M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Pierre Cuypers. Madame la ministre, vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, la récolte céréalière désastreuse de 2024 a durement frappé toutes les filières végétales. Les conditions climatiques extrêmes ont entraîné des rendements historiquement bas pour nos agriculteurs, déjà grandement fragilisés par l’inflation et pressurés par la surtransposition des normes.
L’impact financier concerne tous les secteurs.
Il y a, bien évidemment, des conséquences pour les rendements de la culture de céréales, la perte engendrée représentant entre 25 % et 50 % de la production moyenne de cinq années. Il y a également des conséquences économiques, avec une perte de plus de 1 200 euros par hectare dans les exploitations, mais aussi du point de vue de la qualité, avec la baisse du taux de protéines et du poids spécifique des céréales.
On observe encore des effets pour les organismes stockeurs, les pertes pour les coopératives et les négoces atteignant 300 millions d’euros, ainsi que pour les transformateurs, avec une perte de 100 millions d’euros pour les meuniers, de 10 millions d’euros pour les semouliers, sans parler des malteurs et des amidonniers.
Cette crise touche également les exportateurs et le secteur des transports : sachez que la baisse des activités portuaires et routières dépassera 60 %. Il y a aussi des conséquences pour l’écosystème céréalier, puisque la baisse des volumes fragilise le financement des instituts, notamment Arvalis, et ralentit les actions collectives de recherche et développement. Enfin, les conséquences pour les agriculteurs sont directes et immédiates, puisqu’ils doivent faire face aux échéances de la Mutualité sociale agricole (MSA) et aux impôts, calculés sur les années précédentes.
Devant cette situation critique, dramatique, le Gouvernement doit prendre des mesures pour soutenir les producteurs, protéger notre compétitivité à l’export et renforcer la résilience de la filière par rapport aux aléas climatiques, sous peine d’une crise frumentaire qui mettra en péril notre souveraineté et notre commerce alimentaire, dans un contexte géopolitique incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Pierre Cuypers, vous parlez en parfaite connaissance de cause. Je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler les dispositifs d’accompagnement mis en place par l’État à la suite des mauvaises récoltes de cet été.
Tout d’abord, pour les grandes cultures, le déclenchement de l’assurance récolte garantira que tous les exploitants touchés de manière exceptionnelle bénéficient d’une indemnisation. Je rappelle que, jusqu’à la réforme de 2023, les grandes cultures ne bénéficiaient pas du régime des calamités agricoles.
Ensuite a été mis en place un dégrèvement d’office, en cas de pertes, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Cela représente, pour le département dont vous êtes élu, la Seine-et-Marne, une somme de 4,8 millions d’euros.
En outre, les caisses locales de la MSA ont octroyé un report de paiement de cotisations sociales et ont pris en charge les cotisations sociales, sans oublier, je l’ai indiqué précédemment, le rehaussement à 70 % du taux d’avance des aides de la PAC à compter du 16 octobre prochain – c’est le taux d’avance maximal permis par la réglementation européenne –, ce qui constituera un apport de trésorerie significatif pour les exploitations.
Enfin, les organisations professionnelles agricoles ont identifié un mécanisme de soutien que je trouve intéressant : il s’agirait d’octroyer des prêts bancaires adossés à une garantie d’État, afin de permettre de passer cette période difficile. Depuis ma prise de fonctions, plusieurs réunions de travail se sont tenues entre Bercy, les établissements bancaires et mes services pour discuter des modalités de ce dispositif, afin qu’il soit le plus simple possible. Du reste, ce dispositif a été évoqué par le Premier ministre lors de son déplacement au sommet de l’élevage vendredi dernier. Nous allons donc pouvoir œuvrer rapidement à sa mise en œuvre, tout en travaillant également à l’anticipation et à l’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. L’agriculture française, en particulier celle du sud de la France, est aujourd’hui au bord du gouffre et nos éleveurs en sont les premières victimes. Ces piliers de notre économie et de notre patrimoine voient leur horizon se rétrécir de jour en jour. Avec plus de 4 600 foyers touchés, la FCO et la MHE continuent de s’étendre inexorablement et affectent non seulement les ovins, mais encore les bovins et les caprins sur l’ensemble du territoire.
Face à cette menace, les mesures gouvernementales restent largement insuffisantes. Le fonds de 75 millions d’euros que vous avez alloué pour la FCO de sérotype 3 est loin de couvrir les pertes réellement subies, car les conséquences indirectes sont énormes : stérilité, avortements et baisse de production laitière. Quant à la situation des exploitations touchées par la FCO de sérotype 8, elle frôle l’abandon : les vaccins ne sont toujours pas pris en charge et ne seront pas disponibles avant la fin du mois de juin prochain. Comment tolérer une telle situation ?
Cette crise dépasse la seule question des compensations économiques.
Sans doute, nous devons commencer par indemniser au juste niveau chaque bête perdue, chaque agneau, chaque chevreau qui ne verra pas le jour, en se calquant sur les indemnisations appliquées aux pertes causées par le loup, soit au minimum 250 euros par bête. Mais nos éleveurs, déjà affaiblis par les attaques répétées des prédateurs, subissent en outre une pression constante et un stress quotidien qui les conduisent tout droit vers une détresse psychologique alarmante.
Un soutien psychologique est indispensable. Ignorer cet aspect, c’est condamner nos éleveurs à l’épuisement mental et même parfois, malheureusement, au pire.
Madame la ministre, il ne s’agit plus d’utiliser des rustines : nos éleveurs exigent des réponses concrètes et des solutions durables ! Le moment est venu de réviser en profondeur le plan loup, d’y apporter des ajustements répondant réellement aux attentes des éleveurs tout en tenant compte des impératifs environnementaux.
Êtes-vous prête à élaborer un plan ambitieux, solide, capable de protéger à la fois nos éleveurs et l’avenir de notre agriculture ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Lucien Stanzione. Des promesses, oui, mais aussi des actes !
Madame la ministre, je vous dis donc : à très bientôt au MED’Agri, à Avignon !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Je vous remercie, monsieur le sénateur Lucien Stanzione, de m’annoncer ce qui sera évoqué lors de ce salon… (Sourires.)
Vous évoquez d’abord la FCO de sérotype 3. Cette maladie se propage, nous en sommes conscients, à un rythme exponentiel.
M. Laurent Duplomb. Sur la moitié de la France !
Mme Annie Genevard, ministre. Néanmoins, pour ce qui concerne la généralisation de la vaccination et le fonds de soutien d’urgence de 75 millions d’euros, je puis vous assurer de la satisfaction de la filière ovine. J’en prends donc acte et je vous invite à faire de même, cette satisfaction ayant été exprimée publiquement.
Vous parlez ensuite d’abandon à propos de la fièvre catarrhale ovine de sérotype 8. Non, on ne peut pas parler d’abandon, puisque le comité de suivi dont je parlais va évaluer précisément les besoins en matière d’indemnisation des cheptels atteints par cette affection. Nous déterminerons alors le calibrage des aides, le FMSE sera sollicité et nous verrons s’il est suffisant.
Je constate par ailleurs que des régions montent également au créneau. D’ailleurs, mon homologue espagnol m’expliquait que, dans son pays, la gestion de la crise sanitaire était régionalisée ; mais, j’en conviens, l’organisation territoriale et administrative de l’Espagne n’est pas comparable à celle de la France.
Enfin, vous évoquez le loup et vous avez raison de parler d’épuisement mental, les termes ne sont pas trop forts. Je le vois dans mon territoire, où les bovins sont maintenant attaqués par le loup : les plus solides de nos éleveurs craquent véritablement lorsqu’ils découvrent, au matin, l’état de leurs animaux, dévorés vivants, parfois d’ailleurs encore vivants. C’est donc un sujet majeur. Or ce qui a eu lieu la semaine dernière, le lancement de la procédure de déclassement du loup, est, je l’espère, prometteur pour l’évolution en matière de prélèvement.
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, cela fait maintenant plusieurs années que, dans nos départements respectifs, les éleveurs nous alertent sur l’augmentation de la population lupine et sur les ravages que celle-ci engendre. Vous le savez, la prédation du loup est un véritable fléau pour le pastoralisme, et il faut continuer d’agir en faveur de nos éleveurs.
Nous avons donc tous accueilli avec satisfaction la récente décision de l’Union européenne d’abaisser le statut de protection du loup. Toutefois, il reste encore au comité permanent de la convention de Berne à adopter cette mesure, et à la directive dite Habitats-faune-flore du 21 mai 1992 d’être amendée en conséquence. Madame la ministre, êtes-vous confiante dans l’avenir de cette décision à l’échelon européen et que mettez-vous en œuvre pour qu’elle aboutisse ?
Les éleveurs attendent d’autres mesures, comme le statut promis de chien de troupeau. Ce statut faisait l’objet de l’article 16 du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Pouvons-nous espérer que cet article sera repris dans le nouveau projet de loi qui sera, vous l’avez dit, déposé prochainement par le Gouvernement ?
Par ailleurs a été mise en œuvre une expérimentation pour la protection des troupeaux de bovins, lesquels ne peuvent faire l’objet de la même protection que les ovins, avec la possibilité d’un tir de défense simple lorsque la présence d’un loup est constatée. Il y a une forte demande en faveur de la généralisation de cette solution, qui s’avère très efficace face à l’augmentation significative du nombre de bovins prédatés ; dans le département dont je suis élue, la Savoie, cette augmentation a été de 30 % en valeur absolue en 2024 par rapport à 2023, avec près de 110 bovins attaqués comptabilisés à la fin du mois de septembre. Est-ce une mesure que le Gouvernement serait prêt à généraliser rapidement ?
Pour conclure, je souhaite aborder la question des indemnisations. Vous avez mentionné, madame la ministre, les compensations des pertes directes liées à la prédation du loup, mais qu’en est-il des pertes indirectes ? Celles-ci ne sont pas suffisamment valorisées, puisqu’elles sont estimées à 2 millions d’euros au lieu de 10 millions en réalité ; d’autant que le retard dans le traitement des dossiers aggrave la situation, obligeant les éleveurs à avancer près d’un an de trésorerie, ce qui n’est pas soutenable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Martine Berthet, vous évoquez un sujet sur lequel j’ai moi-même beaucoup travaillé. En effet, une étape importante a été franchie à Bruxelles avec l’adoption, à une large majorité – franchement, c’était inespéré ; j’avais fait le décompte des pays la veille et je ne pensais pas que l’on aurait ce résultat –, de l’ouverture de la procédure de déclassement du loup, de la catégorie des espèces strictement protégées à celle des espèces protégées. Ce petit mot, « strictement », fait toute la différence !
Ce sujet sera donc inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la convention de Berne. L’Union disposant de la majorité qualifiée, j’ai bon espoir que nous franchissions cet obstacle.
Cela dit, vous le savez, le loup est protégé par deux textes, la convention de Berne et la directive dite Habitats. Il faudra donc décider, à l’unanimité du Conseil des ministres de l’environnement, le déclassement d’une annexe à l’autre dans cette directive. À ce jour, trois pays y sont opposés : l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. Nous devrons donc mener un important travail auprès de nos partenaires pour aller au bout du processus.
Quant au statut promis de chien de troupeau, visant à limiter les risques juridiques associés, il me semble indispensable. L’article que vous citez, que nous avions amélioré à l’Assemblée nationale et adopté, sera maintenu dans le futur texte. Cela me paraît indispensable parce que le patou, on le sait, met l’éleveur en insécurité juridique : c’est ce dernier qui est responsable en cas de problème avec des promeneurs.
Enfin, vous évoquez quelque chose que les éleveurs de ma région ont contribué à mettre en œuvre : le statut de « non-protégeabilité » des bovins, car, de ce point de vue, les bovins ne sont pas comparables aux ovins. Le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup avait accepté le principe d’une expérimentation à cet égard, notamment dans la région dont je suis élue, et nous en attendons les résultats avant de généraliser ce statut.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre, la situation de l’agriculture, secteur économique majeur de nos territoires, et notamment du département dont je suis élue, le Lot-et-Garonne, suscite de réelles inquiétudes, et un nouveau mouvement amplifié de colère est à redouter.
En effet, six mois après les vives tensions qui ont secoué le monde agricole dans le pays, plus particulièrement dans le Lot-et-Garonne, je souhaite vous faire part de ma vive inquiétude à cet égard, laquelle s’est transformée en véritable préoccupation depuis que s’est réunie la chambre départementale d’agriculture, vendredi dernier ; mon collègue Michel Masset pourrait en témoigner.
De nombreuses raisons contribuent à ce regain de tension. Il s’agit, même si la liste n’est pas exhaustive, des dispositions portant sur la gestion de l’eau, du revenu des agriculteurs, des normes et de la réglementation, auxquels se sont ajoutés au cours des six derniers mois les problèmes climatiques affectant le blé, le soja, le maïs, le sorgho, ainsi que notre production, bien connue, du pruneau d’Agen et la viticulture. Et je ne parle pas de la fièvre catarrhale ovine, qui se propage dangereusement…
La profession agricole a le sentiment d’être délaissée. Elle estime ne pas être écoutée et se demande si son activité a encore du sens. La colère est intacte et les braises qui couvent sous les cendres laissent présager le pire. Loin de moi toutefois l’idée de jouer les Cassandre…
Madame la ministre, je sais que ce sujet vous préoccupe ; c’est la raison pour laquelle je vous demande de nous apporter des précisions pour répondre à cette colère annoncée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Christine Bonfanti-Dossat, je sais votre extrême vigilance sur ces questions. Vous m’avez alertée à ce sujet, et je vous en remercie parce que le regard des parlementaires, bons connaisseurs de leur territoire, particulièrement attentifs aux agriculteurs, aux filières agricoles, à la situation économique locale, leur confère un statut d’observateur privilégié.
Je partage votre préoccupation. Beaucoup d’échos m’arrivent du territoire dont vous êtes élue, le Lot-et-Garonne, mais pas seulement de là. Ils attestent d’une colère qui n’a pas été apaisée.
L’interruption due à la dissolution de l’Assemblée nationale, le temps de latence, le retard dans la mise en œuvre des annonces de mon prédécesseur, l’aggravation de la crise climatique, avec des sécheresses importantes ou des inondations, la baisse de la production, les inquiétudes portant sur l’avenir du monde agricole dans votre territoire, le sentiment d’être incompris, voire abandonné, tout cela nourrit cette colère, parfois de façon excessive. Mais ces excès sont à la mesure de l’inquiétude ressentie : ces métiers ne veulent pas disparaître, ces agriculteurs aspirent à vivre de leur métier sur le territoire qu’ils aiment, où ils sont nés, où ils ont vécu, où ils travaillent.
Bref, tout cela se comprend et croyez bien que je suis avec une extrême attention tout ce qui se joue, notamment chez vous, parce que c’est bien de là qu’est partie l’expression d’une profonde colère, à la mesure du désespoir ressenti.
Je puis vous garantir que je porte une attention particulière à cet enjeu. Tous les dispositifs que j’ai décrits seront naturellement ouverts aux agriculteurs de votre département, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Merci de vos propos, madame la ministre. Il est temps de redonner à notre agriculture sa place et son rang !
M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud.
M. Hervé Reynaud. Alors que nos agriculteurs sont confrontés à de nombreuses crises, la fièvre catarrhale affecte dramatiquement nos éleveurs ; c’est vraiment la question du jour…
Cette maladie, qui touche majoritairement les ovins, s’étend maintenant aux bovins, dans le département dont je suis élu, la Loire, mais également chez nos voisins de Haute-Loire, chère à Laurent Duplomb : 80 % à 90 % des élevages y sont touchés et les pertes sont énormes. Il y a en effet des pertes directes, avec la mort des animaux, mais aussi des pertes indirectes, avec des avortements, une baisse de la production laitière, voire des problèmes de fertilité.
Les éleveurs peinent donc à exporter leurs animaux vers des pays comme l’Espagne ou l’Italie, qui ont fermé leurs portes, même quand on leur présente un test PCR négatif. C’est le premier enjeu. Par ailleurs, la multiplication du virus étant très virulente dans les troupeaux infectés, la vaccination est le seul remède. Tel est le deuxième enjeu.
Je salue votre annonce de jeudi dernier relative à la gratuité du vaccin contre la FCO de sérotype 3 sur l’ensemble du territoire, madame la ministre, je vous en félicite.
Toutefois, dans la Loire, c’est le sérotype 8 qui fait des ravages : à ce jour, 798 foyers sont recensés. Aussi, face à la menace croisée de la fièvre catarrhale de sérotypes 3, 4 et 8, et de la maladie hémorragique épizootique, les éleveurs demandent la gratuité des vaccins pour l’ensemble des maladies vectorielles. À l’échelle nationale, plus de 3 800 foyers de contamination sont recensés.
Le Premier ministre a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 75 millions d’euros, mais cela ne suffira pas. Il nous faut des réponses immédiates. La profession estime les besoins entre 100 millions et 150 millions d’euros.
Madame la ministre, je vous renouvelle mon invitation à venir constater sur le terrain, dans le département de la Loire, la détresse psychologique des éleveurs. Par ailleurs, le Gouvernement peut-il s’engager sur une prise en charge globale de ces dépenses, indispensable pour stopper la contagion, et sur un échange avec ses homologues européens ?
M. le président. Vous êtes invitée partout, madame la ministre… (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Hervé Reynaud, je vous remercie de votre question. C’est en effet le sujet du moment et je comprends très bien que plusieurs de vos collègues aient choisi de l’évoquer.
Les enjeux sont bien d’accompagner les élevages atteints et de lever les blocages qui peuvent exister, notamment en matière d’exportations.
En effet, vous avez évoqué un point qui n’avait pas été tellement soulevé jusqu’à présent : notre filière d’élevage est exportatrice. Or nous avons réussi à lever les freins à l’exportation vers l’Italie, sous réserve de présenter un test PCR négatif et la preuve d’une vaccination. Et hier, le ministre espagnol m’a confirmé la reprise des exportations vers son pays, sous les mêmes conditions.
La FCO de sérotype 3 est venue des pays du Nord, la MHE et la FCO de sérotype 8 sont arrivées de ceux du Sud. On voit donc que les maladies vectorielles se jouent des frontières. Cela confirme qu’il convient, de toute évidence, de travailler sur cette question à l’échelon européen, car on sera toujours en retard d’un vaccin. C’est la raison pour laquelle mon prédécesseur avait évoqué l’idée d’une banque d’antigènes permettant d’élaborer des vaccins multicibles. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une idée, mais il faudra sans doute la reprendre.
Je répète en outre que le ministre espagnol s’est montré très ouvert à l’idée de la présentation conjointe d’une résolution, lors de la prochaine réunion des ministres de l’agriculture de l’Union européenne, pour que cette question soit inscrite l’ordre du jour. Il est en effet à craindre que, les crises sanitaires se multipliant et se développant, l’Union européenne estime que le sujet est trop large et que chacun doit s’en débrouiller de son côté ; or cela n’est pas possible parce que ce phénomène se généralise.
Pour ma part, je suis assez préoccupée par le fait que, en juillet dernier, le problème majeur était la FCO 3 et que, en septembre, c’était devenu la FCO 8, la première n’ayant pas pour autant disparu puisque les deux maladies se combinent…
Ainsi, à côté de l’urgence, il faut essayer de traiter les choses d’un point de vue stratégique, en anticipant et en prévenant ; c’est indispensable, car les budgets nationaux n’y suffiront pas.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un spectre hante la France agricole !
Ce spectre, c’est celui de la décapitalisation, notamment de notre cheptel bovin et ovin, durement touché par des crises sanitaires qui n’existent pas depuis hier, mais qui s’amplifient.
Ce spectre, c’est celui du déclin de notre compétitivité et de la perte de marchés, notamment au sein du marché intérieur avec nos concurrents européens directs. J’avais annoncé en 2019 que nous connaîtrions une balance commerciale déficitaire ; nous y sommes cette année…
Ce spectre, c’est également celui de l’érosion de notre souveraineté alimentaire, voire celui de menaces pour notre sécurité alimentaire, si les tendances à l’œuvre se poursuivent.
En un mot, comme le dit Éric Thirouin, de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), ce spectre, c’est celui d’une véritable liquidation planifiée de l’agriculture française !
M. Vincent Louault. Exactement !
M. Laurent Duplomb. Cette liquidation est le fruit de la Sainte-Alliance d’une technocratie abrutissante et des dogmes environnementaux.
J’ai écouté tous mes collègues, et je vous ai écoutée attentivement, madame la ministre, comme je l’avais fait la semaine dernière lors du sommet de l’élevage. Le programme que vous nous présentez est-il vraiment à la hauteur des périls que je viens d’évoquer ?
Je le dis et le répète, je suis favorable au fait de mener à son terme l’examen du projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, d’autant que ce texte avait été enrichi d’un volet de souveraineté et d’un volet de simplification des normes environnementales, qui vont dans le bon sens. Il suffira d’en retirer les contraintes supplémentaires prévues à l’article 14 sur les haies, fruit du « en même temps » si dévastateur de vos prédécesseurs.
Toutefois, j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, avant l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat, nous ne pourrons pas nous affranchir du traitement des problèmes récurrents qui entravent notre agriculture. Ce projet de loi ne saurait être la seule réponse à la crise, car il n’y répond pas suffisamment ni complètement.
Sur le terrain, les agriculteurs attendent dès maintenant le desserrement de l’étau normatif et ils veulent que nous les sortions des impasses techniques dans lesquelles nous les avons mis malgré eux, année après année. (M. Pierre Cuypers applaudit.) À cette fin, j’ai proposé une méthode pour sortir plus efficacement de cette crise. Cette méthode consiste à saucissonner et à conditionner. Elle s’articule en quatre temps.
Le premier consistera en l’examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), au cours duquel nous serons très attentifs à la traduction législative des engagements du précédent gouvernement : pérennisation du dispositif TO-DE, abandon de la suppression de l’exonération sur le gazole non routier (GNR), budget de crise et, éventuellement, comme l’a dit mon collègue Gremillet, réouverture de la possibilité de mettre en place des prêts bonifiés.
Deuxième temps : il faut un texte législatif au format réduit, concentré sur les principales entraves aux activités agricoles, qui serait déposé en octobre ou en novembre, pour redonner de la souplesse en matière d’usages de l’eau ou d’usage des produits phytosanitaires autorisés dans l’Union européenne et interdits en France par surtransposition, ou encore pour mieux encadrer les contrôles, et tout particulièrement ceux de l’Office français de la biodiversité.
Troisièmement, si et seulement si nous obtenons des avancées tangibles sur les deux séquences précédemment exposées, nous rouvrirons la possibilité d’étudier le projet de loi d’orientation agricole.
Quatrièmement, en parallèle, et dès aujourd’hui, je vous propose, madame la ministre, d’avancer sur des mesures de simplification par voie réglementaire ; j’aurai en la matière des propositions précises à vous faire dans les jours qui viennent, sous la forme d’une liste de décrets possibles et efficaces !
Décrets, budget, entraves, LOA : voilà ma proposition, madame la ministre. Êtes-vous prête à nous suivre dans cette direction ?
Les agriculteurs vous attendent et nous attendent : il s’agit de les sortir du mauvais pas dans lequel vos prédécesseurs les ont mis.
Et nous mettrons – je mettrai – un point d’honneur, au Sénat, à vous aider afin de ne pas les décevoir. Si les conditions que j’ai posées ne sont pas satisfaites, je vous le dis tout net, ce sera sans moi : je ne rapporterai pas le projet de loi d’orientation agricole.
Enfin, en manière de clin d’œil à mon collègue Daniel Gremillet, je citerai à mon tour Tocqueville – et tous ceux qui sont assis aujourd’hui au banc du Gouvernement devraient en prendre exemple : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu’il entend se substituer à eux dans l’organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu’à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d’eux-mêmes ? […] Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »
Je peux vous le dire, les agriculteurs méditent Tocqueville ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)