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Candidatures à des commissions
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires économiques, de la commission des lois et de la commission des finances ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Croissance de la dette publique de la France
Débat organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la croissance de la dette publique de la France.
Dans le débat, la parole est tout d’abord à M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Fargeot et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat et, en particulier, sa commission des finances ont longtemps été les seuls à parler de la dette. Mais aujourd’hui, après de nombreuses années d’aveuglement budgétaire, la gravité de notre situation financière fait enfin l’objet, sinon d’un consensus, du moins d’une prise de conscience salutaire.
M. André Reichardt. Il est temps !
M. Albéric de Montgolfier. En effet, mon cher collègue.
Il y a encore quelques mois, Bruno Le Maire se félicitait d’« avoir sauvé l’économie française »…
M. André Reichardt. Et il continue !
M. Michel Savin. Il est en Suisse…
M. François Patriat. C’était un bon ministre !
M. Albéric de Montgolfier. Sauf erreur de ma part, il est l’inventeur du « quoi qu’il en coûte », qui nous coûte aujourd’hui très cher. En tout cas, je me félicite que le nouveau gouvernement, dirigé par Michel Barnier, ait enfin renoué avec un discours de vérité sur cette question absolument cruciale.
En effet, la situation de nos finances publiques détermine nos marges de manœuvre face aux multiples défis de notre époque, qu’ils soient économiques, sociaux, démographiques, environnementaux ou géopolitiques. L’actualité nous le démontre.
De même, c’est de notre trajectoire budgétaire que dépend notre crédibilité lors des discussions avec nos partenaires européens. Or, alors même que l’immense majorité des États membres ont consenti d’importants efforts de redressement dans la période récente, la Commission européenne nous a placés en procédure de déficit excessif. Nous sommes devenus le mauvais élève.
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », j’ai pu mesurer les conséquences très concrètes de notre endettement public sur le budget de la Nation. Aussi est-ce à la lumière de mes travaux récents, notamment mon rapport d’information de juillet dernier, Charge de la dette : de la divergence avec nos partenaires européens jusqu’à l’explosion ?, que je souhaite vous soumettre quelques réflexions, quelques constats essentiels à la veille de l’examen du projet de loi de finances.
Toutefois, avant de se projeter vers 2025, il importe de revenir sur l’évolution passée de notre endettement public.
Au début de l’année 2008 – je siégeais déjà au sein de notre commission des finances –, la dette publique de la France représentait, d’après l’Insee, 1 290 milliards d’euros, soit 67 % du PIB. Notre niveau d’endettement public était comparable à celui de l’Allemagne et proche du seuil de 60 % du PIB fixé par les traités européens.
À la suite de la crise des subprimes et de la crise de la zone euro – c’était précisément en 2008 –, notre endettement public a explosé : ce fut le cas dans la plupart des pays qui ont dû sauver leurs banques. Il s’élevait, à la fin de 2012, à 1 890 milliards d’euros, soit 92 % du PIB.
J’y insiste : face à la crise des subprimes, la plupart des pays ont dû consentir une telle augmentation. C’était indispensable dans ce contexte de crise économique internationale.
M. François Patriat. Mais bien sûr, pour Emmanuel Macron, c’est différent…
M. Albéric de Montgolfier. Au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, en 2017, notre dette publique s’élevait à 2 250 milliards d’euros, soit 99 % du PIB. À la fin de l’année 2019, c’est-à-dire à la veille de la pandémie de covid, elle atteignait 2 370 milliards d’euros, toujours autour de 99 % du PIB.
Ainsi, malgré l’absence de crise économique majeure ou d’événement particulier depuis 2008, notre endettement a continué d’augmenter significativement. Pour être tout à fait exact, il a progressé de 360 milliards d’euros sous la présidence de François Hollande et de 120 milliards d’euros durant les deux premières années de la présidence d’Emmanuel Macron.
Dans la même période – c’est à ce titre que le constat devient inquiétant –, de nombreux États européens, en particulier l’Allemagne, qui, en 2008, avait peu ou prou le même niveau de déficit que la France, consentaient d’importants efforts pour réduire leurs niveaux d’endettement public. Bref, nous creusions notre dette quand beaucoup d’autres pays réduisaient la leur.
La trajectoire des finances publiques françaises n’était donc aucunement rétablie à la veille de la pandémie, et les deux années de crise sanitaire se sont évidemment traduites par une nouvelle envolée de la dette publique. Cette dernière a atteint 2 820 milliards d’euros à la fin de 2021, soit 113 % du PIB.
La France n’est pas le seul État où le ministre des finances a « sauvé l’économie » : l’ensemble des pays ont créé des dispositifs de chômage partiel et de soutien à l’activité. Mais les autres États ont su y mettre un terme. Ils ont suivi une stratégie de sortie du « quoi qu’il en coûte » : tel ne fut pas notre cas. La dette française a continué sa progression pour atteindre 3 230 milliards d’euros au deuxième trimestre de 2024, soit 112 % du PIB.
M. François Patriat. Et les effets de l’inflation ?
M. Albéric de Montgolfier. L’Allemagne, elle, est à 64 % : notre ratio représentera bientôt le double du sien, alors qu’en 2008 nos taux d’endettement étaient équivalents.
Mes chers collègues, voilà d’où nous venons. Le constat est clair : depuis 2017, notre endettement public a crû de plus de 1 000 milliards d’euros. Notre dette publique s’élève aujourd’hui à 3 230 milliards d’euros – j’insiste sur ce chiffre. De cet endettement massif, alimenté par cinquante années de déficit – le dernier budget en équilibre est celui de l’année 1974 –, un tiers résulte donc de la politique budgétaire menée depuis sept ans. Voilà la réalité.
M. André Reichardt. Eh ben…
M. Albéric de Montgolfier. Rapporté au PIB, notre ratio de dette, de 112 % au deuxième trimestre de 2024, affiche certes une légère baisse par rapport au pic observé en 2021. Toutefois, son maintien à un niveau élevé, pour ne pas dire sa remontée récente, singularise fortement notre pays, alors que – je le répète – les autres États de la zone euro ont repris des trajectoires de désendettement très rigoureuses. Je pense en particulier à plusieurs pays d’Europe du Sud, qui se trouvaient dans des situations très difficiles et qui ont fait les efforts nécessaires.
À présent, où se trouve cette dette ? Il me semble important d’être tout à fait précis, chiffres à l’appui, car on entend beaucoup de choses à ce propos, y compris au sujet des collectivités territoriales.
Aujourd’hui, la dette publique de la France se décompose de la manière suivante : 2 630 milliards d’euros pour l’État ; 70 milliards d’euros pour les organismes divers d’administration centrale (Odac) ; 250 milliards d’euros pour les administrations publiques locales ; et 280 milliards d’euros pour les administrations de sécurité sociale.
Autrement dit, la dette de l’État représente 80 % de la dette publique totale. C’est son creusement qui explique l’évolution de notre endettement public dans la période récente. En effet, cette dette était de 1 690 milliards d’euros à la fin de 2017, et sa croissance continue a contribué pour 95 % à l’augmentation générale. C’est d’abord l’État qui est responsable de l’augmentation de la dette totale. (M. André Reichardt acquiesce.)
Cette spirale de l’endettement a des conséquences extrêmement concrètes pour le budget de l’État. Depuis 2022, la charge annuelle des intérêts de la dette se maintient à plus de 50 milliards d’euros, contre 38 milliards d’euros en 2021 : imaginez tout ce que l’on pourrait faire avec les 12 milliards d’euros dont il s’agit.
Selon les éléments communiqués par le précédent gouvernement au titre du programme de stabilité d’avril 2024, la charge de la dette de l’État pourrait dépasser 70 milliards d’euros en 2027 : il s’agit, je le précise, des simples intérêts que nous payons à nos créanciers.
En somme, le contribuable français paie pour la retraite du fonctionnaire américain, singapourien ou néerlandais : merci beaucoup ! Par nos déficits, donc indirectement par nos impôts, nous finançons les retraites des pays détenteurs de la dette française.
En 2027, les intérêts de la dette de l’État se rapprocheraient ainsi des dépenses du ministère de l’éducation nationale, notre premier poste budgétaire. À terme, si cette trajectoire haussière n’est pas maîtrisée, les intérêts de la dette pourraient absorber en totalité le produit de l’impôt sur le revenu.
M. François Patriat. Pas un mea culpa…
M. Albéric de Montgolfier. En effet, l’époque des taux bas, voire négatifs, est bel et bien révolue. Le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) est même historiquement élevé, à 3,5 %.
Nous sommes vraiment très loin des anciens taux, qui ont peut-être anesthésié les gouvernements successifs ; ces derniers ont eu le tort d’oublier que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel… Voilà pourquoi, aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation extrêmement difficile.
L’aveuglement dont le précédent gouvernement a fait preuve en la matière, en laissant filer le déficit public, a affecté la confiance des investisseurs. Au-delà, les taux d’intérêt applicables à la France diffèrent de plus en plus de ceux auxquels sont soumis nos voisins – Jean-François Husson y reviendra sans doute.
Il nous faut donc une trajectoire crédible et documentée de retour à l’équilibre budgétaire : ce sera tout l’enjeu du projet de loi de finances pour 2025.
J’appelle votre attention sur un dernier phénomène inquiétant : la maturité de notre dette augmente. Longtemps de l’ordre de sept ans, elle est passée à huit ans et demi. À mesure que le temps passe, notre dette nous coûte plus cher et l’on s’endette pour plus longtemps. Depuis 2003, cette maturité a augmenté de 2,7 années. On nous oppose que cette évolution vise à répondre aux demandes des investisseurs ; mais, malheureusement, elle pèse sur les générations futures.
Le projet de loi de finances, dont nous allons commencer l’examen dans quelques jours, est évidemment au cœur de ces débats. Il faut stabiliser notre dette : c’est une question, non seulement de soutenabilité, mais de souveraineté. C’est un enjeu tout à fait essentiel. Il est urgent de suivre enfin une stratégie claire et résolue, visant à stabiliser notre endettement à défaut de pouvoir le diminuer tout de suite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé du budget et des comptes publics, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat pour cette première prise de parole. (M. François Patriat applaudit.)
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier d’avoir organisé ce débat sur la croissance de la dette. Par la même occasion, je salue l’ensemble des auteurs du rapport d’information relatif à la question, à commencer par vous-même, monsieur de Montgolfier.
Il s’agit là d’un débat important, auquel le Sénat est davantage habitué que l’Assemblée nationale – vous le soulignez avec raison. C’est précisément pourquoi, quand j’étais député, j’ai souhaité qu’un débat relatif à la dette publique se tienne chaque année, sans exception, à la Chambre basse. C’est la proposition de loi organique relative à la gestion des finances publiques, texte coécrit avec Claude Raynal et Jean-François Husson, qui nous a permis de le faire. Ce débat aura lieu la semaine prochaine à l’Assemblée nationale.
De même, vous avez raison de relever que le sujet est au cœur de l’actualité ; il vaut néanmoins en tout temps, qu’il s’agisse de la dette de l’État ou de la dette publique dans son ensemble, toutes administrations confondues. C’est là un sujet crucial pour l’ensemble de nos concitoyens. L’enjeu, c’est non seulement la soutenabilité, mais aussi, et surtout, la souveraineté de la France.
Le moment retenu est particulièrement opportun pour en parler. Dans deux jours, le Gouvernement présentera au Parlement le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
La situation de nos finances publiques est désormais connue. Elle nous impose une véritable gravité, que l’on ne saurait confondre avec de l’anxiété. Je l’ai toutefois précisé : en l’état actuel des choses, notre déficit public risque de dépasser 6 % du produit intérieur brut en 2024. Si nous ne faisons rien, la dynamique spontanée de la dépense publique pourrait porter ce même déficit au-delà de 7 % en 2025.
Nous devons tout faire pour l’éviter. À ce titre, je ne vais pas répéter les chiffres que vous venez de citer ; je centrerai mon propos sur l’origine de notre endettement actuel, peut-être avec une lecture quelque peu différente de la vôtre,…
M. François Patriat. Heureusement !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … le rétablissement des finances publiques étant évidemment une priorité.
Vous connaissez l’objectif retenu par le Gouvernement. Le Premier ministre l’a présenté et j’ai pris soin de le répéter : contenir le déficit à hauteur de 5 % en 2025, c’est-à-dire deux points en deçà des 7 % auxquels conduirait la tendance actuelle. Cet effort représente 60 milliards d’euros. Nous aurons l’occasion d’y revenir : ce quantum d’effort sur les finances publiques est absolument historique.
Vous connaissez également notre méthode. Comme annoncé, l’effort doit être réparti entre 40 milliards d’euros de baisse de la dépense publique et 20 milliards d’euros de contributions temporaires, ciblées et exceptionnelles.
C’est un effort exigeant, dont l’ampleur est à la mesure de la situation. Vous l’avez dit : notre pays a accumulé une dette qui s’élève désormais à 3 200 milliards d’euros, représentant 112 % de notre PIB au deuxième trimestre de 2024.
En l’état, la charge de la dette atteindrait 54 milliards d’euros l’année prochaine. Vous relevez que cette somme équivaut au budget de l’éducation nationale ; on peut également souligner qu’elle dépasse le budget des armées – ce sont là des ordres de grandeur qui parlent à beaucoup de nos concitoyens. On mesure, grâce à de telles comparaisons, à quel point le service de la dette est un poste budgétaire prioritaire. C’est là autant d’argent que nous ne plaçons pas dans les services publics, que nous n’employons pas au service de nos concitoyens.
M. Michel Savin. Eh oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’y insiste : derrière ces chiffres, il y a à la fois un enjeu de soutenabilité et un enjeu de souveraineté.
Il y a un enjeu de soutenabilité, d’abord, parce que la donne a changé. L’alourdissement de la charge de la dette s’explique moins par l’augmentation de l’endettement que par la forte hausse des taux d’intérêt.
En 2020, nous pouvions emprunter à des taux négatifs. J’étais alors rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, et vous-même, monsieur de Montgolfier, étiez mon homologue au Sénat. On payait la France pour qu’elle emprunte sur les marchés… C’était une autre époque ; ce temps est à la fois bien proche et bien loin.
M. Michel Savin. Ah !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Aujourd’hui, les taux d’intérêt ayant remonté, la donne a complètement changé. À l’époque, le taux d’intérêt des bons du Trésor était d’environ - 0,45 % ; il avoisine désormais les 3 %.
Cette évolution résulte, d’une part, des mesures décidées par la Banque centrale européenne pour lutter contre l’inflation et, d’autre part, des différentes crises que nous avons connues, notamment la crise inflationniste.
Ne nous y trompons pas : cette évolution résulte également d’une dégradation de la signature France. En témoigne le nouveau creusement de l’écart de taux d’emprunt entre l’Allemagne et la France : cet écart est passé de 0,5 % au début de l’année 2024 à environ 0,8 % aujourd’hui.
En d’autres termes, si nous ne redressons pas rapidement la barre, nous nous exposons à un risque réel : que nous financions notre dette de plus en plus chèrement. Or imaginons que se produise, demain, un choc des taux de l’ordre de 1 % : combien coûterait-il à nos finances publiques ? La réponse est assez simple : la charge de la dette augmenterait d’environ 3,2 milliards d’euros la première année, de 20 milliards d’euros à l’horizon de cinq ans et de 33 milliards d’euros à l’horizon de neuf ans. Ces ordres de grandeur doivent nous en convaincre collectivement : nous ne pouvons pas courir un tel risque.
En effet, il y va également de notre souveraineté, donc de notre capacité à agir.
Lors de ma prise de fonctions comme ministre du budget et des comptes publics, je me suis engagé à tenir un discours de vérité. Or, à présent, mon propos va différer du vôtre.
Pour ma part, je considère que la dette actuelle est la conséquence de choix politiques forts faits hier…
M. Pascal Savoldelli. Ça, c’est vrai…
M. Laurent Saint-Martin, ministre. … et, à mon sens, ces choix étaient nécessaires, utiles et bons. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Eh oui !
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le Gouvernement devra, à son tour, assumer de proposer des choix tout aussi forts de redressement des comptes.
Bien sûr, je ne vous présenterai pas aujourd’hui le contenu du PLF et du PLFSS pour 2025 : ce n’est pas l’objet de ce débat. En revanche, je vous exposerai la philosophie guidant les mesures que nous nous apprêtons à vous soumettre, car il faut savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va.
D’où venons-nous ? Il faut reconnaître que, malgré de réels efforts de maîtrise, les dépenses des administrations publiques ont connu une hausse structurelle au cours des dernières années.
À l’époque, lors de l’examen des projets de loi de finances initiale et des différents collectifs budgétaires, j’avais plutôt l’impression, comme rapporteur général du budget, de contenir la volonté collective de hausse des dépenses publiques… Quoi qu’il en soit – et nous pouvons en être fiers –, nous avons collectivement réussi à protéger le pays, ses entreprises, son économie, ses salariés et ses collectivités territoriales (M. André Reichardt proteste.) face à deux grandes crises absolument majeures : la crise sanitaire et la crise inflationniste, qui a tout particulièrement frappé le secteur de l’énergie.
Face à ces crises, nous avons choisi, de manière résolument transpartisane, de déployer un filet de sécurité parmi les plus efficaces et les plus généreux d’Europe. Nous avons fait collectivement le choix de dépenser plus en assumant, à titre temporaire et exceptionnel, le creusement du déficit et la hausse de l’endettement. À l’époque, rares étaient ceux qui contestaient ce choix ; mais, aujourd’hui, nous devons en affronter les conséquences.
Si nous avons agi ainsi, c’était pour préserver la croissance, dont chacun sait l’importance. Cette année, la croissance française s’établit ainsi à 1,1 %, au-dessus de la moyenne de la zone euro.
J’ajoute que nous avons agi avec sérieux. La dette publique française a certes progressé de 1 000 milliards d’euros entre 2017 et 2023 : c’est tout à fait exact. Mais, en parallèle, notre pays a bénéficié d’une croissance supérieure à celle de ses voisins européens et il est tout aussi vrai d’affirmer que le PIB a progressé de 569 milliards d’euros sur la même période. À titre de comparaison, le taux d’endettement de notre pays a progressé de trente-quatre points de PIB entre 2007 et 2017, contre seulement douze points de PIB entre 2017 et 2022.
Bien sûr, ce constat factuel ne change rien à la gravité de la situation actuelle.
En résumé, la hausse de la dette s’explique avant tout par une hausse de la dépense : c’est donc prioritairement par la réduction de la dépense que devra passer le redressement. J’insiste sur ce point, qui sera au cœur du budget pour 2025.
Nous devrons procéder sans casser le moteur de la croissance : c’est elle qui nous a permis, entre 2017 et 2022, de maîtriser le rythme de notre endettement.
Il ne doit pas non plus y avoir de cure d’austérité : un tel choix conduirait à la récession et l’on ne redressera pas les comptes sans activité.
Nous le ferons collectivement, parce qu’il le faut. Sinon, nous perdrons notre capacité à investir, à préparer l’avenir et à construire la croissance de demain. En outre, si nous ne reconstituons pas aujourd’hui nos marges de manœuvre budgétaires, comment pourrons-nous, demain, protéger notre pays face à de nouvelles crises, par exemple face à une autre pandémie ? Nous devrons être prêts à faire face : voilà pourquoi nous devrons avoir les reins solides.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le chemin du redressement sera ardu, mais il existe. Je vous rappelle qu’avant la pandémie de covid le déficit public avait été ramené sous la barre des 3 % et que la procédure de déficit excessif était derrière nous. Je vous le dis donc avec confiance : si nous avons su redresser les comptes à la veille de cette crise, nous saurons le faire à la suite des crises que nous venons de connaître. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France se retrouvera-t-elle au bord du gouffre ? C’est la question que pose le Premier ministre et que nous pouvons légitimement nous poser.
De dérapage en dérapage, l’illusion d’une bonne tenue des comptes publics s’est dissipée. Pis, la gestion calamiteuse de nos finances publiques, doublée d’un mensonge, est avérée.
Monsieur le ministre, il y a un mois encore, Bruno Le Maire affirmait devant la commission des finances de l’Assemblée nationale pouvoir tenir un objectif de déficit public à 5,1 % du PIB pour 2024. Or vous l’admettez désormais : le déficit dépassera les 6 %.
Résultat : la France affiche un des déficits les plus élevés de la zone euro. La dette publique atteint 3 228 milliards d’euros, soit plus de 112 % du PIB. Quant au service de la dette, il dépasse désormais 50 milliards d’euros, devenant notre deuxième poste budgétaire.
Ces presque 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire depuis 2018 pèsent lourdement sur nos comptes. Ils forcent la France à emprunter sur cinq ans à des taux plus élevés que la Grèce.
M. François Patriat. Cynisme absolu…
Mme Florence Blatrix Contat. Dans un geste d’adieu quelque peu inélégant, le précédent gouvernement a tenté de se défausser sur les collectivités territoriales ; mais les chiffres sont têtus. Sur les 880 milliards d’euros de nouvelles dettes contractées entre 2018 et 2023, les collectivités ne sont responsables, annuellement, que de 10 milliards d’euros.
En outre, il convient de rappeler que les collectivités territoriales sont le premier investisseur public : elles représentent 53 % de l’investissement public, contre 38 % pour l’État et ses opérateurs.
Le précédent gouvernement a également tenté de justifier ses échecs en invoquant la crise de la covid-19 et la guerre en Ukraine. Mais nos voisins européens, dont la dette a, comme la nôtre, connu une hausse de quinze points, ont su depuis lors réduire leur endettement ou du moins cesser de l’alourdir.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), seule la moitié de cette nouvelle dette est imputable aux crises. L’autre découle directement de la gestion gouvernementale.
Un tel constat révèle l’échec d’une politique de l’offre menée tambour battant depuis sept ans. Cette politique est fondée sur la croyance que des baisses d’impôt couplées à des aides massives aux entreprises favorisent l’emploi et la croissance.
M. François Patriat. Mais oui !
Mme Florence Blatrix Contat. Les baisses d’impôt ont bien été massives – elles ont représenté près de 450 milliards d’euros depuis 2018 –, mais c’est un pari perdu : de l’aveu même de Jean Pisani-Ferry, les emplois créés sont, pour beaucoup, des emplois peu qualifiés, qui ont induit de faibles recettes fiscales.
Pendant cette période, la productivité de la France s’est même dégradée de six points. Or un décrochage de la productivité, c’est un décrochage de la croissance et des recettes fiscales. Le Conseil d’analyse économique (CAE) estimait en 2019 que cette baisse de productivité représentait 140 milliards d’euros de PIB et 65 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales.
Les conséquences de cette gestion calamiteuse n’ont pas tardé : la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif contre la France. La crédibilité de la signature française est affectée et notre capacité à investir pour répondre aux urgences climatiques et sociales se réduit. Chaque euro dédié au service de la dette est un euro de moins pour nos services publics.
Pour remédier aux problèmes actuels, vous proposez une solution qui a déjà échoué par le passé : le recours à l’austérité. L’économie française est malade, mais le remède que vous proposez est pire que le mal : vous préconisez 40 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques, alors que des économistes comme Olivier Blanchard et Patrick Artus ne recommandent, eux, que 20 milliards d’euros par an.
Affirmer qu’un État aux services publics déjà exsangues pourrait encore trouver 40 milliards d’euros de dépenses inefficaces, c’est proférer un mensonge. En procédant à de telles coupes, vous supprimerez des dépenses utiles pour nos concitoyens, celles qui soutiennent leur consommation et la croissance. Le Trésor précise d’ailleurs qu’une baisse de 15 milliards d’euros de dépenses publiques représente en réalité 27 milliards d’euros retirés de l’économie, par l’effet multiplicateur.
Selon nous, mieux vaut revenir sur un certain nombre d’aides aux entreprises, dispositifs dont l’efficience est sujette à caution : plusieurs rapports ont mis en lumière leur manque de ciblage et leur coût exorbitant pour la puissance publique.
Les élus du groupe SER feront des propositions pour rompre avec le dogme des baisses d’impôt et renouer avec la justice fiscale. Là est bien l’erreur originelle de la politique conduite depuis sept ans.
Monsieur le ministre, une question demeure : après avoir accumulé des milliards d’euros de dettes, sacrifié nos services publics et compromis les investissements dans la transition écologique, comment pouvez-vous encore affirmer que votre politique trace la bonne voie pour notre pays ? Allez-vous en changer ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)