M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les orateurs qui viennent de se succéder à la tribune. Autant dans mon propos liminaire j’ai exposé la position générale du Gouvernement sans émettre d’avis à proprement parler, afin de laisser se développer les arguments des uns et des autres, autant, à l’issue de cette discussion générale, je veux dire ici de manière tout à fait solennelle que le Gouvernement est contre l’adoption de cette proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST. – M. Ian Brossat applaudit également.)
Je m’en explique.
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe majoritaire, rien de ce que j’ai entendu – j’y insiste, rien – ne m’a convaincu que vous souhaitiez porter une quelconque attention aux arguments scientifiques.
Rien de ce que j’ai entendu ne m’a donné l’impression que vous preniez les travaux en cours, notamment ceux de la Haute Autorité de santé, comme un élément important du débat.
À l’inverse, tout ce que j’ai entendu de votre part m’a donné l’impression d’une approche totalement dogmatique, subjective, (Applaudissements sur les mêmes travées. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) dans laquelle, en définitive, les arguments médicaux et scientifiques ont peu d’importance, l’essentiel pour vous étant sans doute de marquer des points sur le plan politique.
Les sujets évoqués sont trop graves pour se laisser aller à ce type d’évidences. Je l’ai expliqué de manière étayée dans mon propos liminaire, en ces matières, la décision relève du domaine médical et scientifique sur laquelle je ne ferai jamais primer la décision politique, dont il est impératif, précisément, qu’elle soit éclairée par la médecine et par la science.
Je souhaite donc le rejet de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, SER et GEST.)
M. Xavier Iacovelli. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Chapitre Ier
Prise en charge de la dysphorie de genre chez les personnes mineures
(Division nouvelle)
Article 1er
I. – Après le titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un titre III bis ainsi rédigé :
« TITRE III BIS
« PRISE EN CHARGE DE LA DYSPHORIE DE GENRE CHEZ LES PERSONNES MINEURES
« Art. L. 2137-1. – Dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, il est interdit de prescrire au patient âgé de moins de dix-huit ans :
« 1° (Supprimé)
« 2° Des traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre auquel le mineur s’identifie.
« Il est également interdit de réaliser sur un patient âgé de moins de dix-huit ans des actes chirurgicaux de réassignation de genre.
« Art. L. 2137-2 (nouveau). – Le diagnostic et la prise en charge des mineurs présentant une dysphorie de genre sont assurés dans des centres de référence spécialisés, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la santé.
« Un décret pris après avis de la Haute Autorité de santé définit les conditions dans lesquelles les centres mentionnés au premier alinéa contribuent à la recherche clinique en matière de diagnostic et de prise en charge de la dysphorie de genre.
« Art. L. 2137-3 (nouveau). – Dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, la prescription initiale de bloqueurs de puberté à un patient âgé de moins de dix-huit ans est établie, après réunion de concertation pluridisciplinaire, par un médecin exerçant dans l’un des centres de référence mentionnés à l’article L. 2137-2. Cette prescription initiale n’est possible qu’après évaluation par l’équipe médicale de l’absence de contre-indication et de la capacité de discernement du mineur. Un délai minimal de deux ans sépare la prescription initiale de la première consultation du patient dans un centre de référence.
« Au moins un médecin spécialiste en endocrinologie pédiatrique, un médecin spécialiste en pédiatrie et un médecin spécialiste en psychiatrie pédiatrique participent aux réunions de concertation pluridisciplinaire. Peuvent également y participer un psychologue, un assistant social, ainsi que les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du patient.
« Le patient et les titulaires de l’autorité parentale peuvent assister à la réunion de concertation pluridisciplinaire. »
II (nouveau). – Les traitements engagés avant la promulgation de la loi n° … du … visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre ne sont pas interrompus.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Je souhaite intervenir sur l’article 1er pour revenir sur ce qui a été dit par certains de nos collègues en discussion générale.
Monsieur Iacovelli, vous avez fait une affirmation mensongère en disant que l’interdiction inscrite à l’article 2 n’existait en nul autre domaine. Ce n’est pas vrai ; c’est même absolument faux !
Je vous livre quelques exemples : l’interruption de la grossesse sans consentement de l’intéressée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ; quant à l’interruption de la grossesse d’autrui pratiquée après l’expiration du délai légal, elle est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, et de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende si le coupable la pratique habituellement.
Une telle interdiction existe donc bel et bien ! Encore pourrais-je évoquer le cas de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) chirurgicale, qui est autre chose que l’IVG médicamenteuse.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mis à part l’IVG, vous avez d’autres comparaisons ?
M. Alain Milon, rapporteur. En tout état de cause, c’est bien une affirmation mensongère que vous avez faite. Je tiens à le dire, l’article 2 tel qu’il a été rédigé s’inspire de ces articles du code de la santé publique relatifs à l’interruption illégale de grossesse.
M. Xavier Iacovelli. Pour une fois que l’on s’inspire de l’IVG…
M. Alain Milon, rapporteur. Madame Rossignol, vous avez raison de dire que les jeunes filles perturbées, parce qu’elles sont par exemple victimes de violences, peuvent penser à évoluer vers un autre sexe, dans la mesure où elles ont peur de devenir des femmes complètes. C’est vrai, ces situations existent ; mais, justement, le texte consacre le rôle des équipes pluridisciplinaires qui sont là pour les accueillir, discuter avec elles et les orienter vers leur genre ou vers leur sexe réel.
Mme Laurence Rossignol. Plutôt que d’interdire les traitements, interdisez le patriarcat !
M. Alain Milon, rapporteur. C’est bien la protection des mineurs…
M. Xavier Iacovelli. Ils se suicident !
M. Alain Milon, rapporteur. … et la protection des parents que nous recherchons ; et le texte tel qu’il a été adopté par la commission des affaires sociales va précisément dans ce sens, celui de la protection et des mineurs et des parents.
Pour ce qui est de la Haute Autorité de santé, il a été dit qu’elle produisait des rapports scientifiques. Or la Haute Autorité de santé ne fait pas de rapports scientifiques : elle s’inspire de tels rapports pour mettre en place des protocoles qu’elle conseille aux médecins d’adopter. En fait de science, j’ai auditionné, avec d’autres collègues, l’Académie nationale de médecine : elle recommande la prudence.
M. Xavier Iacovelli. Mais non l’interdiction !
M. Alain Milon, rapporteur. Elle recommande la prudence dans l’administration des soins et demande l’interdiction des opérations, en particulier des opérations définitives, avant l’âge de 18 ans.
Mme Silvana Silvani. Vous avez dit vous-même qu’aucune opération n’était pratiquée avant 18 ans !
M. Alain Milon, rapporteur. Or une telle mesure n’est inscrite nulle part dans la loi. Il est vrai que, jusqu’à présent, les médecins n’ont pas réalisé de tels actes, mais il n’est pas écrit dans la loi qu’ils sont interdits. Comme certains l’ont fait valoir, dès lors que l’on est docteur en médecine, on peut prescrire à un patient transgenre les traitements que l’on veut. C’est vrai, mais de quel droit le fait-on ? A-t-on les connaissances suffisantes pour le faire ? C’est parce que ces questions se posent que nous proposons d’encadrer par la loi de telles pratiques.
Enfin, pour ce qui est du taux de suicide, il est vrai qu’il est extrêmement important chez les adolescents transgenres, beaucoup plus important qu’en population générale. Mais, justement, s’il est si important, c’est ou bien parce qu’ils ne sont pas acceptés dans la société, ou bien parce qu’ils ne sont pas acceptés dans leur famille, ou bien parce qu’ils ne sont pas suivis.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas ce qui a été dit tout à l’heure.
M. Alain Milon, rapporteur. Ce qui est proposé dans ce texte de loi, c’est de reconnaître leur existence et, loin de toute transphobie, de faire en sorte que les équipes médicales puissent les suivre, les prendre en charge et leur donner l’espoir de trouver leur véritable identité, en les soignant ou simplement en les écoutant et en faisant de la psychologie.
Voilà tout ce que je tenais à dire à l’orée de l’examen de cet article 1er qui, à mon avis, est le plus important de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Brigitte Devésa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si une telle discussion, marquée par le dépôt de deux motions, a lieu ce soir, c’est qu’il existe de fait, sur ce sujet, un véritable débat de société.
Ce débat est complexe, car il touche à l’intime ; ce débat est complexe, car il y est question de mineurs ; ce débat est complexe, car, plus largement, il touche à l’éthique.
J’ai toujours, sur tous les sujets, défendu la minorité comme un temps de la vie à protéger, dans ses choix comme dans ses actes, jusqu’à défendre la minorité pénale.
Oui, ce texte soulève des questions ; mes chers collègues, j’aimerais avoir vos certitudes.
J’aimerais avoir vos certitudes, celles d’un bonheur individuel faisant fi de celui des autres.
J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir considérer que le choix d’un jeune lycéen ne saurait ébranler ses camarades de classe.
J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir affirmer que la jeunesse est uniforme, qu’elle n’est pas traversée, dans sa diversité, par des contradictions, celles qui invitent certains à sortir de la norme et d’autres à s’y réfugier pour se protéger.
J’aimerais avoir vos certitudes et pouvoir ranger les gens de notre pays dans deux cases, les transphobes et les transactivistes.
Mais, voyez-vous, mes chers collègues, je n’ai pour ma part, ce soir, qu’une certitude : ce débat reviendra, que nous le souhaitions ou non, car il dépasse le seul débat entre réactionnaires et antiréactionnaires. L’attrait du progressisme n’est pas pour moi un guide politique là où il s’agit, sur ce texte comme sur d’autres, de définir les règles communes d’une société que je souhaite profondément progressiste et émancipatrice.
À titre personnel, vous l’aurez compris, je ne voterai pas ce texte, mais je ne m’y opposerai pas : je m’abstiendrai sur l’ensemble de la proposition de loi.
M. Jean-Jacques Panunzi. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, sur l’article.
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains ont cru déceler, derrière la dysphorie de genre, je ne sais quel phénomène de mode ou cheval de Troie wokiste d’associations activistes. En réalité, il n’en est rien : la dysphorie de genre existe depuis la nuit des temps. Ce que la nature a fait, nos sociétés l’ont pendant longtemps ignoré, marginalisé, psychiatrisé. Il a fallu attendre le début des années 1900 et les travaux scientifiques et médicaux du sexologue allemand Magnus Hirschfeld pour que soit documentée, définie et vulgarisée la transidentité.
M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait.
M. Hussein Bourgi. Mais, pendant des décennies, dans les représentations les plus populaires, y compris dans notre pays, les personnes transgenres étaient considérées comme des bêtes de foire que l’on allait voir au cabaret pour les moquer, les dévisager, les singer, parfois même pour les applaudir. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio s’exclame.)
À d’autres époques, les personnes transgenres ont été marginalisées et réduites à la prostitution. Mais, depuis quelques années, elles revendiquent leur droit à être considérées comme des citoyens et des citoyennes à part entière. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Et, ô surprise, il y a parmi elles des mineurs, soutenus par leurs parents et par leurs familles. Les personnes transgenres, mineures ou majeures, nous demandent tout simplement de ne plus leur infliger ni thérapies de conversion ni séances d’exorcisme. Elles nous demandent de les écouter et d’entendre leurs aspirations les plus intimes. Elles nous demandent de ne plus leur faire subir de parcours du combattant.
Mes chers collègues, cette proposition de loi risque demain, si elle est adoptée, de les lester de chaînes et de boulets ; or, vous le savez, l’instinct de survie, l’aspiration au bonheur et l’aspiration à la liberté seront toujours plus forts.
Derrière la transidentité, il y a l’humanité, celle de ces personnes qu’il faut respecter, celle aussi qui ne doit jamais nous quitter lorsque nous élaborons des propositions de loi, lorsque nous rédigeons des amendements, lorsque nous prenons la parole et lorsque nous votons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées des groupes RDSE et RDPI. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Je salue les propos mesurés de Cécile Cukierman, alors que nous ne partageons pas, je le sais, les mêmes opinions.
Au moment où s’ouvre un débat important, probablement passionné, je ne supporte pas d’entendre caricaturer la position du groupe Les Républicains ou de certains de mes collègues. Il n’y a pas, d’un côté, le camp du bien et, de l’autre, celui du mal. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Il n’y a pas, d’un côté, des transphobes et, de l’autre, des personnes pleines d’humanité !
Mme Laurence Rossignol. Un petit peu quand même…
M. Bruno Retailleau. Ce genre d’affirmation relève de l’insulte et d’une technique visant à verrouiller le débat. Nous ne sommes pas ici à l’Assemblée nationale ; nous sommes encore au Sénat.
Nous devons donc préserver la possibilité d’avoir une véritable conversation civique, d’échanger des arguments et non des invectives caricaturales !
Oui, nous avons voulu travailler ce texte, monsieur le ministre, non pas par dogmatisme, mais parce qu’il y a des problèmes. Certains pays sont en train de rétropédaler. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous, le droit de nous interroger ?
Comme Cécile Cukierman et Laurence Rossignol, je n’ai pas de certitudes. C’est justement parce que nous n’en avons pas que nous voulons absolument préserver, par devoir de précaution et dans un souci de prudence, des mineurs qui sont mal dans leur peau, et qui ne savent pas eux-mêmes s’ils sont dans une réelle dysphorie de genre, d’une chirurgie ou d’une hormonothérapie irréversibles. Tel est l’objet de ce texte !
Je remercie Jacqueline Eustache-Brinio et le rapporteur Alain Millon d’avoir trouvé le bon équilibre, auquel nous avons consenti non par dogmatisme, mais pour faire avancer le débat. Monsieur le ministre, cessez donc de nous caricaturer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Je pense que les éléments que j’ai apportés dans la discussion générale n’avaient rien de caricatural. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, vous m’avez écouté en silence. Si j’avais été dans la caricature, sans doute vous seriez-vous manifestés…
M. Bruno Retailleau. Nous sommes au Sénat !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Mon intention n’est pas de stigmatiser qui que ce soit. Ce débat…
M. Bruno Retailleau. … mérite d’être ouvert !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Bien sûr qu’il mérite d’être ouvert, monsieur le président Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Nous avons eu le courage de le faire !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. De manière balancée, j’ai reconnu dans la discussion générale que des questions se posaient concernant les mineurs. Pour autant, il nous manque aujourd’hui l’avis des scientifiques.
Je connais la sagacité d’Alain Milon et je sais qu’il a une connaissance fine de ces sujets. Je lui rappellerai néanmoins que la Haute Autorité de santé est là non pas pour produire des études scientifiques, mais pour faire la revue de toutes les études scientifiques et produire des méta-analyses. Sa vocation est de chercher le consensus et non de produire une étude de plus. Son objectif est de faire, de façon collégiale, en conformité avec son fonctionnement, la synthèse de l’ensemble des études scientifiques de manière à fixer une doctrine et à poser des repères.
Lors de mon intervention liminaire, j’ai mis l’accent sur la difficulté qu’il y aurait dans notre pays à trancher sur tous ces sujets complexes tant nous nous manquons de repères donnés par les hautes autorités scientifiques.
M. Bruno Retailleau. Justement !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il est difficile d’imaginer que la décision politique puisse prendre le pas sur l’analyse médicale et scientifique : voilà la cause que j’ai très modestement essayé de plaider, n’étant pas médecin.
Je suis totalement d’accord avec vous, monsieur le président Retailleau, ce sont des sujets qui méritent que l’on prenne le temps de la réflexion. Il s’agit d’aborder les choses non pas la main tremblante, comme lorsqu’il est question de la Constitution, mais en étant attentifs et précautionneux.
Sans doute la temporalité n’était-elle pas la bonne. J’ai écouté vos arguments. Mais la Haute Autorité de santé ayant indiqué travailler à poser un cadre sur ces sujets complexes, et après avoir écouté l’ensemble de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, il me semble préférable d’attendre l’avis des autorités scientifiques et médicales.
S’agissant de la pénalisation de la prescription, M. le rapporteur a pris l’exemple des interruptions volontaires de grossesse (IVG) sans consentement.
Mme Laurence Rossignol. Ce n’est pas la même chose !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. L’intitulé à lui seul – « IVG sans consentement » – signifie bien qu’il s’agit non pas d’une prescription, mais d’un acte qui est de fait en dehors du droit et du code général de la santé publique. Il faut donc comparer ce qui est comparable.
Je le répète : adopter l’article 2, c’est ouvrir une brèche et pénaliser la prescription par principe. Je vous laisse imaginer quelle serait la réponse de l’Ordre des médecins ou de la Haute Autorité de santé… Le législateur mettrait là le doigt dans un système dangereux.
M. Daniel Salmon. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.
Mme Mélanie Vogel. Je souhaite très brièvement dire deux choses.
Premièrement, rappelons les faits. Contrairement à ce que j’ai entendu dire ici ou là, il n’y a pas plus d’hommes trans que de femmes trans. Les chiffres de la Haute Autorité de santé témoignent plutôt du contraire. Par ailleurs, il n’y a pas plus de personnes trans parmi les victimes de violence. Cela n’a aucun rapport.
Deuxièmement, M. Retailleau déteste que l’on caricature les propos des uns ou des autres, que l’on dise qu’il y aurait, d’un côté, le camp des transphobes et, de l’autre, celui du bien. La réalité, c’est qu’il y a dans cet hémicycle des personnes qui souhaitent priver les mineurs d’accès aux soins et des personnes qui ne le veulent pas ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Vous ne voulez pas les protéger !
Mme Mélanie Vogel. C’est la réalité !
Cet article aura pour effet de priver des mineurs d’accès à des soins nécessaires : voilà la ligne de démarcation entre nous dans ce débat ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Vous dites vouloir empêcher les mineurs de faire des choix irréversibles et vous souhaitez leur laisser le temps de la réflexion. Mais je suis désolée, la puberté – cela ne se décide pas – intervient forcément avant la majorité ! Il n’y a aucun moyen de faire autrement. Ne pas donner accès aux traitements hormonaux et priver les enfants des bloqueurs de puberté aura des conséquences irréversibles ! Un enfant qui se suicide, c’est irréversible aussi ! Il n’y a pas de position de neutralité possible : soit ils ont accès aux soins, soit ils n’y ont pas accès. Dans les deux cas, c’est irréversible. Réfléchissez-y ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)
M. Laurent Burgoa. M. Iacovelli applaudit !
M. Xavier Iacovelli. Eh oui ! Cela vous pose un problème ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Brossat, Bacchi, Barros et Bocquet, Mme Corbière Naminzo, MM. Corbisez et Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec, Mme Margaté, MM. Ouzoulias et Savoldelli, Mme Varaillas et M. Xowie.
L’amendement n° 8 rectifié est présenté par Mme Guillotin, MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, M. Fialaire, Mme Girardin, MM. Gold et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et M. Roux.
L’amendement n° 32 est présenté par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Jadot, Mmes Guhl et de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Ian Brossat. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er. Les modifications apportées par le rapporteur en commission des affaires sociales pour atténuer les dispositions ses plus radicales n’obèrent en rien l’intention des auteurs de ce texte d’interdire la prise en charge des parcours de transition des mineurs.
De fait, en réservant aux services hospitaliers spécialisés la prescription aux mineurs des bloqueurs de puberté et en établissant un délai de carence de deux ans avant la primoprescription, l’article 1er porte atteinte à l’accès aux soins des personnes mineures.
En France, 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté après un délai moyen de dix mois entre la première consultation et la mise en place du traitement, selon la Défenseure des droits.
En retardant l’accès au traitement, vous maintenez ces jeunes dans leur souffrance. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié.
M. Philippe Grosvalet. Alors qu’une grande majorité d’études soulignent les bienfaits de l’accès à un traitement adéquat pour la personne en dysphorie de genre, c’est le chemin inverse qui est proposé ici au travers de cet article, lequel vise ni plus ni moins – quoi qu’en disent ses auteurs – à supprimer la possibilité d’une transition médicale et sociale pour les mineurs.
Or il est primordial que l’intervention médicale auprès des mineurs transgenres se fasse, comme le souligne la Défenseure des droits, dans la poursuite de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela suppose que le législateur n’entrave aucunement les possibilités offertes aux professionnels de santé de poursuivre les soins nécessaires au bien-être du mineur.
Par ailleurs, l’application d’une telle mesure peut avoir des conséquences lourdes – cela a été souligné maintes fois –, voire tragiques, sur la santé des mineurs en dysphorie de genre. Rappelons que ces personnes sont davantage discriminées, stigmatisées, que les risques de dépression, de mutilations parfois, voire de pensées suicidaires, suivies, trop souvent, hélas ! de passages à l’acte, sont accrus.
Les traitements hormonaux et, à titre tout à fait exceptionnel – comme cela a aussi été souligné maintes fois –, les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle, qui sont très rares, constituent une voie salvatrice dans une période de vie très complexe pour la personne mineure en questionnement de genre.
De manière générale, une transition de genre doit s’effectuer dans le cadre d’un parcours de santé spécifique, avec une écoute et un accompagnement par du personnel médical formé et aguerri sur ces sujets, ainsi que l’a rappelé la Défenseure des droits dans son rapport.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour présenter l’amendement n° 32.
Mme Anne Souyris. Il est identique aux précédents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’article 1er a été modifié en commission, car nous avons souhaité que le ministère agrée des équipes spécialisées dans chaque région. Il en existe actuellement une quinzaine sur l’ensemble du territoire, mais qui le sait ?
Les parents d’enfants transgenres ayant besoin de soins vont généralement consulter leur médecin traitant, qui ignore la plupart du temps que le centre hospitalier universitaire (CHU) le plus proche dispose d’une équipe spécialisée. Voilà pourquoi nous demandons que le Gouvernement et les agences régionales de santé signalent ces équipes et en fassent la publicité sur internet ou autres afin que les parents ne soient pas orientés n’importe comment, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.
Il existe à Lyon une équipe spécialisée très performante, mais qui le sait ? Personne ! Si son existence était signalée, les parents pourraient s’adresser à elle et leur enfant pourrait être très vite pris en charge. Nous voulons que les parents sachent à qui s’adresser pour que les enfants soient correctement orientés.
J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Nous avons auditionné les équipes médicales. Toutes sont formelles : à raison d’une consultation toutes les six semaines, il faut en moyenne deux ans – et non un – pour acquérir la certitude du bon diagnostic et pour commencer le traitement. Si un enfant consulte à 11 ou à 12 ans, il aura entre 13 et 16 ans au moment des traitements hormonaux. Ce que nous proposons est donc logique. C’est le fruit de nos auditions auprès d’équipes médicales spécialisées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)