Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion contestent sur le fond l’encadrement de la prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs, au motif que celui-ci serait contraire à leur droit à l’autodétermination et empêcherait la prescription de traitements dont l’efficacité est établie.

Sur le premier point, je rappelle que le texte que nous examinons consacre désormais l’existence de centres de référence spécialisés, qui permettront d’améliorer la prise en charge et du mineur et des parents.

L’encadrement proposé n’aura aucune incidence sur la faculté des mineurs à entreprendre une transition administrative et n’empêchera pas leur accompagnement dans la transition sociale. Il vise seulement à différer la prescription de médicaments et la réalisation d’interventions irréversibles.

Le texte prévoit une prise en charge du mineur et de sa famille par des équipes spécialisées, composées notamment de pédopsychiatres, d’endocrinologues pédiatres, d’assistantes sociales et de psychologues, afin d’émettre un diagnostic.

Les équipes que j’ai rencontrées, qui font déjà ce travail sans être répertoriées ni reconnues comme telles, m’ont dit qu’il leur fallait, au rythme d’une consultation toutes les six semaines, au moins deux ans à deux ans et demi avant d’acquérir la certitude du diagnostic précis.

Sur le deuxième point, les bloqueurs de puberté et les traitements hormonaux sont certes prescrits de longue date, mais dans d’autres indications.

Toutefois, dans le cas de la dysphorie de genre, plusieurs revues internationales ont récemment pointé le manque d’études de qualité. La commission a donc adopté une clause de revoyure permettant de réexaminer ces dispositions dans cinq ans au regard de l’avancée de la recherche.

Pour ces raisons, la commission estime nécessaire que le Sénat mène les débats à leur terme sur ce texte très important, comme en témoignent nos premiers échanges, et émet un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Sagesse.

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Étant donné que les personnes directement concernées sont invisibilisées et qu’elles ne pourront pas s’exprimer au cours de ce débat, je voudrais partager avec vous le témoignage de Maël, qui a commencé sa transition étant mineur.

« J’ai personnellement eu la chance d’être très bien entouré, mais le parcours n’en reste pas moins semé d’embûches et de vexations.

« L’obstacle principal consiste, encore plus quand on vit en province, à trouver des professionnels compétents et à obtenir un rendez-vous. Cela peut prendre de trois mois à plus d’un an, ce qui crée et renforce un sentiment d’isolement.

« Je trouve la proposition de loi et la haine en retour que nous subissons profondément violentes et scandaleuses. Je trouve cela déplacé et je le ressens comme une atteinte à ma liberté et à mon intégrité.

« Je trouvais que les choses avaient évolué, car ma prise de conscience s’est faite grâce à l’ouverture de la société – qui semblait s’y adapter – sur cette question.

« Maintenant, je constate une énorme régression.

« Si la loi était votée, je me sentirais blessé et stigmatisé, alors que la seule chose que je demande, c’est de vivre sans perdre chaque jour le courage de continuer d’avancer.

« Si j’avais été mineur et que la loi avait été votée, cela m’aurait humilié et je me serais peut-être même retrouvé dans l’illégalité, en faisant en sorte de continuer ma transition pour ne pas avoir à souffrir encore de nombreuses années. »

Ce témoignage est celui de mon neveu, Maël. (M. Stéphane Ravier sexclame.)

Mes chers collègues, j’ai pu voir concrètement les conséquences dévastatrices de votre entreprise idéologique sur les personnes concernées. Notre rôle de législateur est non pas de leur rendre la vie impossible, mais de respecter leur choix et de les accompagner dans le respect de leurs droits.

C’est pourquoi nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce débat, nous parlons de jeunes, de mineurs, d’enfants qui s’interrogent leur identité de genre et qui ont besoin de bienveillance, de soutien et d’accompagnement. Or cette proposition de loi vise à interdire et à sanctionner ; c’est bien la raison pour laquelle elle est aux antipodes de ses prétendus objectifs.

Ce texte, s’il était adopté, ne protégerait pas les enfants ; il les exposerait davantage, il les fragiliserait à l’âge de l’adolescence, qui est toujours un âge compliqué. Nous y sommes donc tout à fait opposés.

S’il est un drame, ce n’est pas que des jeunes se posent des questions sur leur identité de genre. Le drame, ce sont les violences, les insultes et la transphobie que ces questionnements engendrent. C’est bien contre cela que nous devrions, les uns et les autres, nous mobiliser. C’est ainsi que nous éviterons des drames malheureusement trop fréquents.

Pour ces raisons, nous voterons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour explication de vote.

M. Philippe Grosvalet. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), une fois n’est pas coutume, votera à l’unanimité contre cette proposition de loi.

Toutefois, par principe, le RDSE n’a jamais refusé le débat. Nos échanges montrent d’ailleurs que nous discutons d’une question idéologique, de fond, qui sans cesse ressurgit.

Les auteurs de cette proposition de loi sont ceux-là mêmes qui, à l’époque, étaient contre l’avortement, contre le mariage pour tous, contre l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements et marques dapprobation sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST, RDPI et RDSE.)

M. Hussein Bourgi. C’est la vérité !

M. Philippe Grosvalet. Le débat est idéologique : assumez-le ! Assumez vos positions et ne vous cachez pas derrière des faux-semblants ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Par principe, nous ne voterons pas cette motion ; mais nous voterons à l’unanimité contre cette proposition de loi inique.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 201 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l’adoption 118
Contre 206

Le Sénat n’a pas adopté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion générale

7

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, et M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, ont demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi n° 551 (2023-2024), pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet et son examen selon la procédure de législation en commission.

Nous pourrions inscrire les explications de vote et le vote sur ce texte le jeudi 13 juin, à l’issue de l’espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

La commission des lois pourrait se réunir le mercredi 5 juin au matin pour l’examen du texte et du rapport.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé au lundi 10 juin à douze heures et le délai limite pour l’inscription des orateurs des groupes au mercredi 12 juin à quinze heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Lors du scrutin n° 201 sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Martin Lévrier souhaitaient voter contre.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Mme Brigitte Devésa. Lors du même scrutin n° 201, M. Vincent Capo-Canellas ainsi que Mmes Élisabeth Doineau, Catherine Morin-Desailly, Dominique Vérien et Sylvie Vermeillet ont été considérés comme votant contre, alors qu’ils ne souhaitaient pas prendre part au vote, et M. Bernard Pillefer et Mme Nadia Sollogoub ont été considérés comme votant contre, alors qu’ils souhaitaient s’abstenir.

M. le président. Acte vous est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique du scrutin.

9

Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Motion préjudicielle

Prise en charge des mineurs en questionnement de genre

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’examen de la motion préjudicielle.

Motion préjudicielle

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Souyris et Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et Mélanie Vogel, d’une motion préjudicielle n° 42.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 4, du Règlement, le Sénat décide de suspendre le débat sur la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre (n° 623, 2023-2024) jusqu’à ce que la Haute Autorité de santé ait rendu ses recommandations concernant la prise en charge des mineurs transgenres.

La parole est à Mme Anne Souyris, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Patricia Schillinger applaudissent également.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons que se trouvent dans l’hémicycle, ce soir, des militantes et des militants favorables ou défavorables au texte qui nous réunit.

À ceux-là, j’ai peu à dire. Chacune et chacun connaît la position des unes et des autres. D’ailleurs, je ne ferai pas mine de n’appartenir à aucun des camps qui se font jour : je suis, comme les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, clairement opposée aux mesures figurant dans cette proposition de loi.

Je souhaite plutôt m’adresser à celles et ceux qui, au fond, ne savent pas ; à celles et ceux qui se demandent vraiment si les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre sont un risque pour le ou la mineure auxquelles elles sont prodiguées ; à celles et ceux qui ont probablement une opinion, mais qui s’autorisent à se poser des questions.

J’ai d’ailleurs fait partie de ce dernier groupe, avec d’autres collègues, bien peu nombreux, qui ont assisté aux auditions du rapporteur. Nous nous interrogions : faut-il encadrer les pratiques médicales à destination des mineurs trans ? Celles-ci sont-elles dangereuses ?

Comme ont pu le faire sans doute d’autres collègues pour tenter de répondre à cette question, j’ai interrogé des proches, des amis, dont les enfants ont bénéficié de ces pratiques médicales.

Je ne vous répéterai pas ce qu’ils m’ont dit : vous avez toutes et tous, mes chers collègues, reçu des centaines d’interpellations citoyennes, qui résument bien mieux que moi ce que vivent les personnes trans ou leurs parents, en quoi consiste le parcours médical d’un ou d’une mineure trans et les difficultés qu’ils rencontrent pour simplement être écoutés et accompagnés.

Depuis que cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour du Sénat, j’ai reçu, comme vous, des centaines de messages. Les témoignages se multiplient et se ressemblent : sans ces pratiques médicales, ces jeunes – osons le mot – seraient morts. Notre vote ce soir aura une importance particulière pour eux.

Malgré ces centaines d’interpellations, la question subsiste : que nous disent les expertes et les experts de ces pratiques médicales ? Commençons par rappeler de quoi il s’agit.

Les bloqueurs de puberté visent à inhiber temporairement la production naturelle d’hormones sexuelles pour retarder le début de la puberté. Ils permettent de donner davantage de temps aux jeunes en questionnement de genre pour explorer leur identité de genre et prendre des décisions éclairées concernant la suite de leur parcours de transition. Ces bloqueurs sont prescrits sur avis médical, avec l’accord des parents, pour une durée limitée, et sous surveillance.

Les traitements hormonaux sont utilisés pour favoriser le développement du corps de manière qu’il soit en cohérence avec l’identité de genre de la personne. Ils agissent notamment sur l’aspect de la poitrine, de la voix ou de la pilosité. Aujourd’hui, ces traitements ne sont autorisés qu’à partir de l’âge de 16 ans, si l’autorité parentale y consent.

Les opérations chirurgicales de réassignation de sexe concernent les organes génitaux. Celles-ci sont interdites avant l’âge de 18 ans.

Les opérations chirurgicales de réassignation de genre, quant à elles, visent à affirmer le genre des personnes : il s’agit surtout de torsoplasties, qui sont interdites avant l’âge de 16 ans. Elles sont réalisées en moyenne à 18,4 ans, selon l’étude réalisée sur les 239 jeunes pris en charge à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière depuis 2012. Elles ne concernent qu’un jeune homme trans sur cinq parmi ceux qui étaient suivis, soit une extrême minorité.

Pour savoir plus précisément de quoi il était question, j’ai donc assisté aux auditions du rapporteur. Permettez-moi de vous dire, chers collègues, que je me suis trouvée bien seule avec M. Milon et Mme Silvani lors de la vingtaine d’auditions organisées…

M. Alain Milon, rapporteur. C’est vrai !

Mme Anne Souyris. Nous étions par contre très nombreux lors de l’audition de l’Observatoire de la petite sirène, dirigé par Mmes Céline Masson et Caroline Eliacheff, qui ont participé à la rédaction de la proposition de loi. Mais nous étions très seuls lors des auditions de la Haute Autorité de santé, de l’Académie nationale de médecine, du Conseil de l’Ordre des médecins…

Les expertes et les experts que nous avons auditionnés sont unanimes : le cadre légal, que j’ai rappelé, existe et est respecté ; les pratiques médicales que j’ai évoquées ne touchent que très peu de jeunes – environ 300 en France. Surtout, elles et ils n’ont à aucun moment affirmé que nous devrions faire évoluer la législation.

Quant à la volonté de retour en arrière, elle n’est exprimée que dans 2 % des cas. Et celles et ceux qui sont concernés, quand iels expriment un désir de retransition, le font, de leur aveu même, dans la quasi-totalité des situations, pour cause de discrimination sociale.

Comme d’autres, je fus surprise par ces affirmations, alors que l’autrice de cette proposition de loi a publié, voilà quelques semaines, un « rapport » de 300 pages justifiant le dépôt de ce texte. J’ai mieux compris lorsque, lors de leurs auditions, ces expertes et ces experts ont affirmé que leurs propos avaient été tronqués. Je ne m’étendrai pas beaucoup plus sur ce rapport, la presse ayant déjà eu l’occasion de souligner qu’il s’agissait d’une supercherie.

Faut-il encadrer davantage ces pratiques médicales – qui le sont déjà –, qui permettent à environ 300 jeunes de survivre ? Comment le justifier ?

Le rapporteur a répondu très élégamment à cette question devant la commission des affaires sociales, en ces termes : « Il ne va pas de soi que le législateur doive intervenir ainsi dans la pratique médicale : […] il ne peut le faire que guidé par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. »

Je rejoins M. Milon : non, il ne va pas de soi que le législateur intervienne dans la pratique médicale ; et oui, cette intervention ne peut être motivée que par d’impérieux motifs éthiques ou de santé publique. Sommes-nous en présence de tels motifs ?

Si ceux-ci sont éthiques, la question est de savoir comment nous jugeons les pratiques médicales liées à la transidentité.

Tenter de répondre à cette question n’apporterait rien de bon à notre assemblée. D’autres, en leur temps, ont tenté de juger les minorités sexuelles – homosexuelles, lesbiennes, aujourd’hui trans. Souvenons-nous-en : nous serons d’accord pour dire qu’ils n’étaient pas du bon côté de l’histoire.

Si ces motifs relèvent de la santé publique, la question est de savoir si nous disposons de preuves solides montrant qu’il est nécessaire de renforcer l’encadrement de ces pratiques.

Nous sommes nombreuses et nombreux à penser ici que nous ne pouvons exercer correctement notre rôle de législateur qu’en étant éclairés des dernières connaissances scientifiques, de données exactes et vérifiées, en particulier lorsque ce que nous votons a trait à la liberté de disposer de son corps.

La réalité, c’est qu’aucune agence sanitaire nationale n’a publié d’avis ou de recommandations en ce qui concerne la prise en charge médicale des personnes mineures en questionnement de genre.

Aucune n’en a publié à ce jour, car la Haute Autorité de santé travaille actuellement sur cette question, comme le ministre l’a rappelé. Lors de son audition, la Haute Autorité nous a informés qu’elle publierait ses recommandations en 2025. Certains mettent en cause son travail : je ne suis pas de ceux-là et je n’imagine pas qu’une majorité joue ici le jeu du populisme en faisant accroire que nos institutions scientifiques seraient manipulées par les uns ou par les autres.

Dès lors, devrions-nous examiner une proposition de loi sur un enjeu – disons-le – de bioéthique sans qu’aucune autorité sanitaire nationale ait publié de recommandation nous invitant à légiférer, alors que la Haute Autorité de santé publiera dans un an des préconisations sur le sujet et alors, enfin, que restreindre un peu plus l’accès aux traitements constituerait de facto un préjudice pour celles et ceux qui commençaient à aller mieux grâce à ces mêmes traitements ?

Légiférer aujourd’hui, c’est d’abord méconnaître la démarche démocratique que – j’en suis sûre – nous partageons, fondée sur la connaissance scientifique. Je ne suis pas de ceux qui disent que nous n’avons que faire de la science.

Si nous légiférons aujourd’hui, nous devrons de nouveau le faire dans un an, à l’aune des recommandations de la Haute Autorité de santé. Faut-il nous entêter, alors que, de toutes les travées, nous appelons à mieux et à moins légiférer ?

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires présente cette motion préjudicielle. L’idée est simple : tant que la Haute Autorité de santé n’aura pas rendu ses recommandations, nous refusons toute discussion sur une proposition de loi relative à cette question.

Il s’agit de dire si, oui ou non, nous devons légiférer à partir d’un avis sanitaire reconnu, sur la base des dernières connaissances scientifiques.

J’invite toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans cette démarche à voter en faveur de cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion souhaitent reporter l’examen de la proposition de loi à la publication des recommandations de la Haute Autorité de santé concernant les mineurs, au motif que légiférer dès maintenant serait contraire à une démarche démocratique fondée sur la connaissance scientifique.

D’abord, il faut observer que lesdits auteurs ne précisent pas à quelles recommandations ils font référence. La Haute Autorité de santé doit publier à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine ses recommandations visant les personnes âgées de 16 ans et plus. Celles-ci concerneront donc bien une partie des mineurs : ceux qui ont entre 16 ans et 18 ans.

La Haute Autorité publiera dans un second temps, mais pas avant la fin de l’année 2025, des recommandations visant les mineurs de moins de 16 ans.

Il faut également préciser que ces recommandations ne tendent pas à faire évoluer les connaissances scientifiques, comme l’écrivent les auteurs de la motion dans son objet. Elles sont établies par un groupe de travail puis adoptées par le collège de la Haute Autorité. Elles se fondent sur « la mobilisation des connaissances disponibles à travers la recherche systématique et l’analyse critique de la littérature » existante. J’insiste sur ce point.

Enfin, j’ai auditionné la Haute Autorité de santé. Nous n’étions d’ailleurs que deux sénateurs présents, comme vient de le souligner ma collègue… Les représentants de la HAS ont précisé que celle-ci respecterait bien évidemment la loi lorsqu’elle établirait ses recommandations. Que le Gouvernement ait saisi la HAS pour qu’elle mette à jour ces recommandations ne dessaisit donc pas le Parlement.

Il ne revient pas davantage à la haute Autorité de santé de fixer l’ordre du jour du Sénat.

J’ai déjà indiqué les raisons pour lesquelles il me semblait nécessaire que nous débattions de ce sujet et que nous encadrions la prise en charge des mineurs.

Des revues internationales font état de la qualité insuffisante des études existantes. Les effets des traitements que nous proposons de différer sont lourds et irréversibles.

La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix la motion préjudicielle n° 42.

Je rappelle que l’adoption de cette motion aurait pour effet de renvoyer le débat.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 202 :

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 300
Pour l’adoption 115
Contre 185

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Motion préjudicielle
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, loin d’apporter des solutions pour les mineurs en situation de dysphorie de genre, comporte des éléments préoccupants, qui nous conduisent à nous interroger.

Lors de l’examen en commission des affaires sociales, notre rapporteur, dont le travail est à souligner, a tenté de poser des garde-fous et d’objectiver un débat qui partait sur de mauvaises bases.

Rappelons que l’article 1er de la proposition de loi tendait à interdire, sans aucun fondement scientifique, la prescription de bloqueurs de puberté et de traitements hormonaux aux mineurs présentant une dysphorie de genre.

Ces traitements sont utilisés depuis plus de quarante ans pour traiter la puberté précoce, sans que la communauté médicale remette en question cette pratique.

Au-delà de ce cas thérapeutique, ils permettent aussi aux mineurs en détresse, en raison de l’inadéquation entre le genre ressenti et le sexe de naissance, de faire une pause afin de mûrir leur réflexion sur leur identité de genre.

Or cette interdiction générale, qui a été assouplie en commission grâce au travail du rapporteur, ne semble pas prendre en compte les avis médicaux et scientifiques sur le sujet.

À cet égard, il est important de rappeler quelques chiffres.

En 2020, la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) a recensé 8 952 personnes souffrant d’une affection de longue durée pour transidentité, dont 3,3 % seulement étaient mineures. Parmi ces dernières, une petite dizaine d’enfants à peine est concernée par cette proposition de loi visant à interdire la prise d’hormones.

Actuellement, ces jeunes peuvent, sous un encadrement déjà strict, recourir à des bloqueurs de puberté et à des traitements hormonaux. Ces procédés sont réversibles, contrairement aux opérations chirurgicales de changement de genre, qui sont interdites aux moins de 18 ans, comme le ministre l’a rappelé.

En privant ces jeunes d’un suivi nécessaire, nous risquons de voir se développer un marché parallèle, hors de tout contrôle, et de les mettre en danger. Le risque est aussi d’augmenter leur détresse psychologique, qui peut les pousser jusqu’au suicide.

L’autorisation, conformément à la volonté du rapporteur, des bloqueurs de puberté après une période d’accompagnement de deux ans ne semble pas changer grand-chose dans les faits. Pis, cette nouvelle rédaction déguise la mesure voulue par les auteurs de cette proposition de loi, tout en aboutissant aux mêmes résultats.

Le plus souvent, ces traitements sont prescrits à l’âge où la puberté est la plus forte, c’est-à-dire à 15 ans ou à 16 ans.

Conditionner cette autorisation thérapeutique à une période probatoire de deux ans revient quasiment à interdire l’utilisation de ces traitements avant la majorité, donc à revenir à la version initiale du texte.

Les auteurs de cette proposition de loi avancent qu’il existerait une forme d’« idéologie trans ». Ils dénoncent « les transactivistes et leur idéologie qu’on a laissée entrer dans toutes les strates de la société et en particulier à l’école ». Une « mode trans » s’emparerait des jeunes de notre pays. Voilà qui revient à nier la réalité des difficultés qu’ils traversent.

Ces traitements sont une nécessité pour ces jeunes, qui se sont engagés dans un processus long et complexe de réflexion et d’accompagnement pluridisciplinaire, impliquant des médecins, des psychologues et surtout les familles. Les présenter comme « une mode » ou « une décision hâtive » est non seulement discriminant, mais également stigmatisant pour ces jeunes, qui sont en grande détresse morale.

Alors que nous attendons l’avis de la Haute Autorité de santé, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, pour établir des recommandations claires et transparentes, vous préférez adopter une proposition de loi idéologique, qui interdit sans aucun fondement scientifique. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.)

Pis encore, vous souhaitez sanctionner pénalement, en prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement, les médecins qui ne font qu’exercer leur métier en accompagnant ces jeunes. Ce message de répression contraste fortement avec l’esprit d’accompagnement et de compréhension qui devrait prévaloir dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre.

Et que dire de l’article 3, certainement le plus scandaleux de ce texte ? Vous souhaitez créer une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, afin de prendre en charge les mineurs en situation de souffrance. Vous liez ainsi, dans le même texte, psychiatrie et dysphorie de genre !

Qu’on se le dise, le soutien psychologique est primordial ; mais il est totalement inapproprié, comme le ministre l’a souligné, d’évoquer la santé mentale des jeunes dans un texte relatif à la dysphorie de genre. Pourquoi aborder la question de la psychiatrie dans cette proposition de loi, alors que la transition de genre n’est considérée comme une maladie mentale ni par la France ni par l’OMS ?

La transition de genre n’est pas une maladie et ne doit pas être traitée comme telle. Si un accompagnement psychologique peut être nécessaire, il revient au corps médical de le décider et certainement pas au législateur.

Ôtez-nous d’un doute, mes chers collègues : existe-t-il un lien entre les sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi et ceux qui ont voté contre la suppression des thérapies de conversion ? Ce sont les mêmes ! (M. Thomas Dossus et Mme Mélanie Vogel renchérissent.)