M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Mon homologue espagnol, avec qui j’ai parlé hier, est d’accord avec moi pour mettre ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l’agriculture de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.
M. Franck Menonville. Je vous remercie de vos réponses précises, madame la ministre. La dimension européenne est absolument indispensable. Compte tenu des moyens technologiques qui sont déployés pour contrôler nos agriculteurs, notamment l’imagerie satellitaire, nous devons être capables de veiller à certains aspects sanitaires et de réagir rapidement pour éviter ce type de crises.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour la réplique.
Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut bien identifier l’apparition et le développement de la maladie. Les vaccins contre la FCO de sérotype 3 ont été commandés dès juillet. Je rappelle que nous dénombrions sept foyers de contamination au début du mois de juillet, contre environ 3 700 un mois plus tard. La croissance a été exponentielle. Des capteurs de terrain très performants doivent être placés pour faire remonter les données sanitaires.
Par ailleurs, à l’échelle européenne, il faut bien comprendre que la crise sanitaire ne date pas d’aujourd’hui. Le Premier ministre a dit l’autre jour quelque chose qui m’a frappée : en 2008, lorsqu’il était ministre de l’agriculture, la fièvre ovine catarrhale existait déjà. Nous avons dû gérer le sérotype 3, le sérotype 8 mutant, la MHE, et il est question d’un retour du sérotype 1… Sans une meilleure stratégie d’anticipation et de prévention, nous sommes condamnés à courir après une nouvelle maladie vectorielle. Or une telle stratégie ne peut s’élaborer qu’à l’échelle européenne.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la ministre, la crise qui a traversé le monde agricole au printemps dernier a fait l’objet de la part du précédent gouvernement d’engagements et de promesses qui ont été compromis par la dissolution de l’Assemblée nationale.
Toutes filières confondues, nos agriculteurs ont dû faire face à de nombreux aléas durant tout l’été : les récoltes de céréales ont diminué de manière historique – moins 23,9 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années – ; Lactalis a décidé de manière unilatérale de réduire sa collecte de lait, obligeant près de six cents producteurs à trouver une solution de substitution ; la production viticole pourrait être inférieure de 10 % à 16 % par rapport à l’année 2023, et même de 30 % dans le Gard.
Quant aux éleveurs, ils font face à trois épizooties en même temps, qui ne font qu’aggraver la crise profonde de l’élevage. Dans le département de la Dordogne, dont je suis élue, celle-ci s’est traduite par la perte de 24 % des éleveurs en dix ans.
Si les récentes annonces gouvernementales, comme la gratuité de la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, sont salutaires, il est urgent d’engager un travail de fond pour rénover les outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.
Enfin, l’objectif d’autonomie alimentaire est essentiel pour garantir notre souveraineté alimentaire, et pour cela il nous faut donner la priorité à l’approvisionnement des populations par des productions locales. L’échec des lois Égalim impose de changer de logique : nous devons prendre un tournant en mettant en place des prix minimum d’entrée. C’est la seule façon de garantir un revenu digne à nos paysans.
Madame la ministre, dans ce contexte où les braises de la colère ne sont visiblement pas éteintes, confirmez-vous les annonces budgétaires pour 2025, qui sont pour le moins inquiétantes ?
La baisse des crédits alloués à l’agriculture de 9,5 % en autorisations d’engagement, soit 6,8 milliards d’euros, et de 4,5 % en crédits de paiement, soit 6,6 milliards d’euros est, je le répète, très inquiétante. De telles baisses ouvriraient une nouvelle fois la voie à l’extrême droite et à ses méthodes d’instrumentalisation en renforçant le sentiment d’abandon du monde paysan et agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Sebastien Pla applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Varaillas, votre question comporte plusieurs points importants.
Tout d’abord, je rejoins votre constat en ce qui concerne les terribles aléas qui frappent nos agriculteurs. Quand je vois les volumes d’eau qui tombent en ce moment, je pense notamment à tous ceux qui s’apprêtent à récolter le maïs et vont se trouver en grande difficulté. La baisse de rendement des céréales est une évidence et elle est très grave.
Ensuite, la perte de collecte de 450 millions de litres de lait par Lactalis, soit 8 % du lait collecté par l’entreprise, est en effet une terrible nouvelle pour plus de sept cents éleveurs. Surtout, elle portera un préjudice non seulement à l’éleveur, à son exploitation et à sa famille, mais aussi à la vie rurale en général. Je recevrai le dirigeant de Lactalis dans les jours qui viennent.
Par ailleurs, la filière viticole a réalisé un gros travail d’analyse sur les aléas climatiques, les changements de consommation, le vieillissement d’une partie des viticulteurs… Elle a proposé un programme d’arrachage qui vient d’être validé à l’échelle européenne, et qui sera doté de 120 millions d’euros.
Pour répondre à la question de l’autonomie alimentaire, vous évoquez les productions locales. Celles-ci sont extrêmement importantes, et ce n’est pas une élue de la terre du comté qui vous dira le contraire ! Pour autant, elles ne sont pas l’unique solution à l’autonomie alimentaire que vous appelez, à juste titre, de vos vœux.
Sur le prix minimum, vous le savez, nous ne serons pas d’accord. Nous considérons en effet que le prix plancher, si c’est ce que vous entendez par prix minimum, peut être un prix plafond. Nous avons une approche stratégique différente. En tout cas, le prix doit être juste.
En ce qui concerne le budget, nous vous en dirons davantage ultérieurement puisqu’il sera présenté jeudi.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le géant Lactalis a décidé, le 25 septembre dernier, de réduire ses volumes de collecte de 450 millions de litres d’ici à 2030. Il s’agit d’un plan social sans précédent dans la filière laitière. Près de trois cents exploitations étant concernées, il a provoqué un choc terrible parmi les producteurs.
De plus, cette décision a été prise dans une opacité totale, alors que le chiffre d’affaires de Lactalis a battu un nouveau record en 2023 en frôlant les 30 milliards d’euros. Quid des marges que Lactalis réalise sur les différents segments du marché laitier ? Quid de la poursuite des importations de lait par Lactalis en France ?
Quel déplorable message envoyé, alors que les agriculteurs se battent tous les jours pour redynamiser le secteur et que la filière appelle au renouvellement des générations ! Qui voudra reprendre une ferme laitière dans ce contexte ?
Par ailleurs, en Bretagne, Lactalis abandonne les éleveurs bio : ces derniers ne feront plus l’objet de collectes de la part de l’entreprise, à moins qu’ils passent en agriculture conventionnelle. Ce chantage est difficile à avaler pour ces éleveurs. Ils se sont engagés dans des pratiques vertueuses, ont adapté leurs prairies et leurs haies, et au bout du compte ils se font jeter ! Où est l’humain dans cette affaire ?
Ce scandale démontre un peu plus, s’il le fallait, l’urgence qu’il y a à remettre en place une régulation publique des marchés. Pour garantir des prix rémunérateurs et une répartition des volumes dans les bassins laitiers, il faut instaurer une régulation publique des volumes, et mettre fin à cette dérégulation à la main des industriels et dictée par leur seule soif de profit.
Car oui, cette stratégie de Lactalis vise à mettre au pas les éleveurs laitiers français. Voilà le monde merveilleux du marché mondialisé et de sa compétitivité, si chers à certains dans cet hémicycle : une recherche effrénée du moins-disant social et environnemental, et du mieux-disant fiscal !
Madame la ministre, apporterez-vous une réponse politique à la stratégie mortifère de ces industriels, qui met à mal notre souveraineté agricole et nos paysans ? Engagerez-vous des réformes structurelles pour établir enfin des règles justes et équitables dans les relations commerciales ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Salmon, vous revenez sur l’annonce de Lactalis. Je rappelle le coup de tonnerre qui est intervenu dans la soirée du 27 septembre : un communiqué de presse de l’entreprise a annoncé le retrait de 450 millions de litres de lait, soit 8 % de la collecte totale de Lactalis.
Deux justifications sont avancées : d’une part, cette décision serait motivée par une exposition accrue de l’entreprise à la volatilité des marchés extérieurs ; d’autre part, si la collecte est vouée à diminuer, la rémunération des producteurs doit quant à elle augmenter. Autrement dit, l’entreprise met l’accent sur les prix et la rémunération des producteurs au détriment du volume. Voilà la position de Lactalis.
Concrètement, les contrats arrivés à échéance ne seront pas renouvelés et les départs à la retraite seront considérés comme une fin du contrat avec l’exploitation concernée. Il s’agit sans doute de la pire des raisons, car cela représente une perte sèche de production laitière, alors même que le marché est porteur – nous avons besoin de lait en France !
Je suis particulièrement préoccupée par la dimension humaine de cette affaire. Pour les éleveurs, il s’agit d’un coup de tonnerre, d’une déflagration dans leur vie professionnelle, personnelle et familiale. Dès le soir de l’annonce, j’ai appelé le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et nous nous sommes vus dès le lendemain, car j’avais besoin de connaître le ressenti des représentants de la profession.
Leur principale préoccupation est d’accompagner les éleveurs. Un député m’a dit aujourd’hui qu’il allait se débrouiller pour trouver des débouchés aux éleveurs de son département qui ont été lâchés par Lactalis. La FNPL compte agir dans cet état d’esprit : apporter un soutien très individualisé aux agriculteurs. Nous serons à ses côtés pour le faire.
M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Sebastien Pla. Madame la ministre, deux minutes, c’est court ! Il me faudrait plus de temps pour résumer la situation d’une filière en grande souffrance : la viticulture est victime du changement climatique – gel, grêle, sécheresse à répétition – et d’un marché atone.
Sur le terrain, dans l’Aude, on me dit tous les jours : « Dites-leur, à Paris, ce qui se passe ! Aidez-nous ! » Alors, écoutons-les !
Ludovic a les mots justes lorsqu’il dit que « l’arrachage sera le plus grand plan social dans l’histoire du Languedoc ». Frédéric ne veut pas être celui qui mettra fin à l’histoire de générations entières de vignerons. Mais si certains, comme lui, vont arrêter de travailler, d’autres y croient encore : les plus jeunes. Ainsi, Maxime et Émilie veulent « faire évoluer leur exploitation pour la rendre compétitive ». Mais comment investir en période de crise ?
Écoutons Amandine nous dire : « Avec l’inflation, tout augmente, sauf le prix du vin ! Comment payer nos charges et nos emprunts ? » Il est urgent de restructurer la dette bancaire de la filière.
Écoutons Lilian nous dire : « Ma coopérative fait une demi-récolte ; on utilise la moitié de notre outil de production, alors pourquoi l’amortit-on à taux plein ? »
Madame la ministre, le destin climatique de la France se joue chez nous, dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales. C’est pourquoi votre politique agricole doit prévoir une exception méditerranéenne, dotée de moyens à la hauteur. Ainsi, Jean-Marie a raison de demander « un fond de transformation de la filière ».
Il convient bien sûr de répondre à la question de l’eau, non pas pour surproduire, mais pour sécuriser la production. Actuellement, il pleut moins à Leucate qu’au Sahara ! Comme le disent si bien Roland et Annie : « Sans eau, il n’y a pas de vigne ; sans eau, il n’y a pas de vie. » Sans eau, il est vain de parler de cultures alternatives.
Écoutons encore Philippe nous dire : « Je ne produis pas seulement du vin, je protège les paysages. La vigne est plus efficace que les Canadairs pour lutter contre les incendies ; elle est d’utilité publique. »
Quant à Gérard, il peine à promouvoir ses vins sur le marché mondial via les réseaux sociaux, comme le font ses concurrents américains, à cause d’une loi Évin inadaptée à la révolution numérique.
La viticulture vacille. Je ne peux me résigner à voir la vigne disparaître sans agir. La filière ne doit pas subir le sort de la sidérurgie. Attention, ce que nous ne produirons plus en France sera produit par d’autres, ailleurs ! Ne laissons pas nos territoires être doublement désertés, par le climat et par la République.
Madame la ministre, Sebastien, vigneron et sénateur, vous lance une invitation solennelle : venez dans l’Aude constater par vous-même l’ampleur de la crise et écouter Ludovic, Philippe, Émilie, Gérard et tous les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Sebastien Pla, le secteur de la viticulture est l’un des grands secteurs en crise. Nous vivons une sorte de paradoxe, voyez-vous : ce week-end, je serai à Dijon pendant trois jours pour le sommet mondial du vin, où la France sera la puissance invitante de tous les pays de l’Union européenne, tandis que, dans le même temps, la viticulture vit un drame.
C’est particulièrement le cas dans votre département, où le déficit en eau est dramatique. Il s’agit, me semble-t-il, de l’un des départements où la pluviométrie a été la plus faible cette année – je parle sous votre contrôle. Je viendrai en Occitanie.
M. Sebastien Pla. Dans l’Aude !
Mme Annie Genevard, ministre. J’ai réuni tous les acteurs de la viticulture pour une table ronde sur l’arrachage. Comme son nom l’indique, ce dernier revient en effet à arracher quelque chose au terroir de la France et à l’identité de notre pays. Ce plan a été décidé par la filière, car il existe une forme de surproduction qui l’invite à réfléchir à son avenir.
Cela est lié à une déconsommation de la part des Français, qui consomment le vin différemment : moins de vin rouge, davantage de vin blanc et rosé et de boissons « alternatives ». En outre, la France s’est insuffisamment positionnée sur les produits d’entrée de gamme. Il convient de regarder en face plusieurs questions structurelles. Bien sûr, le changement climatique est également en cause.
De nombreux bassins de production font face à des difficultés, ils sont en souffrance et peinent de plus en plus à trouver leur marché.
L’arrachage n’est pas nécessairement définitif. Il convient de se battre pour l’arrachage temporaire. En effet, le processus doit être réversible selon l’évolution du marché. Voilà le second combat à venir.
Comme je l’ai mentionné, le dispositif de prêt bonifié entre en application pour les entreprises viticoles qui éprouvent des difficultés à rembourser les prêts garantis par l’État qui leur ont été octroyés pendant la crise du covid-19. Les banques peuvent dès à présent étudier leurs demandes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Madame la ministre, comme vient de le dire mon collègue Sebastien Pla, la filière viticole française, qui contribue fortement à notre balance commerciale et crée des milliers d’emplois, se trouve dans une situation très critique.
En janvier dernier, la Chine lançait une enquête antidumping menaçant gravement nos exportations de cognac et d’armagnac. Cette situation n’est pas sans rappeler la taxe Trump, dont le moratoire prendra fin en 2026 sans qu’une solution pérenne ait été trouvée, à l’aube des élections américaines.
Nous venons d’apprendre que les autorités chinoises imposeront dès le 11 octobre des droits additionnels de 35 % sur les spiritueux européens, notamment le cognac et l’armagnac. Il s’agit à n’en pas douter d’une réponse directe aux surtaxes européennes sur les véhicules électriques chinois que les États membres de l’Union européenne ont décidé d’instaurer le 4 octobre – une mesure en faveur de laquelle la France a voté.
La filière, qui a le sentiment d’être sacrifiée, avait pourtant averti que ce vote risquait d’entraîner des rétorsions sur nos spiritueux. Elle demande donc qu’une solution soit négociée pour écarter toute surtaxe sur nos produits en Chine, de manière que chaque partie sorte par le haut de cette situation de blocage.
C’est urgent, madame la ministre ! Le 17 septembre, à la veille des vendanges, une manifestation avait mobilisé de nombreux participants. Attendez-vous à de très fortes mobilisations dans nos territoires si rien n’est fait.
Par ailleurs, permettez-moi de rappeler les attentes fortes, que vous connaissez, de la filière viticole en général : l’allégement des démarches administratives ; l’alignement de la transmission des biens viticoles sur le modèle du pacte Dutreil ; l’application du principe « pas d’interdiction sans solution » pour les produits phytosanitaires ;…
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Daniel Laurent. … la révision de la moyenne olympique pour l’assurance climatique ; le maintien d’une fiscalité qui permette une consommation modérée, mais accessible, de nos produits ; la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE) ; l’amélioration de la gestion administrative des vignes en friche.
Enfin, à l’échelle européenne, la France doit apporter tout son soutien au secteur dans le cadre des discussions autour de la prochaine PAC.
Madame la ministre, je vous demande de prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces enjeux vitaux pour l’avenir et la survie de notre viticulture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Vous présidez, monsieur le sénateur Daniel Laurent, le groupe d’études Vigne et vin du Sénat ; votre avis est donc tout à fait autorisé.
Évidemment, la situation de la filière du cognac engendrée par les mesures de rétorsion chinoises est un sujet de préoccupation majeur. Je comprends que la position française inquiète le secteur et que vous appeliez de vos vœux l’ouverture de négociations ; je l’espère également.
Toutefois, vous voyez bien que notre pays est placé devant un choix des plus difficiles, entre la préservation de sa filière automobile électrique et celle de l’un des fleurons de son agriculture. Le problème touche davantage le cognac que l’armagnac, ce dernier étant moins exposé, car moins consommé en Chine.
M. Daniel Laurent. Ce ne sont pas les mêmes contraintes !
Mme Annie Genevard, ministre. Je recevrai lundi prochain les représentants de la filière, avec lesquels j’aborderai ces questions. Je les ai d’ores et déjà assurés de ma mobilisation et de la très grande vigilance dont je ferai montre sur ce dossier, compte tenu des enjeux économiques majeurs qu’il emporte. En effet, le marché chinois représente 40 % du chiffre d’affaires de la filière du cognac, ce qui est considérable.
L’interprofession réfléchit à des mesures qui peuvent être activées à son échelle pour anticiper l’impact d’éventuelles décisions chinoises. Mes services et moi-même sommes mobilisés et très disponibles pour l’accompagner dans ses réflexions.
L’Union européenne vient d’annoncer qu’elle contesterait la mesure chinoise devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La France soutient évidemment cette démarche…
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, madame la ministre.
La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, je vous remercie de votre engagement au plus près des réalités de la grande famille de nos agriculteurs, que vous connaissez bien.
Permettez-moi de revenir sur les menaces qui pèsent sur la filière, confrontée à des défis intérieurs, notamment de transition, mais aussi de plus en plus à des défis extérieurs, difficiles à maîtriser. Je pense notamment à l’accord avec le Mercosur, dont nous avons parlé : en ce moment même, les négociateurs de l’Union européenne (UE) sont réunis à Brasilia pour essayer de le finaliser avant le sommet du G20 à Rio, les 18 et 19 novembre prochains.
Les signaux en faveur d’une telle conclusion se multiplient ces derniers jours. En effet, la Commission européenne a annoncé le report de l’application du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, qui était initialement prévue en décembre et représentait l’un des principaux points de blocage dans les discussions avec les pays du Mercosur.
Par ailleurs, l’Allemagne a réaffirmé il y a quelques semaines sa détermination à conclure l’accord, quelle que soit la position de la France.
Madame la ministre, quelle est votre stratégie pour faire en sorte que cet accord ne soit pas conclu sans les fameuses clauses miroirs que vous avez évoquées et qui sont absolument nécessaires ? Puisqu’il s’agit d’un accord mixte, la France dispose en théorie d’un droit de veto pour s’y opposer.
Nous le savons, la Commission européenne envisage de modifier ses règles, puisqu’elle a déjà soumis à majorité qualifiée l’accord d’association entre l’UE et le Chili. Comment le gouvernement français entend-il répondre à cette menace sur son droit de veto ?
Enfin, les centrales d’achats à l’étranger constituent une autre menace grandissante. Ces dernières continuent de grossir, à l’image d’Everest, comme nous l’avons constaté ces dernières semaines. Pouvez-vous nous confirmer votre détermination à lutter contre ce mouvement, madame la ministre, quitte à sanctionner les entreprises qui n’appliqueraient pas les lois Égalim aux produits commercialisés sur le sol français ? (MM. Henri Cabanel, Michel Masset et Daniel Chasseing applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, je suis ravie de vous retrouver après la visite que vous avez effectuée récemment dans mon territoire.
Tout d’abord, la France est, comme vous le savez, hostile à la stratégie promue par le pacte vert pour l’Europe, ou Green Deal, et notamment à la décapitalisation ; nous sommes absolument déterminés à nous y opposer. L’agriculture doit être préservée d’une concurrence déloyale, qui ferait deux poids, deux mesures sur les règles de qualité, sanitaires et environnementales.
La France l’a rappelé à la Commission européenne, notamment dans le cadre des discussions sur l’accord avec le Mercosur : nous ne pouvons pas nous asseoir sur la mise en œuvre effective de l’accord de Paris ! Nous ne pouvons pas non plus accepter que nos agriculteurs se voient imposer des normes environnementales et sanitaires tandis que leurs concurrents, qui importent leurs productions dans notre pays, en seraient exemptés.
Il convient de protéger les secteurs, notamment certaines filières agricoles et alimentaires, qui risquent de pâtir de l’accord. Pour cela, il doit comporter des clauses de sauvegarde.
Enfin, nous continuons de travailler avec l’Union européenne sur l’approbation des clauses miroirs, dont vous connaissez bien le principe, pour protéger à la fois les consommateurs et les producteurs. Pour ce faire, nous avons recueilli l’accord et le soutien de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de l’Irlande.
Il est très important que la France ne soit pas isolée. C’est la raison pour laquelle nous avons fait adopter un protocole annexe à l’accord, qui bloque l’accord avec le Mercosur. Nous ne pouvons pas laisser entrer en France 99 000 tonnes de bœuf, 100 000 tonnes de volailles, 180 000 tonnes de sucre sur le marché européen sans avoir l’assurance que ces produits respectent nos exigences !
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. Madame la ministre, étant gardois, je vis dans un département qui, en 2050, connaîtra le climat de l’Andalousie. Le peu de jeunes agriculteurs qui s’installent en ce moment seront encore en activité en 2050. Autrement dit, si nous n’intégrons pas cette donnée climatique dans la manière dont nous pensons et accompagnons notre agriculture, nous nous dirigeons tout droit vers une catastrophe.
Le Premier ministre a annoncé une grande conférence nationale sur l’eau. Sans eau, il n’y a pas d’agriculture. Sans eau, il n’y aura pas d’agriculteurs. Il est donc essentiel que cette conférence associe tous les acteurs, y compris le monde agricole, afin de définir une stratégie globale pour assurer un usage raisonné de l’eau et un juste partage de cette ressource. Cette stratégie nationale devra ensuite se décliner localement à l’échelle des bassins versants.
Madame la ministre, mon département connaît aussi bien la sécheresse que les inondations. Sur des territoires comme celui-ci, des solutions doivent être rapidement trouvées pour stocker l’eau, lorsqu’elle est excédentaire, avant qu’elle ne parte à la mer.
Le dérèglement climatique implique également une multiplication de l’ensemble des aléas. Les pertes de récoltes sont non plus l’exception, mais la règle. Dans ce contexte, la référence olympique fait perdre toute attractivité à l’assurance récolte. Il est urgent de discuter avec l’OMC d’une révision de ce référentiel. Mon territoire est particulièrement exposé à ces difficultés.
De plus, notre modèle agricole méditerranéen fragilise cette agriculture, qui est pourtant axée vers la qualité. Il est donc temps de reconnaître les spécificités de l’agriculture méditerranéenne dans nos politiques publiques, notamment en révisant le zonage de l’ICHN et en répartissant mieux les aides PAC.
Madame la ministre, quelles seront vos orientations sur ces trois dossiers majeurs que sont l’eau, la référence olympique et la reconnaissance des particularités de l’agriculture méditerranéenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur Denis Bouad, vous évoquez un sujet majeur : l’eau. Vous l’avez dit, sans eau, pas d’agriculture et pas d’agriculteurs.
Les effets du changement climatique en cours sont particulièrement visibles sur nos ressources en eau, avec des sécheresses plus importantes l’été et, vous l’avez également souligné, de fortes précipitations. D’où l’idée que, quand l’eau est abondante, on puisse la capter, la retenir, pour les temps où elle manquera. C’est ma philosophie ; elle est assez simple et fondée sur le bon sens.
En outre, je pense que la technologie nous aidera. Il sera possible, demain, d’irriguer avec moins d’eau, par l’amélioration de la technologie ; je crois beaucoup aux progrès de la technique et de la science en la matière. On pourra peut-être aussi développer des plantes moins gourmandes en eau.
En 2022, il y a deux ans, 93 départements étaient concernés par des restrictions d’eau ; cette année, ils sont moins d’une trentaine. Les années ne se ressemblent donc pas. Mais qu’il y ait trop d’eau ou qu’il n’y en ait pas assez, ce n’est en aucun cas satisfaisant.
Aussi, depuis deux ans, l’État s’est engagé à atteindre plusieurs objectifs : l’anticipation via l’assurance récolte, la résilience de l’agriculture, l’adaptation des filières et l’accès raisonné à la ressource. Il faudra explorer d’autres pistes, comme celle, que j’ai vu pratiquer en Israël, de la réutilisation des eaux usées, ou encore les investissements hydrauliques ; à ce sujet, je le rappelle, un fonds de 20 millions d’euros a été abondé dès cette année pour améliorer et moderniser les équipements d’irrigation et de stockage.
Par ailleurs, vous l’avez noté, le Premier ministre a annoncé la tenue d’une conférence sur l’eau.
Enfin, j’indique que je serai à Avignon pour le salon de l’agriculture méditerranéenne, le salon MED’Agri.