M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez tout d’abord parlé des moyens. Or ceux de la santé n’ont jamais diminué. L’Ondam augmente tous les ans : chaque année, les moyens vont croissant. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)
La question que nous pouvons nous poser collectivement est celle de leur bonne utilisation. La structuration de notre système de santé mérite un regard pointu. Je veux d’ailleurs travailler avec vous tous sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs.
Vous évoquez la liberté d’installation des médecins, vous demandant si l’on ne doit pas la réduire. Plutôt que la coercition, nous avons fait le choix de la construction avec les médecins et de l’attractivité, par des mesures de facilitation.
En effet, la contrainte seule ne fonctionne pas face aux pénuries. On manque déjà de médecins. Il n’est pas possible de recourir à la contrainte sur des ressources humaines insuffisantes ! Compte tenu des voies de contournement existantes – départ pour un pays étranger, choix d’une autre activité professionnelle, déconventionnement… –, le risque est important de voir cette pénurie s’aggraver encore.
Je rappelle que le PLFSS pour 2022 a permis à chaque profession d’inclure des mesures de régulation démographiques dans ses négociations conventionnelles avec l’assurance maladie.
Par exemple, les chirurgiens-dentistes se sont emparés de cette disposition en signant avec l’assurance maladie, le 21 juillet 2023, un accord aux termes duquel, dans certaines zones du territoire qui disposent d’un haut niveau d’offre de soins buccodentaires, l’installation ne sera possible, à partir de 2025, qu’à la condition du départ d’un autre chirurgien-dentiste – il faudra un départ pour une arrivée. Je crois que c’est une première pour une profession médicale libérale en France.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est ce que l’on vous demande pour les médecins !
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre. Les professionnels de santé doivent adhérer et construire eux-mêmes les solutions, avec nous. Je fais confiance au dialogue social.
Vous avez évoqué la permanence des soins. Nous y travaillons. Sur les territoires, de nombreux dispositifs de participation à la permanence des soins de médecins issus du secteur privé, en particulier de l’hospitalisation privée, ont été mis en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Elle est assez éclairante : finalement, vous ne voulez essayer aucune solution !
Vous nous dites vous-même qu’une régulation de l’installation sera mise en place pour l’installation des chirurgiens-dentistes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il en va de même pour les pharmaciens et pour de nombreuses professions, mais vous ne voulez pas l’essayer pour les médecins. Vous me semblez finalement sous le joug de l’ordre des médecins, qui défend le maintien de la possibilité pour ses membres de s’installer n’importe où.
Quoi que vous en disiez, madame la ministre, nous serons obligés de réguler. On est en train de mourir dans nos territoires ! Des tas de personnes sont sans généraliste. Des tas de personnes cherchent un généraliste depuis un ou deux ans et n’en trouvent pas !
Certes, il faut améliorer la formation des médecins, mais, si vous ne prenez pas de mesures pour réguler l’installation, nos problèmes ne seront absolument pas réglés. Ce sera le serpent qui se mord la queue ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous débattons, près de 8 000 étudiants en médecine révisent les épreuves dématérialisées nationales (EDN) qui commenceront dans six jours.
À l’issue du concours, 7 974 étudiants se verront attribuer une place en internat dans les différentes spécialités, ce qui représente 1 510 postes d’internes en médecine de moins que l’an dernier. Et pour cause, une réforme sous-financée, peu transparente et approximative a mis les étudiants en grande difficulté.
La loi de finances pour 2020 avait prévu, pour mettre en œuvre cette réforme, une enveloppe de 17 millions d’euros, dont 6 millions d’euros seulement étaient destinés à compenser la hausse du nombre d’étudiants et étudiantes. C’est sur cette faible somme que reposait la promesse illusoire de voir s’ouvrir de nouvelles places en deuxième année de médecine.
Madame la ministre, l’ARS et les facultés de médecine, désormais chargées d’arrêter les objectifs pluriannuels d’admission, sont à court de moyens pour augmenter les places, alors que les facultés sont déjà largement saturées. Et pour cause, l’augmentation du nombre d’étudiants, qui constitue déjà un enjeu en soi, doit s’articuler avec une capacité d’accueil dans les lieux de stage – vous l’avez dit tout à l’heure.
Ainsi, en 2024, soit quatre ans après la réforme, nous avons seulement 1 600 places de plus en deuxième année de médecine, soit une progression plutôt similaire à celle que l’on connaissait avant cette réforme – 1 374 places supplémentaires avaient été créées de 2016 à 2020.
Changer la sémantique en passant de numerus clausus au numerus apertus ne permettra ni de faire arriver miraculeusement dans les campagnes les 6 000 généralistes demandés par les maires ruraux ni de pourvoir les 30 % de postes de psychiatres hospitaliers vacants ! Cela fera encore moins revenir les 700 médecins généralistes qui sont partis à la retraite en 2023 à Paris…
Vous avez évoqué l’évaluation des besoins, mais les chiffres, les témoignages, les appels au secours des professionnels et des élus locaux sont éloquents.
Oui, face à la pénurie de soignants, il faudra donner les moyens de former davantage au travers du PLF 2025 et, par la suite, flécher les financements plus précisément et avec transparence.
Par ailleurs, le financement de la réforme d’entrée dans les études de santé (Rees) devra s’accompagner de réformes similaires pour l’intégralité des professions soignantes : infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes… En effet, la réalité est que nous manquons de toutes ces professions. Et parce qu’augmenter les places en formation ne suffira pas à attirer plus d’étudiants en formation, il faudra créer des écoles normales des métiers de la santé.
À l’image des nouvelles « écoles normales du XXIe siècle » promises par M. le Président de la République pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant, ces écoles normales des métiers de la santé offriront une formation gratuite et rémunérée, en contrepartie d’un engagement à exercer dans les territoires sous-dotés en offre de soins.
Les écoles normales des métiers de la santé représentent un double investissement, pour l’accès aux soins et pour les étudiants en santé. Tout d’abord, ces écoles permettraient d’accroître le nombre de soignants, d’éradiquer les déserts médicaux et de garantir l’accès aux soins. Ensuite, elles permettraient aux étudiants de poursuivre des études de santé sans condition de ressources, de garantir l’égalité des chances et la diversité socio-économique et de revaloriser des professions délaissées.
Pour rappel, une formation d’aide-soignant coûte entre 6 000 euros et 10 000 euros à l’étudiant lui-même, pour un salaire inférieur à 2 000 euros en début de carrière. Comment penser attirer des professionnels du care quand ils doivent payer aussi cher pour se former ?
Nous le devons à celles et ceux qui travaillent tous les jours pour notre santé et pour celle de nos proches : investissons dans la formation des professionnels de santé et dans l’accès aux soins ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez posé beaucoup de questions, particulièrement sur la formation.
Pour ce qui concerne les étudiants, je puis vous assurer que le nombre de places disponibles s’élève à 11 000 par an aujourd’hui, contre 8 700 en 2017. C’est une réalité. Certains internes ayant choisi de redoubler pour passer le concours dans d’autres conditions, leur chiffre connaît, cette année, une petite diminution, à 8 500, mais, dès l’année prochaine, il reviendra, de manière certaine, à 11 000. Nous les attendons de pied ferme !
Pour ce qui est des formations, j’entrevois l’école normale des métiers de la santé que vous imaginez. Pour ma part, je pense qu’il faut surtout que nous évoluions vers des campus santé, qui seraient des campus de formation pour tous les métiers de la santé, de l’aide-soignant jusqu’au médecin d’ailleurs. Cela permettrait à tous les étudiants qui travailleront dans l’environnement du care – pour reprendre votre terme – et de la santé de se côtoyer et de se connaître.
Nous pouvons travailler à imaginer des solutions avec le ministère de l’enseignement supérieur, ainsi qu’avec les organismes de formation. De fait, il nous faut évoluer et sortir des silos de formation que nous connaissons aujourd’hui – ce serait une bonne piste d’évolution.
S’agissant des formations d’aides-soignants, elles sont majoritairement dispensées dans des instituts publics, éligibles aux financements accordés à tous les organismes de formation.
Certaines régions, qui sont compétentes dans la formation, se sont également emparées de ces sujets et aident les personnes à pouvoir financer leur formation. Il me paraît important de continuer dans ce sens.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.
Mme Anne Souyris. Je vous remercie, madame la ministre. Oui, les aides-soignants et les aides-soignantes peuvent se faire financer leur formation par les régions – sauf que, dans les faits, il est encore difficile d’avoir accès à une formation, pour des raisons administratives : il faut encore remplir divers papiers, contrairement à ce qui existe pour d’autres métiers. C’est un obstacle supplémentaire, sur lequel je me permets d’insister.
Par ailleurs, un campus, c’est formidable, mais encore faut-il que tout le monde puisse y accéder ! Vous savez comme moi que les études de médecine sont longues. Il faut pouvoir les assumer dès le départ. Les étudiants et les externes sont payés à peine plus de 2 euros de l’heure ! C’est extrêmement faible. Au final, quand on n’en a pas les moyens, on ne devient pas médecin.
On voit bien que la situation est encore très complexe. Il faudra y réfléchir, au-delà de la question du campus.
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord moi aussi à remercier nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce débat fondamental à l’ordre du jour de notre assemblée.
Madame la ministre, vous avez été nommée « ministre de la santé et de l’accès aux soins ». Je tiens à le souligner : cela nous donne peut-être une lueur d’espoir dans un contexte où l’accès aux soins est une problématique essentielle dans notre pays – c’est la première préoccupation de nos concitoyens.
Nous connaissons tous les chiffres : 30 % de la population vit dans ce que l’on appelle communément un « désert médical » ; plus de 6 millions de personnes et, surtout, près de 800 000 patients en affection de longue durée (ALD) n’ont pas de médecin traitant, ce qui est particulièrement grave.
C’est donc la promesse d’égalité d’accès à la santé, au cœur de notre modèle social, qui est brisée pour de nombreux Français.
Confrontés chaque jour au désarroi de nos concitoyens, partout, sur les territoires, les élus tirent la sonnette d’alarme. Ainsi, je veux donner l’exemple des dizaines de maires du département des Côtes-d’Armor qui ont pris des arrêtés mettant en demeure l’État de lancer dans les plus brefs délais un plan d’urgence pour l’accès à la santé, invoquant le respect de la dignité de la personne humaine.
Ce constat de la pénurie est établi et documenté depuis de nombreuses années. Pour autant, le manque de soignants – médecins, infirmiers, sages-femmes, aides-soignants – ne cesse de progresser et aboutit à des situations souvent dramatiques. En témoigne l’état dans lequel se sont encore trouvées les urgences cet été dans notre pays.
En ce qui concerne les médecins, la mise en place du numerus clausus dans les années 1970 – on formait alors 9 500 médecins, contre à peine 3 500 en 1993 – est la cause principale de la pénurie que nous connaissons aujourd’hui.
Le numerus clausus a été remplacé par le numerus apertus, déterminé par les ARS et les doyens de faculté, certes en fonction des besoins des territoires, ce qui est intéressant, mais aussi des capacités d’accueil des universités.
En 2019, étaient inscrits en deuxième année de médecine 9 571 étudiants, contre 11 300 à la rentrée 2022. On note donc une légère progression, mais celle-ci doit être mise en perspective, notre pays faisant face à une demande croissante en raison de l’augmentation de la population depuis les années 1970, bien sûr, et du vieillissement de celle-ci, qui entraîne une augmentation des pathologies chroniques et des pertes d’autonomie, mais aussi malheureusement parce que la prévention est très insuffisante dans notre pays. Finalement, les besoins sont beaucoup plus importants, et cette légère progression ne suffit pas à combler la différence.
Autre élément : en 2015, dans une étude du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), le docteur Jean-François Rault écrivait que « chaque année, pas moins de 25 % des médecins diplômés d’une faculté française décident de ne pas s’inscrire à l’ordre pour exercer d’autres professions ». Cela doit nous interroger, et cela prouve bien qu’il ne suffira pas d’augmenter le numerus apertus pour que le nombre de médecins traitants soit suffisant !
Enfin, il faut également tenir compte des inégalités entre les différentes spécialités : entre 2010 et 2022, le nombre de médecins généralistes a diminué de 11 %, quand celui des dermatologues a baissé de 19 %, celui des gynécologues de 17 % et celui des psychiatres de 6 %.
Le Premier ministre a annoncé que la santé mentale serait l’une des causes de l’année, mais avec quels moyens, madame la ministre ? Cela semble extrêmement compliqué…
Si l’augmentation des effectifs en formation est une nécessité, elle doit absolument tenir compte des effectifs d’étudiants qui pratiquent réellement la médecine en fin de cursus, de l’évolution des pratiques médicales, de l’évolution démographique de la société, des besoins réels des territoires et des spécialités sous-dotées. Et il faut, bien sûr, une politique budgétaire qui aille en ce sens !
L’ambition affichée par le précédent gouvernement est de passer à 12 000, puis à 16 000 élèves, mais, vous l’avez dit, il ne suffit pas de décréter un chiffre – ce serait trop simple. Il faut aussi donner les moyens.
Lesquels ? Aujourd’hui, l’augmentation du nombre d’étudiants est contrainte par les capacités des universités, qui manquent de moyens matériels, mais aussi d’enseignants. C’est simple, la médecine générale dispose d’un ratio d’un enseignant pour 86 étudiants, alors que celui-ci est d’un enseignant pour 10 étudiants dans les autres spécialités ! La nécessité de former davantage de soignants a un corollaire : celui d’augmenter les moyens des universités.
Au reste, il n’y a pas que le nombre : comme l’ont souligné plusieurs de mes collègues, il faut augmenter et diversifier les lieux de stage de médecine, notamment dans les zones sous-denses, et former plus de maîtres de stage universitaire, voire envisager de rendre obligatoire pour tout nouvel installé de devenir maître de stage universitaire, en prévoyant évidemment l’attractivité qui va avec.
De fait, selon la Drees, « l’origine rurale des médecins est un facteur essentiel et le meilleur prédicateur de l’installation en zone rurale » : un médecin a deux fois plus de chances de s’installer dans une zone sous-dotée s’il en est originaire ou s’il y a été scolarisé.
Il faut également généraliser l’initiative intéressante de la région Occitanie, qui a créé dès le lycée une spécialité santé, pour susciter des vocations pour tous les métiers de la santé, au-delà de la seule médecine.
Enfin, il est important de créer des antennes universitaires délocalisées, comme à Nevers, où, depuis 2020, une trentaine d’étudiants en première année de médecine ont la possibilité de suivre des cours en distanciel dispensés à Dijon. Cela permet de rendre les études accessibles pour les jeunes nivernais et de favoriser l’installation dans ce territoire, qui, comme ma collègue le disait tout à l’heure, est l’un des plus grands déserts médicaux français.
Madame la ministre, vous avez parlé de déconcentration tout à l’heure : cet impératif est fondamental.
Outre les médecins, la France connaît une pénurie d’infirmiers et d’aides-soignants, puisque ces deux professions sont confrontées à une baisse de leur attractivité due aux conditions de travail de plus en plus difficiles : manque de personnel, manque de reconnaissance, horaires décalés, etc.
Là encore, la sonnette d’alarme a été tirée depuis longtemps, mais, si le Ségur de la santé est venu revaloriser financièrement ces professions, rien n’a été fait pour améliorer ces conditions de travail.
Ainsi, près de 200 000 infirmiers diplômés n’exercent plus, et 20 % à 25 % des élèves abandonnent leurs études au cours de leur cursus. Les stages effectués dans des situations dégradées, dans des services où ils doivent souvent remplacer le personnel en sous-effectif, sans véritable encadrement, ont raison de la vocation de ces étudiants.
On estime aujourd’hui qu’il manquerait au moins 100 000 infirmiers. Selon les études de la Drees, le nombre d’infirmiers et infirmières devrait augmenter de 53 % entre 2014 et 2040, pour atteindre 881 000, contre 630 000 seulement aujourd’hui.
Au reste, les écoles d’aides-soignants ne parviennent pas à remplir leurs classes. Pourtant, la Dares prévoit que le métier d’aide-soignant sera, aux côtés de ceux de sage-femme et d’infirmier, l’un des métiers dont les besoins de recrutement vont le plus augmenter jusqu’en 2030. Cette année est en quelque sorte notre « mur du vieillissement »…
Selon cette étude et au regard des besoins de notre population, le nombre de jeunes diplômés couvrirait moins des deux tiers des besoins en aides-soignants.
Nous le voyons, mes chers collègues, il est plus que nécessaire de former plus de soignants. Mais, je le répète, cela ne peut se faire à moyens constants et sans véritable réflexion sur l’attractivité et les conditions de travail de ces professions.
La formation n’est pas le seul élément de réponse : elle ne peut favoriser l’accès aux soins que si elle est accompagnée d’un véritable travail sur l’organisation même de l’exercice médical sur les territoires, en particulier – j’y tiens particulièrement – en équipe de soins pluriprofessionnels de premier recours. Il faut créer une organisation territoriale qui mette fin aux inégalités majeures et insupportables existant aujourd’hui.
Face à cette situation, que les Français vivent comme un véritable déclassement, nous attendons des réponses rapides. Il ne suffira pas d’appeler à la rescousse les médecins retraités, qui sont déjà aujourd’hui environ 15 000 à exercer après l’âge légal de départ à la retraite et qui maintiennent notre système de santé à bout de bras, ou les médecins diplômés à l’étranger. Il faut désormais investir dans l’avenir et dans l’humain.
Je ne reposerai pas les questions sur la formation et sur les réformes qui ont eu lieu, s’agissant du Pass, de la LAS, des épreuves classantes nationales (ECN) ou de la permanence des soins. Je voudrais surtout, madame la ministre, que vous me parliez des équipes multidisciplinaires de premier recours.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. Madame la sénatrice, vous avez abordé beaucoup de sujets très intéressants.
Vous avez parlé des patients en ALD. Vous savez qu’un plan a été lancé en 2023 pour leur permettre de trouver un médecin traitant. Quelque 240 000 patients en ALD ont trouvé un médecin traitant grâce à ce plan. À la fin du mois de décembre, encore 472 000 patients en ALD n’auront pas de médecin traitant. Il y a donc encore du travail, mais cela avance.
Vous m’avez demandé de concentrer mon propos sur l’exercice pluridisciplinaire. Je pense que celui-ci permet d’attirer des confrères, parce que travailler ensemble est très différent d’exercer de manière solitaire.
L’exercice pluridisciplinaire devrait pouvoir comprendre des consultations de médecins généralistes et des consultations de spécialistes qui vont vers les patients. Je vous ai parlé d’« équipes », parce que je pense que nous allons devoir faire entrer beaucoup de prévention dans les objectifs des médecins, dans les cabinets médicaux et dans les maisons médicales.
Aujourd’hui, nous soignons, mais nous ne faisons pas suffisamment de prévention. Je pense à la prévention primaire – les vaccinations, les modes de vie, l’alimentation –, mais aussi à la prévention secondaire, qui vise à permettre aux patients atteints de maladies d’être en meilleure santé possible.
Ces objectifs sont très importants et doivent être déployés dans tous les espaces de notre pays, notamment dans les maisons pluridisciplinaires.
En effet, les personnes qui y travaillent – ce sont souvent des infirmiers en pratique avancée, mais cela peut aussi être des médecins –, peuvent rendre des services importants à notre santé collective et œuvrer à une moindre progression des ALD et des maladies chroniques très invalidantes.
Cela doit être notre but dans les années à venir. C’est un objectif important. Tâchons de l’atteindre ensemble !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.
Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Le chiffre de 3 % du budget de la sécurité sociale qui est dédié à la prévention parle de lui-même ! Notre politique de santé est axée depuis très longtemps – trop longtemps – sur le seul curatif.
Je voudrais revenir sur l’intérêt des maisons de santé pluriprofessionnelles.
Vendredi dernier, j’ai assisté à la signature d’une CPTS dans mon département. Le travail conjoint qui y est mené, dans une équipe pouvant rassembler, par exemple, un IPA, un auxiliaire médical, un pharmacien, un kinésithérapeute ou encore un dentiste, représente une solution importante.
Il faut étendre cette organisation à l’ensemble du territoire. Cela participe de l’attractivité de la profession, de même que l’exercice mixte, qui permet à un jeune médecin de travailler à l’hôpital, aux urgences, certains samedis. Toutes ces petites solutions jouent un rôle très important, car il n’existe pas de réponse simple à un problème aussi complexe.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Rojouan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, former davantage de médecins – et plus encore de soignants – est une nécessité. J’y souscris pleinement, mais cela ne doit pas éluder un défi tout aussi essentiel : comment faire en sorte que ces médecins s’installent dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Comment utiliser leur formation comme un levier de résorption des inégalités territoriales d’accès aux soins ?
Récemment, j’ai entendu nombre de parties prenantes et de professionnels, en tant que rapporteur de la mission d’information sur les inégalités territoriales d’accès aux soins dans le cadre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Les enseignements que j’en retire permettent d’esquisser pour l’avenir des pistes que j’aimerais partager avec vous.
Une première réponse réside dans l’évolution de la sélection, pour favoriser le recrutement en médecine d’étudiants issus de zones sous-dotées. La ruralité et les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont largement sous-représentés parmi les territoires dont sont issus les étudiants en santé. Or ceux-ci sont les plus enclins à s’installer dans ces espaces à l’offre de soins insuffisante.
Pourquoi ne pas définir des taux minimaux d’étudiants issus de ces territoires, comme c’est déjà le cas pour les boursiers ? Un tel dispositif serait plus efficace que le très cher contrat d’engagement de service public, aux résultats aujourd’hui insuffisants.
Il faut en outre mener un véritable choc de territorialisation de la formation. Les futurs professionnels de santé s’ancrent progressivement dans leur territoire de formation lors de leurs études et s’installent souvent à proximité. Comme mes collègues, je propose donc de lancer un plan d’urgence pour ouvrir de nouvelles antennes ou facultés de médecine, sur le modèle du plan déployé en odontologie en 2021, qui a déjà porté ses fruits.
Ce virage territorial doit également s’appliquer aux stages, pour sortir de notre modèle trop « CHU-centré ». Davantage de stages doivent être réalisés en médecine de ville, pour permettre aux jeunes de découvrir de nouveaux lieux d’exercice et méthodes de travail, en particulier dans les maisons de santé.
Faire venir les jeunes dans les territoires sous-dotés est une clé pour répondre aux disparités territoriales. Bien sûr, un tel changement de logiciel suppose de mieux accompagner nos étudiants, notamment en mettant en place des indemnités de déplacement et de logement suffisantes.
Enfin, il faut lever le tabou de la régulation des installations. La situation actuelle est le résultat de décennies d’incitations financières des médecins à s’installer en zone sous-dense. Le bilan est sans appel : un accroissement des inégalités d’accès aux soins et 6 millions de Français sans médecin traitant. Cessons enfin de distribuer vainement l’argent public !
Une régulation pourrait être instaurée pour les étudiants à l’issue de leur formation, en ouvrant la possibilité d’installation en zone mieux dotée seulement lors du départ d’un médecin, ou en conditionnant l’installation à l’exercice à temps partiel en zone sous-dotée.
Je suis favorable à ce que ce travail soit mené directement par la profession : le législateur n’interviendrait qu’en cas d’échec de cette réflexion.
Madame la ministre, comptez-vous soumettre les études de santé à un véritable choc qui changera immédiatement les choses ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)