M. Guillaume Chevrollier. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la dette est une idée opportune, même s’il ne porte pas sur la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Je me souviens, monsieur le ministre, que nous avions imaginé ce débat annuel dans votre bureau, où vous m’aviez reçue en qualité de rapporteur de la mission « Engagements financiers de l’État ». Depuis lors, notre idée a fait son chemin et, au gré de la réforme de la Lolf, elle s’est formalisée en un débat qui nous permet aujourd’hui de parler de la dette.
« Le déficit annihile la liberté », dit notre ami l’inoxydable Jean Arthuis. Le réveil est difficile, mais prévisible, après des années de taux négatifs et leur effet totalement anesthésiant, comme l’a rappelé le rapporteur de la mission « Engagements financiers de l’État » tout à l’heure.
Or, telle sœur Anne ne voyant rien venir, les saints Thomas des finances ont persisté dans leur voie. Pourtant, notre collègue Delahaye et moi-même leur avions dit que cela ne pouvait continuer ainsi et que les taux allaient remonter.
Il a donc fallu attendre que ces taux remontent, et nous voilà aujourd’hui menottés et entravés pour un certain temps.
Monsieur le ministre, le moment est venu de vous demander qui sont exactement les propriétaires de notre dette ; c’est une question tout de même importante. Par ailleurs, comment comptez-vous gérer les engagements hors bilan, qui représentaient plus de 3 756 milliards d’euros au 31 décembre 2023 ?
Le moment est aussi venu de rappeler les positions fortes de notre groupe. Nous étions opposés à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et, en grande majorité, à celle de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle – j’ai une pensée pour Catherine Morin-Desailly, présente aujourd’hui dans l’hémicycle.
Les mesures prises en ce sens ont certes été compensées par la TVA, mais celle-ci manque à notre budget.
Notez que nous étions favorables à une taxe sur les superprofits et les rachats d’actions. Nous avions également formulé de très nombreuses propositions contre les fraudes sociale et fiscale, un sujet qui m’est cher. Nous avions ainsi suggéré la mise en place d’un dispositif empêchant l’arbitrage de dividendes, fraude qui représente tout de même 3 milliards d’euros par an – une paille !
Nous défendons également depuis plusieurs années l’encadrement des prix de transfert et bien d’autres mesures pour lutter contre la fraude sociale, dont certaines, victoire de l’optimisme sur l’expérience, sont entrées dans notre droit positif.
Reste qu’un certain nombre de problèmes persistent. On annonce cette année un déficit de la sécurité sociale de 18 milliards d’euros ; voilà un problème qu’il nous faudra prendre à bras-le-corps.
Je répète aujourd’hui ce que j’ai dit à plusieurs reprises par le passé : il n’y a pas de lien entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale. Autrement dit, un titre de séjour qui se périme ne désactive pas automatiquement les prestations sociales : c’est une porte ouverte à tous les fraudeurs. Il faut impérativement régler ce problème d’automaticité, de sorte que les prestations liées à un domicile régulier soient versées aux personnes qui résident bel et bien à un tel domicile.
Il me reste une toute petite minute pour vous dire tout le mal que je pense du versement social unique, monsieur le ministre. Le problème du non-recours, qui est bien réel, sera probablement réglé, mais il peut aussi se révéler un véritable aimant à fraudeurs. Aujourd’hui, la base des bénéficiaires est truffée de fraudeurs.
Pour rappel, 33 millions de Français ont vu leurs données de santé piratées, laissant place à des usurpations d’identité ou de compte bancaire, entre autres. (Mme Sonia de La Provôté acquiesce.)
Ce n’est vraiment pas le moment d’ouvrir une boîte de Pandore de la fraude via des versements automatisés, alors que la base des bénéficiaires n’est toujours pas apurée ! Le problème du non-recours doit évidemment être réglé, mais pas à ce prix-là, pas maintenant et pas dans ces conditions-là !
Encore une fois, un fraudeur content est un fraudeur qui revient. J’y insiste : je ne crois pas du tout qu’il faille aujourd’hui procéder à cette opération.
Pour conclure, mes collègues Michel Canévet, Sylvie Vermeillet, Vincent Capo-Canellas, Vincent Delahaye, Jean-Marie Mizzon, Bernard Delcros et moi-même serons très attentifs à vos propositions, en espérant que vous serez attentif aux nôtres, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.)
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était une fois le grand méchant loup de la dette publique. Les discours anxiogènes redoublent d’intensité dans la période récente et la préparation du budget 2025 est très tendue. À l’évidence, les gouvernements successifs cherchent non pas à faire réfléchir la population, mais à lui faire peur.
Le dernier budget équilibré de notre pays date de cinquante ans exactement : c’était en 1974. Cinquante années plus tard, le pouvoir s’est donné un budget financé pour une moitié par les impôts et les taxes, pour l’autre moitié par de la dette. Cette année, l’État va emprunter a minima 285 milliards d’euros sur les marchés financiers : un record historique.
Notez-le, 150 milliards d’euros serviront à équilibrer le budget et 135 milliards à rembourser les emprunts arrivés à terme. J’ai parfois l’impression que la République française est cliente chez Sofinco, Cetelem ou Cofidis.
Dans le même temps, nous paierons à nos créanciers la jolie somme de 55 milliards d’euros d’intérêts : ce monde marche sur la tête – ou sur la dette !
Nos gouvernants nous expliquent que nous dépensons trop, que nous vivons au-dessus de nos moyens. Pour notre part, nous avons regardé du côté des recettes et force est de reconnaître qu’il s’est passé beaucoup de choses ces dernières décennies.
Prenons l’impôt sur le revenu : en 1986, il existait quatorze tranches d’impôt, avec un taux maximal à 65 % ; aujourd’hui, nous en comptons cinq avec un taux maximal à 45 %.
En 2010, la suppression de la taxe professionnelle fut décidée, amputant nos recettes de 23 milliards d’euros. Le taux d’impôt sur les sociétés était établi à 50 % en 1986 ; il est aujourd’hui ramené à 25 % – certains envisagent même d’aller plus loin.
Entre-temps, l’imposition des dividendes a été plafonnée à 30 % via le prélèvement forfaitaire unique (PFU) et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la CVAE – impôt de production – et la taxe d’habitation ont été supprimés.
Certes, on nous explique que la TVA compensera les pertes. Toutefois, la TVA représentait 47,3 % des recettes de l’État en 2017 ; aujourd’hui, ce chiffre a chuté à 27 %. Le déséquilibre, le déficit est donc davantage dû à un problème de recettes manquantes, selon nous.
Le discours anxiogène s’accompagne aussi de propos culpabilisateurs. Nous serions l’horrible génération de profiteurs…
M. Vincent Delahaye. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. … qui s’endettent sur le dos de leurs enfants et petits-enfants. Quelle honte ! Et pourtant, c’est bien nous qui remboursons la dette !
Sur le site de l’Agence France Trésor (AFT) de Bercy, que j’ai consulté ce matin, il est indiqué que la maturité de la dette, soit sa durée de vie, est désormais de 8 ans et 173 jours exactement.
Pour les seuls intérêts, nous avons payé un peu plus de 491 milliards d’euros entre 2011 et 2022. Selon l’Insee, nous avons versé 1 350 milliards d’euros d’intérêts aux marchés financiers depuis 1979.
Combien d’enseignants, de médecins, de personnels soignants, de places de crèche, combien de places à l’université ont été sacrifiées ? Faites le compte !
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dette de la France s’établissait à 160 % du PIB, car il y avait un pays à reconstruire. Trente années plus tard, ce taux était tombé à 20 % : c’était le résultat non pas d’une politique de réduction de la dépense publique, mais, bien au contraire, d’une politique de croissance et d’investissements tant publics que privés.
Dans ces années d’après-guerre, vouées à la reconstruction, c’est la Banque de France, avec son réseau de banques partenaires, qui formait le circuit du Trésor. Celui-ci collectait l’épargne des Français et faisait des avances à l’État. C’était un système vertueux qui nous protégeait de l’emprise des marchés financiers. Or il fut démantelé progressivement au tournant des années 1970 et 1980.
Mes chers collègues, connaissez-vous le montant total de notre épargne ? Selon la Banque de France, les placements financiers de la Nation représentent aujourd’hui 6 111 milliards d’euros. N’y aurait-il pas là une piste à explorer pour inventer un autre système de financement de l’État ? Le rapporteur général lui-même y a fait référence lors de son intervention.
Enfin, je voudrais évoquer l’échelon européen. En vertu de l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la Banque centrale européenne n’a pas le droit de financer la dette des États membres.
Or, à la suite de la crise sanitaire que nous avons traversée, la BCE se trouve détenir 3 800 milliards d’euros de titres de dette publique sur les 6 800 milliards de son bilan. Elle détient aujourd’hui 25 % de la dette française. Autrement dit, la BCE s’est affranchie de ses propres règles, parce qu’il y avait le feu dans la maison économique mondiale.
N’est-ce pas le moment de poser le débat sur un rôle nouveau que pourrait jouer la BCE dans le financement des États ?
Dans les débats, on brandit souvent la menace d’une perte de confiance des marchés financiers. Je vous assure, face à l’anxiété entretenue à dessein s’affiche l’extrême sérénité de nos prêteurs.
Le débat sur la dette publique n’est pas une question budgétaire, comptable et financière ; c’est un sujet hautement politique qui est donc de nature à donner lieu à débat démocratique.
Le véritable enjeu, à nos yeux, est de se libérer de la tutelle des marchés financiers sur les États. Pour alimenter la réflexion, je souhaiterais vous lire une citation de John Adams, deuxième président des États-Unis, entre 1797 et 1801 – 1797, année marquée par la « banqueroute des deux tiers », soit la dernière fois où la France a fait défaut sur le remboursement de sa dette – : « Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation : l’une par les armes, l’autre par la dette. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er octobre dernier, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a présenté la priorité absolue de son nouveau gouvernement : « la réduction de notre double dette, budgétaire et écologique ». Nous souscrivons à ses propos : il y a en effet une double urgence.
Commençons par la dette budgétaire. Au deuxième trimestre de l’année 2024, elle s’établissait à 3 228 milliards d’euros, soit 112 % du PIB, avec un déficit public annoncé de 5,1 %, puis de 5,6 %, et qui pourrait finalement dépasser les 6 %, selon le Trésor.
Ce dont nous discutons ici, c’est surtout du bilan, d’une vision, d’une idéologie d’un homme qui l’a incarnée pendant sept ans, Bruno Le Maire, sans oublier ses complices : les ministres des comptes publics MM Attal et Darmanin, entre autres, qui redoublent aujourd’hui d’inventivité antisociale pour trouver une solution au problème qu’ils ont largement créé.
En quittant Bercy, le précédent ministre de l’économie et des finances et ses équipes nous ont laissé un bilan incomparable : 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire depuis 2017 !
Bien sûr, les soutiens du Président de la République et de l’ancien ministre ne cessent de rappeler que la période a été marquée par des crises importantes auxquelles il a fallu répondre avec de l’argent public. Ils ont raison de le rappeler, mais en partie seulement.
En effet, voyez ce que dit l’Observatoire français des conjonctures économiques : sur les 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire, la crise covid et la crise énergétique qui l’a suivie ont engendré un accroissement de dette de 458 milliards d’euros, soit moins de la moitié du total. La gabegie vient donc d’ailleurs.
De nombreux cadeaux fiscaux non ciblés, à l’efficacité douteuse et financés par la dette, ont été versés aux entreprises et aux plus aisés : voilà la méthode Le Maire !
Quand je parle d’efficacité douteuse, je me réfère aux finances publiques et à l’activité économique, car, selon un autre indicateur, les mesures prises par l’ancien ministre de l’économie ont été extrêmement efficaces, mais pour certains seulement.
Entre 2017 et 2023, le patrimoine des cinq cents plus grandes fortunes françaises a été multiplié par deux, passant de 600 à 1 200 milliards d’euros. Notre dette a donc fait quelques heureux.
Tous ces cadeaux financés par celle-ci ont eu une conséquence directe dont nous mesurons aujourd’hui les effets : moins de rentrées fiscales, moins d’argent pour alimenter des services publics qui s’en trouvent dépréciés.
On ne peut y voir qu’un cercle vicieux dont nous connaissons la justification idéologique : affamer la bête. Il s’agit de fragiliser le budget de l’État, puis, en guise de compensation, de baisser les ressources du service public, pour ensuite prouver artificiellement son inefficacité et le livrer en pâture à la prédation du secteur privé – un classique maintes fois répété à travers le monde depuis quarante ans.
Nous ne sommes pas dupes, monsieur le ministre. Si votre gouvernement a semblé faire le bilan des années Le Maire afin d’éviter les 6 % de déficit en proposant quelques timides hausses d’impôt çà et là – nous verrons à cet égard ce que nous réservera le projet de loi de finances à venir –, une bonne partie de l’effort va être fait sur le dos des ministères qui préparent l’avenir et les services publics.
En définitive, on change d’équipe, on change un peu de méthode, mais on ne touche pas au fond du programme.
Vient ensuite le deuxième pilier de la dette évoqué par le Premier ministre : la dette écologique. C’est sans doute le plus important, car nous parlons ici des conditions mêmes de la vie sur Terre.
Il y a bien une dette écologique, c’est-à-dire un bilan de l’activité humaine qui peut être mesuré et quantifié, notamment par le biais des émissions de gaz à effet de serre.
Depuis les débuts de l’ère industrielle, l’humanité a émis plus de 1 700 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Notez que 1 032 milliards de tonnes ont été émises par l’Europe et l’Amérique du Nord, soit les deux tiers du total ; quant à la France, elle a en a émis 39 milliards.
À titre de comparaison, la totalité des pays du continent africain, qui compte aujourd’hui 1 milliard d’habitants, ont seulement émis 51 milliards de tonnes de CO2.
Les responsabilités ne sont pas les mêmes : les populations les plus violemment affectées sont les moins responsables.
L’angle du climat n’est qu’une facette de la dette écologique ; il y en aurait bien d’autres. Combien d’espèces vivantes ont disparu ? Combien d’habitats ont été dégradés ou détruits, et avec eux les services écosystémiques qu’ils rendaient ? Combien de limites planétaires ont été dépassées chaque année de plus en plus tôt ?
N’oublions pas que cette dette n’est pas remboursable : elle se paiera cash en vies détruites, en déplacements forcés, en souffrances multiples. L’urgence absolue est d’éviter l’emballement fatal et le chaos qui suivra.
Face à l’urgence, il nous faut, nous pays occidentaux, agir et investir aujourd’hui pour la transition et l’adaptation au changement climatique.
France Stratégie réévaluait hier les besoins déjà décrits l’an dernier dans le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz : les investissements nécessaires chaque année passent ainsi de 60 milliards à 85 milliards d’euros, secteurs public et privé confondus.
L’état particulièrement dégradé des finances publiques ne doit pas nous faire dévier de cet horizon. Pour cela, au lieu de sabrer ces dépenses d’avenir, il faudra trouver des financements et des recettes, mais aussi accepter de continuer parfois à s’endetter pour assurer un avenir viable.
Dette budgétaire et dette écologique sont liées, mais elles ne font pas peser la même menace sur notre avenir. Toutefois, aujourd’hui, ce sont les deux faces d’un même problème, celui de l’accaparement des ressources et de la prédation des plus aisés. S’y attaquer doit être bénéfique à la fois au climat et à notre avenir : c’est la conviction profonde des écologistes depuis toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant remarqué que j’étais le dixième sénateur à intervenir dans ce débat, je me suis dit que j’avais peu de chances d’apporter quelque chose de nouveau et que tout serait dit avant moi. Ce fut en effet le cas.
Je poserai toutefois cette question : pourquoi tenir ce débat sur la dette aujourd’hui ? Est-ce à cause de son montant ? On le croirait en lisant la presse, qui, en criant à la catastrophe et à la banqueroute, répète que la dette atteint 3 228 milliards d’euros à la fin du premier semestre de 2024.
Si le sujet n’est autre que celui du montant de la dette, les Français n’en ont pas fini de sitôt ! Quelles que soient les décisions prises par le gouvernement actuel et ceux qui suivront, d’ici à 2029, et même bien après, malheureusement, ce chiffre va continuer à grossir.
Il est pour moi essentiel que les Français comprennent la question de la dette et saisissent son utilité comme son éventuelle nocivité. En revanche, il peut être contre-productif de les inquiéter exagérément, sauf à vouloir faire passer des mesures de redressement particulièrement impopulaires.
La dette en elle-même est-elle un gros mot ? Les Français savaient bien que les seules familles qui s’enrichissent dans notre pays sont celles qui s’endettent. Pour un État, c’est la même chose. Il y a d’ailleurs de nombreuses bonnes raisons de s’endetter : lissage des impôts dans le temps, financement d’infrastructures, renflouement des banques, soutien ponctuel lors de réformes structurelles et financement des transitions, comme cela a été rappelé à l’instant.
On nous renvoie à 1974 pour nous expliquer que la France n’était pas endettée, mais c’était une autre époque et le monde n’était pas celui que nous connaissons maintenant. En effet, il n’y a pas un seul d’État qui ne soit pas endetté aujourd’hui.
Nous devons garder à l’esprit cette question : nos enfants doivent-ils pouvoir bénéficier d’une croissance économique forte dans un pays viable – sur ce point, je vous renvoie au rapport Draghi –, ou être en difficulté dans un pays faiblement endetté ? Autrement dit, faut-il mourir sans dette ? (M. Jean-François Husson ironise.)
La qualité de la dette est un préalable. L’augmentation de plus de 12 points, entre 2017 et 2023, du ratio de dette par rapport au PIB est due pour moitié seulement aux différentes crises que nous avons traversées. Pour l’essentiel, cet écart est lié à la réduction de la fiscalité de plus de 60 milliards d’euros. De toute évidence, cette baisse aurait pu être imaginée en pleine période de crise. Or, nous l’avons dit à plusieurs reprises, ce n’était pas possible.
Il faudra donc pour partie y revenir, qu’on le veuille ou non, si l’on veut en revenir aux grands équilibres, singulièrement l’équilibre entre les dépenses à réduire et les recettes à retrouver. Il était temps de sortir de ce débat abscons de ligne rouge et de mettre enfin ce sujet sur la table.
En réalité, mes chers collègues, la dette n’est qu’un voyant, un clignotant. Seule compte la trajectoire du solde de nos comptes publics. Je vous donne donc rendez-vous dans quelques jours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais montrer au président Raynal que, même en onzième position, on peut toujours dire des choses originales ! (M. Jean-François Husson sourit.)
M. Claude Raynal. Je ne doute pas de votre talent !
Mme Christine Lavarde. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a évoqué la réduction d’une double dette, à la fois budgétaire et écologique. Depuis une heure que nous sommes dans cet hémicycle, vous avez sans doute tous compris que la dette financière et son coût pour les finances publiques sont bien connus et documentés.
La dette écologique, elle, est beaucoup plus difficile à évaluer. Pour ce faire, il convient d’observer la trajectoire d’émission et d’absorption des gaz à effet de serre. Cette dette climatique a une valeur économique calculée comme le coût des dommages engendrés par le rejet d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère et, quelle que soit la définition retenue, le prix social du carbone suit une évolution exponentielle.
Tout retard pris dans la décarbonation aujourd’hui sera payé plus cher par les générations futures. Dans une note de 2020, l’Insee évaluait, dans une approche comptable, le prix social du carbone à environ 500 euros en 2030, à 1 010 euros en 2040 et à 2 050 euros en 2050.
À l’instar de notre trajectoire financière, celle de notre dette écologique n’est pas soutenable.
Plusieurs textes engageants sont attendus : programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).
Malheureusement, je suis obligée de le dire, la dissolution ne porte pas la responsabilité de tous ces retards.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
Mme Christine Lavarde. La discussion de ces textes et du prochain projet de loi de finances sera l’occasion de mettre en avant les outils à même d’infléchir notre dette écologique. Depuis la fin de la crise des « gilets jaunes », la fiscalité carbone est devenue un sujet tabou.
Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes, après avoir constaté que la gouvernance de la fiscalité énergétique était peu orientée autour des objectifs énergétiques et climatiques, invitait le législateur à une réflexion structurante tant pour garantir l’atteinte des objectifs environnementaux que pour préserver les grands équilibres budgétaires de l’État.
L’élargissement du système européen des quotas de CO2, qui va augmenter le prix des énergies fossiles à partir de 2027 dans tout un tas de secteurs de notre économie, nous oblige à nous saisir de cette question à très brève échéance.
Réduire notre dette climatique repose sur l’électrification des usages, avec pour corollaire un développement du réseau électrique et un verdissement de la production d’électricité. Les besoins d’investissement sont colossaux : je vous renvoie aux travaux de la commission d’enquête du Sénat portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.
Il devient donc urgent de définir la place du nucléaire dans notre transition énergétique. Je le dis ici : nous ne pourrons pas nous passer du nucléaire, mais celui-ci ne sera pas une solution miracle pour autant.
L’affaiblissement du puits de carbone forestier est aussi un signal. La capacité d’absorption du CO2 en France a été divisée par près de trois entre 2005 et 2023. Nous ne pourrons pas infléchir la trajectoire de notre dette climatique sans des politiques plus volontaristes permettant d’accroître la résilience des systèmes agricoles et forestiers.
Réduire notre dette écologique nécessite un engagement financier significatif de la part de tous les acteurs. Les ménages devront réduire leur consommation d’énergie en isolant leur domicile et en adoptant des modes de transport moins carbonés.
La puissance publique a aussi un rôle à jouer. Elle devra continuer à accompagner tous ceux qui ne choisissent pas leur empreinte carbone, mais la subissent.
Quid des collectivités territoriales ? Dans un rapport de mai 2024, l’inspection générale des finances (IGF) évaluait les investissements nécessaires pour réussir la transition écologique à 21 milliards d’euros par an d’ici à 2030, soit 40 % des dépenses d’équipement des collectivités. Ce montant est cohérent avec celui du rapport Pisani-Ferry-Mahfouz de 2023, qui imputait aux collectivités locales 20 milliards d’euros sur les 60 milliards annuels nécessaires à la transition écologique.
Ce montant vient d’ailleurs d’être révisé dans une note de France Stratégie, rendue publique hier, qui évalue l’investissement national à 85 milliards d’euros, dont deux tiers d’investissements qui ne sont pas rentables sans intervention de la puissance publique.
Les collectivités ont un rôle clé à jouer face à la dette écologique. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime que 75 % des leviers pour une transition écologique réussie sont territoriaux.
Aujourd’hui, les collectivités portent déjà plus des deux tiers de l’investissement public, qu’elles financent à 80 % par de l’autofinancement. Toutefois, ce modèle de financement est mis à rude épreuve avec la hausse des charges de fonctionnement due à l’inflation et la baisse des dotations de l’État pour redresser les finances publiques.
Je reprendrai à mon compte ces mots prononcés par Christophe Béchu quand il était ministre de la transition écologique : « À partir du moment où l’on fait des investissements pour l’avenir, la légitimité d’utiliser un emprunt est forte. Elle devient absolument évidente si cet emprunt vous permet de diminuer vos charges de fonctionnement ou les dépenses que vous auriez à faire plus tard. »
Prenons l’exemple de l’éclairage public, qui représente près de 40 % des dépenses énergétiques de toutes les communes de France. Seulement 15 % des lampadaires publics utilisent aujourd’hui des LED, alors que cette technologie permet une économie d’énergie de 50 % par rapport à une ampoule classique.
L’accroissement de la dette est traditionnellement perçu comme un signe de mauvaise gestion des deniers publics et de hausse future des impôts.
La dette écologique nous oblige à changer de paradigme. La dette verte est à penser à l’aune des coûts de l’inaction climatique, largement supérieurs aux coûts de l’action.
La multiplication des aléas climatiques entraîne déjà une hausse substantielle des primes d’assurance des collectivités. La loi de finances pour 2024 permet d’ailleurs à ces dernières d’isoler leur dette verte.
Au-delà du symbole, cet outil doit permettre d’exercer un effet de levier sur l’investissement ; il doit modifier le regard des agences de notation avec une meilleure valorisation des externalités positives de cette dette ; il doit servir à recalculer la capacité de désendettement des collectivités ; il doit s’accompagner de conditions de financement de cette dette, par exemple par des prêts bonifiés.
Dans un contexte budgétaire contraint, une réflexion globale doit être menée pour permettre aux collectivités d’assurer leur rôle clé dans la transition écologique.
La fiscalité environnementale ne doit plus être un tabou, sans quoi nous n’arriverons jamais à faire coïncider transition écologique et justice sociale. Je nous invite donc tous ensemble, à la suite de Winston Churchill, à penser que « la responsabilité est le prix à payer du succès ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)