecte de 450 millions de litres d’ici à 2030. Il s’agit d’un plan social sans précédent dans la filière laitière. Près de trois cents exploitations étant concernées, il a provoqué un choc terrible parmi les producteurs.
De plus, cette décision a été prise dans une opacité totale, alors que le chiffre d’affaires de Lactalis a battu un nouveau record en 2023 en frôlant les 30 milliards d’euros. Quid des marges que Lactalis réalise sur les différents segments du marché laitier ? Quid de la poursuite des importations de lait par Lactalis en France ?
Quel déplorable message envoyé, alors que les agriculteurs se battent tous les jours pour redynamiser le secteur et que la filière appelle au renouvellement des générations ! Qui voudra reprendre une ferme laitière dans ce contexte ?
Par ailleurs, en Bretagne, Lactalis abandonne les éleveurs bio : ces derniers ne feront plus l’objet de collectes de la part de l’entreprise, à moins qu’ils passent en agriculture conventionnelle. Ce chantage est difficile à avaler pour ces éleveurs. Ils se sont engagés dans des pratiques vertueuses, ont adapté leurs prairies et leurs haies, et au bout du compte ils se font jeter ! Où est l’humain dans cette affaire ?
Ce scandale démontre un peu plus, s’il le fallait, l’urgence qu’il y a à remettre en place une régulation publique des marchés. Pour garantir des prix rémunérateurs et une répartition des volumes dans les bassins laitiers, il faut instaurer une régulation publique des volumes, et mettre fin à cette dérégulation à la main des industriels et dictée par leur seule soif de profit.
Car oui, cette stratégie de Lactalis vise à mettre au pas les éleveurs laitiers français. Voilà le monde merveilleux du marché mondialisé et de sa compétitivité, si chers à certains dans cet hémicycle : une recherche effrénée du moins-disant social et environnemental, et du mieux-disant fiscal !
Madame la ministre, apporterez-vous une réponse politique à la stratégie mortifère de ces industriels, qui met à mal notre souveraineté agricole et nos paysans ? Engagerez-vous des réformes structurelles pour établir enfin des règles justes et équitables dans les relations commerciales ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Salmon, vous revenez sur l’annonce de Lactalis. Je rappelle le coup de tonnerre qui est intervenu dans la soirée du 27 septembre : un communiqué de presse de l’entreprise a annoncé le retrait de 450 millions de litres de lait, soit 8 % de la collecte totale de Lactalis.
Deux justifications sont avancées : d’une part, cette décision serait motivée par une exposition accrue de l’entreprise à la volatilité des marchés extérieurs ; d’autre part, si la collecte est vouée à diminuer, la rémunération des producteurs doit quant à elle augmenter. Autrement dit, l’entreprise met l’accent sur les prix et la rémunération des producteurs au détriment du volume. Voilà la position de Lactalis.
Concrètement, les contrats arrivés à échéance ne seront pas renouvelés et les départs à la retraite seront considérés comme une fin du contrat avec l’exploitation concernée. Il s’agit sans doute de la pire des raisons, car cela représente une perte sèche de production laitière, alors même que le marché est porteur – nous avons besoin de lait en France !
Je suis particulièrement préoccupée par la dimension humaine de cette affaire. Pour les éleveurs, il s’agit d’un coup de tonnerre, d’une déflagration dans leur vie professionnelle, personnelle et familiale. Dès le soir de l’annonce, j’ai appelé le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et nous nous sommes vus dès le lendemain, car j’avais besoin de connaître le ressenti des représentants de la profession.
Leur principale préoccupation est d’accompagner les éleveurs. Un député m’a dit aujourd’hui qu’il allait se débrouiller pour trouver des débouchés aux éleveurs de son département qui ont été lâchés par Lactalis. La FNPL compte agir dans cet état d’esprit : apporter un soutien très individualisé aux agriculteurs. Nous serons à ses côtés pour le faire.
M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Sebastien Pla. Madame la ministre, deux minutes, c’est court ! Il me faudrait plus de temps pour résumer la situation d’une filière en grande souffrance : la viticulture est victime du changement climatique – gel, grêle, sécheresse à répétition – et d’un marché atone.
Sur le terrain, dans l’Aude, on me dit tous les jours : « Dites-leur, à Paris, ce qui se passe ! Aidez-nous ! » Alors, écoutons-les !
Ludovic a les mots justes lorsqu’il dit que « l’arrachage sera le plus grand plan social dans l’histoire du Languedoc ». Frédéric ne veut pas être celui qui mettra fin à l’histoire de générations entières de vignerons. Mais si certains, comme lui, vont arrêter de travailler, d’autres y croient encore : les plus jeunes. Ainsi, Maxime et Émilie veulent « faire évoluer leur exploitation pour la rendre compétitive ». Mais comment investir en période de crise ?
Écoutons Amandine nous dire : « Avec l’inflation, tout augmente, sauf le prix du vin ! Comment payer nos charges et nos emprunts ? » Il est urgent de restructurer la dette bancaire de la filière.
Écoutons Lilian nous dire : « Ma coopérative fait une demi-récolte ; on utilise la moitié de notre outil de production, alors pourquoi l’amortit-on à taux plein ? »
Madame la ministre, le destin climatique de la France se joue chez nous, dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales. C’est pourquoi votre politique agricole doit prévoir une exception méditerranéenne, dotée de moyens à la hauteur. Ainsi, Jean-Marie a raison de demander « un fond de transformation de la filière ».
Il convient bien sûr de répondre à la question de l’eau, non pas pour surproduire, mais pour sécuriser la production. Actuellement, il pleut moins à Leucate qu’au Sahara ! Comme le disent si bien Roland et Annie : « Sans eau, il n’y a pas de vigne ; sans eau, il n’y a pas de vie. » Sans eau, il est vain de parler de cultures alternatives.
Écoutons encore Philippe nous dire : « Je ne produis pas seulement du vin, je protège les paysages. La vigne est plus efficace que les Canadairs pour lutter contre les incendies ; elle est d’utilité publique. »
Quant à Gérard, il peine à promouvoir ses vins sur le marché mondial via les réseaux sociaux, comme le font ses concurrents américains, à cause d’une loi Évin inadaptée à la révolution numérique.
La viticulture vacille. Je ne peux me résigner à voir la vigne disparaître sans agir. La filière ne doit pas subir le sort de la sidérurgie. Attention, ce que nous ne produirons plus en France sera produit par d’autres, ailleurs ! Ne laissons pas nos territoires être doublement désertés, par le climat et par la République.
Madame la ministre, Sebastien, vigneron et sénateur, vous lance une invitation solennelle : venez dans l’Aude constater par vous-même l’ampleur de la crise et écouter Ludovic, Philippe, Émilie, Gérard et tous les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Sebastien Pla, le secteur de la viticulture est l’un des grands secteurs en crise. Nous vivons une sorte de paradoxe, voyez-vous : ce week-end, je serai à Dijon pendant trois jours pour le sommet mondial du vin, où la France sera la puissance invitante de tous les pays de l’Union européenne, tandis que, dans le même temps, la viticulture vit un drame.
C’est particulièrement le cas dans votre département, où le déficit en eau est dramatique. Il s’agit, me semble-t-il, de l’un des départements où la pluviométrie a été la plus faible cette année – je parle sous votre contrôle. Je viendrai en Occitanie.
M. Sebastien Pla. Dans l’Aude !
Mme Annie Genevard, ministre. J’ai réuni tous les acteurs de la viticulture pour une table ronde sur l’arrachage. Comme son nom l’indique, ce dernier revient en effet à arracher quelque chose au terroir de la France et à l’identité de notre pays. Ce plan a été décidé par la filière, car il existe une forme de surproduction qui l’invite à réfléchir à son avenir.
Cela est lié à une déconsommation de la part des Français, qui consomment le vin différemment : moins de vin rouge, davantage de vin blanc et rosé et de boissons « alternatives ». En outre, la France s’est insuffisamment positionnée sur les produits d’entrée de gamme. Il convient de regarder en face plusieurs questions structurelles. Bien sûr, le changement climatique est également en cause.
De nombreux bassins de production font face à des difficultés, ils sont en souffrance et peinent de plus en plus à trouver leur marché.
L’arrachage n’est pas nécessairement définitif. Il convient de se battre pour l’arrachage temporaire. En effet, le processus doit être réversible selon l’évolution du marché. Voilà le second combat à venir.
Comme je l’ai mentionné, le dispositif de prêt bonifié entre en application pour les entreprises viticoles qui éprouvent des difficultés à rembourser les prêts garantis par l’État qui leur ont été octroyés pendant la crise du covid-19. Les banques peuvent dès à présent étudier leurs demandes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la ministre, comme vient de le dire mon collègue Sebastien Pla, la filière viticole française, qui contribue fortement à notre balance commerciale et crée des milliers d’emplois, se trouve dans une situation très critique.
En janvier dernier, la Chine lançait une enquête antidumping menaçant gravement nos exportations de cognac et d’armagnac. Cette situation n’est pas sans rappeler la taxe Trump, dont le moratoire prendra fin en 2026 sans qu’une solution pérenne ait été trouvée, à l’aube des élections américaines.
Nous venons d’apprendre que les autorités chinoises imposeront dès le 11 octobre des droits additionnels de 35 % sur les spiritueux européens, notamment le cognac et l’armagnac. Il s’agit à n’en pas douter d’une réponse directe aux surtaxes européennes sur les véhicules électriques chinois que les États membres de l’Union européenne ont décidé d’instaurer le 4 octobre – une mesure en faveur de laquelle la France a voté.
La filière, qui a le sentiment d’être sacrifiée, avait pourtant averti que ce vote risquait d’entraîner des rétorsions sur nos spiritueux. Elle demande donc qu’une solution soit négociée pour écarter toute surtaxe sur nos produits en Chine, de manière que chaque partie sorte par le haut de cette situation de blocage.
C’est urgent, madame la ministre ! Le 17 septembre, à la veille des vendanges, une manifestation avait mobilisé de nombreux participants. Attendez-vous à de très fortes mobilisations dans nos territoires si rien n’est fait.
Par ailleurs, permettez-moi de rappeler les attentes fortes, que vous connaissez, de la filière viticole en général : l’allégement des démarches administratives ; l’alignement de la transmission des biens viticoles sur le modèle du pacte Dutreil ; l’application du principe « pas d’interdiction sans solution » pour les produits phytosanitaires ;…
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Daniel Laurent. … la révision de la moyenne olympique pour l’assurance climatique ; le maintien d’une fiscalité qui permette une consommation modérée, mais accessible, de nos produits ; la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE) ; l’amélioration de la gestion administrative des vignes en friche.
Enfin, à l’échelle européenne, la France doit apporter tout son soutien au secteur dans le cadre des discussions autour de la prochaine PAC.
Madame la ministre, je vous demande de prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces enjeux vitaux pour l’avenir et la survie de notre viticulture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Vous présidez, monsieur le sénateur Daniel Laurent, le groupe d’études Vigne et vin du Sénat ; votre avis est donc tout à fait autorisé.
Évidemment, la situation de la filière du cognac engendrée par les mesures de rétorsion chinoises est un sujet de préoccupation majeur. Je comprends que la position française inquiète le secteur et que vous appeliez de vos vœux l’ouverture de négociations ; je l’espère également.
Toutefois, vous voyez bien que notre pays est placé devant un choix des plus difficiles, entre la préservation de sa filière automobile électrique et celle de l’un des fleurons de son agriculture. Le problème touche davantage le cognac que l’armagnac, ce dernier étant moins exposé, car moins consommé en Chine.
M. Daniel Laurent. Ce ne sont pas les mêmes contraintes !
Mme Annie Genevard, ministre. Je recevrai lundi prochain les représentants de la filière, avec lesquels j’aborderai ces questions. Je les ai d’ores et déjà assurés de ma mobilisation et de la très grande vigilance dont je ferai montre sur ce dossier, compte tenu des enjeux économiques majeurs qu’il emporte. En effet, le marché chinois représente 40 % du chiffre d’affaires de la filière du cognac, ce qui est considérable.
L’interprofession réfléchit à des mesures qui peuvent être activées à son échelle pour anticiper l’impact d’éventuelles décisions chinoises. Mes services et moi-même sommes mobilisés et très disponibles pour l’accompagner dans ses réflexions.
L’Union européenne vient d’annoncer qu’elle contesterait la mesure chinoise devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La France soutient évidemment cette démarche…
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, madame la ministre.
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, je vous remercie de votre engagement au plus près des réalités de la grande famille de nos agriculteurs, que vous connaissez bien.
Permettez-moi de revenir sur les menaces qui pèsent sur la filière, confrontée à des défis intérieurs, notamment de transition, mais aussi de plus en plus à des défis extérieurs, difficiles à maîtriser. Je pense notamment à l’accord avec le Mercosur, dont nous avons parlé : en ce moment même, les négociateurs de l’Union européenne (UE) sont réunis à Brasilia pour essayer de le finaliser avant le sommet du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre prochains.
Les signaux en faveur d’une telle conclusion se multiplient ces derniers jours. En effet, la Commission européenne a annoncé le report de l’application du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, qui était initialement prévue en décembre et représentait l’un des principaux points de blocage dans les discussions avec les pays du Mercosur.
Par ailleurs, l’Allemagne a réaffirmé il y a quelques semaines sa détermination à conclure l’accord, quelle que soit la position de la France.
Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour faire en sorte que cet accord ne soit pas conclu sans les fameuses clauses miroirs que vous avez évoquées et qui sont absolument nécessaires ? Puisqu’il s’agit d’un accord mixte, la France dispose en théorie d’un droit de veto pour s’y opposer.
Nous le savons, la Commission européenne envisage de modifier ses règles, puisqu’elle a déjà soumis à majorité qualifiée l’accord d’association entre l’UE et le Chili. Comment le gouvernement français entend-il répondre à cette menace sur son droit de veto ?
Enfin, les centrales d’achats à l’étranger constituent une autre menace grandissante. Ces dernières continuent de grossir, à l’image d’Everest, comme nous l’avons constaté ces dernières semaines. Pouvez-vous nous confirmer votre détermination à lutter contre ce mouvement, madame la ministre, quitte à sanctionner les entreprises qui n’appliqueraient pas les lois Égalim aux produits commercialisés sur le sol français ? (MM. Henri Cabanel, Michel Masset et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, je suis ravie de vous retrouver après la visite que vous avez effectuée récemment dans mon territoire.
Tout d’abord, la France est, comme vous le savez, hostile à la stratégie promue par le pacte vert pour l’Europe, ou Green Deal, et notamment à la décapitalisation ; nous sommes absolument déterminés à nous y opposer. L’agriculture doit être préservée d’une concurrence déloyale, qui ferait deux poids, deux mesures sur les règles de qualité, sanitaires et environnementales.
La France l’a rappelé à la Commission européenne, notamment dans le cadre des discussions sur l’accord avec le Mercosur : nous ne pouvons pas nous asseoir sur la mise en œuvre effective de l’accord de Paris ! Nous ne pouvons pas non plus accepter que nos agriculteurs se voient imposer des normes environnementales et sanitaires tandis que leurs concurrents, qui importent leurs productions dans notre pays, en seraient exemptés.
Il convient de protéger les secteurs, notamment certaines filières agricoles et alimentaires, qui risquent de pâtir de l’accord. Pour cela, il doit comporter des clauses de sauvegarde.
Enfin, nous continuons de travailler avec l’Union européenne sur l’approbation des clauses miroirs, dont vous connaissez bien le principe, pour protéger à la fois les consommateurs et les producteurs. Pour ce faire, nous avons recueilli l’accord et le soutien de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de l’Irlande.
Il est très important que la France ne soit pas isolée. C’est la raison pour laquelle nous avons fait adopter un protocole annexe à l’accord, qui bloque l’accord avec le Mercosur. Nous ne pouvons pas laisser entrer en France 99 000 tonnes de bœuf, 100 000 tonnes de volailles, 180 000 tonnes de sucre sur le marché européen sans avoir l’assurance que ces produits respectent nos exigences !
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. Madame la ministre, étant gardois, je vis dans un département qui, en 2050, connaîtra le climat de l’Andalousie. Le peu de jeunes agriculteurs qui s’installent en ce moment seront encore en activité en 2050. Autrement dit, si nous n’intégrons pas cette donnée climatique dans la manière dont nous pensons et accompagnons notre agriculture, nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe.
Le Premier ministre a annoncé une grande conférence nationale sur l’eau. Sans eau, il n’y a pas d’agriculture. Sans eau, il n’y aura pas d’agriculteurs. Il est donc essentiel que cette conférence associe tous les acteurs, y compris le monde agricole, afin de définir une stratégie globale pour assurer un usage raisonné de l’eau et un juste partage de cette ressource. Cette stratégie nationale devra ensuite se décliner localement à l’échelle des bassins versants.
Madame la ministre, mon département connaît aussi bien la sécheresse que les inondations. Sur des territoires comme celui-ci, des solutions doivent être rapidement trouvées pour stocker l’eau, lorsqu’elle est excédentaire, avant qu’elle ne parte à la mer.
Le dérèglement climatique implique également une multiplication de l’ensemble des aléas. Les pertes de récoltes sont non plus l’exception, mais la règle. Dans ce contexte, la référence olympique fait perdre toute attractivité à l’assurance récolte. Il est urgent de discuter avec l’OMC d’une révision de ce référentiel. Mon territoire est particulièrement exposé à ces difficultés.
De plus, notre modèle agricole méditerranéen fragilise cette agriculture, qui est pourtant axée vers la qualité. Il est donc temps de reconnaître les spécificités de l’agriculture méditerranéenne dans nos politiques publiques, notamment en révisant le zonage de l’ICHN et en répartissant mieux les aides PAC.
Madame la ministre, quelles seront vos orientations sur ces trois dossiers majeurs que sont l’eau, la référence olympique et la reconnaissance des particularités de l’agriculture méditerranéenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Denis Bouad, vous évoquez un sujet majeur : l’eau. Vous l’avez dit, sans eau, pas d’agriculture et pas d’agriculteurs.
Les effets du changement climatique en cours sont particulièrement visibles sur nos ressources en eau, avec des sécheresses plus importantes l’été et, vous l’avez également souligné, de fortes précipitations. D’où l’idée que, quand l’eau est abondante, on puisse la capter, la retenir, pour les temps où elle manquera. C’est ma philosophie ; elle est assez simple et fondée sur le bon sens.
En outre, je pense que la technologie nous aidera. Il sera possible, demain, d’irriguer avec moins d’eau, par l’amélioration de la technologie ; je crois beaucoup aux progrès de la technique et de la science en la matière. On pourra peut-être aussi développer des plantes moins gourmandes en eau.
En 2022, il y a deux ans, 93 départements étaient concernés par des restrictions d’eau ; cette année, ils sont moins d’une trentaine. Les années ne se ressemblent donc pas. Mais qu’il y ait trop d’eau ou qu’il n’y en ait pas assez, ce n’est en aucun cas satisfaisant.
Aussi, depuis deux ans, l’État s’est engagé à atteindre plusieurs objectifs : l’anticipation via l’assurance récolte, la résilience de l’agriculture, l’adaptation des filières et l’accès raisonné à la ressource. Il faudra explorer d’autres pistes, comme celle, que j’ai vu pratiquer en Israël, de la réutilisation des eaux usées, ou encore les investissements hydrauliques ; à ce sujet, je le rappelle, un fonds de 20 millions d’euros a été abondé dès cette année pour améliorer et moderniser les équipements d’irrigation et de stockage.
Par ailleurs, vous l’avez noté, le Premier ministre a annoncé la tenue d’une conférence sur l’eau.
Enfin, j’indique que je serai à Avignon pour le salon de l’agriculture méditerranéenne, le salon MED’Agri.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, la récolte céréalière désastreuse de 2024 a durement frappé toutes les filières végétales. Les conditions climatiques extrêmes ont entraîné des rendements historiquement bas pour nos agriculteurs, déjà grandement fragilisés par l’inflation et pressurés par la surtransposition des normes.
L’impact financier concerne tous les secteurs.
Il y a, bien évidemment, des conséquences pour les rendements de la culture de céréales, la perte engendrée représentant entre 25 % et 50 % de la production moyenne de cinq années. Il y a également des conséquences économiques, avec une perte de plus de 1 200 euros par hectare dans les exploitations, mais aussi du point de vue de la qualité, avec la baisse du taux de protéines et du poids spécifique des céréales.
On observe encore des effets pour les organismes stockeurs, les pertes pour les coopératives et les négoces atteignant 300 millions d’euros, ainsi que pour les transformateurs, avec une perte de 100 millions d’euros pour les meuniers, de 10 millions d’euros pour les semouliers, sans parler des malteurs et des amidonniers.
Cette crise touche également les exportateurs et le secteur des transports : sachez que la baisse des activités portuaires et routières dépassera 60 %. Il y a aussi des conséquences pour l’écosystème céréalier, puisque la baisse des volumes fragilise le financement des instituts, notamment Arvalis, et ralentit les actions collectives de recherche et développement. Enfin, les conséquences pour les agriculteurs sont directes et immédiates, puisqu’ils doivent faire face aux échéances de la Mutualité sociale agricole (MSA) et aux impôts, calculés sur les années précédentes.
Devant cette situation critique, dramatique, le Gouvernement doit prendre des mesures pour soutenir les producteurs, protéger notre compétitivité à l’export et renforcer la résilience de la filière par rapport aux aléas climatiques, sous peine d’une crise frumentaire qui mettra en péril notre souveraineté et notre commerce alimentaire, dans un contexte géopolitique incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Pierre Cuypers, vous parlez en parfaite connaissance de cause. Je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler les dispositifs d’accompagnement mis en place par l’État à la suite des mauvaises récoltes de cet été.
Tout d’abord, pour les grandes cultures, le déclenchement de l’assurance récolte garantira que tous les exploitants touchés de manière exceptionnelle bénéficient d’une indemnisation. Je rappelle que, jusqu’à la réforme de 2023, les grandes cultures ne bénéficiaient pas du régime des calamités agricoles.
Ensuite a été mis en place un dégrèvement d’office, en cas de pertes, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Cela représente, pour le département dont vous êtes élu, la Seine-et-Marne, une somme de 4,8 millions d’euros.
En outre, les caisses locales de la MSA ont octroyé un report de paiement de cotisations sociales et ont pris en charge les cotisations sociales, sans oublier, je l’ai indiqué précédemment, le rehaussement à 70 % du taux d’avance des aides de la PAC à compter du 16 octobre prochain – c’est le taux d’avance maximal permis par la réglementation européenne –, ce qui constituera un apport de trésorerie significatif pour les exploitations.
Enfin, les organisations professionnelles agricoles ont identifié un mécanisme de soutien que je trouve intéressant : il s’agirait d’octroyer des prêts bancaires adossés à une garantie d’État, afin de permettre de passer cette période difficile. Depuis ma prise de fonctions, plusieurs réunions de travail se sont tenues entre Bercy, les établissements bancaires et mes services pour discuter des modalités de ce dispositif, afin qu’il soit le plus simple possible. Du reste, ce dispositif a été évoqué par le Premier ministre lors de son déplacement au sommet de l’élevage vendredi dernier. Nous allons donc pouvoir œuvrer rapidement à sa mise en œuvre, tout en travaillant également à l’anticipation et à l’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. L’agriculture française, en particulier celle du sud de la France, est aujourd’hui au bord du gouffre et nos éleveurs en sont les premières victimes. Ces piliers de notre économie et de notre patrimoine voient leur horizon se rétrécir de jour en jour. Avec plus de 4 600 foyers touchés, la FCO et la MHE continuent de s’étendre inexorablement et affectent non seulement les ovins, mais encore les bovins et les caprins sur l’ensemble du territoire.
Face à cette menace, les mesures gouvernementales restent largement insuffisantes. Le fonds de 75 millions d’euros que vous avez alloué pour la FCO de sérotype 3 est loin de couvrir les pertes réellement subies, car les conséquences indirectes sont énormes : stérilité, avortements et baisse de production laitière. Quant à la situation des exploitations touchées par la FCO de sérotype 8, elle frôle l’abandon : les vaccins ne sont toujours pas pris en charge et ne seront pas disponibles avant la fin du mois de juin prochain. Comment tolérer une telle situation ?
Cette crise dépasse la seule question des compensations économiques.
Sans doute, nous devons commencer par indemniser au juste niveau chaque bête perdue, chaque agneau, chaque chevreau qui ne verra pas le jour, en se calquant sur les indemnisations appliquées aux pertes causées par le loup, soit au minimum 250 euros par bête. Mais nos éleveurs, déjà affaiblis par les attaques répétées des prédateurs, subissent en outre une pression constante et un stress quotidien qui les conduisent tout droit vers une détresse psychologique alarmante.
Un soutien psychologique est indispensable. Ignorer cet aspect, c’est condamner nos éleveurs à l’épuisement mental et même parfois, malheureusement, au pire.
Madame la ministre, il ne s’agit plus d’utiliser des rustines : nos éleveurs exigent des réponses concrètes et des solutions durables ! Le moment est venu de réviser en profondeur le plan loup, d’y apporter des ajustements répondant réellement aux attentes des éleveurs tout en tenant compte des impératifs environnementaux.
Êtes-vous prête à élaborer un plan ambitieux, solide, capable de protéger à la fois nos éleveurs et l’avenir de notre agriculture ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Lucien Stanzione. Des promesses, oui, mais aussi des actes !
Madame la ministre, je vous dis donc : à très bientôt au MED’Agri, à Avignon !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Je vous remercie, monsieur le sénateur Lucien Stanzione, de m’annoncer ce qui sera évoqué lors de ce salon… (Sourires.)
Vous évoquez d’abord la FCO de sérotype 3. Cette maladie se propage, nous en sommes conscients, à un rythme exponentiel.
M. Laurent Duplomb. Sur la moitié de la France !
Mme Annie Genevard, ministre. Néanmoins, pour ce qui concerne la généralisation de la vaccination et le fonds de soutien d’urgence de 75 millions d’euros, je puis vous assurer de la satisfaction de la filière ovine. J’en prends donc acte et je vous invite à faire de même, cette satisfaction ayant été exprimée publiquement.
Vous parlez ensuite d’abandon à propos de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8. Non, on ne peut pas parler d’abandon, puisque le comité de suivi dont je parlais va évaluer précisément les besoins en matière d’indemnisation des cheptels atteints par cette affection. Nous déterminerons alors le calibrage des aides, le FMSE sera sollicité et nous verrons s’il est suffisant.
Je constate par ailleurs que des régions montent également au créneau. D’ailleurs, mon homologue espagnol m’expliquait que, dans son pays, la gestion de la crise sanitaire était régionalisée ; mais, j’en conviens, l’organisation territoriale et administrative de l’Espagne n’est pas comparable à celle de la France.
Enfin, vous évoquez le loup et vous avez raison de parler d’épuisement mental, les termes ne sont pas trop forts. Je le vois dans mon territoire, où les bovins sont maintenant attaqués par le loup : les plus solides de nos éleveurs craquent véritablement lorsqu’ils découvrent, au matin, l’état de leurs animaux, dévorés vivants, parfois d’ailleurs encore vivants. C’est donc un sujet majeur. Or ce qui a eu lieu la semaine dernière, le lancement de la procédure de déclassement du loup, est, je l’espère, prometteur pour l’évolution en matière de prélèvement.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, cela fait maintenant plusieurs années que, dans nos départements respectifs, les éleveurs nous alertent sur l’augmentation de la population lupine et sur les ravages que celle-ci engendre. Vous le savez, la prédation du loup est un véritable fléau pour le pastoralisme, et il faut continuer d’agir en faveur de nos éleveurs.
Nous avons donc tous accueilli avec satisfaction la récente décision de l’Union européenne d’abaisser le statut de protection du loup. Toutefois, il reste encore au comité permanent de la convention de Berne à adopter cette mesure, et à la directive dite Habitats-faune-flore du 21 mai 1992 d’être amendée en conséquence. Madame la ministre, êtes-vous confiante dans l’avenir de cette décision à l’échelon européen et que mettez-vous en œuvre pour qu’elle aboutisse ?
Les éleveurs attendent d’autres mesures, comme le statut promis de chien de troupeau. Ce statut faisait l’objet de l’article 16 du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Pouvons-nous espérer que cet article sera repris dans le nouveau projet de loi qui sera, vous l’avez dit, déposé prochainement par le Gouvernement ?
Par ailleurs a été mise en œuvre une expérimentation pour la protection des troupeaux de bovins, lesquels ne peuvent faire l’objet de la même protection que les ovins, avec la possibilité d’un tir de défense simple lorsque la présence d’un loup est constatée. Il y a une forte demande en faveur de la généralisation de cette solution, qui s’avère très efficace face à l’augmentation significative du nombre de bovins prédatés ; dans le département dont je suis élue, la Savoie, cette augmentation a été de 30 % en valeur absolue en 2024 par rapport à 2023, avec près de 110 bovins attaqués comptabilisés à la fin du mois de septembre. Est-ce une mesure que le Gouvernement serait prêt à généraliser rapidement ?
Pour conclure, je souhaite aborder la question des indemnisations. Vous avez mentionné, madame la ministre, les compensations des pertes directes liées à la prédation du loup, mais qu’en est-il des pertes indirectes ? Celles-ci ne sont pas suffisamment valorisées, puisqu’elles sont estimées à 2 millions d’euros au lieu de 10 millions en réalité ; d’autant que le retard dans le traitement des dossiers aggrave la situation, obligeant les éleveurs à avancer près d’un an de trésorerie, ce qui n’est pas soutenable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Martine Berthet, vous évoquez un sujet sur lequel j’ai moi-même beaucoup travaillé. En effet, une étape importante a été franchie à Bruxelles avec l’adoption, à une large majorité – franchement, c’était inespéré ; j’avais fait le décompte des pays la veille et je ne pensais pas que l’on aurait ce résultat –, de l’ouverture de la procédure de déclassement du loup, de la catégorie des espèces strictement protégées à celle des espèces protégées. Ce petit mot, « strictement », fait toute la différence !
Ce sujet sera donc inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la convention de Berne. L’Union disposant de la majorité qualifiée, j’ai bon espoir que nous franchissions cet obstacle.
Cela dit, vous le savez, le loup est protégé par deux textes, la convention de Berne et la directive dite Habitats. Il faudra donc décider, à l’unanimité du Conseil des ministres de l’environnement, le déclassement d’une annexe à l’autre dans cette directive. À ce jour, trois pays y sont opposés : l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. Nous devrons donc mener un important travail auprès de nos partenaires pour aller au bout du processus.
Quant au statut promis de chien de troupeau, visant à limiter les risques juridiques associés, il me semble indispensable. L’article que vous citez, que nous avions amélioré à l’Assemblée nationale et adopté, sera maintenu dans le futur texte. Cela me paraît indispensable parce que le patou, on le sait, met l’éleveur en insécurité juridique : c’est ce dernier qui est responsable en cas de problème avec des promeneurs.
Enfin, vous évoquez quelque chose que les éleveurs de ma région ont contribué à mettre en œuvre : le statut de « non-protégeabilité » des bovins, car, de ce point de vue, les bovins ne sont pas comparables aux ovins. Le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup avait accepté le principe d’une expérimentation à cet égard, notamment dans la région dont je suis élue, et nous en attendons les résultats avant de généraliser ce statut.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre, la situation de l’agriculture, secteur économique majeur de nos territoires, et notamment du département dont je suis élue, le Lot-et-Garonne, suscite de réelles inquiétudes, et un nouveau mouvement amplifié de colère est à redouter.
En effet, six mois après les vives tensions qui ont secoué le monde agricole dans le pays, plus particulièrement dans le Lot-et-Garonne, je souhaite vous faire part de ma vive inquiétude à cet égard, laquelle s’est transformée en véritable préoccupation depuis que s’est réunie la chambre départementale d’agriculture, vendredi dernier ; mon collègue Michel Masset pourrait en témoigner.
De nombreuses raisons contribuent à ce regain de tension. Il s’agit, même si la liste n’est pas exhaustive, des dispositions portant sur la gestion de l’eau, du revenu des agriculteurs, des normes et de la réglementation, auxquels se sont ajoutés au cours des six derniers mois les problèmes climatiques affectant le blé, le soja, le maïs, le sorgho, ainsi que notre production, bien connue, du pruneau d’Agen et la viticulture. Et je ne parle pas de la fièvre catarrhale ovine, qui se propage dangereusement…
La profession agricole a le sentiment d’être délaissée. Elle estime ne pas être écoutée et se demande si son activité a encore du sens. La colère est intacte et les braises qui couvent sous les cendres laissent présager le pire. Loin de moi toutefois l’idée de jouer les Cassandre…
Madame la ministre, je sais que ce sujet vous préoccupe ; c’est la raison pour laquelle je vous demande de nous apporter des précisions pour répondre à cette colère annoncée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat, je sais votre extrême vigilance sur ces questions. Vous m’avez alertée à ce sujet, et je vous en remercie parce que le regard des parlementaires, bons connaisseurs de leur territoire, particulièrement attentifs aux agriculteurs, aux filières agricoles, à la situation économique locale, leur confère un statut d’observateur privilégié.
Je partage votre préoccupation. Beaucoup d’échos m’arrivent du territoire dont vous êtes élue, le Lot-et-Garonne, mais pas seulement de là. Ils attestent d’une colère qui n’a pas été apaisée.
L’interruption due à la dissolution de l’Assemblée nationale, le temps de latence, le retard dans la mise en œuvre des annonces de mon prédécesseur, l’aggravation de la crise climatique, avec des sécheresses importantes ou des inondations, la baisse de la production, les inquiétudes portant sur l’avenir du monde agricole dans votre territoire, le sentiment d’être incompris, voire abandonné, tout cela nourrit cette colère, parfois de façon excessive. Mais ces excès sont à la mesure de l’inquiétude ressentie : ces métiers ne veulent pas disparaître, ces agriculteurs aspirent à vivre de leur métier sur le territoire qu’ils aiment, où ils sont nés, où ils ont vécu, où ils travaillent.
Bref, tout cela se comprend et croyez bien que je suis avec une extrême attention tout ce qui se joue, notamment chez vous, parce que c’est bien de là qu’est partie l’expression d’une profonde colère, à la mesure du désespoir ressenti.
Je puis vous garantir que je porte une attention particulière à cet enjeu. Tous les dispositifs que j’ai décrits seront naturellement ouverts aux agriculteurs de votre département, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Merci de vos propos, madame la ministre. Il est temps de redonner à notre agriculture sa place et son rang !
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud.
M. Hervé Reynaud. Alors que nos agriculteurs sont confrontés à de nombreuses crises, la fièvre catarrhale affecte dramatiquement nos éleveurs ; c’est vraiment la question du jour…
Cette maladie, qui touche majoritairement les ovins, s’étend maintenant aux bovins, dans le département dont je suis élu, la Loire, mais également chez nos voisins de Haute-Loire, chère à Laurent Duplomb : 80 % à 90 % des élevages y sont touchés et les pertes sont énormes. Il y a en effet des pertes directes, avec la mort des animaux, mais aussi des pertes indirectes, avec des avortements, une baisse de la production laitière, voire des problèmes de fertilité.
Les éleveurs peinent donc à exporter leurs animaux vers des pays comme l’Espagne ou l’Italie, qui ont fermé leurs portes, même quand on leur présente un test PCR négatif. C’est le premier enjeu. Par ailleurs, la multiplication du virus étant très virulente dans les troupeaux infectés, la vaccination est le seul remède. Tel est le deuxième enjeu.
Je salue votre annonce de jeudi dernier relative à la gratuité du vaccin contre la FCO de sérotype 3 sur l’ensemble du territoire, madame la ministre, je vous en félicite.
Toutefois, dans la Loire, c’est le sérotype 8 qui fait des ravages : à ce jour, 798 foyers sont recensés. Aussi, face à la menace croisée de la fièvre catarrhale de sérotypes 3, 4 et 8, et de la maladie hémorragique épizootique, les éleveurs demandent la gratuité des vaccins pour l’ensemble des maladies vectorielles. À l’échelle nationale, plus de 3 800 foyers de contamination sont recensés.
Le Premier ministre a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 75 millions d’euros, mais cela ne suffira pas. Il nous faut des réponses immédiates. La profession estime les besoins entre 100 millions et 150 millions d’euros.
Madame la ministre, je vous renouvelle mon invitation à venir constater sur le terrain, dans le département de la Loire, la détresse psychologique des éleveurs. Par ailleurs, le Gouvernement peut-il s’engager sur une prise en charge globale de ces dépenses, indispensable pour stopper la contagion, et sur un échange avec ses homologues européens ?
M. le président. Vous êtes invitée partout, madame la ministre… (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Hervé Reynaud, je vous remercie de votre question. C’est en effet le sujet du moment et je comprends très bien que plusieurs de vos collègues aient choisi de l’évoquer.
Les enjeux sont bien d’accompagner les élevages atteints et de lever les blocages qui peuvent exister, notamment en matière d’exportations.
En effet, vous avez évoqué un point qui n’avait pas été tellement soulevé jusqu’à présent : notre filière d’élevage est exportatrice. Or nous avons réussi à lever les freins à l’exportation vers l’Italie, sous réserve de présenter un test PCR négatif et la preuve d’une vaccination. Et hier, le ministre espagnol m’a confirmé la reprise des exportations vers son pays, sous les mêmes conditions.
La FCO de sérotype 3 est venue des pays du Nord, la MHE et la FCO de sérotype 8 sont arrivées de ceux du Sud. On voit donc que les maladies vectorielles se jouent des frontières. Cela confirme qu’il convient, de toute évidence, de travailler sur cette question à l’échelon européen, car on sera toujours en retard d’un vaccin. C’est la raison pour laquelle mon prédécesseur avait évoqué l’idée d’une banque d’antigènes permettant d’élaborer des vaccins multicibles. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une idée, mais il faudra sans doute la reprendre.
Je répète en outre que le ministre espagnol s’est montré très ouvert à l’idée de la présentation conjointe d’une résolution, lors de la prochaine réunion des ministres de l’agriculture de l’Union européenne, pour que cette question soit inscrite l’ordre du jour. Il est en effet à craindre que, les crises sanitaires se multipliant et se développant, l’Union européenne estime que le sujet est trop large et que chacun doit s’en débrouiller de son côté ; or cela n’est pas possible parce que ce phénomène se généralise.
Pour ma part, je suis assez préoccupée par le fait que, en juillet dernier, le problème majeur était la FCO 3 et que, en septembre, c’était devenu la FCO 8, la première n’ayant pas pour autant disparu puisque les deux maladies se combinent…
Ainsi, à côté de l’urgence, il faut essayer de traiter les choses d’un point de vue stratégique, en anticipant et en prévenant ; c’est indispensable, car les budgets nationaux n’y suffiront pas.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un spectre hante la France agricole !
Ce spectre, c’est celui de la décapitalisation, notamment de notre cheptel bovin et ovin, durement touché par des crises sanitaires qui n’existent pas depuis hier, mais qui s’amplifient.
Ce spectre, c’est celui du déclin de notre compétitivité et de la perte de marchés, notamment au sein du marché intérieur avec nos concurrents européens directs. J’avais annoncé en 2019 que nous connaîtrions une balance commerciale déficitaire ; nous y sommes cette année…
Ce spectre, c’est également celui de l’érosion de notre souveraineté alimentaire, voire celui de menaces pour notre sécurité alimentaire, si les tendances à l’œuvre se poursuivent.
En un mot, comme le dit Éric Thirouin, de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), ce spectre, c’est celui d’une véritable liquidation planifiée de l’agriculture française !
M. Vincent Louault. Exactement !
M. Laurent Duplomb. Cette liquidation est le fruit de la Sainte-Alliance d’une technocratie abrutissante et des dogmes environnementaux.
J’ai écouté tous mes collègues, et je vous ai écoutée attentivement, madame la ministre, comme je l’avais fait la semaine dernière lors du sommet de l’élevage. Le programme que vous nous présentez est-il vraiment à la hauteur des périls que je viens d’évoquer ?
Je le dis et le répète, je suis favorable au fait de mener à son terme l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, d’autant que ce texte avait été enrichi d’un volet de souveraineté et d’un volet de simplification des normes environnementales, qui vont dans le bon sens. Il suffira d’en retirer les contraintes supplémentaires prévues à l’article 14 sur les haies, fruit du « en même temps » si dévastateur de vos prédécesseurs.
Toutefois, j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, avant l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat, nous ne pourrons pas nous affranchir du traitement des problèmes récurrents qui entravent notre agriculture. Ce projet de loi ne saurait être la seule réponse à la crise, car il n’y répond pas suffisamment ni complètement.
Sur le terrain, les agriculteurs attendent dès maintenant le desserrement de l’étau normatif et ils veulent que nous les sortions des impasses techniques dans lesquelles nous les avons mis malgré eux, année après année. (M. Pierre Cuypers applaudit.) À cette fin, j’ai proposé une méthode pour sortir plus efficacement de cette crise. Cette méthode consiste à saucissonner et à conditionner. Elle s’articule en quatre temps.
Le premier consistera en l’examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), au cours duquel nous serons très attentifs à la traduction législative des engagements du précédent gouvernement : pérennisation du dispositif TO-DE, abandon de la suppression de l’exonération sur le gazole non routier (GNR), budget de crise et, éventuellement, comme l’a dit mon collègue Gremillet, réouverture de la possibilité de mettre en place des prêts bonifiés.
Deuxième temps : il faut un texte législatif au format réduit, concentré sur les principales entraves aux activités agricoles, qui serait déposé en octobre ou en novembre, pour redonner de la souplesse en matière d’usages de l’eau ou d’usage des produits phytosanitaires autorisés dans l’Union européenne et interdits en France par surtransposition, ou encore pour mieux encadrer les contrôles, et tout particulièrement ceux de l’Office français de la biodiversité.
Troisièmement, si et seulement si nous obtenons des avancées tangibles sur les deux séquences précédemment exposées, nous rouvrirons la possibilité d’étudier le projet de loi d’orientation agricole.
Quatrièmement, en parallèle, et dès aujourd’hui, je vous propose, madame la ministre, d’avancer sur des mesures de simplification par voie réglementaire ; j’aurai en la matière des propositions précises à vous faire dans les jours qui viennent, sous la forme d’une liste de décrets possibles et efficaces !
Décrets, budget, entraves, LOA : voilà ma proposition, madame la ministre. Êtes-vous prête à nous suivre dans cette direction ?
Les agriculteurs vous attendent et nous attendent : il s’agit de les sortir du mauvais pas dans lequel vos prédécesseurs les ont mis.
Et nous mettrons – je mettrai – un point d’honneur, au Sénat, à vous aider afin de ne pas les décevoir. Si les conditions que j’ai posées ne sont pas satisfaites, je vous le dis tout net, ce sera sans moi : je ne rapporterai pas le projet de loi d’orientation agricole.
Enfin, en manière de clin d’œil à mon collègue Daniel Gremillet, je citerai à mon tour Tocqueville – et tous ceux qui sont assis aujourd’hui au banc du Gouvernement devraient en prendre exemple : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu’il entend se substituer à eux dans l’organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu’à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d’eux-mêmes ? […] Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »
Je peux vous le dire, les agriculteurs méditent Tocqueville ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la crise agricole.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Nécessité de former davantage de médecins et soignants
Débat organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de réplique, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trouver un rendez-vous chez un généraliste, un spécialiste, un kiné ou un psy est devenu en France une galère quotidienne. On nous en parle tous les jours et nos concitoyens comme les élus locaux sont démunis face à la défaillance de l’offre de soins.
La récente mission d’information du Sénat sur la santé périnatale a aussi démontré le déficit de gynéco-obstétriciens, d’anesthésistes, de pédiatres, de sages-femmes. Y répondre est un impératif ; à défaut, le maillage territorial de nos maternités continuera de s’affaiblir, après que 40 % d’entre elles ont déjà fermé en trente ans.
La situation des urgences commande aussi une telle réponse. De plus en plus de nos services ferment de manière intermittente, comme à Lillebonne ou à Fécamp, dans mon département, où la pression s’accroît sur le groupe hospitalier du Havre, dont les agents sont mobilisés depuis onze semaines pour alerter sur cette situation intenable.
Des gouvernements successifs ont instauré et maintenu, depuis les années 1970, le numerus clausus dans les études de santé, ce qui a fait chuter le nombre d’étudiants en médecine de 8 500 en 1971 à 3 500 en 1990. L’objectif était de réduire les dépenses de santé. Chacun le reconnaît aujourd’hui, cette solution austéritaire s’avère une bombe à retardement.
La population a en effet augmenté et vieilli ; et les professionnels de santé aspirant légitimement à conjuguer vie professionnelle et vie privée, le nombre de médecins comme le temps médical disponible ont diminué à mesure que les besoins s’accroissaient.
Le numerus clausus a été supprimé en 2021 et nous avons salué cette suppression. Mais la réforme des études de santé, mise en œuvre à la rentrée universitaire 2020-2021 de manière particulièrement chaotique, a laissé sur le carreau des centaines d’étudiants qui se destinaient à être médecins : un vrai gâchis !
Les étudiants sont trois fois plus nombreux qu’avant la réforme à redoubler leur deuxième année. Du côté des études en soins infirmiers, le taux d’abandon a doublé en dix ans. Parcoursup et ses trop nombreux choix par défaut sont une des raisons de cette situation. Et ceux-là mêmes qui ont essuyé les plâtres de la réforme des études de santé au début de leur cursus sont de nouveau bousculés au moment de leur accès à l’internat, le nombre d’internes connaissant cette année un net fléchissement.
En 2022, les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur avaient fixé pour objectifs d’ici à 2027 la formation de 20 % d’étudiants supplémentaires en médecine ; la hausse devait être, sur la même période, de 14 % en odontologie, de 8 % en pharmacie et de 2 % à 4 % en maïeutique.
Nous n’y sommes pas. Et, depuis deux ans, la situation est alarmante pour ce qui concerne les études de pharmacie : plus de 1 100 places vacantes en 2022 et 500 en 2023.
Voilà qui nous conduit à penser qu’il faut supprimer le numerus apertus, financer l’augmentation des capacités de formation des universités et développer les terrains de stage.
La faculté de médecine de Rouen, par exemple, a augmenté ses capacités d’accueil de plus de 200 % en vingt ans, à moyens quasi constants. Comment faire plus sans enseignants, sans bâtiments, sans services universitaires supplémentaires ? Il faut former davantage, mais aussi former mieux.
Nous ne pouvons accepter que les internes continuent de pallier les pénuries de médecins en travaillant les nuits et les week-ends pour seulement 6 euros de l’heure !
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que « la lutte contre les déserts médicaux et contre la pénurie de soignants sera[it] l’une des priorités de [s]on gouvernement. Le temps est révolu, a-t-il poursuivi, où l’on avait la crainte de former trop de médecins. Nous allons amplifier l’effort engagé. »
Nous disons : « chiche ! », même si l’annonce d’une diminution drastique de la dépense publique est contradictoire avec cet objectif. Et nous proposons, comme le font des collègues venant de différentes familles politiques, que l’on parte, pour définir l’offre de formation, des besoins des territoires et non des capacités universitaires.
L’Atlas de la démographie médicale en France, publié il y a quelques jours par l’Ordre national des médecins, montre que le nombre de médecins repart très légèrement à la hausse : +0,8 %. Il montre aussi que ce frémissement ne comble pas les inégalités territoriales ; au contraire, celles-ci se creusent. Un département comme l’Eure, par exemple, dispose de moins de 80 médecins pour 100 000 habitants, soit moitié moins que dans les départements qui comptent de grandes métropoles.
L’absence de professionnels de santé en nombre suffisant fait peser sur les épaules des internes et des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) le maintien des services hospitaliers. Les Padhue sont en première ligne dans les services des hôpitaux désertés ; or ils n’ont aucune reconnaissance professionnelle, leur rémunération est bien inférieure aux responsabilités qu’ils exercent et ils se trouvent dans une situation de grande précarité administrative.
Madame la ministre, je vous interpelle, à quelques jours des épreuves de vérification des connaissances : vous devez trouver une solution pour garantir aux Padhue des conditions dignes de travail et de vie.
Le « programme Hippocrate » annoncé par le Premier ministre, dans le cadre duquel internes français et étrangers s’engageraient volontairement à exercer dans les territoires qui manquent le plus de médecins, ne devra pas être hypocrite.
Les collectivités n’ont pas attendu pour financer les dépenses de transport ou de logement d’étudiants venant en stage dans leur territoire, ni même pour financer des postes de chefs de clinique dans les universités, de même qu’elles multiplient par ailleurs les mesures pour accompagner les professionnels qui viennent s’installer. Elles ne pourront pas assumer indéfiniment cette charge seules.
Surtout – on y revient toujours –, il faut former des médecins pour qu’ils viennent exercer dans tous les territoires.
Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) parue au mois de juin dernier, les médecins des zones rurales ont ou vécu pendant leur enfance en zone rurale, ou effectué au moins un stage en zone rurale, ou effectué des remplacements d’au moins trois mois en zone rurale. En France, depuis quelques années, plusieurs facultés de médecine proposent de décentraliser les enseignements de la première année des études de santé vers des villes moyennes – je pense à Pontivy, rattachée à la faculté de médecine de Rennes, ou à Périgueux, rattachée à Bordeaux.
Le déploiement des stages universitaires des étudiants en médecine dans les territoires ruraux doit encore être renforcé ; c’est la condition pour former davantage et c’est aussi un facteur avéré d’installation future en zone rurale.
Aussi est-il à nos yeux nécessaire de démocratiser les études de santé, car, au risque d’être un peu caricaturale, j’affirme que plus il y aura de jeunes médecins issus des quartiers populaires ou des zones rurales, moins les médecins verront d’obstacles à s’y installer.
Il y a donc aussi des mesures à prendre pour contribuer à orienter certains jeunes vers des études de santé qui leur semblent à l’heure actuelle interdites. En la matière, des solutions existent qui restent à améliorer, comme le contrat d’engagement de service public. Et d’autres pistes sont à creuser pour démocratiser l’accès aux études de santé, comme la création d’une école normale préparatoire.
Voilà quelques premières pistes de discussion pour ouvrir ce débat – je sais que nos collègues feront eux aussi des propositions. La question de l’accès aux soins est absolument essentielle. Elle figure parmi les premières préoccupations de nos concitoyens : ceux-ci ne sauraient admettre que, dans un pays comme la France, en 2024, l’on ne puisse pas avoir accès à un médecin quand c’est nécessaire.
Je remercie d’avance chacune et chacun de sa contribution à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et sur des travées du groupe RDSE. – M. Olivier Bitz et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Brulin, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat, car il est important. Le problème sociétal que vous mettez en avant peut se dire de manière simple : tenter d’avoir accès à un médecin et ne pas y arriver. Nous devons tout mettre en œuvre, bien sûr, pour favoriser l’accès dans nos territoires à tous les types de soins, soins primaires, soins de spécialistes, mais aussi, en tant que de besoin, soins hospitaliers.
Il est évident que nous avons encore beaucoup de travail, même si beaucoup de choses ont été réalisées – nous aurons le temps d’y revenir et d’approfondir l’analyse.
En tout état de cause, il me paraît important de placer ce débat dans le cadre d’une prospective de moyen et long terme. Ce dont nous traitons actuellement, en effet, c’est un impensé d’années antérieures, celles-là mêmes qui nous ont conduits dans l’impasse qui a été décrite. Notre responsabilité politique – et la vôtre, en tant que parlementaires – est donc de travailler à une telle prospective de moyen et long terme. Je souhaite vraiment m’inscrire avec vous dans cette dynamique, afin d’éviter à l’avenir les entonnoirs tels que ceux dans lesquels nous nous retrouvons aujourd’hui.
Vous avez parlé de former des médecins, madame la sénatrice, mais nous parlerons aussi ensemble, je l’espère, des infirmiers et des aides-soignants, éléments majeurs de notre système de soins.
Je vous remercie une nouvelle fois d’avoir pris l’initiative de ce débat et suis prête à répondre aux questions qui me seront posées. Peut-être ne saurai-je pas répondre à toutes, mais notre discussion s’annonce en tout cas passionnante.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Corinne Bourcier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Corinne Bourcier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans nombre de territoires, il suffit d’essayer de prendre rendez-vous avec un médecin, généraliste ou spécialiste, ou bien d’aller aux urgences pour rapidement parvenir à un constat évident : notre pays manque de médecins.
Je m’en excuse d’emblée auprès des soignants : mon intervention traitera davantage des médecins que des soignants au sens large, car je pense que « la nécessité de former davantage de médecins » soulève en elle-même beaucoup de questions, et ce même si traiter le sujet de l’accès aux soins nécessite, en pratique, de se pencher sur la question de la coopération entre tous les professionnels de santé.
En 2024, le nombre de médecins, y compris remplaçants et retraités actifs, est d’environ 237 000, contre 215 000 il y a à peine quinze ans. C’est donc 22 000 de plus, et cette augmentation est tout aussi encourageante que frustrante : comment peut-on ne pas réussir à faire mieux avec plus ?
Tout d’abord, il est évident que les nouveaux médecins travaillent différemment par rapport à ceux des générations précédentes. Beaucoup d’entre eux, et c’est bien légitime, recherchent un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle et ne souhaitent plus travailler douze heures par jour six jours – voire sept – sur sept.
Ensuite, plusieurs facteurs concourent à ce que les besoins de la population en matière de soins augmentent : le vieillissement de la population, l’augmentation de la dépendance, l’explosion des maladies chroniques ou encore la dégradation de la santé mentale.
Il est donc nécessaire de continuer à former davantage de médecins et, plus largement, de soignants. Mais il est tout aussi nécessaire d’optimiser le temps médical que représentent ces effectifs supplémentaires.
Les difficultés sont connues depuis longtemps.
Je ne saurais évidemment commencer mon propos sans mentionner le problème de la surcharge administrative : un accident du travail, par exemple, implique la rédaction d’un certificat médical initial, éventuellement d’un arrêt de travail, d’une ordonnance, d’une feuille de soins, etc. autant de documents sur lesquels il faut chaque fois réinscrire des informations identiques. Pensons aussi aux nombreux certificats médicaux inutiles.
Diminuer cette surcharge administrative reviendrait à dégager davantage de temps médical pour les médecins et de consultations pour les patients qui en ont besoin.
L’informatique représente aussi une perte de temps ahurissante. Comment est-il possible que, dans certains – je dis bien « certains » – hôpitaux, en 2024, il n’y ait pas de logiciel unique ? Un médecin doit se connecter sur le logiciel des scanners, puis, via un mot de passe différent, sur le logiciel de biologie, et ainsi de suite en fonction des examens nécessaires. Un urgentiste me disait récemment : « Cinq minutes avec un patient, c’est quinze minutes d’informatique. »
Je me dois de mentionner aussi le problème de la répartition des médecins sur le territoire et parmi les différentes spécialités ; la psychiatrie, et notamment la pédopsychiatrie, est en grande souffrance. J’en profite d’ailleurs pour saluer le choix du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Il y a quelques mois, ici au Sénat, nous adoptions une proposition de résolution invitant précisément le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale.
La médecine générale et beaucoup d’autres spécialités sont aussi en difficulté : on manque d’urgentistes, de rhumatologues, de chirurgiens pédiatriques, de gastro-entérologues, etc. Se pose ainsi la question du nombre de places et de l’opportunité de laisser aux étudiants la possibilité de redoubler en vue d’obtenir certaines spécialités au détriment d’autres, sachant qu’un tel redoublement a été particulièrement important cette année.
Optimiser le temps médical, cela relève aussi de la responsabilité des patients. Il est tout bonnement inacceptable qu’un patient se rende aux urgences parce qu’il a le nez qui coule, qu’il bénéficie d’un examen et d’un traitement qui doit durer quatre jours et qu’il retourne aux urgences le lendemain… car il présente exactement le même symptôme.
Heureusement, un tel cas ne représente pas la majorité des patients ; mais il y a là une réalité dont tous les médecins vous parleront. Responsabiliser, cela ne veut pas dire pénaliser les plus démunis : cela veut dire sanctionner les abus – et c’est une nécessité.
Tous ces problèmes sont connus, comme sont connues beaucoup de solutions : revoir les études et les modalités de choix des spécialités, augmenter les capacités d’accueil des facultés et des lieux de stage, investir dans des systèmes informatiques adaptés, automatiser l’usage du dossier médical partagé (DMP), alléger et simplifier la charge administrative.
Madame la ministre, ma question est plutôt simple : à l’heure où la situation budgétaire nous oblige à des choix particulièrement contraints, parmi toutes les solutions possibles, laquelle vous semble prioritaire afin d’optimiser le temps des médecins ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice Bourcier, vous posez une question importante : comment faire en sorte que les médecins fassent de la médecine, c’est-à-dire, très simplement, soignent les patients et, pour ce faire, posent des diagnostics et procèdent à des examens cliniques ?
Vous le savez, les assistants médicaux sont une des solutions à ce problème, mise en œuvre depuis la fin de l’année 2019 : en septembre 2024, nous en étions à 6 700 assistants médicaux recrutés, ce qui est tout à fait significatif. Grâce à un assistant médical, le médecin généraliste peut prendre en charge en moyenne 10 % de patients supplémentaires à nombre d’heures travaillées constant ; ce sont plus de 500 000 patients qui ont déjà trouvé un médecin traitant grâce à ce dispositif : voilà une amélioration.
Mais il ne s’agit pas là du seul axe de travail. La présence dans les cabinets médicaux ou les maisons de santé d’infirmières en pratique avancée (IPA) spécialisées dans certains domaines peut, elle aussi, soulager les médecins en les déchargeant de certains actes, voire d’un certain temps consacré à la prévention, sujet majeur de santé publique. Voilà qui permet là encore de libérer du temps médical, purement et simplement.
Quant aux simplifications administratives, vous en avez parlé, madame la sénatrice : il faut par exemple éviter les certificats médicaux inutiles ou faciliter les facturations à l’assurance maladie pour les médecins libéraux.
Pour ce qui est de s’appuyer sur les outils informatiques, effort évidemment nécessaire, la difficulté – je l’ai vécue – est que chacun a son outil, qui n’est pas toujours compatible avec ceux des hôpitaux ou des laboratoires. La transformation numérique doit donc se faire avec tous les acteurs concernés afin de fluidifier les choses au bénéfice des patients.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour la réplique.
Mme Corinne Bourcier. Je vous remercie, madame la ministre.
Il y a en effet des choix importants à faire, qui ne se traduiront pas forcément en réponses immédiates. Les assistants médicaux, comme les orthoptistes, par exemple, sont extrêmement importants : ils apportent des solutions aux patients.
Il faut agir vite et bien pour que nos concitoyens puissent être soignés comme il le faut ; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut bien sûr s’interroger sur les études de médecine. Beaucoup d’étudiants souhaiteraient faire ces beaux métiers, mais ne peuvent suivre le parcours qui y mène – et certains partent à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Brigitte Devésa et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRCE – Kanaky d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de ce débat sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants, car ce sujet nous préoccupe tous – il fait partie des premières préoccupations de nos concitoyens et des élus. Car, au-delà de la prise en charge des patients et de la réponse à leurs besoins de santé, il s’agit aussi d’un sujet d’aménagement du territoire !
Oui, madame la ministre, il faut former plus de médecins et de soignants dans notre pays, pour l’hôpital comme pour la ville ! L’affirmation est simple, et la réponse attendue rapidement sur le terrain, voire urgemment dans certains territoires, alors que le sujet de la formation s’inscrit dans un temps long. Nous avons perdu trop de temps depuis dix ans – dix ans, c’est tout simplement le temps qu’il faut pour former un médecin…
L’accès aux soins ambulatoires est un enjeu politique majeur, et, en parallèle des différents textes de loi adoptés ces derniers temps, je me réjouis de l’élan insufflé par le nouveau gouvernement en faveur de l’accès aux soins, dont témoigne le programme Hippocrate annoncé par le Premier ministre. Et je salue les propos qu’il a tenus lors de sa déclaration de politique générale, qui ont déjà été rappelés : « Le temps est révolu où l’on avait la crainte de former trop de médecins. »
Je m’en réjouis d’autant plus que le groupe Les Républicains a proposé dans son pacte législatif, avant la constitution du Gouvernement, une loi santé dont les grands axes sont clairement énoncés. J’espère, madame la ministre, que vous vous saisirez de ces propositions !
Il est donc indispensable de former plus de médecins et de soignants, mais aussi, ajouterai-je, de techniciens ; nous manquons par exemple de manipulateurs en radiologie. Aussi le sujet est-il vaste, car il concerne nombre de professions de santé. Je parlerai essentiellement de médecine générale, pierre angulaire de notre système de santé en ville.
Former davantage de médecins, c’est territorialiser les études de médecine.
C’est continuer à créer des antennes universitaires de première et deuxième années d’études, parfois plus accessibles pour les étudiants, tant géographiquement que financièrement.
C’est revoir la réforme récente de la première année d’études de santé : il n’est pas acceptable que la réforme dite Pass (parcours accès santé spécifique) – LAS (licence accès santé) ne soit pas appliquée de la même manière dans toutes les universités. Certaines universités ont même inventé la « LAS 50-50 » ; je vous laisse y réfléchir…
C’est reconnaître que la suppression du numerus clausus a eu des effets limités, car on ne peut pousser les murs des facultés et créer des terrains de stage d’un coup de baguette magique !
C’est faire en sorte que la volonté du législateur ne soit pas détournée pour ce qui est de la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale, évolution souhaitée par le Sénat via le vote de la proposition de loi de Bruno Retailleau avant d’être introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Il conviendra surtout, madame la ministre, de veiller à ce que les stages afférents soient prioritairement réalisés en ambulatoire dans des zones sous-denses, plutôt qu’orientés vers l’hôpital par dérogation. Bien sûr, il faudra en contrepartie que la qualité de l’accueil réservé à ces futurs médecins soit au rendez-vous, sur le plan tant des locaux que de l’accompagnement professionnel.
Selon l’indice d’attractivité défini par la Drees, la médecine générale occupe la quarante-deuxième place parmi les spécialités choisies par les internes en 2023, sur un total de quarante-quatre spécialités. C’est une réalité, la médecine générale est de moins en moins considérée par les futurs internes.
Dès lors, même si nous observons avec attention la légère augmentation du nombre de médecins en activité annoncée par l’ordre des médecins – en 2023, il y avait 1 672 médecins en activité régulière de plus que l’année précédente –, cette hausse ne suffit pas à répondre aux besoins compte tenu des enjeux liés au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques. Si l’âge moyen des médecins continue de baisser, s’établissant à 48,1 ans contre 48,6 ans l’an dernier pour les médecins en activité régulière, le temps médical, quant à lui, diminue.
Former plus, c’est aussi corriger les effets négatifs de la réforme des études de santé, laquelle a affecté, par exemple, la filière pharmacie – ma collègue l’a rappelé. Depuis la réforme, cette filière n’est plus visible et les deuxièmes années de pharmacie ne font plus le plein !
Les inégalités territoriales en matière d’accès aux soins s’aggravent. Nous parlons de déserts médicaux et nous commençons à parler de déserts pharmaceutiques. Les bonnes volontés existent, mais il y a urgence ! Sans un nombre suffisant de professionnels de santé, la volonté de partage des tâches ne réglera pas tout.
Madame la ministre, mes questions sont simples.
Comment pensez-vous vous saisir des propositions faites par le groupe Les Républicains du Sénat en matière de santé ?
Comment envisagez-vous de travailler avec votre collègue ministre chargé de l’enseignement supérieur pour corriger la réforme des études de santé ?
Où en sont les décrets d’application de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux ? Je pense par exemple à l’élargissement du contrat d’engagement de service public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Corinne Bourcier et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, la réforme de l’accès aux études de santé est en place depuis quatre ans. La Cour des comptes a procédé à une évaluation des trois premières années. Nous attendons ses conclusions, qui ne devraient pas tarder.
Bien qu’il soit trop tôt pour estimer les effets à long terme de cette réforme, il sera sans doute opportun de réfléchir à des ajustements. C’est un point que j’aborderai avec le ministre de l’enseignement supérieur. Quoi qu’il en soit, il me paraît opportun d’attendre les conclusions des travaux de la Cour des comptes.
En tout état de cause, les principes fondamentaux de la loi, à savoir favoriser la réussite des étudiants et diversifier les profils de ces derniers pour mieux répondre aux enjeux futurs du système de santé, doivent être conservés. J’y serai très attentive.
Vous souhaitez mettre l’accent sur les stages dans les zones sous-denses. Je souscris à vos propositions, mais les universités envoient déjà leurs externes de quatrième année, par exemple, dans les hôpitaux des villes moyennes. C’est un vrai enjeu pour irriguer tous nos territoires ruraux de jeunes médecins en stage, qui apprendront à connaître cet environnement.
Concernant l’état des lieux de la loi Valletoux, 34 textes d’application ont été recensés, dont 14 pour le seul article 36 relatif aux épreuves de vérification des connaissances des Padhue, dont la parution avait été actée en 2024.
Actuellement, 10 décrets ont été publiés, soit 50 % des textes publiés à ce jour ; 8 décrets d’application sont prêts ou ont été débloqués à la suite de la dissolution, soit 23 % des textes à prendre ; 2 décrets d’application sont actuellement en concertation – ils devraient paraître d’ici au mois de novembre prochain ; enfin, 14 décrets ne sont pas encore prêts. Il me semble donc que je vais signer des décrets très rapidement…
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour la réplique.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses. Comme vous, je suis favorable à la diversité des profils : ce n’est pas parce que l’on rate un examen de mathématiques ou de physique que l’on sera forcément un mauvais médecin…
Toutefois, renseignez-vous : on demande aux étudiants en licences accès santé (LAS) d’avoir la moyenne à la fois en santé et dans l’autre filière choisie, ce qui pourrait les empêcher de passer en deuxième année. Ce n’est compréhensible ni pour les étudiants ni pour les sénateurs que nous sommes. Cette exigence dévoie, selon nous, l’objectif de la réforme.
En ce qui concerne les lieux de stage, je pensais essentiellement à la quatrième année d’internat et de médecine générale. Soyons attentifs à ne pas accorder trop de dérogations et veillons à bien respecter la volonté du législateur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Je remercie tout d’abord le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir pris l’initiative de demander l’organisation de ce débat.
La préoccupation de l’accès à des soins de qualité pour tous, partout sur notre territoire et à tout moment de la vie, nous rassemble sur toutes les travées.
Je ne l’apprends à personne, la France fait face à une pénurie croissante de soignants et de médecins, avec des déserts médicaux dans de nombreuses régions. On estime aujourd’hui que près d’un Français sur trois vit dans un désert médical.
Par ailleurs, le vieillissement des médecins et de la population exige une augmentation de l’offre de soins.
Nous le voyons tous dans nos territoires respectifs : nos hôpitaux, nos Ehpad, nos centres de soins et nos cabinets libéraux sont sous tension permanente. Partout en France, des postes restent vacants, les services d’urgence saturent et les listes d’attente pour consulter un spécialiste s’allongent.
La solution la plus évidente pour remédier à ces pénuries, révélées notamment par la crise sanitaire, est d’augmenter le nombre de praticiens en en formant davantage. C’est un impératif pour l’avenir.
Pour les médecins, le numerus clausus a été supprimé en 2020, sous l’impulsion du Président de la République. Quatre ans après cette réforme si nécessaire, nous en constatons déjà les premiers résultats. On observe une nette augmentation du nombre d’étudiants accédant à la deuxième année de médecine.
De 8 150 en 2017, le nombre de places en médecine à l’université est passé à 10 000 en 2023. Il augmentera à 12 000 places par an en 2025, puis à 16 000 places par an en 2027. On formera jusqu’à deux fois plus de médecins qu’avant 2017.
Néanmoins l’augmentation du nombre d’étudiants, tant en médecine que pour les autres formations de santé, pose des défis logistiques majeurs, notamment en termes de capacité d’accueil des universités, de qualité de l’encadrement et de disponibilité des terrains de stage.
Les facultés doivent s’adapter rapidement pour garantir un niveau de formation élevé malgré l’afflux d’étudiants.
Par ailleurs, si l’augmentation du nombre de médecins formés peut, à terme, aider à combler les déficits dans les zones sous-dotées, cela dépend également de la mise en place de politiques plus incitatives pour encourager les jeunes médecins à s’installer dans ces régions, voire de la mise en place d’une politique coercitive, comme c’est le cas pour plusieurs professions médicales.
Enfin, il nous faut aussi prendre en compte l’impact sociétal : le mode d’exercice de la pratique médicale a largement évolué depuis les années 1970, avec un temps de travail plus faible, comme dans beaucoup d’autres secteurs d’activité. On peut estimer qu’il faut maintenant près de trois jeunes médecins pour remplacer un départ à la retraite.
La suppression du numerus clausus est donc un premier pas majeur vers une transformation profonde de la formation médicale en France, même si son effet ne se fera ressentir que dans quelques années.
En complément, un deuxième levier serait d’aller chercher à l’étranger les talents qui souhaiteraient s’établir en France et de faire revenir les praticiens français établis à l’étranger. C’est une politique que l’Allemagne applique d’ailleurs dans des proportions bien supérieures. En 2022, environ 52 000 médecins étrangers exerçaient en Allemagne, contre 26 000 en France.
Cela étant, je me réjouis que la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, adoptée l’an dernier, soit venue consolider le statut des Padhue, ce qui permettra de faciliter leur venue.
Par ailleurs, un troisième levier est également possible, via une plus grande collaboration entre les différents professionnels de santé, pour libérer du temps médical, en confiant notamment à des non-médecins des activités et des actes aujourd’hui réservés aux médecins.
Le précédent gouvernement a beaucoup œuvré en ce sens. Au mois d’avril dernier, l’objectif était de « reconquérir 15 millions à 20 millions de rendez-vous chez le médecin » dès 2024. Ces mots ont très vite été suivis d’actions : par décret pris au mois de juin dernier, ce ne sont pas moins de seize procédures qui ont été simplifiées.
Ainsi, les pharmaciens peuvent désormais prescrire directement des antibiotiques en cas d’angine ou de cystite. Dans certains cas, il est aussi possible de recevoir une nouvelle ordonnance pour des lunettes directement chez l’opticien.
Par ailleurs, depuis le mois de juin, une expérimentation permettant l’accès direct à un kinésithérapeute ou à un médecin spécialiste, sans passer par un médecin traitant, a été lancée dans treize départements.
Ces dispositions viennent répondre à une demande de la profession : non seulement elles présentent l’avantage de libérer du temps médical, mais elles permettent d’améliorer l’accès aux kinésithérapeutes, qui est rendu de plus en plus compliqué faute de rendez-vous chez les médecins.
Toujours dans l’idée de libérer du temps pour les praticiens, le nombre d’assistants médicaux passera de 6 000 à 10 000 à la fin de l’année. Nous saluons aussi la généralisation du service d’accès aux soins (SAS), effective depuis le mois de juin. Elle vise à répondre à la demande de soins vitaux, urgents et non programmés de la population partout et à toute heure, grâce à une chaîne de soins lisible et coordonnée entre les acteurs de santé de l’hôpital et de la ville d’un même territoire.
Continuer de former davantage de médecins et de soignants, aller chercher des talents à l’étranger et libérer du temps médical : ces trois orientations sont complémentaires.
Toutefois, ce débat sur les ressources humaines des professionnels de santé doit s’inscrire dans une stratégie globale, à la fois pour le système de santé et en matière de gestion des ressources humaines.
Déterminer le nombre de professionnels à former n’a que peu d’intérêt opérationnel si l’on ne s’assure pas que ceux-ci accomplissent effectivement les missions attendues.
Par ailleurs, lors d’une audition au mois de mai dernier par la commission des affaires sociales, le président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) avait souligné la nécessité d’une évaluation des besoins territoriaux.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous devons travailler ensemble pour coconstruire une feuille de route. Le groupe RDPI vous soutiendra dans cet objectif, de façon exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir détaillé toutes les mesures mises en place ces dernières années.
En définitive, la restructuration de notre système de santé s’opère bien au quotidien, de façon progressive et en prenant surtout appui sur les acteurs de terrain. Vous avez évoqué les SAS, mais on peut aussi citer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Tous ces services constituent véritablement la source vive de la transformation de notre système de santé.
Nous avons besoin d’étudiants et de jeunes médecins. Je donnerai quelques chiffres que vous connaissez certainement sur l’évolution du nombre d’étudiants dans les différentes formations en santé.
En médecine, avant 2017, quelque 8 700 places étaient offertes, contre 11 000 aujourd’hui, soit une hausse de 26 %. En pharmacie, il y avait 3 200 places, contre 3 600 aujourd’hui. En odontologie, où il manque aussi beaucoup de praticiens sur le terrain dans certains territoires, il y avait 1 250 places en 2017, contre 1 450 aujourd’hui. Enfin, en ce qui concerne la maïeutique et les sages-femmes, il y avait 1 020 places, contre 1 100 aujourd’hui. Tous ces chiffres témoignent d’une augmentation.
La réalité des admissions est bonne en médecine et en odontologie, mais plus difficile en pharmacie et en maïeutique. Il nous faudra y prêter attention.
Bien entendu, il ne faudra pas non plus décréter arbitrairement un nombre d’étudiants en deuxième année – 20 000, par exemple. Tout cela nécessite de la prospective, afin de déterminer exactement le nombre de professionnels de santé nécessaire pour répondre aux besoins de la population.
Il faut donc d’abord mesurer l’évolution de la population, estimer ses besoins, évaluer son vieillissement, calculer la consommation des soins, établir les grandes pathologies, fixer l’organisation du système de santé et tenir compte du progrès médical et technologique. C’est donc un ensemble de paramètres qui nous permettra de déterminer le nombre de médecins à former, car il ne faudrait pas non plus tomber dans l’excès inverse et former trop de médecins. (Protestations sur diverses travées.)
M. Michel Savin. On ne sait jamais !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Trop de médecins, maintenant ?
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour la réplique.
Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, nous sommes loin de courir un tel risque au regard du manque de praticiens ! J’aimerais que vous ayez une attention particulière pour la formation des soignants. Le groupe CRCE-K a mis le doigt sur un problème d’actualité, que nous devons tous contribuer à régler.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Daubet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Raphaël Daubet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on connaît le nombre de villages qui recherchent désespérément un généraliste,…
M. Michel Savin. Et de villes !
M. Raphaël Daubet. … quand on voit la situation des services de gérontologie dans les hôpitaux périphériques, quand on sait que nombre de médecins sont contraints, comme cela a été mon cas, de fermer leur cabinet sans avoir trouvé de successeur, l’intitulé de ce débat « sur la nécessité de former davantage de médecins et de soignants » pourrait franchement passer pour une provocation aux yeux de nos concitoyens !
Pourtant, je veux remercier le groupe CRCE-K, car ce débat pose de vraies questions. Les projections démographiques sont-elles suffisantes ? Prend-on en compte l’attractivité des filières ? Comment résorber les inégalités territoriales ?
Je souhaite sincèrement, madame la ministre, que ce débat soit suivi d’effets, pour une simple et bonne raison : au-delà des enjeux de santé publique, la situation médicale est aujourd’hui ce qui alimente le plus, avec le délabrement des services publics, le sentiment de déliquescence, l’angoisse de l’avenir et la colère de nos concitoyens.
Pour les professions médicales, le numerus apertus est essentiel afin de redresser la démographie. Mais je vous le dis tout net : le nombre de places ouvertes au concours n’est pas à la hauteur des enjeux. J’ai examiné les projections de très près. On nous annonce que la densité des médecins généralistes connaîtra une augmentation de 23 % en 2050 – ce n’est donc pas demain –, ce qui la portera à 172 généralistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c’est exactement la densité du Limousin en 2012, à une époque où l’on parlait déjà de désertification médicale !
Pour les chirurgiens-dentistes, la densité s’accroîtra de 40 % en 2050. Heureuse nouvelle a priori… On atteindra 78 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants. Eh bien, c’est huit de moins que la densité actuelle en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) !
Le plus inquiétant, c’est que ces prévisions ne tiennent pas compte des facteurs sociétaux, de l’évolution des pratiques et de la baisse du temps médical, que l’on a évidemment du mal à évaluer.
De surcroît, ces chiffres intègrent le flux des soignants diplômés à l’étranger, sur lequel nous n’avons aucune prise.
C’est particulièrement inquiétant pour les chirurgiens-dentistes, puisque la moitié, j’y insiste, des inscrits au tableau de l’Ordre cette année sont diplômés de l’étranger. Plutôt que d’ouvrir le robinet du numerus clausus, on laisse nos jeunes aller se former dans les pays voisins à 10 000 euros ou 12 000 euros l’année, ce qui exclut de facto les enfants de milieux défavorisés.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Raphaël Daubet. C’est à la fois une rupture d’égalité scandaleuse, un coup porté à l’excellence universitaire française et une remise en cause de notre souveraineté, puisque, sans ces diplômés étrangers, nous sommes incapables de répondre au besoin de soins de la population.
Notre nation aura renoncé à sa capacité de former la totalité des soignants utiles au pays. Il faut donc augmenter le nombre de places au concours, pour atteindre des seuils de densité suffisants bien avant 2050.
La massification des étudiants est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour résoudre les disparités géographiques. Il faut y associer des dispositifs de régulation : l’État, les pouvoirs publics et le monde universitaire doivent se doter d’une stratégie d’aménagement du territoire – créer des options santé dans les lycées, développer les stages dans les territoires, ouvrir les hôpitaux périphériques aux internes.
Bref, il faut se donner les moyens d’une politique déconcentrée pour garantir le déploiement équilibré de l’offre de soins sur le territoire national.
Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder la question des pharmaciens, des sages-femmes, des kinésithérapeutes, des infirmiers, des aides-soignants, autant de professions dont la démographie, le statut ou l’attractivité doivent nous préoccuper.
Madame la ministre, former des soignants, c’est investir dans l’humain et dans l’avenir. Le RDSE vous alerte sur la nécessité de recalibrer les ambitions à la fois sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Nous nous tenons à votre disposition pour vous proposer des solutions concrètes. Comment comptez-vous vous y pendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Je fais un peu la même analyse que vous : on a vraiment manqué d’anticipation pour les trente années qui viennent. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.)
Depuis 2017, nous enregistrons néanmoins un rebond, grâce à la suppression du numerus clausus et à l’accueil de davantage d’étudiants dans les universités. Pour ce faire, il faut certes des locaux, mais aussi des professeurs, ainsi que des stages à la hauteur de la formation. Tout cela s’est mis en place, mais il existe toujours un temps de latence.
Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait favorable à une politique déconcentrée pour les formations, car je crois que c’est cela qui fera connaître les territoires à nos jeunes étudiants.
La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi OTSS, de 2019 a mis en place une planification pluriannuelle du nombre de professionnels à former pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités d’accès aux soins et permettre l’insertion professionnelle des étudiants. Des objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former pour cinq ans – 2021-2025 – ont été ainsi arrêtés par les ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur après la tenue d’une conférence nationale chargée de présenter des propositions concrètes.
Cette première conférence s’est tenue en mars 2021. Il revient ensuite aux universités et aux écoles de maïeutique, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), de déterminer le nombre d’étudiants à admettre chaque année pour atteindre les objectifs de professionnels à former.
Ces objectifs sont quelquefois différents selon les territoires, car la situation n’y est pas la même, mais, au-delà des approches diverses, l’ambition commune est d’avoir une régulation quantitative.
Le numerus clausus fixait directement un nombre d’étudiants autorisés à poursuivre dans les études de santé. À l’inverse, la détermination d’objectifs nationaux pluriannuels de professionnels à former implique la concertation des acteurs et impose une approche territoriale d’analyse prospective des besoins en professionnels, en fonction des besoins de santé.
Fixer un objectif pluriannuel donne donc plus de latitude aux acteurs locaux. Nous travaillerons en 2025 sur la feuille de route 2026-2030.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Rojouan applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat proposé aujourd’hui est vaste et difficile à circonscrire. Il ne doit pas nous cantonner dans les idées reçues.
Tous ici, dans nos familles, dans nos lieux de vie et dans nos fonctions d’élus, nous constatons la difficulté à accéder aux soins. La question du nombre de soignants formés s’impose.
Dans cette situation de pénurie, il serait cependant dangereux d’amalgamer différentes réalités : celles des territoires ruraux, où l’accès s’entend aussi au sens littéral du transport vers les lieux de soin, et des zones urbaines ; celles des médecins et des autres soignants ; celles des généralistes et les spécialistes ; celles des soignants de ville et des soignants hospitaliers ; celles des soins urgents et des soins programmés ; celles du secteur public et du système privé.
Une évidence s’impose pourtant : l’offre de soins n’est globalement pas à la hauteur de la demande de soins. L’équation n’est pas équilibrée.
Alors que l’on raisonne souvent en nombre de soignants formés, je préfère m’en tenir à la seule jauge qui ait du sens : celle du temps de soin effectif. Sinon, on pourrait croire à tort que les 12 000 médecins formés actuellement produisent autant de temps médical que les mêmes professionnels formés dans les années quatre-vingt.
Or on reconnaît désormais que les médecins nouvellement formés produisent globalement, pour diverses raisons, notamment le nécessaire équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, environ moitié moins de temps médical que leurs aînés. Par un calcul simple, on obtient en fait le temps médical de 6 000 médecins d’il y a quarante ans…
Dans ce sens, oui, il faut former encore plus de médecins, en proratisant constamment leur nombre par le temps médical fourni à une population vieillissante, dont les besoins augmentent.
Évidemment, cette logique a ses limites : prenons le cas des infirmiers que l’on n’a jamais formés en si grand nombre et qui n’ont jamais eu une durée d’exercice aussi courte, usés sans doute prématurément par leurs conditions de travail.
Pourtant, un autre moyen de gagner du temps médical est le report de tâches vers d’autres professionnels de santé, qui doivent eux aussi être en nombre suffisant.
La réforme des études médicales est une piste, avec l’arrivée tant attendue, dès l’automne 2026, des fameux docteurs juniors en milieu rural. Ces étudiants en quatrième année de médecine générale approfondiront leur formation tout en apportant du temps médical dans des zones sous-dotées. La condition de réussite de ce dispositif est cependant la qualité de leur accueil et de leur encadrement, comme le soulignait Corinne Imbert.
Pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, que tout sera prêt en temps et en heure pour accueillir dans les meilleures conditions ces jeunes praticiens ?
Une autre piste est celle du temps médical produit par des étudiants français qui font leur cursus à l’étranger. Des passerelles sont-elles à l’étude, par exemple pour les jeunes qui sont en Roumanie ou en Espagne, leur permettant de revenir dès les troisième, quatrième ou cinquième années ? Peut-on leur redonner une possibilité de réussite aux épreuves classantes nationales, qui leur sont quasiment inaccessibles depuis la dernière réforme ?
Pour ceux qui sont au-delà de la sixième année, donc les internes, est-il envisagé de favoriser leur retour en France, par exemple en contrepartie d’un exercice en zone sous-dense ? Ce serait particulièrement intéressant en cette année qui connaîtra un déficit d’internes…
J’évoque enfin, madame la ministre, le cas des médecins en situation de cumul emploi-retraite, à qui une exonération totale des cotisations sociales avait été promise. Certains d’entre eux seraient prêts à donner plus de temps médical. Pouvez-vous nous confirmer que cette disposition sera prochainement effective dans les termes initialement prévus ?
Pour conclure, une chose est certaine : les exonérations fiscales ne donnent pas de temps médical supplémentaire.
En revanche, le temps médical des docteurs juniors, le temps médical des docteurs seniors, le temps médical des futurs docteurs, qu’ils soient formés en France ou à l’étranger, le temps de soin en général, toutes professions confondues, sont autant de leviers qui doivent être actionnés simultanément, afin que plus aucun patient, en France, ne se sente abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, comment augmenter le temps médical et comment faire en sorte que de jeunes médecins en fin de formation puissent être utiles dans tous les territoires, particulièrement ceux qui sont en difficulté ?
Jusqu’à maintenant, la médecine générale était la seule spécialité à n’avoir que trois années d’internat. Cette absence de phase de consolidation était considérée comme une faiblesse, qui ne favorisait pas une installation immédiate en sortie de cursus.
La nouvelle maquette des formations de diplômes d’études spécialisées de médecine générale, publiée en 2023, prévoit une augmentation d’une année de leur cursus. Nous avons également besoin de médecins pour accompagner ces jeunes praticiens. Ce sont certes des médecins juniors, mais ils doivent encore être encadrés par des praticiens tuteurs.
Partout dans nos territoires, 3 600 docteurs juniors pourront donner des consultations sous la supervision de médecins généralistes dès 2026. C’est plutôt une bonne nouvelle : le processus est en cours de structuration.
Ils exerceront également dans des déserts médicaux sur la base d’incitations. L’incitation est couplée à la fin du numerus clausus en vigueur depuis 2019. Cette réforme pédagogique représente un tournant majeur pour un soutien aux territoires en déprise.
Vous avez évoqué des étudiants français qui font leurs études dans des pays européens. Il existe des équivalences qui permettent à ces étudiants de postuler au sein des universités françaises. Ces derniers peuvent également accéder au troisième cycle des études médicales pour effectuer leur formation de spécialité en France. Il leur est enfin possible de signer des contrats d’engagement de service public.
Quoi qu’il en soit, ils peuvent prendre la place d’étudiants français. Tout cela est donc à étudier avec finesse.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, nous attendons tous avec impatience ces fameux étudiants en quatrième année de médecine générale.
Or, à en croire les potentiels tuteurs, la formation ne serait pas opérationnelle pour l’instant. Il existe peut-être quelque chose à Nantes, mais c’est très compliqué dans la Nièvre où je suis élue. Je me permets de vous alerter sur ce point avant qu’il ne soit trop tard.
Quant aux jeunes qui étudient en Roumanie, certains toquent à la porte et aimeraient faire leur internat en France. Il serait utile d’agir, car nous allons être confrontés à une année creuse. C’est donc le moment ou jamais de leur accorder des facilités, peut-être en négociant une installation dans des territoires sous-dotés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un médecin traitant ou obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou un généraliste est devenu un parcours du combattant pour nos concitoyens, tandis que les élus, les maires et les présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne savent plus à quel saint se vouer pour rendre leur territoire attractif afin d’apporter des réponses durables à la désertification médicale.
Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dans le Pas-de-Calais, le président de la communauté de communes du Ternois, Marc Bridoux, a présenté une motion signée par plus de 90 maires. Cette motion, que je vous ai adressée par courrier, contient des propositions de bon sens. Je vous invite à y répondre.
Nous manquons de médecins, et les années à venir seront encore plus problématiques compte tenu de la vague de départs à la retraite qui nous attend d’ici à 2030. Nous payons aujourd’hui les effets de la politique de non-formation d’il y a quarante ans.
Il y a donc urgence à former dès à présent beaucoup plus de professionnels de santé et de professionnels paramédicaux, y compris pour faire face au vieillissement de la société et à l’explosion des maladies chroniques.
Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus a certes permis d’augmenter le nombre d’internes en médecine, mais cela reste bien insuffisant.
Empêcher la démission des personnels passe par une revalorisation des carrières et des rémunérations et par l’amélioration des conditions de travail. Dans le même temps, le dogme de la réduction des dépenses publiques appliquée à la santé a fait fuir des dizaines de milliers de soignants, écœurés, lessivés.
Madame la ministre, le cœur de la solution réside dans le budget que vous allez décider d’octroyer aux universités et à notre système de santé tout entier. Ce sera possible si vous résistez aux injonctions de Bruxelles de réduire encore les dépenses publiques, alors que l’Ondam est en hausse de 2,8 % pour 2025, quand les besoins nécessiteraient une augmentation de 5 %.
Madame la ministre, allez-vous expliquer à vos homologues de Bercy que les politiques d’austérité menées pendant des années à l’hôpital sont en grande partie responsables du montant de la facture de la gestion de la covid-19, imputée au budget de la sécurité sociale alors qu’elle aurait dû être supportée par l’État ?
Les services publics et la sécurité sociale doivent être sanctuarisés, au-dessus des logiques de réduction de moyens. Or les gouvernements d’Emmanuel Macron ont supprimé 21 000 lits d’hospitalisation, soit 5 % des capacités d’accueil de notre pays.
Toutefois, au-delà du nombre de médecins, la question qui se pose, mes chers collègues, est celle de leur répartition sur le territoire. L’Académie nationale de médecine a récemment suggéré « l’instauration d’un service médical citoyen d’un an pour les médecins nouvellement diplômés dans les zones sous-denses ».
Pour notre part, nous y sommes favorables, tout comme à la régulation des lieux d’installation des médecins et à la réquisition automatique des médecins spécialistes des cliniques privées pour maintenir la permanence des soins.
Je conclurai par l’exemple de la situation vécue en Seine-et-Marne par ma collègue Marianne Margaté, qui a déposé la semaine dernière une question écrite à son sujet : l’opérateur de télémédecine HD4 vient de cesser ses activités, privant les habitants du département d’une solution qui, si elle était loin d’être idéale, avait le mérite d’exister.
Ce n’est pourtant pas faute d’argent public, puisque l’entreprise a empoché 100 000 euros par machine et près de 1,5 million de crédit d’impôt recherche (CIR) ! Les élus sont mis devant le fait accompli et ont dépensé ces sommes pour rien.
Mes questions sont donc les suivantes, madame la ministre : allez-vous défendre la piste d’une régulation de l’installation ? Allez-vous imposer une obligation de participation à la permanence des soins les soirs et les week-ends aux professionnels de santé, quel que soit leur mode d’exercice ? Allez-vous défendre l’idée qu’il faut augmenter le nombre de professionnels de santé, ainsi que leur rémunération, et améliorer leurs conditions de travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez tout d’abord parlé des moyens. Or ceux de la santé n’ont jamais diminué. L’Ondam augmente tous les ans : chaque année, les moyens vont croissant. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)
La question que nous pouvons nous poser collectivement est celle de leur bonne utilisation. La structuration de notre système de santé mérite un regard pointu. Je veux d’ailleurs travailler avec vous tous sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs.
Vous évoquez la liberté d’installation des médecins, vous demandant si l’on ne doit pas la réduire. Plutôt que la coercition, nous avons fait le choix de la construction avec les médecins et de l’attractivité, par des mesures de facilitation.
En effet, la contrainte seule ne fonctionne pas face aux pénuries. On manque déjà de médecins. Il n’est pas possible de recourir à la contrainte sur des ressources humaines insuffisantes ! Compte tenu des voies de contournement existantes – départ pour un pays étranger, choix d’une autre activité professionnelle, déconventionnement… –, le risque est important de voir cette pénurie s’aggraver encore.
Je rappelle que le PLFSS pour 2022 a permis à chaque profession d’inclure des mesures de régulation démographiques dans ses négociations conventionnelles avec l’assurance maladie.
Par exemple, les chirurgiens-dentistes se sont emparés de cette disposition en signant avec l’assurance maladie, le 21 juillet 2023, un accord aux termes duquel, dans certaines zones du territoire qui disposent d’un haut niveau d’offre de soins buccodentaires, l’installation ne sera possible, à partir de 2025, qu’à la condition du départ d’un autre chirurgien-dentiste – il faudra un départ pour une arrivée. Je crois que c’est une première pour une profession médicale libérale en France.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est ce que l’on vous demande pour les médecins !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Les professionnels de santé doivent adhérer et construire eux-mêmes les solutions, avec nous. Je fais confiance au dialogue social.
Vous avez évoqué la permanence des soins. Nous y travaillons. Sur les territoires, de nombreux dispositifs de participation à la permanence des soins de médecins issus du secteur privé, en particulier de l’hospitalisation privée, ont été mis en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Elle est assez éclairante : finalement, vous ne voulez essayer aucune solution !
Vous nous dites vous-même qu’une régulation de l’installation sera mise en place pour l’installation des chirurgiens-dentistes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il en va de même pour les pharmaciens et pour de nombreuses professions, mais vous ne voulez pas l’essayer pour les médecins. Vous me semblez finalement sous le joug de l’ordre des médecins, qui défend le maintien de la possibilité pour ses membres de s’installer n’importe où.
Quoi que vous en disiez, madame la ministre, nous serons obligés de réguler. On est en train de mourir dans nos territoires ! Des tas de personnes sont sans généraliste. Des tas de personnes cherchent un généraliste depuis un ou deux ans et n’en trouvent pas !
Certes, il faut améliorer la formation des médecins, mais, si vous ne prenez pas de mesures pour réguler l’installation, nos problèmes ne seront absolument pas réglés. Ce sera le serpent qui se mord la queue ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous débattons, près de 8 000 étudiants en médecine révisent les épreuves dématérialisées nationales (EDN) qui commenceront dans six jours.
À l’issue du concours, 7 974 étudiants se verront attribuer une place en internat dans les différentes spécialités, ce qui représente 1 510 postes d’internes en médecine de moins que l’an dernier. Et pour cause, une réforme sous-financée, peu transparente et approximative a mis les étudiants en grande difficulté.
La loi de finances pour 2020 avait prévu, pour mettre en œuvre cette réforme, une enveloppe de 17 millions d’euros, dont 6 millions d’euros seulement étaient destinés à compenser la hausse du nombre d’étudiants et étudiantes. C’est sur cette faible somme que reposait la promesse illusoire de voir s’ouvrir de nouvelles places en deuxième année de médecine.
Madame la ministre, l’ARS et les facultés de médecine, désormais chargées d’arrêter les objectifs pluriannuels d’admission, sont à court de moyens pour augmenter les places, alors que les facultés sont déjà largement saturées. Et pour cause, l’augmentation du nombre d’étudiants, qui constitue déjà un enjeu en soi, doit s’articuler avec une capacité d’accueil dans les lieux de stage – vous l’avez dit tout à l’heure.
Ainsi, en 2024, soit quatre ans après la réforme, nous avons seulement 1 600 places de plus en deuxième année de médecine, soit une progression plutôt similaire à celle que l’on connaissait avant cette réforme – 1 374 places supplémentaires avaient été créées de 2016 à 2020.
Changer la sémantique en passant de numerus clausus au numerus apertus ne permettra ni de faire arriver miraculeusement dans les campagnes les 6 000 généralistes demandés par les maires ruraux ni de pourvoir les 30 % de postes de psychiatres hospitaliers vacants ! Cela fera encore moins revenir les 700 médecins généralistes qui sont partis à la retraite en 2023 à Paris…
Vous avez évoqué l’évaluation des besoins, mais les chiffres, les témoignages, les appels au secours des professionnels et des élus locaux sont éloquents.
Oui, face à la pénurie de soignants, il faudra donner les moyens de former davantage au travers du PLF 2025 et, par la suite, flécher les financements plus précisément et avec transparence.
Par ailleurs, le financement de la réforme d’entrée dans les études de santé (Rees) devra s’accompagner de réformes similaires pour l’intégralité des professions soignantes : infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes… En effet, la réalité est que nous manquons de toutes ces professions. Et parce qu’augmenter les places en formation ne suffira pas à attirer plus d’étudiants en formation, il faudra créer des écoles normales des métiers de la santé.
À l’image des nouvelles « écoles normales du XXIe siècle » promises par M. le Président de la République pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant, ces écoles normales des métiers de la santé offriront une formation gratuite et rémunérée, en contrepartie d’un engagement à exercer dans les territoires sous-dotés en offre de soins.
Les écoles normales des métiers de la santé représentent un double investissement, pour l’accès aux soins et pour les étudiants en santé. Tout d’abord, ces écoles permettraient d’accroître le nombre de soignants, d’éradiquer les déserts médicaux et de garantir l’accès aux soins. Ensuite, elles permettraient aux étudiants de poursuivre des études de santé sans condition de ressources, de garantir l’égalité des chances et la diversité socio-économique et de revaloriser des professions délaissées.
Pour rappel, une formation d’aide-soignant coûte entre 6 000 euros et 10 000 euros à l’étudiant lui-même, pour un salaire inférieur à 2 000 euros en début de carrière. Comment penser attirer des professionnels du care quand ils doivent payer aussi cher pour se former ?
Nous le devons à celles et ceux qui travaillent tous les jours pour notre santé et pour celle de nos proches : investissons dans la formation des professionnels de santé et dans l’accès aux soins ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez posé beaucoup de questions, particulièrement sur la formation.
Pour ce qui concerne les étudiants, je puis vous assurer que le nombre de places disponibles s’élève à 11 000 par an aujourd’hui, contre 8 700 en 2017. C’est une réalité. Certains internes ayant choisi de redoubler pour passer le concours dans d’autres conditions, leur chiffre connaît, cette année, une petite diminution, à 8 500, mais, dès l’année prochaine, il reviendra, de manière certaine, à 11 000. Nous les attendons de pied ferme !
Pour ce qui est des formations, j’entrevois l’école normale des métiers de la santé que vous imaginez. Pour ma part, je pense qu’il faut surtout que nous évoluions vers des campus santé, qui seraient des campus de formation pour tous les métiers de la santé, de l’aide-soignant jusqu’au médecin d’ailleurs. Cela permettrait à tous les étudiants qui travailleront dans l’environnement du care – pour reprendre votre terme – et de la santé de se côtoyer et de se connaître.
Nous pouvons travailler à imaginer des solutions avec le ministère de l’enseignement supérieur, ainsi qu’avec les organismes de formation. De fait, il nous faut évoluer et sortir des silos de formation que nous connaissons aujourd’hui – ce serait une bonne piste d’évolution.
S’agissant des formations d’aides-soignants, elles sont majoritairement dispensées dans des instituts publics, éligibles aux financements accordés à tous les organismes de formation.
Certaines régions, qui sont compétentes dans la formation, se sont également emparées de ces sujets et aident les personnes à pouvoir financer leur formation. Il me paraît important de continuer dans ce sens.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. Je vous remercie, madame la ministre. Oui, les aides-soignants et les aides-soignantes peuvent se faire financer leur formation par les régions – sauf que, dans les faits, il est encore difficile d’avoir accès à une formation, pour des raisons administratives : il faut encore remplir divers papiers, contrairement à ce qui existe pour d’autres métiers. C’est un obstacle supplémentaire, sur lequel je me permets d’insister.
Par ailleurs, un campus, c’est formidable, mais encore faut-il que tout le monde puisse y accéder ! Vous savez comme moi que les études de médecine sont longues. Il faut pouvoir les assumer dès le départ. Les étudiants et les externes sont payés à peine plus de 2 euros de l’heure ! C’est extrêmement faible. Au final, quand on n’en a pas les moyens, on ne devient pas médecin.
On voit bien que la situation est encore très complexe. Il faudra y réfléchir, au-delà de la question du campus.
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord moi aussi à remercier nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce débat fondamental à l’ordre du jour de notre assemblée.
Madame la ministre, vous avez été nommée « ministre de la santé et de l’accès aux soins ». Je tiens à le souligner : cela nous donne peut-être une lueur d’espoir dans un contexte où l’accès aux soins est une problématique essentielle dans notre pays – c’est la première préoccupation de nos concitoyens.
Nous connaissons tous les chiffres : 30 % de la population vit dans ce que l’on appelle communément un « désert médical » ; plus de 6 millions de personnes et, surtout, près de 800 000 patients en affection de longue durée (ALD) n’ont pas de médecin traitant, ce qui est particulièrement grave.
C’est donc la promesse d’égalité d’accès à la santé, au cœur de notre modèle social, qui est brisée pour de nombreux Français.
Confrontés chaque jour au désarroi de nos concitoyens, partout, sur les territoires, les élus tirent la sonnette d’alarme. Ainsi, je veux donner l’exemple des dizaines de maires du département des Côtes-d’Armor qui ont pris des arrêtés mettant en demeure l’État de lancer dans les plus brefs délais un plan d’urgence pour l’accès à la santé, invoquant le respect de la dignité de la personne humaine.
Ce constat de la pénurie est établi et documenté depuis de nombreuses années. Pour autant, le manque de soignants – médecins, infirmiers, sages-femmes, aides-soignants – ne cesse de progresser et aboutit à des situations souvent dramatiques. En témoigne l’état dans lequel se sont encore trouvées les urgences cet été dans notre pays.
En ce qui concerne les médecins, la mise en place du numerus clausus dans les années 1970 – on formait alors 9 500 médecins, contre à peine 3 500 en 1993 – est la cause principale de la pénurie que nous connaissons aujourd’hui.
Le numerus clausus a été remplacé par le numerus apertus, déterminé par les ARS et les doyens de faculté, certes en fonction des besoins des territoires, ce qui est intéressant, mais aussi des capacités d’accueil des universités.
En 2019, étaient inscrits en deuxième année de médecine 9 571 étudiants, contre 11 300 à la rentrée 2022. On note donc une légère progression, mais celle-ci doit être mise en perspective, notre pays faisant face à une demande croissante en raison de l’augmentation de la population depuis les années 1970, bien sûr, et du vieillissement de celle-ci, qui entraîne une augmentation des pathologies chroniques et des pertes d’autonomie, mais aussi malheureusement parce que la prévention est très insuffisante dans notre pays. Finalement, les besoins sont beaucoup plus importants, et cette légère progression ne suffit pas à combler la différence.
Autre élément : en 2015, dans une étude du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), le docteur Jean-François Rault écrivait que « chaque année, pas moins de 25 % des médecins diplômés d’une faculté française décident de ne pas s’inscrire à l’ordre pour exercer d’autres professions ». Cela doit nous interroger, et cela prouve bien qu’il ne suffira pas d’augmenter le numerus apertus pour que le nombre de médecins traitants soit suffisant !
Enfin, il faut également tenir compte des inégalités entre les différentes spécialités : entre 2010 et 2022, le nombre de médecins généralistes a diminué de 11 %, quand celui des dermatologues a baissé de 19 %, celui des gynécologues de 17 % et celui des psychiatres de 6 %.
Le Premier ministre a annoncé que la santé mentale serait l’une des causes de l’année, mais avec quels moyens, madame la ministre ? Cela semble extrêmement compliqué…
Si l’augmentation des effectifs en formation est une nécessité, elle doit absolument tenir compte des effectifs d’étudiants qui pratiquent réellement la médecine en fin de cursus, de l’évolution des pratiques médicales, de l’évolution démographique de la société, des besoins réels des territoires et des spécialités sous-dotées. Et il faut, bien sûr, une politique budgétaire qui aille en ce sens !
L’ambition affichée par le précédent gouvernement est de passer à 12 000, puis à 16 000 élèves, mais, vous l’avez dit, il ne suffit pas de décréter un chiffre – ce serait trop simple. Il faut aussi donner les moyens.
Lesquels ? Aujourd’hui, l’augmentation du nombre d’étudiants est contrainte par les capacités des universités, qui manquent de moyens matériels, mais aussi d’enseignants. C’est simple, la médecine générale dispose d’un ratio d’un enseignant pour 86 étudiants, alors que celui-ci est d’un enseignant pour 10 étudiants dans les autres spécialités ! La nécessité de former davantage de soignants a un corollaire : celui d’augmenter les moyens des universités.
Au reste, il n’y a pas que le nombre : comme l’ont souligné plusieurs de mes collègues, il faut augmenter et diversifier les lieux de stage de médecine, notamment dans les zones sous-denses, et former plus de maîtres de stage universitaire, voire envisager de rendre obligatoire pour tout nouvel installé de devenir maître de stage universitaire, en prévoyant évidemment l’attractivité qui va avec.
De fait, selon la Drees, « l’origine rurale des médecins est un facteur essentiel et le meilleur prédicateur de l’installation en zone rurale » : un médecin a deux fois plus de chances de s’installer dans une zone sous-dotée s’il en est originaire ou s’il y a été scolarisé.
Il faut également généraliser l’initiative intéressante de la région Occitanie, qui a créé dès le lycée une spécialité santé, pour susciter des vocations pour tous les métiers de la santé, au-delà de la seule médecine.
Enfin, il est important de créer des antennes universitaires délocalisées, comme à Nevers, où, depuis 2020, une trentaine d’étudiants en première année de médecine ont la possibilité de suivre des cours en distanciel dispensés à Dijon. Cela permet de rendre les études accessibles pour les jeunes nivernais et de favoriser l’installation dans ce territoire, qui, comme ma collègue le disait tout à l’heure, est l’un des plus grands déserts médicaux français.
Madame la ministre, vous avez parlé de déconcentration tout à l’heure : cet impératif est fondamental.
Outre les médecins, la France connaît une pénurie d’infirmiers et d’aides-soignants, puisque ces deux professions sont confrontées à une baisse de leur attractivité due aux conditions de travail de plus en plus difficiles : manque de personnel, manque de reconnaissance, horaires décalés, etc.
Là encore, la sonnette d’alarme a été tirée depuis longtemps, mais, si le Ségur de la santé est venu revaloriser financièrement ces professions, rien n’a été fait pour améliorer ces conditions de travail.
Ainsi, près de 200 000 infirmiers diplômés n’exercent plus, et 20 % à 25 % des élèves abandonnent leurs études au cours de leur cursus. Les stages effectués dans des situations dégradées, dans des services où ils doivent souvent remplacer le personnel en sous-effectif, sans véritable encadrement, ont raison de la vocation de ces étudiants.
On estime aujourd’hui qu’il manquerait au moins 100 000 infirmiers. Selon les études de la Drees, le nombre d’infirmiers et infirmières devrait augmenter de 53 % entre 2014 et 2040, pour atteindre 881 000, contre 630 000 seulement aujourd’hui.
Au reste, les écoles d’aides-soignants ne parviennent pas à remplir leurs classes. Pourtant, la Dares prévoit que le métier d’aide-soignant sera, aux côtés de ceux de sage-femme et d’infirmier, l’un des métiers dont les besoins de recrutement vont le plus augmenter jusqu’en 2030. Cette année est en quelque sorte notre « mur du vieillissement »…
Selon cette étude et au regard des besoins de notre population, le nombre de jeunes diplômés couvrirait moins des deux tiers des besoins en aides-soignants.
Nous le voyons, mes chers collègues, il est plus que nécessaire de former plus de soignants. Mais, je le répète, cela ne peut se faire à moyens constants et sans véritable réflexion sur l’attractivité et les conditions de travail de ces professions.
La formation n’est pas le seul élément de réponse : elle ne peut favoriser l’accès aux soins que si elle est accompagnée d’un véritable travail sur l’organisation même de l’exercice médical sur les territoires, en particulier – j’y tiens particulièrement – en équipe de soins pluriprofessionnels de premier recours. Il faut créer une organisation territoriale qui mette fin aux inégalités majeures et insupportables existant aujourd’hui.
Face à cette situation, que les Français vivent comme un véritable déclassement, nous attendons des réponses rapides. Il ne suffira pas d’appeler à la rescousse les médecins retraités, qui sont déjà aujourd’hui environ 15 000 à exercer après l’âge légal de départ à la retraite et qui maintiennent notre système de santé à bout de bras, ou les médecins diplômés à l’étranger. Il faut désormais investir dans l’avenir et dans l’humain.
Je ne reposerai pas les questions sur la formation et sur les réformes qui ont eu lieu, s’agissant du Pass, de la LAS, des épreuves classantes nationales (ECN) ou de la permanence des soins. Je voudrais surtout, madame la ministre, que vous me parliez des équipes multidisciplinaires de premier recours.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez abordé beaucoup de sujets très intéressants.
Vous avez parlé des patients en ALD. Vous savez qu’un plan a été lancé en 2023 pour leur permettre de trouver un médecin traitant. Quelque 240 000 patients en ALD ont trouvé un médecin traitant grâce à ce plan. À la fin du mois de décembre, encore 472 000 patients en ALD n’auront pas de médecin traitant. Il y a donc encore du travail, mais cela avance.
Vous m’avez demandé de concentrer mon propos sur l’exercice pluridisciplinaire. Je pense que celui-ci permet d’attirer des confrères, parce que travailler ensemble est très différent d’exercer de manière solitaire.
L’exercice pluridisciplinaire devrait pouvoir comprendre des consultations de médecins généralistes et des consultations de spécialistes qui vont vers les patients. Je vous ai parlé d’« équipes », parce que je pense que nous allons devoir faire entrer beaucoup de prévention dans les objectifs des médecins, dans les cabinets médicaux et dans les maisons médicales.
Aujourd’hui, nous soignons, mais nous ne faisons pas suffisamment de prévention. Je pense à la prévention primaire – les vaccinations, les modes de vie, l’alimentation –, mais aussi à la prévention secondaire, qui vise à permettre aux patients atteints de maladies d’être en meilleure santé possible.
Ces objectifs sont très importants et doivent être déployés dans tous les espaces de notre pays, notamment dans les maisons pluridisciplinaires.
En effet, les personnes qui y travaillent – ce sont souvent des infirmiers en pratique avancée, mais cela peut aussi être des médecins –, peuvent rendre des services importants à notre santé collective et œuvrer à une moindre progression des ALD et des maladies chroniques très invalidantes.
Cela doit être notre but dans les années à venir. C’est un objectif important. Tâchons de l’atteindre ensemble !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.
Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Le chiffre de 3 % du budget de la sécurité sociale qui est dédié à la prévention parle de lui-même ! Notre politique de santé est axée depuis très longtemps – trop longtemps – sur le seul curatif.
Je voudrais revenir sur l’intérêt des maisons de santé pluriprofessionnelles.
Vendredi dernier, j’ai assisté à la signature d’une CPTS dans mon département. Le travail conjoint qui y est mené, dans une équipe pouvant rassembler, par exemple, un IPA, un auxiliaire médical, un pharmacien, un kinésithérapeute ou encore un dentiste, représente une solution importante.
Il faut étendre cette organisation à l’ensemble du territoire. Cela participe de l’attractivité de la profession, de même que l’exercice mixte, qui permet à un jeune médecin de travailler à l’hôpital, aux urgences, certains samedis. Toutes ces petites solutions jouent un rôle très important, car il n’existe pas de réponse simple à un problème aussi complexe.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Rojouan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, former davantage de médecins – et plus encore de soignants – est une nécessité. J’y souscris pleinement, mais cela ne doit pas éluder un défi tout aussi essentiel : comment faire en sorte que ces médecins s’installent dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Comment utiliser leur formation comme un levier de résorption des inégalités territoriales d’accès aux soins ?
Récemment, j’ai entendu nombre de parties prenantes et de professionnels, en tant que rapporteur de la mission d’information sur les inégalités territoriales d’accès aux soins dans le cadre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Les enseignements que j’en retire permettent d’esquisser pour l’avenir des pistes que j’aimerais partager avec vous.
Une première réponse réside dans l’évolution de la sélection, pour favoriser le recrutement en médecine d’étudiants issus de zones sous-dotées. La ruralité et les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont largement sous-représentés parmi les territoires dont sont issus les étudiants en santé. Or ceux-ci sont les plus enclins à s’installer dans ces espaces à l’offre de soins insuffisante.
Pourquoi ne pas définir des taux minimaux d’étudiants issus de ces territoires, comme c’est déjà le cas pour les boursiers ? Un tel dispositif serait plus efficace que le très cher contrat d’engagement de service public, aux résultats aujourd’hui insuffisants.
Il faut en outre mener un véritable choc de territorialisation de la formation. Les futurs professionnels de santé s’ancrent progressivement dans leur territoire de formation lors de leurs études et s’installent souvent à proximité. Comme mes collègues, je propose donc de lancer un plan d’urgence pour ouvrir de nouvelles antennes ou facultés de médecine, sur le modèle du plan déployé en odontologie en 2021, qui a déjà porté ses fruits.
Ce virage territorial doit également s’appliquer aux stages, pour sortir de notre modèle trop « CHU-centré ». Davantage de stages doivent être réalisés en médecine de ville, pour permettre aux jeunes de découvrir de nouveaux lieux d’exercice et méthodes de travail, en particulier dans les maisons de santé.
Faire venir les jeunes dans les territoires sous-dotés est une clé pour répondre aux disparités territoriales. Bien sûr, un tel changement de logiciel suppose de mieux accompagner nos étudiants, notamment en mettant en place des indemnités de déplacement et de logement suffisantes.
Enfin, il faut lever le tabou de la régulation des installations. La situation actuelle est le résultat de décennies d’incitations financières des médecins à s’installer en zone sous-dense. Le bilan est sans appel : un accroissement des inégalités d’accès aux soins et 6 millions de Français sans médecin traitant. Cessons enfin de distribuer vainement l’argent public !
Une régulation pourrait être instaurée pour les étudiants à l’issue de leur formation, en ouvrant la possibilité d’installation en zone mieux dotée seulement lors du départ d’un médecin, ou en conditionnant l’installation à l’exercice à temps partiel en zone sous-dotée.
Je suis favorable à ce que ce travail soit mené directement par la profession : le législateur n’interviendrait qu’en cas d’échec de cette réflexion.
Madame la ministre, comptez-vous soumettre les études de santé à un véritable choc qui changera immédiatement les choses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Je suis d’accord avec vous : des évolutions sont nécessaires. Certaines sont d’ailleurs en cours, car des universités, précisément, les plébiscitent.
Vous soulignez également, à raison, l’importance des stages réalisés dans les territoires sous-dotés, pas seulement dans le cadre de l’internat, mais dès la quatrième année d’études de médecine.
Tout cela doit être organisé. Cela relève en partie de la compétence du ministère de l’enseignement supérieur, mais, en tant que ministre de la santé, j’en appelle à un travail fin sur ce point. En particulier, facilitons le déplacement et l’hébergement des stagiaires, qui sont souvent à l’origine de difficultés pour ceux-ci. C’est en effet en s’installant dans ces territoires que les étudiants apprennent à le connaître, s’y font des amis et éprouvent, par la suite, le désir d’y rester. J’en suis intimement convaincue.
À l’occasion de leurs stages, les étudiants doivent davantage sortir du CHU pour découvrir les maisons de santé pluriprofessionnelles et les CPTS. Pour cela, nous avons besoin de plus de maîtres de stage. Certes, leur nombre a progressé de 25 %, mais cette dynamique doit se poursuivre.
Plutôt que d’empêcher, comme nous le faisons trop souvent, cherchons au contraire à faciliter, en trouvant des solutions adaptées à chaque territoire, car il n’existe pas de réponse unique.
Je ne puis donc qu’être d’accord avec vos propos. S’agissant de l’obligation de régulation, j’ai mentionné tout à l’heure les propositions des chirurgiens-dentistes. Nous devons inciter les professionnels à travailler en ce sens. Cela fait partie de l’équilibre de la convention médicale qu’ils ont signée.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.
M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, j’apprécie votre réponse. Néanmoins, il ne s’agit que de solutions de moyen et de long termes. Or les Français attendent une réponse immédiate.
À court terme, je ne vois qu’une solution. Dans les territoires les plus désertés, deux professions restent présentes : ce sont les infirmiers et les pharmaciens. Les premiers transferts de compétences ont marqué une belle avancée. Dans l’attente du renforcement de la présence médicale, davantage de compétences doivent leur être déléguées, pour répondre aux besoins des patients.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il ne fait plus aucun doute que notre pays fait face à une crise aiguë liée au manque de médecins.
Partout en France, mais surtout dans les territoires ruraux et les quartiers populaires, l’accès aux soins devient un parcours du combattant. Les temps d’attente atteignent plusieurs semaines, au minimum, pour un généraliste, et plusieurs mois pour un spécialiste. Ce phénomène n’est, bien entendu, pas homogène : certains territoires s’en sortent mieux, alors que d’autres sont devenus de véritables déserts médicaux.
Le législateur a bien pris conscience de l’ampleur de cette crise en supprimant, en 2019, le numerus clausus qui limitait le nombre d’étudiants en médecine.
Nous avons ainsi mis fin à une politique qui, pendant des décennies, a étouffé l’offre médicale en France. Le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus, qui est fixé conjointement par les agences régionales de santé et les doyens des facultés de médecine. Le progrès est notable, mais il faudra des années avant que cette réforme ne produise tous ses effets, car, et c’est bien là le cœur du problème, former un médecin prend beaucoup de temps.
C’est pourquoi, dans l’immédiat, nous devons faire preuve d’imagination et de pragmatisme pour apporter des solutions à la pénurie de médecins et de soignants.
À court terme, le Gouvernement a fait le choix de déléguer de plus en plus de tâches médicales aux infirmiers, aux aides-soignants et à d’autres professionnels de santé. Ces délégations d’actes comprennent, par exemple, la prescription et l’administration de vaccins par les infirmiers, ou encore le renouvellement, par les pharmaciens, d’ordonnances pour les maladies chroniques.
Ouvrir plus largement les délégations d’actes était sans doute une mesure nécessaire pour permettre à notre système de santé de faire face à la demande de soins. Mais prenons garde : on peut déléguer à condition que cela ne morde pas sur le temps médical accordé aux patients. Certaines compétences ne se délèguent pas. Celle de poser un diagnostic, notamment, constitue le cœur du métier de médecin et ne peut être confiée à une autre profession. Il ne faudrait pas priver le patient du temps médical dont il a besoin.
Par ailleurs, les infirmiers et les aides-soignants sont, eux-mêmes, en sous-effectif. Ils sont épuisés. Leurs horaires et leur charge de travail s’alourdissent considérablement, et cela pourrait, à terme, nuire à la qualité des soins qu’ils prodiguent. On ne peut donc pas continuer à leur déléguer toujours plus d’actes.
Ainsi, madame la ministre, cette réponse de court terme ne peut être satisfaisante. Elle a ses limites, et nous ne pouvons continuer à faire peser tout le poids de la crise sur les épaules de nos soignants. Si cette solution permet de tenir dans l’immédiat, il est nécessaire de trouver d’autres pistes.
Surtout, il nous faut penser au long terme. Il est impératif de remédier, de manière structurelle, au manque d’offre de soins dans notre pays, en formant plus de médecins. Mais cela pose plusieurs problèmes, auxquels la fin du numerus clausus ne répond pas complètement.
Il y a d’abord la question des places disponibles dans nos universités de médecine. Nos facultés ne peuvent accueillir un nombre d’étudiants infini. Le numerus apertus a d’ailleurs notamment pour but de s’assurer que le nombre d’étudiants admis est cohérent avec la capacité d’accueil de chaque faculté. Pour former plus d’étudiants, il faudrait plus de moyens. Or la situation de nos finances publiques ne semble pas nous le permettre.
Ensuite, un problème de ressources humaines se pose. La médecine est un art qui se transmet. Pour former de nouveaux médecins, encore faut-il avoir des professeurs pour enseigner aux étudiants, et des médecins expérimentés pour encadrer les internes. Or, sous l’effet des départs à la retraite, le nombre de praticiens expérimentés diminue, et ceux qui restent sont désormais surchargés.
Comment, dans ces conditions, réussir à former en nombre suffisant une nouvelle génération de médecins compétents ?
Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez aura donc une double responsabilité. Tout d’abord, à long terme, il devra trouver les moyens humains et financiers pour former une nouvelle génération de médecins et de soignants. Ensuite, à court terme, il lui faudra trouver des solutions innovantes pour répondre au manque de médecins et de soignants sur notre territoire, car nos citoyens ont besoin d’accéder à ces soins sans attendre. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, il est vrai que nous manquons de médecins et d’infirmiers. Notons cependant que davantage d’aides-soignants et d’infirmiers ont été formés ces dernières années. La reprise du recrutement des infirmiers par les hôpitaux est en outre le signe d’un renforcement de l’attractivité de ces métiers.
Vient ensuite la question de l’organisation territoriale. Bien sûr, il nous faut des médecins pour poser les diagnostics. Pour autant, les infirmiers peuvent aussi réaliser des actes importants, bien qu’ils ne constituent pas directement un diagnostic ou une prescription. Cette complémentarité entre les médecins, les infirmiers et les aides-soignants est nécessaire et doit évoluer.
N’oublions pas que, pour les aides-soignants, la perspective d’évolution vers le métier d’infirmier, puis d’infirmier en pratique avancée, avant, pourquoi pas, d’engager des études de médecine, fait partie de l’attractivité de ce métier. Elle représente une véritable dynamique de progression.
Si certains territoires connaissent des difficultés, il faut aussi souligner que de formidables organisations territoriales se sont construites, souvent grâce aux élus locaux. J’en ai vu des exemples exceptionnels sur le terrain. Ces constructions, articulées autour des quelques médecins présents, reposent fortement sur les infirmiers et sur l’ensemble des métiers du soin.
Au travers des CPTS et des SAS, qui répondent au problème des soins non programmés, des organisations territoriales ont émergé. Nous devons les encourager, les aider et faciliter leur développement.
Il faut rester modeste : ces solutions ne régleront pas tout, car nous manquons encore de ressources humaines. Mais inspirons-nous de ces solutions locales. Dans la Creuse, j’ai rencontré l’association Médecins solidaires, qui organise un relais hebdomadaire de médecins généralistes. Les patients avec lesquels j’ai échangé étaient très heureux de cette solution.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour la réplique.
Mme Brigitte Devésa. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Pour autant, la problématique des soignants ne date pas d’hier. Cessons d’en parler, car le diagnostic exact est désormais connu, et passons plutôt aux actes ! Je compte sur votre gouvernement et sur votre ministère pour agir le plus rapidement possible pour nos concitoyens. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Ventalon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la formation des soignants constitue malheureusement une préoccupation phare de notre société. Cette problématique s’étend et inquiète bien au-delà du domaine médical et paramédical.
Abandon de cursus, problèmes de recrutement, départs vers le privé : ces maux, dont souffre l’ensemble du corps médical, sont bien connus. Ils constituent une affection de longue durée, qui perdure d’année en année au sein de notre société.
Pour autant, nous avons récemment pu entrevoir les prémices d’une rémission en la matière. D’après les chiffres publiés par le Conseil national de l’ordre des médecins au début du mois d’octobre, 1 672 médecins supplémentaires sont entrés en fonction au cours de l’année 2024, soit une hausse de 0,8 % par rapport à l’année précédente.
Pourtant, malgré cette éclaircie, les déserts médicaux, dans nos villes et dans nos campagnes, eux, progressent. Dans le département dont je suis élue, l’Ardèche, 35 000 personnes n’ont pas accès à un médecin traitant. Ce constat n’est pas nouveau. Il est la conjugaison de plusieurs facteurs, certains maîtrisables, d’autres inéluctables.
Parmi les écueils à l’origine de la catastrophe quotidienne que vivent tant de nos concitoyens, deux, en particulier, doivent être rappelés.
Notre première erreur a été de former toujours moins de médecins chaque année. Le numerus clausus, dont la suppression a été trop tardive, a durablement affecté le renouvellement générationnel, particulièrement celui de nos soignants de proximité.
De plus, nous savons d’ores et déjà que les effets de cette réforme, mise en œuvre en 2022, ne se feront pas sentir avant 2030, date à laquelle la première promotion sans numerus clausus finira ses études. D’ici là, les zones déjà sous-dotées continueront inexorablement de voir les départs de leurs médecins non compensés et leur population privée d’un accès aux soins minimum.
Notre seconde erreur a été le choix d’une organisation centrée sur l’hôpital, qui concentre l’activité des soins et qui contribue ainsi à accroître une répartition déjà inégale de l’offre sur le territoire.
Face à ce fléau qui gangrène nos communes et leur fait perdre petit à petit leur attractivité, nos élus locaux ont été fidèles à l’ingéniosité et au sens pratique qui les caractérisent tant. Je pense notamment à la création de maisons de santé pluridisciplinaires et au recrutement de personnels déchargeant les médecins des tâches administratives.
Malheureusement, les initiatives concrètes et innovantes pour lutter contre les déserts médicaux, souvent engagées avec détermination par les collectivités locales, mais isolées, ne peuvent à elles seules résoudre cette problématique.
Sur ce sujet comme sur tant d’autres, écouter les propositions de la Haute Assemblée aurait permis un gain de temps non négligeable. En effet, le 18 octobre 2022, le Sénat adoptait la proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Présenté par notre ancien président Bruno Retailleau, que je tiens à saluer, ce texte cherchait à agir au moment de la formation des médecins en créant une quatrième année d’internat.
L’objectif était ainsi d’inciter les jeunes médecins à effectuer leur dernière année de formation dans des zones sous-dotées en cabinet libéral ou en maison de santé, avec une rémunération à l’acte.
Bien qu’il ait été dénaturé, le dispositif a été retenu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, et la première promotion concernée a fait sa rentrée en 2023.
Madame la ministre, quels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer de ce dispositif ? Comment allez-vous assurer le déploiement effectif et rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé pluridisciplinaires et des bus de santé, promis par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Cette quatrième année d’internat, qui vise à inciter les jeunes médecins à s’installer dans des territoires en difficulté, fait en effet partie des solutions.
Nous devons continuer à travailler à cette organisation, qui se met en place très progressivement. Pour cela, nous avons aussi besoin de maîtres de stage en médecine générale. Leur nombre a déjà augmenté de 25 %, mais ce mouvement doit se poursuivre. L’idéal serait que tous les médecins généralistes puissent le devenir ! Cela contribuerait à l’attractivité des territoires et renforcerait les possibilités d’accueil des étudiants.
Les infirmiers en pratique avancée, ainsi que la télémédecine, font également partie des réponses.
Pour autant, je reconnais que c’est là une forme de bricolage. Tant que nous n’aurons pas davantage de médecins sur le terrain, soit jusqu’en 2030, nous resterons dans cette situation…
Aussi, appuyons-nous sur l’intelligence des territoires. Les élus locaux sont une aide formidable sur ces questions. Ils se montrent toujours innovants et cherchent à accompagner financièrement les projets, notamment les maisons de santé. Aidons-les, notamment, à faire fonctionner ces maisons, pour qu’elles accueillent encore davantage de professionnels complémentaires, afin de répondre aux besoins de la population dans les déserts médicaux.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat très intéressant que nous venons d’avoir paraît avant tout traduire une inquiétude partagée dans l’ensemble des territoires.
Je suis issue d’une zone rurale, où cette problématique est particulièrement sensible, mais il y a aussi des déserts médicaux dans les territoires urbains et dans les banlieues. Le sujet est donc vaste et se pose de manière variable.
Aurions-nous donc un nombre insuffisant de professionnels pour faire face aux besoins de santé ? Oui ! La France, comme tous les pays d’Europe et du monde, est confrontée à la raréfaction des ressources humaines médicales et non médicales.
À l’échelle mondiale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il manquera près de 10 millions de professionnels de santé à l’horizon de 2030. Cette tension est la conséquence à la fois d’une évolution des besoins de santé, supérieurs aux capacités de formation, d’un nouveau rapport au travail et aux conditions de son exercice, mais aussi d’une répartition insuffisamment efficace des professionnels entre les différents offreurs de soins.
De manière prospective, la poursuite du vieillissement de la population et l’absence de perspective de diminution du nombre de personnes touchées par les grandes causes de morbidité laissent présager un besoin croissant de professionnels de santé.
Ces derniers mois ont toutefois été marqués par des signes encourageants pour le recrutement de professionnels en établissements de santé dans notre pays. La Fédération hospitalière de France (FHF) a mené ces dernières années une grande enquête auprès des hôpitaux publics, qui permet d’analyser la situation du point de vue des ressources humaines pour la totalité de l’année 2023. Celle-ci révèle plusieurs signaux positifs sur le plan de l’attractivité des métiers hospitaliers, ce qui confirme que l’attention portée à la rémunération, mais aussi aux conditions de travail, porte ses fruits.
Concernant le personnel non médical, le taux de postes vacants poursuit sa diminution, en particulier pour les infirmiers, puisqu’il était de seulement 3 % en 2023, contre 5,7 % en avril 2022. L’absentéisme continue également de décroître, pour s’établir, tous établissements confondus, à 9,5 %, contre 11,1 % en 2022, soit le niveau le plus bas observé depuis la covid-19.
Dans cette situation, bien sûr, la priorité doit être de soutenir la reconquête progressive de l’attractivité des métiers de la santé et de la fidélisation des professionnels. Les études en santé – médecine, pharmacie et formation en soins infirmiers – occupent le podium des formations les plus demandées par les lycéens sur Parcoursup en 2024. Il faut le souligner, ce sont des métiers qui attirent.
Afin de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens, le Gouvernement a engagé des mesures fortes ces cinq dernières années pour accroître ses capacités de formation, mais aussi maintenir dans le système de santé les étudiants formés et les professionnels en exercice.
Ainsi, le nombre d’étudiants au sein des filières de médecine, d’odontologie, de soins infirmiers et d’aides-soignants a considérablement augmenté. La suppression du numerus clausus en 2021, remplacé par le numerus apertus, a conduit à une augmentation du nombre d’étudiants en médecine qui s’élève désormais à 11 000 chaque année, soit 26 % de plus que sur la période antérieure.
Pour l’odontologie, le nombre d’étudiants atteint 1 400 par an, soit une augmentation de 15 %. Pour les formations d’infirmiers et d’aides-soignants, le plan de relance du Gouvernement a permis la création de places supplémentaires, aboutissant à une augmentation des places offertes de plus de 20 % depuis 2019 dans les deux formations.
Cependant, il faut du temps pour que ces mesures montrent leurs effets, car la durée des formations médicales est longue. Il faudra attendre 2025, et surtout 2026, pour constater l’arrivée d’un flux plus important d’internes. Mais depuis septembre 2023, les premiers effets du plan de relance sur les formations en soins infirmiers se font sentir sur le système de santé.
Afin d’améliorer la réponse aux besoins de la population, la transformation des professions de santé et des pratiques de soins s’est accélérée durant ces dernières années. Cette dynamique va se poursuivre.
Cette transformation implique l’accès direct à de nouvelles professions de santé, mobilisant notamment les nouveaux métiers paramédicaux, ainsi que l’élargissement des compétences des professionnels de santé. Les protocoles de coopération, locaux et nationaux, bien qu’ils soient organisationnels, jouent un rôle essentiel dans ce cadre.
Nous devons repenser notre système de santé à partir des métiers et de leur évolution. C’est une nécessité.
La réforme de la formation et du métier d’infirmier en est un exemple. Le Premier ministre en a fait une priorité. Un projet de loi, en préparation depuis 2023, sera présenté au Parlement dans les prochains mois. Il vise à conforter ce métier qui a tant évolué depuis la dernière loi régissant cette profession, qui date de quelques années maintenant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les sujets que nous avons abordés ont une dimension très humaine : ils ont trait à l’avenir de la prise en charge de notre population. Les métiers et les organisations sont en pleine évolution, et nous devons apporter notre force collective pour accompagner ces transformations. Je sais que je peux compter sur vous pour cela. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vais pas conclure ce débat, même s’il s’agit de la formule consacrée, car des pistes et des chantiers méritent d’être ouverts à sa suite, me semble-t-il.
De manière quasi unanime, sur l’ensemble de ces travées, nous avons affirmé la nécessité d’un effort important quant à la formation des médecins, et plus globalement des soignants. Chacun de nous l’a dit à sa manière, il faut le souligner : au-delà du contexte politique, et alors que le Gouvernement est quotidiennement à la recherche de majorités, voilà une majorité qui s’exprime clairement en faveur d’un très grand effort de formation.
Je souligne, car, il y a encore quelque temps, sûrement en toute bonne foi, certains d’entre nous et certains de vos prédécesseurs, madame la ministre, pensaient qu’une meilleure organisation du système de santé suffirait. Bien sûr, il est possible d’améliorer celle-ci sur de nombreux points, par exemple en ce qui concerne le temps administratif, qui est trop important, ou l’exercice coordonné des soins.
Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il faut lancer un effort de formation. Nous le reconnaissons, des pas ont été réalisés, notamment avec la fin du numerus clausus que je saluais dans mon introduction, mais ils ne sont pas au niveau de l’effort nécessaire.
Ce débat a aussi permis l’affirmation claire de ce que j’appelle « la démocratisation » des études en santé, même si cette expression n’est peut-être pas la plus pertinente. Il faut que les professionnels de santé soient issus de toute la société, de tous les territoires, pour justement exercer sur l’ensemble du territoire.
Or, on le voit bien, et certains ont mentionné des études très éloquentes à ce sujet, les jeunes qui entament des études de médecine sont toujours issus des mêmes catégories sociales. La réforme des études de santé avait justement pour but de faire entrer de nouveaux profils dans ces formations, mais on constate, là aussi, que l’effort n’est pas suffisant.
Madame la ministre, vous l’avez souligné à juste titre, les formations en santé figurent sur le podium des formations demandées sur Parcoursup. Il faut se saisir de l’appétence des jeunes pour ces formations, car il s’agit d’un vrai levier.
En revanche, madame la ministre, je suis en désaccord avec vous lorsque vous avancez que la situation dans laquelle nous nous trouvons est le fruit d’un impensé. Non ! C’est au contraire le fruit et la concrétisation de théories selon lesquelles diminuer le nombre de médecins et de professionnels de santé ferait baisser les dépenses de santé ! (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Nombre de vos prédécesseurs – je ne leur en fais pas grief – ont défendu cette position. Aujourd’hui, il faut l’affirmer avec force, c’est exactement le contraire qui se produit : cela coûte plus, et les dégâts tant sociaux que politiques sont incommensurables.
Mme Anne-Sophie Romagny. Bravo !
Mme Céline Brulin. Nous avons eu ces débats lors de l’examen de la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, et nous les avons lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale : la rapporteure générale concède qu’il faudrait former davantage de médecins, mais elle fait remarquer qu’il n’est pas possible de pousser les murs de nos universités. C’est pourtant précisément ce que nous devons faire !
En tant que décideurs publics, nous ne pouvons accepter que la politique de santé soit guidée par la taille actuelle des universités, le nombre de professeurs ou le nombre de terrains de stages. Si la puissance publique compte enclencher un grand effort de formation, cela suppose une traduction budgétaire. Madame la ministre, aux côtés du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, vous devez vous faire entendre à ce sujet – pour notre part, nous nous ferons entendre.
À juste titre, nous sommes tous partis de nos territoires, et le temps manque pour évoquer de nombreux autres problèmes relatifs par exemple à la médecine scolaire, aux soins palliatifs ou à la médecine du travail. Les choses y sont encore plus sinistrées que dans nos territoires, mais je tenais tout de même à les mentionner.
Nombre d’entre nous ont proposé des pistes qui méritent d’être creusées, par exemple pour permettre aux jeunes d’avoir un pied dans les études de santé dès le lycée. J’émets un bémol quant aux attentes portées sur les docteurs juniors, car on ne peut pas demander seulement aux jeunes d’aller dans les territoires les plus difficiles. C’est le fonctionnement qui est retenu dans l’éducation nationale, et l’on voit que cela ne se passe pas toujours très bien… Il faut aussi que les plus expérimentés se rendent dans les territoires les plus difficiles.
De nombreuses propositions ont été faites, y compris celles, récurrentes, qui visent à aller vers une régulation de l’installation : en effet, il faut former davantage de médecins, mais il faut également que ceux-ci exercent là où l’on a besoin d’eux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Loïc Hervé.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie ce jour, sont consultables sur le site du Sénat.
En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
Conclusions de la conférence des présidents
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 8 octobre 2024
Le soir
- Débat sur la situation des urgences pendant l’été 2024 (demande du groupe SER)
• Temps attribué au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 7 octobre à 15 heures
Mercredi 9 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 9 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
- Proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 664, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 672, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 8 octobre à 15 heures
Le soir
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024
• Intervention liminaire du Gouvernement
• 4 minutes attribuées respectivement à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la commission des finances, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et à la commission des affaires européennes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur des commissions et des groupes pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Conclusion par la commission des affaires européennes : 4 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 8 octobre à 15 heures
Jeudi 10 octobre 2024
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (texte n° 862, 2022-2023)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d’affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 678, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 3 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 9 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 9 octobre à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 15 octobre 2024
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves, présentée par MM. Gilbert Bouchet, Philippe Mouiller et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 670, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 7 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 15 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 octobre à 15 heures
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet, présentée par Mme Annick Billon, M. Bruno Retailleau, Mme Françoise Gatel et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 662, 2023-2024) (demande du groupe UC et du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 14 octobre à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 11 octobre à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : lundi 14 octobre à 15 heures
- Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 643, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 27 mai à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 29 mai matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 6 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 15 octobre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 14 octobre à 15 heures
Mercredi 16 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 16 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Suite de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 643, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
Jeudi 17 octobre 2024
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
- Proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues (texte n° 741, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport avec une saisine pour avis de la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues (texte n° 682, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
À l’issue de l’espace réservé au groupe SER
- Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte n° 660, 2023-2024) (demande de la commission des lois)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 7 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 9 octobre à 14 heures
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 14 octobre à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : vendredi 11 octobre à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 16 octobre à 15 heures
- Proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », présentée par M. Jean-Michel Arnaud et plusieurs de ses collègues (texte n° 556, 2023-2024) (demande du groupe UC)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 3 juin à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 5 juin matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 10 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 16 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 22 octobre 2024
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30
- Éloge funèbre de Jean-Pierre Bansard
À 15 h 15 et le soir
- Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de simplification de la vie économique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 635, 2023-2024)
• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 21 octobre à 15 heures
• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 22 octobre à 12 h 30
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023 (procédure accélérée ; texte A.N., n° 3)
Ce texte sera envoyé à la commission des finances.
• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 22 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 21 octobre à 15 heures
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (procédure accélérée ; texte A.N., n° 4)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.
• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 22 octobre après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 21 octobre à 15 heures
Mercredi 23 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 23 octobre à 11 heures
À 16 h 30 et le soir
- Proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte n° 759, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 23 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 octobre à 15 heures
- Proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, présentée par M. Cédric Vial, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Roger Karoutchi, Laurent Lafon et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée ; texte n° 720, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 23 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 octobre à 15 heures
SEMAINE SÉNATORIALE
Mardi 29 octobre 2024
À 14 h 30 et le soir
- Proposition de loi visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, présentée par Mme Christine Lavarde et plusieurs de ses collègues (texte n° 612, 2023-2024) (demande de la commission des finances)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 29 octobre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 28 octobre à 15 heures
Mercredi 30 octobre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 30 octobre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE-K)
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie (texte n° 653, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 30 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 29 octobre à 15 heures
- Proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics présentée par Mme Cécile Cukierman, M. Ian Brossat et plusieurs de leurs collègues (texte n° 760, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 21 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 23 octobre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 30 octobre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 29 octobre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 5 novembre 2024
À 9 h 30
- Questions orales
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- Explications de vote puis vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi visant à améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants (texte n° 570, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 30 octobre à 8 h 30
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 4 novembre à 12 heures
• Délai limite de demande de retour à la procédure normale : jeudi 31 octobre à 17 heures
• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes
• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : lundi 4 novembre à 15 heures
- Proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, présentée par Mme Marie Mercier et plusieurs de ses collègues (texte n° 756, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 28 octobre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 30 octobre à 8 h 30
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 5 novembre en début d’après-midi
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 4 novembre à 15 heures
Mercredi 6 novembre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 6 novembre à 11 heures
À 16 h 30
- Débat sur le rapport sur la situation des finances publique locales remis en application de l’article 52 de la loi organique relative aux lois de finances
• Temps attribué à la commission des finances : 8 minutes
• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :
2 minutes, y compris la réplique
Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente
Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute
• Conclusion par la commission des finances : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 5 novembre à 15 heures
SEMAINE DE CONTRÔLE
Mardi 12 novembre 2024
À 14 heures
Travaux de la commission des affaires européennes, des délégations et des instances temporaires (jusqu’à 17 heures) et des commissions permanentes (à partir de 17 heures).
À 18 h 30
- Débat sur le thème : « Nouvelle Commission : quelle politique européenne et quelle influence pour la France ? » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : vendredi 8 novembre à 15 heures
Le soir
- Débat sur le thème : « Gestion de l’eau : bilan de l’été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource » (demande du groupe Les Républicains)
• Temps attribué au groupe Les Républicains : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par le groupe Les Républicains : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : vendredi 8 novembre à 15 heures
Mercredi 13 novembre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 13 novembre à 11 heures
De 16 h 30 à 20 h 30
(Ordre du jour réservé au groupe RDSE)
- Proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l’enfant victime de violences, présentée par Mme Maryse Carrère (texte n° 530, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 novembre à 15 heures
- Proposition de loi visant à limiter le paiement en espèces, présentée par M. Christian Bilhac et plusieurs de ses collègues (texte n° 628, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des finances.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 novembre à 15 heures
Le soir
- Débat sur le thème « Financement de la sécurité civile : soutenir les Sdis dans leur gestion des nouveaux risques » (demande du groupe RDSE)
• Temps attribué au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen : 8 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
• Possibilité pour le Gouvernement de prendre la parole après chaque orateur pour une durée de 2 minutes ; possibilité pour l’orateur de répliquer pendant 1 minute
• Temps de réponse du Gouvernement : 5 minutes
• Conclusion par le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen : 5 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 12 novembre à 15 heures
Jeudi 14 novembre 2024
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
(Ordre du jour réservé au groupe Les Indépendants)
- Proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen (texte n° 782, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 novembre à 15 heures
- Proposition de loi constitutionnelle visant à accélérer le redressement des finances publiques, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin (texte n° 783, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 novembre à 15 heures
De 16 heures à 20 heures
(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)
- Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à condamner les actions des rebelles houthis en mer Rouge et à appeler à une action internationale pour protéger le commerce maritime, présentée par Mme Nicole Duranton, M. François Patriat et plusieurs de leurs collègues (texte n° 1, 2024-2025)
• Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 novembre à 15 heures
• Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.
- Proposition de loi visant à interdire la corrida et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de seize ans, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (texte n° 475, 2023-2024)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 4 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 6 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 12 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 novembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 novembre à 15 heures
PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Lundi 18 novembre 2024
À 16 heures, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des finances.
• Réunion de la commission pour le rapport : mercredi 13 novembre matin
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 15 novembre à 12 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 18 novembre en début d’après-midi et à la suspension du soir, et mardi 19 novembre en début d’après-midi et à la suspension du soir
• Temps attribué à la rapporteure générale de la commission des affaires sociales dans la discussion générale : 10 minutes
• Temps attribué aux rapporteurs de branche et au rapporteur pour avis : 5 minutes
• Temps attribué au président de la commission des affaires sociales : 5 minutes
• Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 h 30
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 15 novembre à 15 heures
Mardi 19 novembre 2024
À 14 h 30, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Mercredi 20 novembre 2024
À 15 heures
- Questions d’actualité au Gouvernement
• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 20 novembre à 11 heures
À 16 h 30, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Jeudi 21 novembre 2024
À 10 h 30, l’après-midi, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Vendredi 22 novembre 2024
À 9 h 30, l’après-midi, le soir et la nuit
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Éventuellement, samedi 23 novembre 2024
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
PROJET DE LOI DE FINANCES
Mardi 26 novembre 2024
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025
Jeudi 12 décembre 2024
- Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de finances pour 2025
Commémoration, dans l’hémicycle, le 7 novembre 2024 à 10 h 30, de la séance inaugurale de l’Assemblée consultative provisoire, le 9 novembre 1944
Prochaine réunion de la conférence des présidents :
Mercredi 6 novembre 2024, à dix-huit heures.
9
Situation des urgences pendant l’été 2024
Débat à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur la situation des urgences pendant l’été 2024.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Solanges Nadille applaudissent également.)
Mme Annie Le Houerou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a sollicité ce débat sur la situation des urgences durant l’été 2024 afin de prendre la mesure des difficultés structurelles qui affectent notre système de santé et de demander au Gouvernement comment il compte assurer une bonne prise en charge aux urgences pour tous et partout sur le territoire.
Malgré les réformes amorcées, notamment à la suite de la mission flash sur les urgences et les soins non programmés, confiée à François Braun en 2022, l’été 2024 a confirmé l’aggravation des difficultés. Les urgences se heurtent aux mêmes obstacles année après année.
Il ne s’agit pas d’une question technique. Derrière chaque chiffre se trouve une réalité douloureuse : des patients laissés de longues heures sur des brancards ou dans des véhicules de secours, emmenés d’un hôpital à l’autre, des soignants épuisés ne pouvant pas prendre leurs congés, des services en tension permanente.
Cette situation a tristement été illustrée cet été sur le « mur de la honte » du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, où ont été recensés plus de 130 patients de plus de 75 ans ayant passé plus de douze heures sur un brancard. C’est indigne de notre système de santé, de notre service public et de notre République !
L’arrêté du 2 juillet 2024 relatif à la régulation temporaire de l’accès aux urgences n’apporte qu’une solution transitoire et partielle. Le filtrage des patients permet, à court terme, de désengorger les services en priorisant les urgences vitales. Mais quid des autres urgences, pour lesquelles une prise en charge médicale est nécessaire ?
Souvent, l’offre de soins en ville permettant la prise en charge des autres patients n’existe pas. La situation se dégrade, et les professionnels de santé nous alertent au sujet de retards dans la prise en charge, qui mettent en danger la vie de certains patients.
Le rapport du syndicat Samu-Urgences de France publié en septembre dernier est édifiant : la tension sur les lits d’aval a encore augmenté cet été, empêchant le désengorgement des urgences.
Cet été, les fermetures de services d’urgence, ponctuelles ou continues, ont concerné 84 départements. Ces fermetures en cascade ont provoqué des reports d’activité vers d’autres établissements, eux-mêmes déjà sous pression.
Alors, qu’avez-vous fait ? Réguler, filtrer, mutualiser : ces mesures ont certes permis de maintenir le système à flot, mais à quel prix ? Celui d’une massification des heures supplémentaires et d’une dégradation de la prise en charge, inadaptée aux situations des patients, notamment pour les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les personnes vulnérables ou celles qui n’ont d’autres recours que les services d’urgence, faute de médecins traitants ou de relations personnelles avec un docteur.
Plus largement, ce que nous constatons aux urgences n’est que le reflet d’une réalité plus large : l’écroulement de notre système public de santé. La crise est alimentée par la pénurie de soignants, la désertification médicale et un manque de moyens structurels face aux besoins croissants de la population.
La mission Braun avait pourtant esquissé des pistes : la régulation médicale, la création des services d’accès aux soins (SAS), le renforcement des assistants de régulation, la télémédecine, ou encore une meilleure rémunération des gardes pour les médecins libéraux. Force est de constater que ces solutions ne suffisent pas : elles sont des pansements sur une plaie béante.
L’absence de réforme structurelle entraîne un recours croissant à l’intérim médical, avec des conséquences financières dévastatrices.
En juillet dernier, la Cour des comptes a publié un rapport accablant. Depuis 2017, les dépenses d’intérim médical ont augmenté de 25 % et les dépenses liées aux heures supplémentaires ont presque doublé, pour atteindre 402 millions d’euros en 2022. En parallèle, le recours à des praticiens contractuels a augmenté, pour un coût total de plus d’un milliard d’euros.
Madame la ministre, qu’en est-il du bilan d’application de la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, sur l’intérim et ses dérives financières ? Quelles conséquences cette loi a-t-elle eues sur la nature des contrats signés par les hôpitaux pour assurer des gardes complètes ?
Alors que le déficit des hôpitaux publics pourrait atteindre 2 milliards d’euros en 2024, quelles mesures comptez-vous prendre pour freiner cette spirale onéreuse qui ne permet pas l’accès aux soins pour tous, partout ?
En janvier dernier, le Président de la République a exprimé sa volonté de « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent à bout de bras nos services de soins ». Ces praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) exercent sous un statut d’interne très peu rémunéré. Sans eux, de nombreux services d’urgence ne pourraient plus fonctionner.
Ces médecins, essentiels au fonctionnement de nos hôpitaux, vivent dans une précarité tant financière qu’administrative. Ils doivent renouveler chaque année, voire tous les six mois, leur autorisation de séjour, et bénéficient parfois de récépissés de la préfecture renouvelables tous les trois mois, ainsi que je l’ai constaté dans l’hôpital de ma circonscription.
Quand envisagez-vous de régulariser ces professionnels de santé diplômés à l’étranger, qui ont démontré leur professionnalisme et sont souvent lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC), pour leur donner la visibilité professionnelle qu’ils réclament ? De même, il faut reconnaître le rôle crucial de nos équipes d’urgentistes dans le maintien de nos services d’urgence partout en France.
La même nécessité s’impose pour les étudiants français ayant fait leurs études à l’étranger. Il est indispensable de faciliter leurs démarches, afin qu’ils puissent revenir en France faire leurs stages et leur internat, puis exercer. Nous ne pouvons nous permettre de nous priver de leurs compétences. Trop de jeunes choisissent d’étudier la médecine à l’étranger ; cette réalité est alarmante.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour rapatrier les étudiants français formés à l’étranger et même éviter qu’ils ne partent ?
Cet été a également révélé l’existence d’un système d’urgences à deux vitesses dans notre pays. Alors que des moyens exceptionnels ont été déployés pour répondre aux besoins sanitaires lors des jeux Olympiques de Paris 2024, les fermetures de services d’urgence se sont multipliées ailleurs en France.
Malgré l’afflux massif de touristes en région parisienne pour ce formidable événement, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est félicitée de la robustesse du dispositif de prise en charge des athlètes et du public. Avec 370 lits supplémentaires ouverts pour la période des Jeux, elle a réussi à fluidifier les passages dans les services d’urgence. Nous nous réjouissons de ce succès. Il démontre manifestement que lorsqu’une organisation et des moyens adéquats sont déployés, le système fonctionne, et même très bien !
Il est temps de poser un diagnostic clair : notre système de santé est en sursis. Nous devons cesser de le rafistoler avec des solutions à court terme.
Il faut une réforme systémique, qui prenne en compte l’ensemble de la chaîne de soins, depuis la prévention et la médecine de ville jusqu’à l’hôpital. Nous devons recréer un maillage territorial cohérent, réhabiliter les services de proximité, redonner aux soignants les moyens de travailler dignement et efficacement.
Cette réforme doit se faire en lien avec chaque bassin de vie, en concertation avec les professionnels de santé, les associations de patients et les collectivités locales, qui sont en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Pour beaucoup, les urgences sont la porte d’entrée de l’hôpital. Quand elles s’effondrent, c’est tout notre système qui vacille. Cette situation n’est plus tenable. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de remettre la santé publique au cœur de nos priorités.
Virginie, élue dans le département des Côtes-d’Armor, où elle est infirmière, témoigne : « L’accès régulé au service des urgences dans le département oblige les pompiers et les ambulanciers privés à réaliser des trajets beaucoup trop importants, dans de mauvaises conditions.
« La prise en charge des patients est indigne. Les médecins intérimaires doivent être réaffectés sur des postes vacants. Les praticiens à diplôme hors Union européenne doivent être régularisés. Nous devons accueillir des brigades cubaines comme pendant la covid-19 dans nos territoires ultramarins, en attendant qu’un nombre suffisant de médecins soit formé et affecté là où la population a besoin de soins.
« Nos maternités ferment et la mortalité infantile augmente, les fins de vie de nos anciens sont inacceptables.
« L’argent doit être au service du bon sens ! »
Tout est dit ! Madame la ministre, que répondez-vous à Virginie ? Le Gouvernement a-t-il l’intention de répondre à l’urgence actuelle que connaît l’hôpital public ?
Quelle organisation des soins envisagez-vous pour permettre la fluidité d’accès entre la médecine de ville, les urgences et l’hôpital ? Quelles mesures envisagez-vous pour anticiper l’été 2025 et éviter les tensions dans les services d’urgence, ainsi que les fermetures temporaires ou durables, dues, entre autres, à un manque de personnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Cathy Apourceau-Poly et Solanges Nadille, ainsi que M. Jacques Fernique, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de débattre ce soir de la situation des urgences durant l’été dernier et des perspectives que nous devons emprunter.
Vous le savez, j’ai pris mes fonctions il y a quelques semaines, le 21 septembre 2024, c’est-à-dire le dernier jour de l’été. Je tâcherai néanmoins de répondre à vos questions le plus précisément possible, dans un dialogue que j’espère fructueux. Et je suis bien sûr à votre écoute.
Permettez-moi dans un premier temps de revenir sur la réalité des tensions qui ont existé cet été au sein des services d’urgence.
Quelques chiffres, tout d’abord. La fréquentation des urgences a été relativement stable entre l’été 2024 et le précédent, l’augmentation du nombre des passages étant de l’ordre de 1 %. La situation s’est améliorée par rapport à 2022, et le système de santé a pu s’organiser grâce à une meilleure anticipation sous la coordination des agences régionales de santé (ARS), grâce aussi à des mesures d’accompagnement et de soutien déployées par le Gouvernement, grâce, surtout, à la mobilisation conjuguée des professionnels, tant en ville qu’à l’hôpital, et des élus dans les territoires.
De même, grâce à cette mobilisation collective, l’impact des jeux Olympiques et Paralympiques sur les hôpitaux situés à proximité des sites de compétition a été maîtrisé ; il est resté relativement restreint.
Ces chiffres masquent évidemment la grande diversité des situations dans les territoires. Il reste encore des services pour lesquels la période estivale a été source de tensions. Les représentants des urgentistes nous l’ont dit, et vous serez certainement plusieurs ce soir à en faire également état.
Aussi, au plus fort de l’été, dans le courant du mois d’août, une cinquantaine d’hôpitaux ont été confrontés à des tensions importantes et une dizaine d’entre eux a déclenché un plan blanc. Je vous le rappelle, notre pays compte 620 services d’urgence.
Comme vous le savez, cet accroissement des tensions est dû à des raisons conjoncturelles propres à la période estivale, lors de laquelle certains services sont excessivement sollicités, notamment en raison de l’afflux de touristes et de la période de congés annuels de nos professionnels de santé.
Pour autant, partout, dans chaque territoire, des solutions ont été trouvées pour garantir l’accès de nos concitoyens aux soins non programmés. Les initiatives locales, confortées par les leviers ouverts par la récente réforme des autorisations, ont permis au cas par cas de stabiliser des organisations en s’appuyant sur tous les acteurs du système de santé – je tiens d’ailleurs à souligner ce soir leur grand professionnalisme.
Permettez-moi également de saluer l’engagement de l’ensemble de la communauté hospitalière, qui s’est organisée pour faire face aux tensions. Je pense évidemment à la mobilisation des médecins des urgences, mais aussi à celle des personnels d’accueil et d’orientation, ainsi qu’à celle de l’ensemble des soignants et personnels administratifs qui se sont engagés, quitte parfois à reporter, voire à annuler leurs congés.
Au-delà de l’aspect saisonnier, ces difficultés s’expliquent par un ensemble de facteurs structurels, notamment par l’augmentation des passages aux urgences ces dernières années.
En effet, l’activité des services d’urgence a augmenté d’environ 3 % par an depuis 1996. Depuis 2019, si l’on excepte la période de la covid-19, le nombre de passages annuels aux urgences est resté stable, autour de 21 millions par an – souvenez-vous que, en 1996, on ne comptait que 10 millions de passages par an.
Cette augmentation s’explique bien sûr par le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques, mais aussi par l’organisation des professionnels de santé et des difficultés d’engagement sur la permanence des soins, notamment non programmés. Ces difficultés nous amènent à inverser notre perception et à penser de façon plus générale. Nombre d’initiatives ont été prises pour améliorer cette situation.
Au-delà de la gestion des situations estivales, il nous faut, à plus long terme, capitaliser sur ces expériences et ajuster nos organisations pour anticiper les périodes de tension. C’est le sens de l’action conduite depuis plusieurs années.
Les réformes entamées, parmi lesquelles se trouve la mission menée par François Braun, sont nombreuses. Elles se traduisent tout d’abord par un soutien financier continu. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté tous les ans le montant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Ces dernières années, le sous-objectif relatif aux établissements de santé a dépassé 100 milliards d’euros, quand il était de 80 milliards d’euros en 2017.
En 2025 encore, l’Ondam augmentera de 2,8 %, soit 9 milliards d’euros de plus qu’en 2024.
M. Mickaël Vallet. C’est le montant de l’inflation !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Il y a ensuite une politique d’attractivité des métiers sans précédent. Le Ségur de la santé a marqué une première étape historique pour rémunérer les personnels hospitaliers à la hauteur de leur engagement et susciter des vocations.
Nous avons depuis lors engagé la pérennisation des mesures de revalorisation du travail de nuit et du week-end, particulièrement importantes quand on exerce aux urgences.
En ce qui concerne plus spécifiquement les urgences, l’entrée en vigueur progressive de la réforme des autorisations de la médecine d’urgence du 29 décembre 2023 permettra de lutter contre l’engorgement des urgences et de donner davantage de souplesse aux services.
Je pense notamment à la création d’antennes de médecine d’urgence à la main des établissements, à l’intégration de la paramédicalisation des services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur), mais aussi à la possible régulation à l’entrée des urgences ou à la réorientation vers la ville des patients ne relevant pas de la médecine d’urgence. Toutes ces mesures, très attendues des acteurs de terrain, sont accompagnées de guides et d’appuis à leur déploiement.
L’autre réforme d’ampleur qui permettra de transformer les soins non programmés consiste dans le déploiement des services d’accès aux soins. Avec ceux-ci, nous organisons le système de santé pour que, à toute heure de la journée, les citoyens puissent accéder à des soins non programmés, après un simple appel téléphonique. Une meilleure organisation de l’accès aux soins permet au bout de la chaîne de soulager les urgences.
Désormais, 94 % de la population est couverte par un SAS. Je remercie d’ailleurs tous les professionnels de santé qui ont élaboré ces solutions dans chaque département. Les six départements métropolitains qui n’en disposent par encore devront être couverts d’ici à la fin de l’année. En moyenne, les SAS actuels traitent 1,2 million d’appels par mois relatifs à ces demandes de soins non programmés.
Il s’agit d’un outil formidable pour améliorer l’accès aux soins, qui témoigne des nouvelles relations de confiance et de soutien qui se nouent entre la ville et l’hôpital, ce qui était absolument indispensable.
Évidemment, il n’est pas question de le nier, des difficultés persistent. Même si les SAS le permettent en partie, il faut réorganiser l’accès aux soins et certainement aussi les urgences. Il faut également, lorsque c’est possible, que ces services aient accès à des filières actives, comme celles qui ont été déployées dans certains hôpitaux pour la santé mentale ou la pédiatrie, par exemple.
En définitive, nous poursuivrons cette réorganisation avec les acteurs, dans les services et dans les territoires. Ce qui me semble le plus important, c’est de ne pas inventer d’en haut un système pour l’imposer en bas, mais de construire, à l’échelle de chaque territoire, les solutions opportunes pour que l’on améliore réellement, partout dans notre pays, l’accès aux soins.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Dans la suite du débat, chaque orateur dispose de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Sol. Madame la ministre, en 2018 déjà, je prenais la parole devant la Haute Assemblée pour alerter le Gouvernement sur la situation de notre hôpital public ; en avril dernier, je décrivais les problématiques des services d’urgence dans les Pyrénées-Orientales.
Les services d’urgence, véritables vitrines des établissements hospitaliers, avaient alors décidé de baisser le rideau en nuit profonde à Perpignan. Quel symbole de leur dégradation !
L’été dernier, des personnes ont attendu vingt-quatre heures avant d’être prises en charge. C’est le résultat de l’équation suivante : un million de touristes pour sept ou huit médecins, soit une moyenne de 188 passages quotidiens aux urgences. Cherchez l’erreur !
Depuis lors, la situation semble s’améliorer grâce à la réouverture prochaine, après un an d’attente, des urgences de nuit de la clinique Saint-Pierre. Cependant, nos services d’urgence seront toujours à bout de souffle si rien ne s’améliore, en particulier durant l’été.
Les personnels sont toujours très éprouvés moralement et physiquement, les usagers sont toujours angoissés à l’idée de se rendre aux urgences et nos élus demeurent impuissants. Madame la ministre, cette vision n’est pas alarmiste : il s’agit malheureusement d’un cri d’alarme.
La réalité des urgences, c’est cet usager qui souhaite passer devant un enfant en situation d’urgence vitale. Ce sont ces familles qui attendent sans information pendant des heures et des heures. Ce sont, encore, ces personnes âgées qui restent parfois vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures sur des brancards dans un couloir et que l’on renvoie à deux heures du matin chez elles, en raison du manque de place.
Le Samu-Centre 15 fait aujourd’hui face à l’incapacité de réguler l’augmentation exponentielle des appels, ce qui entraîne, vous en conviendrez, une perte de chance pour les patients et, dans le pire des cas, des décès, comme plusieurs exemples récents l’attestent.
En cause, la carence criante de lits d’aval, ainsi que le manque d’effectifs et de compétences d’un personnel qui croule sous une charge administrative chronophage tout en devant faire face à de multiples incivilités.
La désertification médicale amplifie naturellement cette situation inacceptable, qui rompt l’accès aux soins pour tous, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que devrait assurer le service public.
Madame la ministre, ces problèmes soulèvent de nombreuses questions. Je ne vous en poserai que deux. Envisagez-vous d’améliorer le partenariat entre l’hôpital public, le privé et la médecine de ville ? Et que pensez-vous faire pour améliorer la régulation des passages aux urgences ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, dans les Pyrénées-Orientales, on compte cinq services d’urgence, dont quatre cliniques et un Smur, ainsi qu’un service d’urgence et une antenne Smur à l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, qui rend service à une population relativement isolée, selon un modèle intéressant. Cet été, deux cliniques de Perpignan ont en effet fermé la nuit, même si l’une d’entre elles a désormais rouvert.
Aux urgences de l’hôpital, la difficulté à recruter du personnel suscite de grands problèmes de prise en charge du flux des patients et de maintien des lignes de soin. De plus, comme il s’agit d’une région touristique, les difficultés sont plus importantes durant l’été.
Face à la récurrence des problèmes dans ce département, l’ARS Occitanie vient d’annoncer que l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) conduira une mission d’appui au sujet des urgences pour établir un état des lieux des dysfonctionnements et des manquements, afin de définir un cadre de fonctionnement départemental favorisant la coopération entre les secteurs public et privé. L’objectif de ce travail sera notamment de redéfinir la répartition des filières de prise en charge de l’aide médicale urgente entre les acteurs.
Le partenariat appelé de vos vœux va se construire. Je ne puis vous préciser s’il existe un service d’accès aux soins dans votre département. Mais il faut construire une solution, avec les praticiens libéraux, pour décharger les urgences de patients qui n’ont rien à y faire et relèvent de la médecine générale.
J’espère que la mission d’appui produira rapidement des effets et permettra d’améliorer la situation.
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir demandé l’organisation de ce débat.
L’été 2024 a révélé une nouvelle fois la crise des urgences médicales en France, avec non seulement des fermetures perlées, le soir, la nuit et le week-end, mais aussi les terribles images de patients laissés sur les brancards de longues heures durant… Les plus sombres épisodes de la crise sanitaire nous sont ainsi revenus en mémoire.
J’axerai mon intervention sur la situation des urgences en outre-mer, laquelle est encore plus difficile que dans l’Hexagone.
En Nouvelle-Calédonie, par exemple, nombre d’hôpitaux ont fermé cet été leur service d’urgences la nuit et le week-end.
Dans plusieurs territoires ultramarins, les problèmes de continuité territoriale affectent l’accès aux soins. Ainsi, en Guadeloupe, l’île de Marie-Galante est actuellement un désert médical, situation dont le centre hospitalier de Marie-Galante subit les conséquences. La présence d’un médecin fait parfois défaut aux urgences. En outre, des rumeurs faisant état d’une fermeture des urgences ont circulé pendant les mois de juillet et d’août, alarmant toute la population.
Dans beaucoup de territoires ultramarins, en particulier insulaires, le bon fonctionnement des urgences souffre des insuffisances du transport maritime.
Les rotations, trop peu nombreuses, ne permettent pas aux médecins de regagner leur domicile à la fin de leur garde : en résultent pour les praticiens de graves pertes de temps qui compliquent leur vie personnelle, notamment familiale. Ceux qui seraient prêts à venir à Marie-Galante y assurer des gardes aux urgences s’en trouvent découragés.
Une collaboration avec des entreprises privées de transport autres que les compagnies maritimes connues pourrait améliorer cette situation. J’espère que l’État pourra œuvrer en ce sens de manière efficace.
Madame la ministre, quel regard portez-vous sur la situation des urgences outre-mer ? Êtes-vous prête à travailler à un plan d’action visant à y renforcer la continuité territoriale des soins ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, pour vous comme pour moi, la situation des urgences outre-mer est un sujet de préoccupation majeur.
Je suis pleinement consciente des difficultés particulières auxquelles ces territoires doivent faire face, notamment pour assurer la continuité territoriale des soins – vous insistez sur cet enjeu, qui exige bien entendu des réponses tout à fait spécifiques.
Le bon fonctionnement des urgences est essentiel pour garantir un accès aux soins de qualité, où que l’on se trouve, et je suis attentive à l’ensemble des défis que connaissent les régions ultramarines.
Sous l’impulsion du dernier comité interministériel des outre-mer (Ciom), mes prédécesseurs ont lancé des chantiers spécifiques pour retravailler le parcours de santé dans ces territoires. La mesure 23 dudit Ciom vise notamment à fluidifier les prises en charge, particulièrement pour les pathologies lourdes, comme les cancers.
Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche plus large de réorganisation des soins, le but étant de mieux répondre aux besoins de santé des populations ultramarines. J’y insiste, chacun de ces territoires, chacune de ces populations a ses spécificités, dont il faut prendre compte.
Dans sa déclaration de politique générale, M. le Premier ministre a annoncé la tenue d’un nouveau comité interministériel des outre-mer, prévu pour le début de l’année prochaine. Ce sera là une autre occasion de réévaluer les priorités en matière de santé, tout particulièrement pour les urgences.
D’ici là, sachez que je resterai très mobilisée, auprès de vous et aux côtés de tous les élus locaux, pour nourrir cette réflexion. Les enjeux sanitaires, notamment liés aux urgences, doivent être au cœur des discussions et, à ce titre, nous devrons mener un travail extrêmement fin avec l’ensemble des partenaires concernés. Les solutions retenues pour l’Hexagone ne valent pas forcément outre-mer : il faut prendre en compte la situation spécifique de chaque territoire.
M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme Guylène Pantel. Je tiens à mon tour à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui ont sollicité la tenue de ce débat.
Professionnels, élus locaux et usagers dressent un constat unanime : nos services d’urgences sont en difficulté. Les représentants des services déconcentrés de l’État le soulignent parfois eux-mêmes.
Dans un tel contexte, je tiens à relever l’exemple atypique de l’hôpital Lozère : depuis quatre ans, et malgré la crise covid, cet établissement n’a pas connu un seul jour de fermeture ou de régulation de l’accès au service. Il s’agit là d’un signal rassurant pour la population. Je remercie tout particulièrement les équipes de cet hôpital de leur engagement quotidien, qui contribue à un accompagnement de qualité.
À l’échelle nationale, les chiffres n’en sont pas moins alarmants : en France, selon l’enquête menée par une association professionnelle, 202 services d’urgences ont dû fermer au moins une ligne médicale cet été. Or – on le sait – lesdits services connaissent une recrudescence d’activité en cette saison. Prendre une telle mesure, c’est donc s’exposer au risque de ne plus assurer la sécurité sanitaire des patients.
Si la Lozère est relativement épargnée par ce problème, tel n’est pas le cas de certains départements voisins, comme l’Aveyron.
Par exemple, à Saint-Affrique, l’accès aux urgences de l’hôpital est régulé depuis juin dernier en raison d’un manque de médecins. Dans cet établissement, un seul médecin est en poste pendant vingt-quatre heures pour assurer l’accueil, la gestion des lits de courte durée ainsi que les sorties du service mobile d’urgence et de réanimation (Smur).
Là comme ailleurs en France, la médiatisation de ce fonctionnement en mode dégradé, à laquelle vient s’ajouter la rumeur publique, décourage les usagers de se rendre aux urgences. En résultent une baisse du taux de remplissage et une remise en question du maintien de ce service public pourtant essentiel, notamment en zone rurale. C’est, en somme, un cercle vicieux…
Dans les déserts médicaux, bon nombre de professionnels constatent un report de la patientèle dépourvue de médecin traitant vers les services d’urgences pour des soucis de santé qui relèvent plutôt de la « bobologie ». Enfin, les Padhue sont toujours confrontés à des procédures administratives qui compliquent leur intégration dans nos hôpitaux.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer s’il existe une évaluation régulière et qualitative du nombre d’usagers qui fréquentent les urgences faute de médecin traitant ? En outre, comptez-vous assouplir les conditions d’exercice des Padhue ? Ne serait-ce pas une piste à creuser ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question et je me réjouis que la Lozère ne soit pas trop touchée par ces problèmes, d’autant qu’il s’agit également d’un territoire très touristique. Toutefois, comme vous le rappelez, certains départements voisins sont plus en difficulté.
En ville aussi, la démographie médicale est fragile : nous en avons longuement parlé lors du débat de cette après-midi sur la formation des médecins.
Bien évidemment, le médecin traitant reste l’interlocuteur privilégié de ses patients pour la prise en charge des soins non programmés. Dans un monde idéal, les urgences se consacreraient aux seules situations d’urgence…
Une étude menée par Doctolib au printemps dernier indique que 41 % des consultations de médecine générale sont réalisées dans les quarante-huit heures suivant la prise de rendez-vous.
Trop souvent le passage aux urgences est allongé, car les services hospitaliers dédiés ne peuvent admettre les patients. À l’évidence, notre système hospitalier souffre d’un manque de fluidité entre lits d’hospitalisation. Je pense en particulier aux lits d’aval, qui sont très importants, notamment pour la gériatrie. Une autre gestion de ces lits permettrait aux urgences de travailler dans de bien meilleures conditions, en particulier pour accueillir les patients. Il s’agit là d’une véritable difficulté.
Madame la sénatrice, vous le savez : récemment encore, un très grand nombre de patients en affection de longue durée (ALD) n’avaient pas de médecin traitant. Depuis la fin de l’année 2023, ce problème a fait l’objet d’une action spécifique. Au total, 240 000 nouveaux patients en ALD disposent depuis d’un médecin traitant ; 472 000 en sont encore dépourvus, sur 13 millions de patients en ALD.
Enfin, beaucoup a été fait en faveur des Padhue, mais il nous reste de nombreuses situations à analyser qui exigent la plus grande attention : nous devons fluidifier les recrutements tout en préservant la qualité et la sécurité des soins. J’insiste sur le fait que ces médecins rendent des services inestimables à notre système de santé.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Je me félicite à mon tour de la tenue de ce débat. L’état des urgences est évidemment une question de moyens, mais c’est aussi une question d’organisation et de stratégie.
En outre, je salue la décision du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de l’année 2025.
On parle beaucoup en ce moment de coups de rabot budgétaires. Or, pour la psychiatrie – je parle d’expérience, ayant, en tant que maire, présidé le conseil d’administration, puis de surveillance d’un hôpital psychiatrique pendant près de vingt ans –, il s’agit plutôt d’un massacre à la tronçonneuse… Au cours des dix dernières années, les budgets ont été littéralement amputés.
Aujourd’hui, les regards tendent à changer : les patients comme leurs familles en sont désormais convaincus, la maladie mentale n’est pas une maladie honteuse. C’est, du reste, une maladie dont on peut guérir. Mais les soins de ville sont défaillants, notamment parce que le métier de psychiatre est de moins en moins attractif. Quand un patient est en crise, sa famille n’a d’autre choix que de s’adresser aux urgences. En résulte un cocktail assez détonnant, car ces services ne sont pas toujours organisés en conséquence.
Madame la ministre, ma question est double. Premièrement, comment comptez-vous adapter l’organisation des urgences afin de mieux traiter de la santé mentale ? Deuxièmement, que pensez-vous de l’expérimentation du Samu psy ? Envisagez-vous de le généraliser ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, vous le soulignez avec raison : la psychiatrie est un sujet à part entière et M. le Premier ministre entend faire de la santé mentale, enjeu bien plus large encore, la grande cause nationale de l’année 2025.
La psychiatrie exige une approche complète. Il faut agir à la fois à domicile, pour éviter les ruptures de prise en charge et donc le suivi des traitements médicamenteux, comme en hospitalisation dans des secteurs spécialisés, et en aval de l’épisode aigu.
Les financements de l’assurance maladie pour les activités de psychiatrie ont augmenté de près de 32 % entre 2020 et 2023. Ils atteignent désormais 12 milliards d’euros ; je ne puis donc pas vous laisser parler de massacre à la tronçonneuse…
J’ajoute que, depuis quatre ans déjà, la psychiatrie bénéficie d’un plan dédié assurant le déploiement de nouveaux moyens, même si nous devons maintenant fixer de nouveaux objectifs.
De nombreuses mesures ont été prises. Elles ont permis l’attribution de crédits pérennes, dans le cadre des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui se sont tenues en septembre 2021.
Dans ce contexte, une réforme des autorisations a été accomplie, afin d’associer davantage le secteur privé à la prise en charge des urgences.
Dans le cadre du nouveau régime d’autorisations, les établissements doivent être à même de proposer trois formes de prise en charge : des séjours à temps complet, des séjours à temps partiel et des soins ambulatoires. Cette réforme prévoit également un fonctionnement en réseau, pour inciter les établissements autorisés en psychiatrie à réfléchir ensemble, dans une même zone d’intervention, aux modalités de prise en charge des patients en amont et en aval des urgences.
Pour soutenir ces actions, menées par des collectifs de soins, un fonds d’innovation a été mis en œuvre. Au total, 226 millions d’euros y ont été alloués pour l’ensemble de la période. Quant aux fameux services d’accès aux soins, ils peuvent inclure la prise en charge psychiatrique.
Enfin, je tiens à insister sur l’effort de prévention. Il faut éviter les crises aiguës conduisant les malades dans les services de psychiatrie. À ce titre aussi, de nombreuses mesures ont été prises – je pense notamment à Mon soutien psy.
Les deux minutes qui me sont imparties sont, hélas ! bien insuffisantes pour vous détailler les politiques de santé mentale que nous envisageons de mettre en œuvre. J’ai d’ailleurs déjà largement dépassé mon temps de parole… Mais nous poursuivrons bien sûr ce dialogue.
Mme Silvana Silvani. Madame la ministre, mes chers collègues, pour les urgences, les étés se suivent et se ressemblent. Désormais, les gouvernements se déclarent satisfaits quand « seulement » 46 % des établissements ferment leurs services durant la période estivale.
Pour les élus locaux, les mois de juillet et d’août sont au contraire source de tensions et d’angoisses. Aux urgences, dans les services de soins et de réadaptation ou encore en psychiatrie les tensions sont maintenant généralisées.
Dans le département dont je suis élue, la Meurthe-et-Moselle, les urgences du centre hospitalier (CH) de Briey ont été temporairement fermées l’été dernier. La prise en charge des accouchements y a de même été suspendue un temps, faute de soignants.
Madame la ministre, faut-il inciter nos maires à prendre des arrêtés pour mettre en demeure l’État d’assurer l’égalité des soins ? On l’a observé dans au moins un département. Pardonnez-moi de rappeler une évidence : les femmes enceintes arrivant à terme en été ne peuvent attendre le mois de septembre pour accoucher…
Allez-vous déployer les moyens nécessaires via le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr…
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, le centre hospitalier de Briey rencontre des difficultés de recrutement depuis plusieurs années, que ce soit en gériatrie, en pédiatrie, en psychiatrie, en gynécologie ou encore en anesthésie. Ces difficultés se sont accrues plus particulièrement pour les urgentistes. Un travail est mené en étroite collaboration avec le centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville pour apporter un soutien à l’établissement dans ces disciplines.
Au regard de l’ensemble de ces difficultés, une organisation adaptée des urgences a été élaborée, en lien avec les professionnels de ce service, le Samu 57 – pour la Moselle –, le Samu 54 – pour la Meurthe-et-Moselle – et l’appui du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de la Moselle, avec les moyens médicaux disponibles.
Des mesures d’exception ont été prises occasionnellement cet été. Systématiquement, elles ont été retenues au terme d’une concertation avec le Samu 54, le Samu 57 et l’agence régionale de santé. Elles ont conduit à fermer l’accueil au public et à réorienter les patients vers d’autres sites. En pareil cas, la présence d’un infirmier a toujours été assurée pour accueillir les patients qui n’auraient pas eu connaissance de la mesure de fermeture. L’appui d’un médecin anesthésiste réanimateur a également été assuré en cas d’urgence vitale.
En outre, le centre hospitalier de Metz-Thionville a apporté un fort appui à la maternité. Une seule garde de médecin anesthésiste réanimateur de vingt-quatre heures, en juillet dernier, a posé problème, mais l’établissement avait anticipé ces difficultés : il avait pris les mesures nécessaires pour sécuriser les parturientes au cours de cette journée. Même si, in fine, l’établissement a pu résoudre les problèmes posés à sa ligne de garde, il a fait le choix de maintenir l’organisation validée et communiquée aux parturientes, afin d’éviter toute confusion.
Cet établissement bénéficie d’un suivi resserré des équipes de l’ARS. Un groupe de travail « urgences » a été constitué pour identifier toutes les organisations pertinentes, tous les leviers à même d’améliorer la situation.
En parallèle, le CHR de Metz-Thionville et le CH de Briey s’engagent, bien sûr, à renforcer leur collaboration. Leurs réflexions conjointes portent notamment sur la gradation des filières de soins et des équipes de territoires.
Madame la sénatrice, il s’agit là d’un véritable sujet d’attention. L’hôpital de Briey peut compter sur le soutien du territoire tout entier ; mais, dans cet établissement comme ailleurs, les médecins que nous attendons sont actuellement en formation. Je ne peux pas les inventer…
Pour l’heure, nous devons garantir des solutions sécurisées pour la prise en charge de nos patients, ce qui m’importe avant tout.
Soyez assurée que cet hôpital retient toute mon attention.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.
Mme Silvana Silvani. Madame la ministre, je vous remercie sincèrement de votre attention.
La position stratégique de l’hôpital de Briey a été reconnue, en particulier par l’ARS. Or les difficultés auxquelles cet établissement doit faire face datent de plus de quinze ans – vous voyez que je ne vous rends nullement responsable de la situation.
Le CHR de Metz-Thionville apporte certes un soutien bienvenu, mais ces deux villes sont assez éloignées de Briey, au nord du département.
En 2018, un audit a été engagé par l’ARS, mais on attend toujours la mise en œuvre de projets, de propositions ou encore de réflexions. Pendant ce temps, la situation de l’hôpital se dégrade. Les sommes évoquées il y a quinze ans ne sont plus d’actualité et il n’est plus du tout question de régulation.
Au moins avez-vous pris connaissance de cette situation. (Mme la ministre le confirme.) Je vous assure que, chaque été, les habitants du nord du département sont extrêmement inquiets.
Au cours de ce débat comme lors du précédent, dont je salue bien sûr l’organisation, vous avez rappelé que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie devait progresser de 2,8 % en 2025. Mais, avec un taux si faible, on n’y arrivera pas. La Fédération hospitalière de France (FHF), précédemment citée, laquelle est présidée par un médecin par ailleurs membre du parti Horizons, demande, elle, une revalorisation de 6 %.
Les dépenses de santé ont certes augmenté, comme vous le soulignez, mais elles ne sont pas à la hauteur des besoins, si bien que les problèmes déplorés ici et là demeurent.
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir respecter votre temps de parole, y compris pour la réplique ; c’est tout simplement une question d’équité.
La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Madame la ministre, ma question porte sur la répartition des obligations de garde entre l’hôpital, les cliniques privées et les professionnels de ville.
Si les urgences sont saturées, c’est bien sûr faute de professionnels en nombre suffisant dans ces services vitaux et du fait de leurs conditions de travail extrêmement difficiles ; mais c’est aussi à cause de l’injuste répartition des efforts entre les diverses branches de notre système de santé pour la prise en charge des soins non programmés.
En 2023, selon l’inspection générale des affaires sociales (Igas), la permanence des soins en établissement était assumée à 82 % par les hôpitaux publics, quand le secteur privé n’en assurait que 13 %. De plus, seuls 39,34 % des médecins libéraux participaient à la permanence des soins ambulatoires.
Je souhaite connaître la position de votre gouvernement sur deux points. Premièrement, comptez-vous rendre obligatoire la participation des médecins libéraux à la permanence des soins ou, à tout le moins, renforcer l’incitation de ces professionnels à y prendre part ? Deuxièmement, quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour que les établissements privés prennent leur juste part à la permanence des soins ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous posez là des questions importantes.
Comme vous le soulignez, l’engagement des médecins de ville est non seulement nécessaire, mais indispensable à l’accès aux soins dans l’ensemble de notre territoire.
La permanence des soins s’organise sur la base du volontariat. Toutefois, le code de déontologie médicale précise qu’il est du devoir du médecin d’y participer ; et, si la carence est constatée, les textes en vigueur permettent déjà au préfet de réquisitionner les médecins sur proposition de l’ARS. On enregistre même une hausse du nombre de réquisitions : au total, 1 019 médecins ont été réquisitionnés en 2023.
La dernière étude annuelle de l’ordre des médecins sur la permanence des soins ambulatoires indique que 39 % des médecins généralistes ont participé à la permanence des soins en 2023 – vous l’avez rappelé vous-même. Ainsi, 26 065 praticiens se sont portés volontaires sur un total de 66 257 médecins susceptibles de prendre une garde. Un médecin réalise en moyenne vingt-huit gardes chaque année et l’âge moyen des effecteurs de gardes est de 45 ans.
En la matière, nous sommes face à deux enjeux principaux : premièrement – nous sommes tous d’accord sur ce point –, assurer la permanence des soins ambulatoires en évitant l’engorgement des services d’urgences par des soins pouvant être assurés en ville – et, à mon sens, ces derniers sont majoritaires ; deuxièmement, faciliter le parcours des patients en soirée, les week-ends et jours fériés.
Il faut lancer une campagne d’information pour que les services en question soient mieux connus des patients eux-mêmes.
En parallèle, nous devons construire des ponts avec tous les établissements médico-sociaux et renforcer ceux qui existent entre l’hôpital, d’une part, et ces établissements, de l’autre, toujours au nom de la permanence des soins. Il faut à tout prix éviter que les personnes âgées qui arrivent aux urgences n’y restent des heures sur des brancards. De telles situations, profondément insatisfaisantes, peuvent mettre en péril la santé des intéressés.
Nous allons continuer à travailler en ce sens. Tous les acteurs sont animés d’un esprit de responsabilité et, à l’heure actuelle, de plus en plus de partenariats se nouent. Nous allons les encourager et les faciliter, dans une logique d’adaptation aux besoins des territoires.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Néanmoins, vous parlez toujours d’incitation et n’abordez jamais la piste de l’obligation. Or, vous le reconnaissez, plus de 60 % des médecins de ville ne participent pas à la permanence des soins : c’est tout de même beaucoup.
En vertu d’un amendement adopté au titre de la loi du 27 décembre 2023, l’ARS, qui autorise l’installation des médecins, doit s’assurer à ce moment-là que le praticien participe bien à la permanence des soins. Cette mesure a-t-elle été appliquée et, le cas échéant, évaluée ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Sauf erreur, c’est l’ordre des médecins qui autorise l’installation.
Pour ma part, j’ai connu toutes les périodes. J’ai été praticien, j’ai siégé au conseil de l’ordre et j’ai vu les médecins se désengager peu à peu de la permanence des soins, tout simplement parce que les urgences clamaient haut et fort qu’elles accueillaient tout le monde, urbi et orbi.
Nous devons aujourd’hui assurer un nouvel équilibre. Je ne sais pas si la coercition peut être une solution. Ce que je sais, c’est que l’enjeu, à moyen et long termes, c’est de conclure des partenariats de confiance et de modifier la structuration de notre système de santé.
Au préalable, nous avons besoin de solutions d’urgence, mais je crois que nous pouvons faire avec les outils dont nous disposons. Je le répète, les réquisitions sont possibles.
Bien sûr, nous devrons évaluer régulièrement cette politique afin de la réorienter autant que nécessaire. C’est une question d’efficacité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Madame la ministre, les urgences sont, par définition, le lieu où les Français se rendent en cas de nécessité immédiate, qu’ils subissent un accident de santé ou un accident de la vie. C’est l’endroit réflexe pour sauver des vies.
Il faut résoudre le problème des urgences dans les meilleurs délais : en témoignent un certain nombre d’exemples observés dans le département dont je suis l’élu.
Une étude menée par l’AP-HP souligne qu’une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente de plus de 40 % la mortalité des patients de plus de 75 ans.
Cet été, les personnels du centre CHU de Brest ont présenté à l’entrée des urgences ce qu’ils appellent un mur de la honte. Y étaient affichés des prénoms de patients, leur âge et le nombre d’heures passées sur un brancard. On pouvait par exemple y lire : « M. S., 89 ans, a passé trente heures sur un brancard. »
À Carhaix, les urgences sont toujours régulées par le 15, malgré un accord signé en octobre 2023 par l’État, les collectivités territoriales du centre-ouest Bretagne et les partenaires sociaux. Cette année, à Morlaix, le service des urgences a été mis en très grande difficulté par l’afflux d’estivants.
Madame la ministre, la population et les élus des territoires vous demandent d’agir efficacement. Nous n’attendons pas de miracle : nous exigeons simplement ce qui est dû.
Comment comprendre que les cliniques privées refusent de prendre en charge certains actes jugés non lucratifs, les renvoyant aux urgences de l’hôpital public ? Comment comprendre que les groupements hospitaliers de territoires (GHT) en soient réduits à gérer des pénuries par un système de reconcentration des moyens autour des métropoles, alors qu’ils devaient servir de leviers de bonne répartition des moyens sur l’ensemble du territoire ?
À la désertification de la médecine de ville vient s’ajouter celle des urgences hospitalières. Accepterez-vous de voir rogner le budget alloué aux hôpitaux publics, ce qui serait, pour ces derniers, une quasi-condamnation à mort ? Ou bien, à l’inverse, défendrez-vous fermement l’hôpital public en lui garantissant, via le budget pour 2025, les moyens qui lui sont nécessaires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, bien sûr que nous défendrons l’hôpital public. C’est à dessein que j’ai rappelé tout à l’heure que, sur nos 620 services d’urgences, une soixantaine ont rencontré des problèmes aigus : on trouve donc également des services d’urgences qui fonctionnent, même avec des listes d’attente ou des personnes sur des brancards. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Je voudrais que nous donnions aussi une image positive de l’hôpital de France, qui est un bel hôpital. (Mme Annie Le Houerou et M. Mickaël Vallet s’exclament.) On y trouve des services spécialisés et hyperspécialisés, qui prennent en charge des pathologies de manière tout à fait exceptionnelle. L’accès aux soins de base, la permanence des soins et les soins non programmés posent problème, mais ne ternissons pas l’image de notre hôpital, des professionnels qui y travaillent et des prises en charge qui y sont faites.
Monsieur le sénateur, nous les soutiendrons. Vous avez raison de dire que les établissements privés doivent participer à la permanence des soins. Les conventions qui ont été passées doivent s’appliquer. Des établissements privés reçoivent des budgets particuliers : en contrepartie, ils doivent participer à la permanence des soins.
Je ferai tout pour bâtir des ponts entre l’hospitalisation privée et l’hôpital public, ce qui est absolument nécessaire à la bonne prise en charge des patients.
Quant aux problèmes que vous décrivez dans votre département, je ne puis me réjouir que des personnes restent des heures sur un brancard et que des soignants dressent un mur de la honte dans un hôpital. Cela me navre et ne fait que renforcer ma détermination à agir.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, pendant l’été 2024, la situation des urgences a été difficile dans de nombreux territoires, notamment en Nouvelle-Aquitaine, que vous connaissez bien, et qui comprend l’ancienne région du Limousin, avec la fermeture perlée des services d’urgences et des Smur dans de nombreux départements.
En Corrèze, les services ont tenu, fonctionnant jour et nuit tout l’été. Je tiens à en féliciter les médecins et tous les personnels, qui ont été très solidaires et très professionnels.
Ces fermetures et difficultés sont dues à un manque de médecins urgentistes, à des tensions sur le personnel et à une hausse de la fréquentation des urgences pendant cette période, de 10 % en Corrèze. La mise en place des SAS a parfois été une solution pour assurer des soins non programmés, mais elle se heurte au manque de médecins de ville. De plus, beaucoup se rendent directement aux urgences, sans composer le 15. Il convient toutefois de poursuivre la mise en place de communautés professionnelles territoriales de santé en complément des SAS.
Il faut former plus de médecins, généralistes et urgentistes. En novembre 2026, l’arrivée de médecins juniors permettra de renforcer les effectifs.
La mise en place de deux dispositifs pourrait améliorer la prise en charge aux urgences : premièrement, généraliser le triage à l’entrée, afin que les urgences mineures soient prises en charge dans une salle différente par un médecin généraliste ; deuxièmement, disposer de davantage de lits d’aval pour les personnes qui, sans urgence aiguë, doivent rester à l’hôpital pour effectuer un bilan approfondi et qui, souvent, encombrent les urgences et attendent sur des brancards.
Madame la ministre, ne faudrait-il pas mettre en œuvre rapidement ces deux dispositifs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, vous soulevez des problèmes organisationnels. Certains hôpitaux ont déjà peu ou prou un fonctionnement proche de celui que vous venez de décrire.
Les établissements doivent s’efforcer de travailler avec les ARS et les GHT à des organisations plus logiques, à même de fluidifier les parcours.
Vous avez raison de souligner que la présence d’une personne pour accueillir et orienter les patients facilite les choses.
La question des lits d’aval est cruciale. Nous avons besoin de bien davantage de lits de soins médicaux et de réadaptation (SMR) afin de libérer des places pour ceux qui arrivent aux urgences avec des besoins aigus.
Cela suppose de mettre en place une organisation hospitalière et des financements et de satisfaire aux besoins en personnel, infirmiers et médecins pour gérer ces lits. Nous continuons d’y travailler.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. Les lits d’aval sont très importants. Aux urgences, nous voyons des personnes sur des brancards. Bien souvent, une infirmière est désignée pour chercher des lits dans tout l’hôpital – et c’est un travail à plein temps. Je n’ignore rien des coûts induits par ces lits supplémentaires, mais c’est une question essentielle.
En outre, les services spécialisés ne souhaitent pas accueillir de patients souffrant d’une affection ne relevant pas de leur domaine et qui ont besoin d’un bilan. L’ouverture de lits de médecine polyvalente en aval est plus que jamais nécessaire.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès 2014, la Cour des comptes nous alertait sur l’augmentation continue des recours aux urgences, souvent pour des cas ne nécessitant pas d’hospitalisation. Cette situation est en grande partie le résultat d’une prise en charge insuffisante par la médecine de ville. La Cour soulignait également l’existence de tensions au sein des hôpitaux et une inadéquation des soins prodigués.
Le constat reste inchangé : les effectifs – infirmiers, aides-soignants, médecins – demeurent insuffisants pour répondre à la demande croissante des patients. Cette pénurie se traduit par un engorgement des services d’urgences, par des conditions de travail de plus en plus difficiles et par une fatigue accrue des équipes. En somme, nous sommes toujours face à une situation critique.
En 2020, par exemple, 77 % des structures d’urgences étaient publiques. Elles ont pris en charge 18 millions de passages, même si l’on a observé une baisse de 17 % par rapport à l’année précédente, en raison notamment de la pandémie.
Au fil des années, les problèmes persistent. Le manque de ressources, tant humaines que matérielles, maintient les services d’urgences dans une crise permanente. Pour tenter de limiter l’afflux, des mesures de régulation ont été instaurées. Celles-ci, bien que nécessaires, sont souvent mal perçues par les patients et engendrent de l’incompréhension.
Le triage, ou la qualification, est devenu une pratique courante. Ce procédé consiste à évaluer rapidement l’état d’une personne arrivant aux urgences afin de l’orienter vers le parcours de soins le plus approprié. Il s’agit d’un outil essentiel pour assurer une prise en charge rapide et efficace, mais encore faut-il que les personnels chargés de l’évaluation soient correctement formés et soutenus. Madame la ministre, qu’en est-il ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, ce sont les assistants de régulation médicale (ARM) qui sont au bout du fil lorsque l’on appelle les centres 15. Ils orientent leurs interlocuteurs vers les SAS et sont les premiers maillons de la chaîne des secours médicaux français par téléphone. Ils travaillent en collaboration avec des médecins hospitaliers et libéraux.
Depuis 2019, afin de sécuriser la régulation médicale, le ministère de la santé a instauré une certification de la formation. D’une durée d’un an, celle-ci est assurée dans vingt et un centres agréés – l’ouverture récente de nouveaux centres a permis de mailler encore davantage notre territoire. Elle s’adresse aux bacheliers et aux personnes ayant au moins trois ans d’expérience professionnelle à temps plein. Elle est aujourd’hui obligatoire pour exercer ce métier.
En pratique, cette assistance de régulation médicale réceptionne tous les appels, les priorise et les oriente soit vers une prise en charge sans délai par les Samu, dans les situations d’urgence vitale, soit vers la régulation de médecine ambulatoire, lorsque la demande relève de besoins de soins non programmés.
En revanche, les missions importantes que sont l’accueil et l’orientation des patients aux urgences reposent sur un infirmier organisateur de l’accueil – dans certains établissements, en binôme avec un médecin organisateur de l’accueil. Ce rôle constitue plus que jamais un pivot de l’organisation et de la gestion des flux internes des structures d’urgences : il s’agit d’accueillir, d’évaluer rapidement le degré d’urgence et d’organiser le début du parcours dans une structure adaptée aux besoins du patient.
Les outils existent ; il est essentiel que chaque établissement s’en empare et les adapte aux besoins de son territoire.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.
Mme Brigitte Devésa. Madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est plus un secret pour personne : notre système d’urgences est sous tension et à bout de souffle. Cet été, comme chaque été malheureusement, il a connu de graves difficultés dont les plus vulnérables de nos concitoyens ont été les premières victimes.
Je prendrai pour exemple l’hôpital d’Aix-en-Provence, dans le département des Bouches-du-Rhône. Cet été, le service d’urgences de cet établissement clé pour notre territoire a dû régulièrement fonctionner de nuit avec quatre urgentistes, alors que six sont nécessaires. Par ailleurs, la fermeture régulière des services d’urgences d’autres hôpitaux situés à proximité, comme ceux de Digne-les-Bains et de Manosque, a provoqué des reports vers l’hôpital d’Aix, qui avait donc trop de patients à traiter et pas assez de médecins.
Cette situation est bien évidemment néfaste pour les patients, qui subissent des délais d’attente de plus en plus longs et donc, parfois, des pertes de chance. Elle l’est aussi, madame la ministre, pour les soignants, dont le dévouement a pour limite leur capacité physique à supporter une charge de travail toujours plus lourde. Il devient d’ailleurs de plus en plus difficile de recruter dans certaines professions paramédicales, et même dans certaines spécialités de médecine.
Certes, c’est un problème de long terme, car former un médecin prend des années. Nous ne pourrons le régler d’un claquement de doigts. Toutefois, nos concitoyens doivent pouvoir accéder dès maintenant à des services d’urgences de qualité. Apporter des réponses intermédiaires semble donc indispensable.
Madame la ministre, quelles solutions envisagez-vous à court terme pour soulager nos services d’urgences et permettre à l’ensemble des Français d’y être pris en charge dans de bonnes conditions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Nous avons déjà évoqué de nombreuses solutions – SAS, articulation avec les services d’urgences, coopération avec les établissements privés des territoires manquant de services d’urgences… Cependant, la clé réside dans les ressources humaines, qu’il s’agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre ceux qui ont quitté le système d’y revenir.
Nous savons que nous devons travailler à l’attractivité des métiers et à la prise en compte de la pénibilité, afin de favoriser le maintien dans leur domaine d’activité des professionnels de l’urgence. Les accords du Ségur de la santé représentent un effort historique dans la reconnaissance de l’engagement de ces professionnels.
À l’été 2022, les mesures dérogatoires pour les urgences et soins non programmés ont permis la reconnaissance rapide des sujétions que sont le travail de nuit, le travail du dimanche et le travail des jours fériés. À l’été 2023, ces mesures d’attractivité ont été pérennisées pour permettre une meilleure rémunération des professionnels médicaux et non médicaux. C’est en effet sur ces plages horaires que se concentrent les plus grandes difficultés de recrutement.
La reconquête progressive de l’attractivité des métiers de la santé et la fidélisation des professionnels est notre priorité. Ces métiers restent attractifs, nous l’avons souligné : les études de santé sont sur le podium des formations les plus demandées sur Parcoursup en 2024.
Nous devons continuer d’investir pour accroître les capacités de formation et avancer sur les conditions de travail, en sus des efforts déjà accomplis en matière de rémunération, pour rendre ces métiers encore plus attractifs. N’oublions pas l’évolution des carrières, élément essentiel dans les services d’urgences comme ailleurs.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour la réplique.
Mme Brigitte Devésa. J’entends vos propos, madame la ministre, notamment sur tout ce qui a été mis en place au travers du Ségur.
Toutefois, sans une réforme en profondeur, la situation que connaissent les services d’urgences risque non seulement de mettre en danger la santé de nos concitoyens, mais aussi de provoquer une véritable rupture dans l’accès aux soins. Madame la ministre, il y a urgence !
M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim.
Mme Audrey Bélim. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord, en notre nom à toutes et tous, envoyer un message de solidarité aux Calédoniens, pour qui la crise politique a de graves conséquences sanitaires.
Il a été difficile, voire impossible, d’accéder au centre hospitalier territorial, en raison des barrages. Depuis le 2 septembre dernier, les lits d’hospitalisation sont fermés à Poindimié et à Koumac, faute d’infirmiers et de médecins. Il n’y a plus eu de services d’urgences de nuit durant de nombreuses semaines, et peut-être est-ce encore le cas aujourd’hui. Le nombre de décès a presque doublé.
Permettez-moi d’évoquer les problèmes que nous avons connus à La Réunion, non pas cet été, mais durant notre hiver austral. Certes, ils ne sont pas aussi dramatiques, mais ils n’en restent pas moins graves pour notre population.
Ainsi, le 3 octobre dernier, un patient de 90 ans, qui s’était rendu aux urgences pour une détresse respiratoire, a dû attendre pas moins de dix-sept heures avant d’être pris en charge. Il s’agit, mes chers collègues, vous qui représentez les collectivités territoriales, de l’ancien maire de Salazie, Jean-Claude Welmant. Vous en conviendrez, une si longue attente est inacceptable pour tout citoyen, ancien maire ou non. Cette grave défaillance reflète la situation fragile de notre CHU, et ce malgré l’engagement remarquable des équipes.
Au-delà des spécificités liées à l’insularité, le service des urgences du CHU de La Réunion, hôpital de référence de l’océan Indien, accueille de nombreux Mahorais par évacuation sanitaire (Évasan), car les infrastructures de Mayotte ne sont pas adaptées à tous les actes. En 2012, ils étaient 400 ; en 2023, 1 600. Je rappelle que nous comptons 40 % de patients non affiliés, au sujet desquels le CHU doit se battre avec la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) pour obtenir l’ouverture de l’aide médicale de l’État (AME), puisque celle-ci n’existe pas à Mayotte.
Je rappelle aussi qu’un tiers des Évasan concernent des étrangers. C’est l’honneur de notre CHU, c’est l’honneur de La Réunion, mais il y va aussi de l’image de la France dans son bassin régional. Cela suppose toutefois un soutien de l’État. Le précédent gouvernement avait annoncé une revalorisation de trois points du coefficient géographique, ce que l’ensemble des acteurs avaient accueilli avec satisfaction.
Madame la ministre, confirmez-vous cette hausse ? Irez-vous plus loin, au regard des nombreuses Évasan prises en charge par le CHU de La Réunion, au nom de la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je vous remercie de vos mots relatifs à la situation en Nouvelle-Calédonie. À mon tour, je veux avoir une pensée pour tous ceux qui œuvrent en faveur de l’apaisement, notamment nos forces de l’ordre, les fonctionnaires de l’État, mais aussi les responsables politiques et syndicaux ainsi que les acteurs de la société civile, qu’ils soient issus du monde économique, religieux ou coutumier.
La situation financière des hôpitaux ultramarins, et particulièrement celle du CHU de La Réunion, est une préoccupation que je partage pleinement. Je suis consciente des contraintes spécifiques, que vous avez décrites, auxquelles cet établissement est confronté, sans oublier l’éloignement géographique, les surcoûts logistiques et la forte demande de soins, dans un contexte sanitaire plus complexe que celui de l’Hexagone.
Face à une dégradation de la situation financière de ce CHU, l’État a poursuivi, ces dernières années, un accompagnement spécifique de plusieurs dizaines de millions d’euros – dont quelque 42 millions d’euros de crédits en 2023. Ce soutien financier important va de pair avec un travail mené par la gouvernance du CHU sur le fonctionnement de l’établissement et la fluidité des parcours.
Vous évoquez le coefficient géographique, rehaussé de 31 % à 34 %. Cette réévaluation s’applique sur les tarifs et dotations perçus par les établissements réunionnais et entrera en vigueur progressivement sur les exercices 2024 et 2025.
Mayotte a été confrontée à une succession de crises ces dernières années, notamment sociale, hydrique et même épidémique, avec le choléra. S’y ajoute la crise structurelle de l’attractivité, qui se traduit par d’importantes difficultés à pourvoir des postes durablement vacants au centre hospitalier de Mamoudzou. Mes prédécesseurs s’y sont engagés et je m’inscris dans cette approche : nous devons aider le territoire mahorais à se doter de leviers d’attractivité et de fidélisation de ses professionnels de santé.
Pour l’heure, je sais que le territoire de La Réunion s’est particulièrement engagé pour appuyer son voisin mahorais. Je salue la mobilisation de tous les Réunionnais qui agissent en ce sens et leur dis ma reconnaissance, ainsi qu’à la centaine de réservistes sanitaires engagés en permanence sur le territoire de Mayotte.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. Alain Milon. Madame la ministre, le fonctionnement des urgences reste un sujet de préoccupation pour nos concitoyens, pour les élus du territoire et pour le Gouvernement. La raréfaction des ressources médicales amène à recentrer les services d’urgences sur leur mission première : la prise en charge de patients relevant d’une pathologie qui requiert l’expertise et le plateau technique hospitaliers. Dans certains cas, cela conduit même à suspendre leur fonctionnement.
Nous observons ainsi les services d’urgences de plusieurs territoires modifier leur organisation, sans pour autant se coordonner entre eux. Cette situation engendre un manque de lisibilité sur les modalités de fonctionnement, des mises en procédure adaptée non coordonnées et, possiblement, des difficultés d’accès.
Or les GHT apportent souvent, via le projet médico-soignant partagé (PMSP) et l’élaboration du parcours de soins, complémentarité et lisibilité dans les territoires qu’ils desservent. Afin de renforcer l’organisation territoriale des urgences, ne faudrait-il pas demander aux groupements hospitaliers de territoire de proposer à l’ARS une organisation concertée au travers de la création d’une structure juridique de type pôle inter-établissement ou fédération médicale inter-hospitalière (FMIH) ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Je suis d’accord, monsieur le sénateur : les GHT, qui agissent souvent à l’échelle départementale, se situent au bon niveau d’action. À mon sens, ils devraient disposer d’une certaine autonomie pour l’organisation et l’architecture de l’accès aux soins et aux urgences.
Je souhaite avancer sur ce sujet, mais n’oublions pas qu’il existe des disparités selon les territoires, souvent liées à des personnes. Les élus locaux doivent montrer leur volonté politique de soutenir ces groupements, qui agissent à la bonne échelle en termes d’organisation de l’accès aux soins. Je vous propose que nous y travaillions.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Nous sommes d’accord, madame la ministre, mais ce groupement n’est pas doté de la personnalité morale et juridique. Dans ces conditions, l’établissement support ne dispose pas de levier réel pour agir en la matière.
Nous devons donc travailler sur cette question pour aboutir enfin à une organisation d’ensemble sur le territoire.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un vendredi, à la fin de l’été, dans la belle ruralité gersoise, une personne âgée est orientée par son médecin généraliste vers le service des urgences de l’hôpital de Condom, à vingt-cinq kilomètres de sa commune de résidence.
Arrivé vers dix-sept heures trente aux urgences, le patient ne peut être pris en charge, faute de personnel médical – premier manquement grave au service public de la santé. À vingt-deux heures, il décide de rentrer chez lui.
Le lendemain, samedi, l’un de ses amis s’enquiert de la situation et n’arrive pas à le joindre. À dix-sept heures trente, après intervention du maire et des pompiers, il est retrouvé inanimé dans les toilettes de son appartement, où il vient de passer huit heures. Nouvelle hospitalisation à Condom à dix-huit heures et, à vingt-trois heures, nouveau retour au domicile après une prise en charge qui, pour le moins, pose question. Le dimanche, un proche atteste que la personne était totalement incapable de se déplacer, de s’alimenter et de satisfaire à ses besoins naturels – deuxième manquement grave au service public de la santé.
Le lundi, nouvelle hospitalisation en urgence, cette fois à Auch, où est diagnostiquée une grave infection, avec insuffisance pulmonaire et prescription de dialyse tous les deux jours. À l’heure où je vous parle, cette personne est toujours hospitalisée, très affaiblie, sous oxygène, et a délivré à l’un de ses proches ces quelques mots : « Que c’est long, l’agonie. »
Madame la ministre, cette situation est inacceptable. Quelles dispositions prendrez-vous pour que, de manière systémique et systématique, un service d’urgences, indispensable dans la ruralité, soit doté, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, d’un médecin ? Comment peut-on transporter de la sorte un patient vers un service d’urgences qui n’en est pas doté ?
Mme Émilienne Poumirol. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Monsieur le sénateur, je ne connais pas la suite du parcours médical de ce patient. Ce qui est certain, cependant, c’est que des manquements ont eu lieu, le premier consistant à renvoyer une personne chez elle sans accompagnement, alors qu’elle est malade. Que cela relève du sanitaire ou du sanitaire et social, les structures doivent se coordonner et s’organiser pour éviter aux patients de se retrouver dans de telles difficultés.
Dans votre département du Gers, la coopération entre acteurs est bonne. Depuis environ un an, les urgences du centre hospitalier d’Auch ont une équipe mutualisée avec le CHU de Toulouse, sous la forme d’un pôle inter-établissement, afin de sécuriser le fonctionnement du service. Je tiens à saluer ce type de coopération, qui est formidable.
Le Smur de Condom, qui est aujourd’hui une antenne d’Auch, a vocation à devenir une ligne autonome, directement rattachée au centre hospitalier de Condom. En outre, l’ARS accompagnera les travaux de modernisation du service des urgences d’Auch, sachant qu’un projet de modernisation est également prévu à Condom.
L’ARS Occitanie révisera prochainement le volet urgences de son plan régional de santé. Le 15 octobre prochain, elle lancera la consultation sur les urgences, qui a été précédée d’une phase de concertation de six mois. La réflexion sur le département du Gers doit en faire partie.
La Landaise que je suis sait que nous accueillons des Gersois à Aire-sur-l’Adour, lorsque le service des urgences fonctionne, et à l’hôpital de Mont-de-Marsan.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Je salue les soignants, qui se dévouent corps et âme pour la santé de nos concitoyens. Je vous redis, madame la ministre, notre besoin urgent de mesures ponctuelles et structurelles opérationnelles pour le premier des services publics, celui de la santé.
M. le président. La parole est à M. Khalifé Khalifé.
M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai côtoyé les urgentistes durant mes quarante années d’urgences cardiologiques. C’est aussi un président de commission médicale d’établissement (CME) qui vous parle ce soir.
J’ai vu s’opérer bien des changements à l’hôpital, dont la création des urgences. Tout en acceptant la volonté des urgentistes de s’universaliser, nous étions alors nombreux à leur dire qu’ils ne pourraient pas tout faire – autrement, à quoi servirait-il d’avoir des spécialistes ? Et pourtant, tous ceux qui arrivaient à l’hôpital passaient par les urgences : même un malade sortant de chimiothérapie devait passer aux urgences pour être transfusé. Nous en étions là, d’où les dysfonctionnements relevés par toutes et tous et les conséquences qui en ont découlé sur l’image de marque de certains hôpitaux.
Beaucoup de médecins urgentistes, rapidement épuisés, sont partis ailleurs, parfois pour financiariser des centres de proximité.
Plus grave encore, cette centralisation des urgences a complètement éloigné les médecins qui étaient auparavant appelés pour avis en consultation et qui triaient les patients en quelques instants.
Aujourd’hui, d’autres l’ont souligné avant moi, les malades restent dix ou douze heures aux urgences pour attendre leur bilan : on les oublie, on les récupère, on les revoit plus tard, on les soumet à d’autres examens alors qu’ils ont déjà attendu pour passer un scanner… Les personnes souffrant d’une rage de dents patientent huit heures aux urgences pour un simple diagnostic, ce n’est pas une anecdote !
Pour ces raisons, je souhaiterais, comme beaucoup de mes collègues, que les services d’urgences soient cogérés par des médecins généralistes dans les mêmes locaux. L’expérience, je peux en témoigner, montre qu’il n’est pas dans l’habitude des urgentistes d’envoyer un malade dans un service situé en face de l’hôpital – ils préfèrent le faire patienter dans les couloirs sur un brancard…
Ces services cogérés, dont je souhaite la mise en place, devraient être de préférence universitaires. À cet égard, madame la ministre, que sont devenus les 250 postes de praticiens universitaires territoriaux créés récemment ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Je ne retracerai pas l’histoire des urgences, monsieur le sénateur, vous la connaissez bien mieux que moi.
Aujourd’hui, la situation est complètement différente, marquée par une hyperspécialisation et par l’apparition d’un diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine d’urgence. Il en résulte que les médecins ayant d’autres spécialités interviennent moins au sein des services d’urgences.
Certains hôpitaux possèdent tout de même des filières d’urgences spécialisées, en pédiatrie ou en psychiatrie, par exemple, pour assurer un accueil particulier des patients. En dehors de ces cas, les patients ont un parcours de soins quelquefois complexe…
En 2023, 495 postes ont été proposés à l’internat pour le DES de médecine d’urgence. Cette filière profite d’une très forte attractivité puisque 100 % des postes offerts sont pourvus, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres spécialités, notamment la psychiatrie. Ce DES bénéficie en outre du « droit au remords » pour les étudiants ayant choisi initialement une autre spécialité, avec quelque 150 internes recrutés en plus sur les cohortes des années 2017-2021. Il faut donc continuer de privilégier cette voie.
Pour le reste, il s’agit surtout d’une question organisationnelle à l’échelle de chaque établissement.
Votre proposition de cogestion des services d’urgences a déjà été mise en place dans certains hôpitaux, mais elle est impossible à appliquer dans d’autres établissements, faute de médecins généralistes désireux d’exercer dans ces structures. Dans ce dernier cas, il n’y a aucun intérêt à développer ces services, qui doivent être communs par essence. Il faut donc construire avec les praticiens du territoire, en fonction de ce qu’ils sont capables d’apporter.
Les services d’accès aux soins se révèlent très utiles pour éviter qu’un grand nombre de patients n’encombrent les urgences pour des problèmes relevant de la médecine générale, sans aucun caractère d’urgence.
En somme, on ne peut appliquer les mêmes solutions partout. Il existe des hôpitaux où des services de soins sont accolés aux urgences et fonctionnent très bien. En revanche, ce dispositif est inapplicable dans d’autres établissements, faute de praticiens volontaires pour y exercer.
Il faut réfléchir à construire autre chose. J’y insiste, l’idée est d’éviter que des malades n’ayant rien à faire aux urgences ne s’y rendent.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sabine Drexler. Je souhaiterais faire entendre la voix singulière du sud de l’Alsace, région où trois frontières s’entremêlent, ce qui complique encore la situation dans laquelle se trouve notre système de soins.
Dans ce territoire, comme partout ailleurs, une frange importante de la population est vieillissante et les maladies chroniques sont en constante augmentation. Comme ailleurs encore, la médecine de ville est carencée. Les listes d’attente chez les rares spécialistes s’allongent, décourageant bon nombre d’habitants qui finissent par renoncer à se faire soigner.
Dans les hôpitaux du sud de l’Alsace, les urgences peinent à accueillir des patients qui se présentent régulièrement, faute de trouver à se soigner ailleurs dans la durée. Je pense tout particulièrement aux personnes âgées, notamment aux plus isolées d’entre elles.
Dans le secteur des trois frontières, le phénomène d’aspiration des personnels de santé vers les pays voisins aggrave encore les choses : chaque jour, 250 soignants traversent le Rhin pour travailler en Allemagne et 1 850 rejoignent la Suisse.
L’attractivité des pays transfrontaliers a augmenté d’un tiers depuis 1999 pour des raisons non seulement salariales, puisqu’une infirmière diplômée gagne entre 5 500 et 8 000 francs suisses bruts par mois, mais aussi qualitatives, en raison de meilleures conditions de travail et de formation.
L’hôpital de Saint-Louis, à quelques mètres de la frontière, est à cet égard particulièrement affecté. La Collectivité européenne d’Alsace a mis en place une politique spécifique pour valoriser ce secteur géographique, le rendre plus attractif et favoriser l’installation des personnels de santé. Toutefois, dans un contexte de forte concurrence entre les territoires, les capacités de cette collectivité atteignent leurs limites.
Alors que des leviers ont été identifiés pour limiter les conséquences de ce phénomène de fuite, comment le Gouvernement compte-t-il rendre effectives les conventions de coopération sanitaire, notamment celles de 2016, pour répondre aux besoins particuliers de ce territoire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, la question de l’attractivité des métiers de santé est un sujet d’importance qui affecte aussi les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie.
Le niveau de salaire offert de l’autre côté de la frontière aspire nos professionnels de santé, ce qui complique la prise en charge des personnes résidant sur le territoire national. Jean Castex, lorsqu’il était Premier ministre, avait confié une mission au préfet de Haute-Savoie sur la mise en œuvre d’un plan d’action spécifique.
Dans ce cadre, deux axes principaux de réflexion se dégagent : premièrement, l’identification de leviers d’action nationaux permettant d’accroître l’attractivité des métiers de santé dans les territoires frontaliers et de réduire les départs ; deuxièmement, l’identification des coopérations possibles entre, d’une part, les régions et départements français et, d’autre part, la Confédération et les cantons suisses frontaliers pour contribuer au même objectif et développer une meilleure intégration transfrontalière de l’offre de soins.
Il nous faut identifier et développer une véritable politique transfrontalière. Ce n’est pas chose facile, mais il y va de l’intérêt des Suisses et des Français habitant de part et d’autre de cette frontière.
Les données de l’Observatoire statistique transfrontalier (OST) mettent en évidence un important déséquilibre entre le lieu de résidence et le lieu de travail des soignants exerçant en Suisse. Les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie sont particulièrement affectés : respectivement 10 % et 41 % de leurs soignants exercent en Suisse, soit 7 000 professionnels au total. Ils pourvoient ainsi près de 30 % des besoins en équivalents temps plein (ETP) des cantons de Genève et de Vaud.
Au-delà des tensions sur les ressources humaines dans ces zones frontalières, des mesures d’attractivité salariale sont mises en place. Ainsi, le Gouvernement a institué une indemnité de résidence spécifique, tandis que l’ARS déploie largement des contrats d’allocation d’études, accompagne financièrement les étudiants en formation et les incite à s’engager dans le territoire où ils ont été formés.
Il est indispensable de construire une politique transfrontalière de santé, même si cela exige beaucoup de temps.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme Laurence Muller-Bronn. À mon tour de parler de l’Alsace, mais il s’agit cette fois-ci du Bas-Rhin. (Sourires.)
L’enquête réalisée par Samu-Urgences de France a montré que deux services d’urgences sur trois ont fonctionné de nouveau en mode dégradé durant l’été 2024. En Alsace, nous avons franchi un nouveau stade dans l’inacceptable cet été, en particulier dans le département du Bas-Rhin.
Dans les hôpitaux de Strasbourg, de Sélestat, de Haguenau et de Wissembourg, l’attente durant des heures, voire des jours, sur un brancard augmente les risques de mortalité des patients.
En reportant toujours plus le risque sur les malades, nous atteignons les limites de la maltraitance institutionnelle. À Strasbourg, le 10 avril dernier, un syndicat a décidé de porter plainte pour non-assistance à personnes en danger.
De crise en crise et de plan blanc en dispositif provisoire, la vision court-termiste des services hospitaliers nous conduit à un échec certain et mortifère. Pourtant, les causes sont largement connues et des solutions existent. Le Sénat avait d’ailleurs fait un certain nombre de préconisations à la suite de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France dans son rapport Hôpital : sortir des urgences, publié en mars 2022.
Les centres de soins non programmés sont l’une des réponses opérationnelles possibles. Ces quarante-trois structures, qui prennent en charge 820 000 patients chaque année, peuvent assurer un service d’urgences de proximité.
Toutefois, des freins demeurent : il faudrait décloisonner les statuts et les missions et permettre à différents types d’interventions ou d’établissements – publics et privés – de coexister sur le terrain.
Madame la ministre, allez-vous vous engager dans cette voie ? Quelles mesures d’organisation sur le long terme proposerez-vous aux professionnels de santé ainsi qu’aux patients ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, je reconnais que certains établissements de votre département ont rencontré des difficultés.
Des mesures législatives ou réglementaires peuvent créer des entraves. Aussi, je souhaiterais qu’un travail de simplification soit engagé. Des règlements, qui relèvent de l’ordre des médecins lui-même, empêchent certains professionnels de se regrouper pour travailler ensemble.
Il n’est plus l’heure d’empêcher, mais de faciliter. Je vais donc m’y atteler, aux côtés des directions concernées et des parlementaires. Les remontées du terrain nous permettront d’identifier toutes les difficultés.
Nous poursuivons un objectif prioritaire, celui de toujours assurer la sécurité et la formation des médecins pour leur permettre d’apporter les services qui leur sont demandés.
J’y insiste, simplifions les choses ! Les médecins doivent pouvoir travailler ensemble, qu’ils viennent du public ou du privé. Arrêtons de mettre des entraves, surtout quand il est possible d’aider les hôpitaux à fluidifier les services d’urgences.
Encore une fois, il faut décharger les urgences des patients qui n’ont rien à y faire et qui devraient être pris en charge avant.
Conclusion du débat
M. le président. Mes chers collègues, madame la ministre, je suis heureux que ce débat ait pu avoir lieu. Vous remarquerez que j’ai été particulièrement tolérant vis-à-vis des temps de parole de chacun ce soir.
En conclusion du débat, la parole est à M. Serge Mérillou, pour le groupe auteur de la demande.
M. Serge Mérillou, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. « C’est la catastrophe, mais je pense qu’en dehors des personnels de santé, personne ne s’en rend compte ! » Ces mots sont ceux d’un soignant cité dans l’enquête de Samu-Urgences de France, publiée le 17 septembre dernier : ils doivent nous alerter.
La situation des urgences dans notre pays est préoccupante. Ce débat, proposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a été l’occasion pour nous tous d’exprimer notre inquiétude, notre colère aussi, face à une situation qui se répète chaque année au grand dam de nos concitoyens.
L’hôpital brûle et, malgré les promesses, rien ne change. Les chiffres évoqués ce soir sont éloquents : deux services d’urgences sur trois ont fermé au moins une fois cet été ; un tiers ont dû mettre en place une régulation médicale d’accès par le 15 ; quatre-vingt-six départements ont été touchés par la fermeture d’au moins une ligne médicale.
Si le bilan est meilleur qu’en 2023, il convient de l’analyser au regard du nombre anormalement élevé d’heures supplémentaires. Le personnel tient au prix d’un sacrifice trop peu reconnu. Malgré la crise, 1 500 lits ont été fermés et près de 1 000 postes d’internes ont été supprimés en 2024 – une aberration !
En métropole comme dans les territoires d’outre-mer, les urgences ne sont plus en mesure de mener à bien leurs missions. Dans le département dont je suis élu, la Dordogne, les urgences de l’hôpital de Sarlat ont dû fermer plusieurs jours consécutifs cet été – vingt-trois jours au total depuis le début de l’année 2024.
La maternité a été contrainte de fermer ses portes durant 180 jours. Certaines femmes ont dû faire une heure de route pour accoucher : c’est inacceptable et dangereux !
Souvent, ce sont les pompiers des services départementaux d’incendie et de secours qui assurent les transports, notamment des sapeurs-pompiers volontaires, pourtant libérés par leurs employeurs pour participer aux opérations de secours et non pour pallier les carences de notre système de santé. La fermeture d’un service d’urgences peut contraindre les pompiers à mener des interventions pouvant durer cinq à six heures.
Nos concitoyens paient un lourd tribut, conséquence directe d’un manque d’investissement et d’une gouvernance instable : huit ministres se sont succédé en sept ans.
Les mesures passées sont insuffisantes, les quelques effets positifs de la mission flash de 2022 ne sont pas à la hauteur, la désorganisation et les dysfonctionnements de notre système de santé sont beaucoup trop profonds.
Face à cet effondrement, des structures privées émergent et permettent de compléter l’offre de soins. Centres médicaux privés ou cabinets à horaires élargis proposent une prise en charge des petites urgences. Ils se veulent l’échelon manquant entre urgences et généralistes. Cependant, ils ne peuvent se substituer à l’hôpital public.
Mes chers collègues, l’égalité d’accès aux soins est l’une des bases de notre système de santé. Nous ne pouvons laisser s’imposer une médecine à deux vitesses.
« Des lits et des bras ! », voilà ce que réclament les soignants pour sauver les services d’urgences. Leur mission première est de soigner, de sauver des vies, et ils doivent pouvoir le faire dans de meilleures conditions.
Nous nous faisons le relais des propositions formulées par Samu-Urgences de France. Nous l’avons dit à plusieurs reprises ce soir : plus aucun patient ne devrait être hospitalisé dans un couloir.
Nous devons également intégrer l’indicateur lit brancard dans les programmes d’incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq) au lieu de l’actuel financement à l’amélioration de la gestion des lits.
Les services d’urgences ne peuvent plus répondre aux besoins croissants de la population. Revoir le maillage territorial des services d’accueil est donc une nécessité. Il nous faut plus de centres de soins primaires ; nous devons également généraliser progressivement la régulation médicale d’accès aux urgences et mettre en place un ratio patients-soignés au sein des services d’accueil d’urgence – cette mesure figurait d’ailleurs dans la proposition de loi de notre collègue Bernard Jomier, adoptée par le Sénat.
Plus globalement, il faut davantage de moyens. Je pense à l’état catastrophique de la santé mentale, qui souffre cruellement d’un manque de psychiatres et de psychologues. En ce domaine, nous ne sommes pas à la hauteur des besoins : il est urgent d’agir vite et bien pour répondre présent face à la demande croissante.
La problématique des urgences est directement corrélée à la désertification médicale. Ceux de nos concitoyens les plus concernés résident souvent en zone rurale. Les élus sont en première ligne : certains, en Bretagne et dans le Sud-Est, ont même pris des arrêtés appelant à un plan d’urgence d’accès à la santé.
Nous devrons être vigilants et faire en sorte que les moyens nécessaires soient votés dans le prochain PLFSS.
Je terminerai en remerciant, en notre nom à tous, je n’en doute pas, les communautés médicales de notre pays pour leur dévouement et leur engagement admirables. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP. – M. Cédric Vial applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la situation des urgences pendant l’été 2024.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 9 octobre 2024 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe UC)
Proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 664, 2023-2024) ;
Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 672, 2023-2024).
Le soir :
Débat préalable à la réunion à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt.)
nomination de membres de commissions
Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Lise Housseau est proclamée membre de la commission des affaires économiques.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Teva Rohfritsch est proclamé membre de la commission lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission des finances.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Stéphane Fouassin est proclamé membre de la commission des finances, en remplacement de M. Teva Rohfritsch, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER