Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Je comprends l’intérêt de ces dispositions, dont l’objet est de contourner l’extraterritorialité du droit américain, mais j’ai un vrai doute sur leur portée opérationnelle, au vu de la disponibilité insuffisante de l’offre informatique en matière de sécurité du nuage à laquelle il faudrait avoir recours. En effet, comme nous le savons tous, une bonne part de l’offre en la matière est américaine.
Je sollicite donc l’avis du Gouvernement sur cet amendement, en particulier sur le caractère opérationnel de son dispositif.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stanislas Guerini, ministre. Je vais essayer de répondre à votre sollicitation, madame la rapporteure.
Je veux tout d’abord rappeler que l’enjeu soulevé ici, à savoir la protection des données sensibles, est évidemment essentiel pour l’État. Je comprends donc la finalité des dispositions proposées. Je ne puis à cet égard que souligner la valeur du référentiel SecNumCloud de l’Anssi, dispositif qui vise à soumettre les fournisseurs de solutions cloud à certaines contraintes.
Cependant, en adoptant cet amendement, on manquerait en quelque sorte la cible, puisque les contraintes que nous avons mises en place visent les fournisseurs de solutions techniques et non d’autres acteurs.
On constate que de plus en plus de solutions de cloud de confiance sont développées par des entreprises souveraines, françaises – c’est toute la vertu du système qui a été mis en place –, mais ces contraintes doivent s’appliquer aux prestataires informatiques qui fournissent ces solutions et non pas à ceux qui, comme les cabinets de conseil, les utilisent. En visant ces derniers, je le répète, on manquerait la cible.
Je vous invite donc à retirer cet amendement, madame la sénatrice, pour la bonne effectivité des dispositions auxquelles vous souscrivez. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Même avis, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Blatrix Contat, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?
Mme Florence Blatrix Contat. Oui, madame la présidente. Je ne retirerai pas cet amendement, car il faut s’assurer que les cabinets de conseil aient recours à ces solutions sécurisées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je voterai l’amendement de Mme Blatrix Contat, car il est de bon sens et tend à s’inscrire dans le droit fil des travaux de notre commission des affaires européennes sur tous les sujets relatifs à la souveraineté de nos données.
En la matière, le recours à des solutions technologiques extraeuropéennes, quand bien même elles répondent au référentiel SecNumCloud, est toujours dangereux. En effet, l’exterritorialité des lois américaines fait que ces données peuvent, à tout moment, être transférées vers les États-Unis, sans que leurs détenteurs en soient informés ou aient une possibilité de recours.
Les dispositions proposées sont également dans le droit fil des articles 31 et 32 de la loi Sren.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Je me permets de faire observer que, en rejetant cet amendement, nous pourrons adopter l’article 18 sans modification par rapport à la version de l’Assemblée nationale.
Ce vote conforme clora la discussion, ce qui permettra de considérer comme acquis, dès à présent, tous les principes de l’audit de sécurité. Cela constituerait déjà un sacré progrès ! Parfois, le mieux est l’ennemi du bien.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Eh oui !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 18.
(L’article 18 est adopté.)
Chapitre VI
Entrée en vigueur
Article 19
I. – La présente loi s’applique aux prestations de conseil en cours à la date de sa promulgation, sous réserve des dispositions suivantes :
1° Le code de conduite prévu au II de l’article 9 est rédigé dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi ;
2° Les déclarations d’intérêts des prestataires de conseil et des consultants, prévues à l’article 10, sont adressées à l’administration bénéficiaire dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi.
II. – Les prestations de conseil à titre gracieux, en cours à la date de promulgation de la présente loi, cessent de plein droit, à l’exclusion de celles qui relèvent du champ d’application de l’article 238 bis du code général des impôts.
III. – L’article 16 s’applique aux avis rendus par la Haute Autorité de la transparence de la vie publique à compter de la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. L’amendement n° 39, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre. Comme je l’ai déjà fait en première lecture, je demande au travers de cet amendement la suppression de l’article 19, tout simplement pour respecter la liberté contractuelle garantie par la Constitution.
Des dispositions législatives ne sauraient être appliquées de façon rétroactive à des contrats en cours. Je soumets ce point à la vigilance de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. Monsieur le ministre, les incertitudes qui demeurent quant au calendrier d’examen de ce texte ne permettent pas de garantir sa date d’adoption définitive, à moins que vous ne les leviez à présent devant nous. Il nous apparaît donc primordial d’assurer que la loi sera appliquée de façon effective dès sa promulgation, et non pas seulement à l’expiration des accords-cadres conclus pour une durée de quatre ans.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre. Si vous m’invitez, madame la rapporteure, à mettre en valeur l’accord-cadre, tel qu’il a été conclu par le Gouvernement et tel qu’il s’applique d’ores et déjà, je ne puis que le faire une nouvelle fois.
Ainsi, pour reprendre le sujet qui nous occupait il y a un instant, il est désormais prévu que les données doivent être supprimées par les cabinets de conseil dès que la mission est terminée, et, à l’inverse, qu’elles sont capitalisées par les administrations.
Je le redis, les recommandations de votre commission d’enquête ont presque toutes été intégrées dans l’accord-cadre élaboré par la direction interministérielle de la transformation publique pour toutes les administrations d’État ; elles sont par conséquent d’ores et déjà effectives.
Je n’ai donc pas attendu pour faire appliquer ces dispositions par le Gouvernement et l’État !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. La pédagogie est l’art de la répétition… J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais, à ce jour, ne connaissant pas la suite du calendrier législatif, j’ignore si le texte sera promulgué avant la négociation du prochain accord-cadre.
Mon avis reste donc défavorable.
Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous voterons évidemment la version sénatoriale dont nous venons d’adopter les articles. Toutefois, monsieur le ministre, après Mme la rapporteure, je voudrais vous rappeler que nous ignorons tout du calendrier d’examen de ce texte et de la date à laquelle il pourra être définitivement adopté.
Nous savons en revanche que les débats budgétaires commenceront à l’automne et que les premières décisions seront prises dans quelques semaines.
À cet égard, je veux attirer votre attention sur la nécessité absolue de disposer lors de ce débat du document budgétaire qui, même si son principe n’est pas encore inscrit dans la loi, nous a été promis lors de nos précédents débats. Il faut surtout que ce document de politique transversale relatif au recours aux cabinets de conseil soit plus complet cette année qu’il ne l’a été ; nous avons été nombreux à souligner ici ses diverses carences.
C’est donc le moment, monsieur le ministre, de faire montre de votre bonne volonté. Ainsi, dès l’automne prochain, quand la discussion budgétaire commencera, si le présent texte n’est pas définitivement adopté, nous serons au moins en possession d’un document budgétaire conforme à la réglementation, qui nous permettra de suivre la réalité de l’utilisation de ces cabinets de conseil dans les différents ministères.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Nous voterons bien sûr ce texte, dont l’examen en séance a permis de revenir à l’esprit de la commission d’enquête. Tout n’a pas été rétabli, mais cette version représente une avancée que nous prenons en compte.
Nous allons donc, bien sûr, nous associer au vote positif de notre assemblée sur l’ensemble de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.
Mme Audrey Linkenheld. Je vous confirme, après l’avoir indiqué dans la discussion générale, que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi.
En effet, nous sommes favorables à l’instauration d’une relation de transparence entre les cabinets de conseil privés et les administrations et les opérateurs de l’État. Quand je parle d’une relation de transparence, cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas avoir recours à ces cabinets de conseil ; simplement, il faut que cela se fasse dans des conditions différentes de celles qui avaient été constatées par la commission d’enquête sénatoriale.
Toutefois, nous tenons aussi, par la même occasion, à redire que l’État dispose de fonctionnaires de très bon niveau, dont les compétences sont souvent équivalentes à celles des salariés des cabinets de conseil, mais qui ont un petit plus : le sens du service public et de l’intérêt général.
Nous sommes ravis que cette proposition de loi soit adoptée aujourd’hui et nous espérons qu’elle parviendra à son terme, malgré les manœuvres dilatoires du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je voterai ce texte. J’en profite pour saluer l’excellent travail accompli pour son élaboration, ainsi que la réflexion qui a permis de reconnaître la nécessité de légiférer sur ce sujet.
Toutefois, je voudrais aussi rappeler l’absurdité d’élargir les missions de la Cnil d’une manière incohérente par rapport au texte fondateur qu’est la loi Informatique et Libertés. On n’est pas allé jusqu’au bout de la logique : en trafiquant les missions d’une autorité indépendante sans réaliser les études d’impact nécessaires ni, surtout, donner à la Cnil les moyens d’exécuter les missions qu’on lui confie, on succombe à une forme d’incohérence, que je tenais à relever.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure. À mon sens, ce vote du Sénat mettra une fois de plus en valeur la qualité des travaux de la commission d’enquête emmenée par Mme Assassi et M. Bazin. Des commissions d’enquête de qualité débouchent naturellement sur des propositions de loi transpartisanes ; on arrive à cheminer ensemble.
Monsieur le ministre, je veux vous alerter sur un point. Je demeure convaincue que la publication des travaux de la commission d’enquête et les premiers débats que nous avons eus au Sénat ont modifié culturellement le rapport que l’on a avec les cabinets de conseil et l’approche que l’on a de leur lien avec l’action publique. Il nous faut maintenant confirmer ce changement, en l’inscrivant dans cette proposition de loi.
Nous connaissons tous les méandres, parfois tortueux, du travail législatif. Cependant, monsieur le ministre, vous avez plusieurs cartes en main pour garantir que l’examen de ce texte se poursuive, à l’Assemblée nationale, dans un délai raisonnable : il ne faudrait pas que nous attendions encore plusieurs mois sa prochaine lecture par l’autre chambre du Parlement.
Je crois en effet que nous avons tous besoin de ce texte, car nous devons avant tout rétablir la confiance dans l’action publique, l’administration de l’État et le recours à des prestataires, quels qu’ils soient.
Il me semble donc important de s’assurer, dans le respect de chacune des chambres, que l’Assemblée nationale puisse reprendre ce texte, par le biais notamment de son inscription à l’ordre du jour lors d’une semaine gouvernementale, de manière à réellement aboutir sur ce sujet-là.
Je ne doute pas que, dans ce cas, vous pourrez convoquer très rapidement une commission mixte paritaire, pour qu’un texte soit promulgué dans un délai raisonnable.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte dans la version que le Sénat a rétablie, en commission et par nos votes en séance publique. Ainsi, la substantifique moelle issue de la commission d’enquête figurera bien dans le texte que nous voterons, ce dont je me réjouis.
Je voudrais, monsieur le ministre, vous adresser à mon tour un appel : faites en sorte que nous n’attendions pas un an ou un an et demi encore la prochaine lecture de ce texte par l’Assemblée nationale. Vous avez les cartes en main pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de l’autre chambre, pour que celle-ci le vote et pour qu’il entre, enfin, dans notre droit.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre : pour notre part, nous avons fait deux fois le travail, d’abord avec la commission d’enquête, ensuite en rétablissant l’équilibre de ce texte. En effet, l’équilibre auquel vous avez fait allusion est bien dans le texte que nous allons voter !
Maintenant, il vous revient de faire en sorte que cet équilibre s’exprime pleinement, en mettant la proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que l’on puisse finaliser le travail accompli par le Sénat tout entier.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Je renouvelle évidemment mes remerciements à Mme la rapporteure et à la commission des lois, qui ont, encore une fois, réalisé un travail très important et intéressant.
J’aimerais surtout vous faire part du sentiment qui est le mien aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans la même situation qu’à l’époque de la commission d’enquête. Je crois que les cabinets de conseil eux-mêmes ont évolué. Ils ont pris en compte la réaction du public et celle de la représentation nationale. Finalement, avoir un cadre plus précis sera plus une protection qu’une menace pour eux ; j’en suis convaincu, et je pense qu’ils l’ont eux-mêmes perçu.
Aussi, monsieur le ministre, nous ne sommes plus si loin de la solution. Je m’associe au vœu de Mme la rapporteure et de mes collègues, afin que vous preniez dès à présent l’initiative d’une inscription rapide du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’une commission mixte paritaire puisse ensuite faire litière des quelques difficultés techniques restantes. Je pense que nous avons fait l’essentiel du chemin.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Prise en charge des mineurs en questionnement de genre
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (proposition n° 435, texte de la commission n° 623, rapport n° 622).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « D’abord, ne pas nuire » : c’est ce principe qui a animé la réflexion que nous avons menée au sein du groupe de travail Les Républicains du Sénat sur la transidentification des mineurs.
Témoin de la hausse croissante des demandes de changement de sexe chez les enfants et les adolescents – cela concerne essentiellement des filles –, en France comme à l’étranger, depuis moins de dix ans, le groupe Les Républicains a estimé nécessaire de conduire une étude approfondie sur le sujet et de mettre en place un groupe de travail au mois de mai dernier.
Alors que l’influence des réseaux sociaux donne une visibilité nouvelle à la « dysphorie de genre », ou sentiment d’être né dans le « mauvais » corps, il nous paraissait légitime que le sujet soit considéré attentivement par le législateur.
Ce groupe de travail, constitué de 17 sénateurs, que je remercie infiniment de leur implication, a auditionné pendant plus de six mois 67 experts français et internationaux, tous concernés par ce phénomène sociétal et rendant compte de tous les points de vue : ceux des médecins et des équipes médicales, ceux des associations, ceux des parents, ceux des institutions, ceux des universitaires, ceux des chercheurs, etc.
De ce travail est issu un rapport destiné à fournir un ensemble d’arguments qui aborde le sujet dans ses multiples dimensions : scientifique, historique, sociologique, philosophique.
Il apparaît que la prise en charge de ces mineurs suscite en France et dans le monde des positions discordantes et évolutives, parce que celle-ci n’est pas sans incidence sur la santé physique et psychologique des enfants concernés.
Le rapport s’achève par quinze préconisations qui nous semblent les mieux à même de protéger ces mineurs particulièrement vulnérables. Elles portent, d’une part, sur les domaines scientifique et médical et, d’autre part, sur les domaines scolaire et administratif.
Les membres du groupe de travail ont souhaité décliner leurs recommandations relevant du domaine législatif sous la forme d’une proposition de loi dont le premier cosignataire est le président Bruno Retailleau et que 102 sénateurs Les Républicains ont également souhaité cosigner, ce dont je les remercie une nouvelle fois.
Avant d’évoquer le fond de la proposition de loi, je souhaite tout d’abord vous dire ce que ce texte n’est pas.
Ce n’est pas un texte transphobe.
M. Xavier Iacovelli. C’est bien caché !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous rejetons sans détour tous les discours haineux et les discriminations. La transphobie est une réalité, que nous condamnons fermement et à laquelle nous refusons d’être associés.
Ce n’est pas non plus l’expression d’une volonté de psychiatriser la transidentité, sous-entendant que la transidentité serait une maladie.
Enfin, ce n’est pas une atteinte aux droits de l’enfant, qui doit grandir et se construire dans un environnement serein et protecteur.
Mes chers collègues, je vous le dis, et je vais sûrement en décevoir certains sur ces travées, les conclusions de nos travaux n’étaient pas écrites à l’avance ! (M. Adel Ziane s’esclaffe.) Les seules boussoles qui les ont guidées sont l’intérêt de l’enfant et la prudence.
C’est précisément cette prudence qui nous oblige à prendre en compte les inquiétudes de médecins, désemparés face à l’absence de dispositions légales ou de directives des autorités sanitaires.
C’est encore cette prudence qui nous conduit à alerter sur la question du rapport bénéfice-risque des traitements qui sont aujourd’hui prescrits à des enfants, leur réversibilité n’étant absolument pas certaine.
Nous ne nous sommes pas fait que des amis en déposant cette proposition de loi ; nous avons été attaqués verbalement, conspués et insultés. Mais nous sommes là aujourd’hui, dans l’hémicycle, pour examiner ce texte, qui vise à encadrer les pratiques médicales concernant les mineurs, et uniquement eux, en questionnement de genre.
Après le passage en commission des affaires sociales, le texte initial n’a quasiment pas été modifié. (Rires ironiques sur les travées du groupe SER.) Il prévoit donc d’encadrer la prescription des bloqueurs de puberté et d’interdire les traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles secondaires du genre, ainsi que les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle des mineurs.
La proposition de loi prévoit aussi la mise en place d’une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, discipline dont l’état en France s’est nettement détérioré ces dernières années. Les conditions d’accueil des enfants qui expriment un mal-être sont difficiles et les délais d’attente pour une prise en charge sont trop longs, ce qui accroît encore le risque d’anxiété tant des enfants et des adolescents que de leurs parents.
De telles défaillances ont d’ailleurs été reconnues par la Cour des comptes dans son rapport de mars 2023 sur la pédopsychiatrie.
Les dispositions que je viens d’évoquer ont fait dire à certains que notre proposition de loi prônait un retour aux thérapies de conversion. Mais assurer l’accompagnement pédopsychiatrique d’un mineur exprimant un mal-être revient-il à lui faire subir une thérapie de conversion ? Qui peut cautionner un tel mensonge ? Une telle interprétation ? Une telle malhonnêteté intellectuelle ?
D’aucuns ont pu s’étonner que nous prenions le phénomène de la transidentification des mineurs à bras-le-corps.
Le mandat – je dirais même le devoir – du législateur est, notamment, de se saisir des sujets de société, qui ont souvent des conséquences sur l’avenir, en particulier sur les enfants et adolescents d’aujourd’hui, qui sont les adultes de demain.
L’examen de la présente proposition de loi nous permet donc d’ouvrir, pour la première fois au Parlement, un débat de société sur la transidentification des mineurs. Ce texte permettra, nous le souhaitons, de ne pas emmener trop précocement les mineurs dans des parcours médicaux difficiles sans leur laisser le temps de mûrir leur décision.
Le professeur de philosophie Jean-François Braunstein, que nous avons auditionné, considère la transidentification des mineurs comme un problème de santé publique. Il a noté qu’un certain nombre de doctrines philosophiques apparues à l’étranger commençaient à se répandre en France ; elles se fondent sur la volonté d’aller toujours plus loin, de repousser sans cesse les limites. Il pense évidemment à la théorie woke, qui repose, selon lui, sur quatre thèses principales, dont la théorie du genre, cette dernière consistant à s’élever contre la « fausse dichotomie entre le féminin et le masculin ».
Le sexe biologique est une donnée réelle indiscutable, qui reste inscrite dans nos gènes tout au long de notre vie. C’est une réalité ; nous n’avons donc pas un « sexe assigné à la naissance ». En France, environ 180 enfants par an naissent avec une variation du développement génital. Tous les autres, soit quelque 730 000 enfants par an, naissent avec un sexe de fille ou de garçon.
Alors que nous constatons un retour en arrière dans de nombreux pays européens précurseurs dans l’administration de traitements médicaux chez les mineurs, il nous semble urgent que la France adopte un principe de précaution lorsqu’il s’agit de la santé physique et mentale de notre jeunesse.
Le rapport Cass, publié au mois d’avril 2024 – il avait été commandé en 2020 par le National Health Service –, a eu un retentissement international. Il conforte notre position de prudence tant sur les bloqueurs de puberté que sur les hormones et la prise en charge pédopsychiatrique.
Les recommandations proposent une approche qui considère le jeune de manière holistique, et pas uniquement en termes de détresse liée au genre. Cela devrait inclure le dépistage des conditions neurodéveloppementales, y compris les troubles du spectre autistique et une évaluation de la santé mentale.
Ce rapport d’Hilary Cass a été salué par la Rapporteure spéciale des violences contre les femmes et les filles auprès des Nations unies, Mme Alsalem. Cette dernière a reconnu que le rapport avait « clairement montré les conséquences dévastatrices que les politiques en matière de traitement de genre avaient eues sur les droits humains des enfants, notamment des filles ». Elle a également souligné que les chercheurs et universitaires exprimant leurs opinions « ne devraient pas être réduits au silence, menacés ou intimidés ».
Lors de son congrès de mai 2024, la 128e assemblée médicale allemande demande au gouvernement fédéral de revoir la prise en charge actuelle des mineurs.
Enfin, dans sa déclaration de politique générale du 6 mai 2024 sur la dysphorie de genre chez les jeunes, la Société européenne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent demande l’arrêt des traitements expérimentaux et inutilement invasifs pour les jeunes dysphoriques de genre.
L’adoption aujourd’hui par le Sénat de cette proposition de loi permettra d’éviter aux mineurs en questionnement de genre de ne pas regretter des traitements médicaux ou chirurgies de réassignation sexuelle consécutifs à un mauvais diagnostic, comme le cas a été évoqué lors de nos auditions.
La parole et le ressenti de l’enfant ne peuvent pas être considérés comme aussi sûrs et aussi mûrs que celui de l’adulte, quand on sait que le cerveau n’arrive à sa maturité définitive qu’à 25 ans. (Murmures sur les travées des groupes SER et GEST.)
Nous regrettons vivement les attaques de certaines associations activistes, qui fonctionnent, comme beaucoup d’autres minorités, par la menace et l’intimidation, en voulant confisquer et interdire le débat, au mépris de la liberté d’expression. Le courage politique consiste à résister ! (Mme Émilienne Poumirol s’esclaffe.)
La confiscation du débat par deux camps, qui seraient, d’un côté, les transphobes, et, de l’autre, les transactivistes, nous semble absolument stérile. Je me refuse à une telle instrumentalisation.
C’est l’honneur du législateur, me semble-t-il, que d’être à même de dépasser un tel clivage, pour réfléchir sereinement à un enjeu de santé publique.
Jusqu’à leur majorité, les parents et les pédopsychiatres ont un rôle crucial d’accompagnement de ces mineurs.
Les mesures prévues dans la proposition de loi n’ont pas d’autre ambition que de sécuriser le parcours des jeunes, la pratique des médecins et le rôle des parents, ainsi que de fixer un cadre. Dans cette perspective, nous souhaitons que la liberté des jeunes en construction puisse pleinement s’exercer, sans qu’un jour ils regrettent d’être allés trop loin, trop vite, trop tôt.
Monsieur le ministre, il vous appartient de vous saisir du sujet avec courage, en ayant comme seule boussole de protéger les mineurs et d’entendre les parents, souvent désemparés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)