compte rendu intégral
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
Mme Catherine Conconne.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du mardi 7 mai 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Gérard César,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Hélas !
Mme la présidente. … qui fut sénateur de la Gironde de 1990 à 2017.
Le président du Sénat lui rendra hommage au début de notre séance de questions d’actualité au Gouvernement ce mercredi.
3
Dématérialisation de l’état civil
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, présentée par Mme Samantha Cazebonne et plusieurs de ses collègues (proposition n° 433, texte de la commission n° 578, rapport n° 577).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
Mme Samantha Cazebonne, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2019, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) lançait l’expérimentation de la dématérialisation de son état civil,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
Mme Samantha Cazebonne. … conformément à la loi d’août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc.
Après les résultats très positifs de cette expérimentation, je vous présente un texte pérennisant ce dispositif dans la loi et poursuivant la dématérialisation de l’état civil du MEAE.
Tout d’abord, je tiens à remercier notre commission de lois d’avoir souscrit à cette proposition de loi et à saluer le travail de son rapporteur, Christophe-André Frassa.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
Mme Samantha Cazebonne. Chantier prioritaire du Gouvernement depuis plusieurs années, la dématérialisation a d’ores et déjà fait la preuve de ses bénéfices, tant pour les usagers que pour les administrations et les officiers de l’état civil.
Le projet de registre d’état civil électronique (RECE) a pour but de dématérialiser intégralement l’état civil dont le MEAE est dépositaire.
Sur le territoire national, les fonctions d’état civil sont exercées par les maires ; pour les Français ayant connu un événement d’état civil à l’étranger, elles relèvent des chefs de mission diplomatique, des chefs de poste consulaire ainsi que du service central d’état civil (SCEC).
Ce projet de registre électronique concerne les actes d’état civil établis par les autorités françaises pour des événements d’état civil survenus à l’étranger et les actes d’état civil français des personnes nées à l’étranger ayant acquis la nationalité française par décret ou naturalisation. Sont donc concernés tous les Français nés, résidant ou ayant vécu à l’étranger demandant en ligne un acte d’état civil.
Le premier article de cette proposition de loi sort de la phase d’expérimentation, pour l’inscrire dans le droit commun, la dématérialisation de la délivrance d’un extrait d’état civil déjà existant et conservé par le service central d’état civil à Nantes.
Engagée en 2019, cette expérimentation mérite en effet d’être pérennisée, au regard des bénéfices constatés tant pour les usagers que pour l’administration.
Le second article de cette proposition de loi prolonge l’expérimentation sur le volet relatif à l’établissement, la conservation et la mise à jour des actes d’état civil électroniques. Il permet notamment la création d’actes d’état civil dématérialisés ayant la même valeur juridique que des documents papier.
En effet, en application de l’article 40 du code civil, l’authenticité d’un acte d’état civil dépend de la signature manuscrite d’un officier de l’état civil. Il convient de prolonger de trois ans l’expérimentation relative à l’établissement, à la conservation et à la mise à jour des actes d’état civil électroniques afin de poursuivre ses développements techniques. Ces derniers seront par la suite évalués et les conclusions qui en seront tirées seront soumises au Parlement.
À l’issue de l’expérimentation, le ministère possédera un état civil numérique doté d’un service à l’usager plus simple et plus efficace.
En tant que sénatrice des Français établis hors de France, je tiens à souligner l’importance de cette dématérialisation. Bien sûr, ce chantier concerne non pas les seuls Français de l’étranger, mais tous les Français ayant connu un événement d’état civil à l’étranger. Cela étant, pour nous, Français de l’étranger, une procédure totalement dématérialisée représente un gain absolument considérable.
Les chiffres sont éloquents : avant la dématérialisation, les délais cumulés de traitement de la demande et de réception d’un extrait ou d’une copie d’acte d’état civil étaient de quinze à trente jours pour nos compatriotes expatriés ; au mois de février 2024, grâce à la dématérialisation, ce laps de temps était réduit à deux jours. Le taux d’adhésion à la délivrance dématérialisée, indicateur d’impact de la réforme, s’élevait à 95 %.
Les Français de l’étranger qui souhaitent transcrire un acte d’état civil doivent aujourd’hui prendre rendez-vous, puis se déplacer au consulat pour remettre leur dossier, ou bien l’envoyer par courrier : l’ouverture d’un nouveau téléservice de déclaration d’événement d’état civil, permise par l’article 2 de cette proposition de loi, donnera dans les prochains mois la possibilité aux usagers de demander une transcription d’acte en ligne, de manière sécurisée et instantanée.
De plus, avant la mise en place du registre d’état civil électronique, les actes consignés à l’étranger devaient être conservés, puis transportés jusqu’au service central d’état civil du MEAE, à Nantes : le registre d’état civil électronique permet de supprimer cette étape contraignante et coûteuse.
L’administration mesure elle aussi les avantages de ce projet. Pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le retour sur investissement est d’ores et déjà supérieur à 1,3 million d’euros par an ; il devrait dépasser 1,5 million d’euros par an à l’issue de la mise en place du registre électronique. Cet outil réduit les coûts de production et de gestion des actes en permettant des économies d’échelle substantielles.
Par ailleurs, je tiens à répondre aux craintes de certains de mes collègues, qui ont déposé des amendements en commission et en séance pour prévenir la fracture numérique.
Il est important de préciser que cette dématérialisation n’entrave en rien la possibilité, pour les usagers qui le souhaitent, d’obtenir leurs actes en version papier.
À titre d’exemple, en 2023, plus de 80 000 demandes ont été adressées par courrier et 1,1 million de demandes ont été formulées par voie numérique. Le service central de Nantes reste joignable par téléphone et peut transmettre les actes par voie postale. Les deux formats coexistent et continueront de coexister, notamment afin de lutter contre la fracture numérique. Tous les usagers pourront obtenir leur acte d’état civil sous le format qu’ils souhaitent ; ce faisant, nous éviterons toute rupture d’égalité de traitement.
En matière de dématérialisation, la sécurité informatique représente un autre enjeu majeur.
Il ne faut pas oublier que, dans des contextes politiques parfois très contraints, les risques portent davantage sur les dossiers papier, notamment lors de fermetures précipitées de postes consulaires. Au surplus, l’analyse des risques qui a été menée n’a pas révélé de risque supplémentaire propre à la dématérialisation, l’état civil étant déjà informatisé.
Mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi permettrait une avancée, non seulement pour le service central d’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, mais avant tout pour l’ensemble de nos compatriotes, notamment ceux qui sont établis hors de France. C’est tout spécialement pour eux que je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – Mme Marie Mercier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2018, lors du vote de la loi dite Essoc, les législateurs, dont les plus chanceux d’entre nous faisaient déjà partie (Sourires.), ont autorisé le ministère de l’Europe et des affaires étrangères à déroger au cadre général de traitement des actes d’état civil dont il est dépositaire afin d’expérimenter une démarche ambitieuse de dématérialisation.
Le Sénat avait soutenu le principe de cette expérimentation. Il avait en effet jugé, selon les mots de nos collègues Pascale Gruny et Jean-Claude Luche, le projet de dématérialisation « pertinent au regard des distances qui peuvent séparer les postes diplomatiques et consulaires du service central d’état civil et du délai conséquent d’acheminement du courrier postal ou du coût de l’acheminement par valise diplomatique, utilisé dans les pays sensibles ».
Ce projet de dématérialisation n’a véritablement été engagé qu’à la suite de la publication de l’ordonnance du 10 juillet 2019, qui en précise les modalités. Il est apparu ambitieux, dans la mesure où il couvre les quatre composantes du traitement des actes d’état civil : leur établissement, leur mise à jour, leur délivrance et leur conservation.
Il était nécessaire de passer par la loi pour autoriser cette dématérialisation : bien que certaines procédures aient été informatisées dès les années 1990, le cadre général de l’état civil reste régi, pour ses quatre composantes, par le principe du support papier.
À titre d’exemple, l’authenticité de l’acte d’état civil découle toujours, en application de l’article 40 du code civil, d’une signature manuscrite de l’officier de l’état civil. En conséquence, les actes d’état civil sont établis sur support papier. Ils sont inscrits et conservés sur un ou plusieurs registres tenus en double exemplaire.
Pour permettre au MEAE d’expérimenter la dématérialisation de la gestion des actes d’état civil dont il est dépositaire, nous avions accordé au Gouvernement un délai de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance du 10 juillet 2019. Ce délai n’a malheureusement pas été tenu. C’est pourquoi la durée de l’expérimentation a été prorogée de deux ans par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS. En l’état du droit, l’expérimentation arrive donc à son terme le 10 juillet 2024.
Cette échéance très proche explique plus qu’elle ne les justifie les délais contraints dans lesquels nous examinons ce texte. En effet, la date du 10 juillet 2024 est problématique au regard du très important retard pris pour trois des quatre composantes de l’expérimentation, ce malgré un budget largement supérieur aux premières estimations – l’inspection générale des affaires étrangères (IGAE) l’évalue à 11,35 millions d’euros, alors que le budget prévisionnel initial s’élevait à 5 millions d’euros.
Seule la délivrance des copies et extraits des actes d’état civil du MEAE est pleinement dématérialisée, depuis le 12 mars 2021 : la dématérialisation de l’établissement, de la mise à jour et de la conservation de ces actes exige encore des développements informatiques, au moins jusqu’à la fin de l’année 2025.
Cet ample retard, qui serait principalement lié à une sous-estimation des difficultés techniques du projet, est la raison pour laquelle les deux rapports d’évaluation, transmis au Parlement en mars 2022 et en décembre 2023, n’ont pas pu dresser le bilan de ces trois composantes de l’expérimentation, faute d’éléments à analyser.
Les travaux menés par la commission en avril dernier n’ont pas pu pallier ce manque, la mise en application étant encore trop lointaine, malgré une première expérience concluante d’établissement dématérialisé d’un acte d’état civil en janvier 2024. En revanche, les deux rapports d’évaluation font état d’un bilan globalement « positif » de l’expérimentation de la dématérialisation de la délivrance des copies et extraits d’actes.
La commission fait sien ce constat encourageant.
D’un point de vue quantitatif, l’expérimentation est indubitablement un succès : au total, 1 264 372 demandes de copies ou d’extraits d’actes d’état civil ont été formulées en 2023 sur service-public.fr, dont seulement 0,3 % ont été accompagnées d’une demande d’impression.
D’un point de vue qualitatif, les deux rapports mettent également en avant un résultat satisfaisant, aussi bien pour l’usager que pour l’administration et pour les officiers de l’état civil.
Pour l’usager, la dématérialisation permettrait une simplification des démarches et un raccourcissement des délais de délivrance. Le service présenterait un intérêt particulièrement marqué pour les Français de l’étranger, qui résident parfois loin du service consulaire dont ils dépendent et ne peuvent compter, pour leurs demandes, sur des services postaux fiables. Le taux de satisfaction, mesuré par l’observatoire de la qualité des démarches en ligne de l’État – désormais Vos démarches essentielles –, atteint ainsi un honorable 8,7 sur 10.
Pour l’administration, la dématérialisation aurait engendré des économies substantielles – M. le ministre nous le confirmera sans doute dans quelques instants. Les éléments transmis à la commission font apparaître que plus de 1,3 million d’euros de dépenses ont été évités grâce à la dématérialisation en 2023. Ces économies sont principalement liées à l’affranchissement et à l’achat de papier sécurisé. L’expérimentation a également permis la suppression de onze équivalents temps plein (ETP) en 2021. La dématérialisation participerait donc du bon usage des deniers publics, préoccupation chère à notre assemblée.
Quant aux officiers de l’état civil, ils semblent adhérer de plus en plus largement au projet.
Au regard de ce bilan positif, l’article 1er de la proposition de loi pérennise dans le code civil la délivrance numérique des copies et extraits d’actes d’état civil établis par le MEAE.
Je précise, notamment pour rassurer nos collègues des groupes GEST et SER, au regard des amendements déposés par leurs membres, que cette délivrance numérique ne serait qu’une possibilité, la remise des copies ou extraits d’actes sur support papier restant évidemment assurée.
À l’inverse, compte tenu des retards accumulés, l’article 2 proroge de trois années supplémentaires l’expérimentation pour les trois autres pans. J’y insiste : cette nouvelle phase sera limitée à l’établissement, à la conservation et à la mise à jour des actes d’état civil du MEAE.
L’expérimentation serait ainsi prolongée jusqu’au 10 juillet 2027 pour atteindre une durée prévisionnelle de huit ans, contre trois initialement prévus.
Mes chers collègues, en cohérence avec la position exprimée par le Sénat en 2018 et en 2022, et afin que l’expérimentation que nous avions soutenue soit enfin pleinement déployée, la commission des lois a approuvé ces mesures. Elle vous invite à faire de même aujourd’hui.
La pérennisation de la dématérialisation de la délivrance des copies et extraits d’actes nous a semblé opportune et souhaitable. Non seulement nos concitoyens y ont massivement recours, sans qu’aucun dysfonctionnement majeur ait été identifié jusqu’à présent ; mais, comme je viens de le préciser, elle est assortie d’une procédure de substitution pour tous les usagers éloignés du numérique. Elle n’est donc pas une voie unique d’accès au service public de l’état civil.
La commission s’est montrée plus circonspecte quant à la prorogation de l’expérimentation de la dématérialisation de l’établissement, de la mise à jour et de la conservation des actes d’état civil du MEAE, le triplement de la durée de l’expérimentation étant difficilement compréhensible et justifiable. Monsieur le ministre, j’imagine que vous nous en expliquerez les raisons.
Malheureusement, l’état d’avancement du projet ne nous permet pas de réduire cette durée, du moins si nous souhaitons qu’un bilan puisse être dressé après le déploiement tant attendu de la totalité de l’expérimentation. La commission a pris acte de ce retard, tout en formant le vœu que la prorogation demandée soit bien la dernière. Afin de limiter ce risque et d’imposer davantage de transparence sur l’état d’avancement de l’expérimentation, la commission a prévu une présentation annuelle par le Gouvernement de la mise en œuvre de l’expérimentation devant l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), suivie d’un débat en sa présence, qui pourra donner lieu à un avis de cette instance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité, de la francophonie et des Français de l’étranger. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la sénatrice, chère Samantha Cazebonne, monsieur le rapporteur, cher Christophe-André Frassa, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous cette après-midi pour débattre de la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l’état civil du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Je tiens tout d’abord à remercier Mme Samantha Cazebonne, sénatrice représentant les Français établis hors de France, ainsi que les collègues qui l’ont accompagnée, d’avoir pris l’initiative de déposer ce texte.
Je salue également le travail accompli en commission par M. le rapporteur, qui a enrichi cette proposition de loi.
Le présent texte poursuit une expérimentation législative menée depuis 2019 par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ; expérimentation qui – je le rappelle à mon tour –, sans nouveau vote du Parlement, se terminerait le 10 juillet prochain.
La question qui nous est posée aujourd’hui est très simple : faut-il poursuivre ou non l’expérimentation, engagée il y a cinq ans, de dématérialisation de l’état civil du ministère ? Avant d’y répondre au nom du Gouvernement, je tiens à retracer l’histoire de ladite expérimentation.
Ce projet n’est pas nouveau. Il s’est concrétisé en 2018, avec la loi Essoc. L’ambition était alors simple : dépoussiérer notre vieil état civil, fait de registres en papier et de documents envoyés par courrier, et permettre ainsi à des millions de Français de simplifier leurs démarches administratives, les libérer du carcan bureaucratique grâce à la dématérialisation et à la numérisation progressive de leur état civil, dans la lignée du mouvement de simplification engagé par le Président de la République.
Il s’agissait également d’en finir avec les coûts engendrés par des procédures trop lourdes, qu’il s’agisse de l’achat de papier, des frais d’envoi postal ou encore des coûts de transport et d’archivage des registres, d’autant que, grâce aux progrès technologiques récents – je pense notamment à l’essor de la signature électronique –, le papier n’est tout simplement plus nécessaire pour garantir l’authenticité d’un document : plus besoin d’avoir un registre dans un placard ou un feuillet dans une enveloppe, signé à la main, pour pouvoir dire : « Ce document est authentique. »
La dématérialisation de l’état civil n’en est pas moins un chantier complexe ; et elle l’était probablement plus encore en 2018 qu’elle ne l’est aujourd’hui. La sensibilité des données d’état civil imposait en effet de prendre toutes les garanties nécessaires pour s’assurer de la viabilité d’un tel changement de paradigme. Le choix d’une expérimentation était alors le plus évident ; et le choix de confier cette expérimentation au ministère de l’Europe et des affaires étrangères l’était aussi.
Ce ministère est habitué aux expérimentations en matière d’action publique. En proposant ces dernières aux Français de l’étranger, dont il a la charge, il fait en quelque sorte office de laboratoire du service public de demain. On pense bien entendu au vote par internet ; on l’a constaté plus récemment encore avec le renouvellement à distance des passeports, lancé au Canada et au Portugal, ainsi qu’avec d’autres mesures d’innovation et de modernisation dont la mise en œuvre repose sur le travail et l’engagement des services consulaires du ministère, que je tiens tout particulièrement à saluer.
Ce n’est pas tout. Le ministère détient le plus grand fonds de documents d’état civil en France, avec plus de 16 millions d’actes. Tous les actes d’état civil des Français nés, mariés ou décédés à l’étranger sont conservés par le service central d’état civil, établi à Nantes.
Le ministère était ainsi le candidat idéal pour mener cette expérimentation, lancée quelques mois après le vote de la loi Essoc, par une ordonnance de juillet 2019.
La création d’un registre d’état civil électronique a fait partie des projets prioritaires du Gouvernement lors du premier quinquennat. Elle a bénéficié d’un fort appui interministériel, en particulier via plusieurs cofinancements, à hauteur de 4,8 millions d’euros, notamment au titre du fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) et de France Relance.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, après cinq ans de travail, il est temps de dresser un premier bilan des deux volets de cette expérimentation : d’une part, la délivrance dématérialisée des copies et extraits d’actes d’état civil ; de l’autre, la création d’actes d’état civil électroniques.
La délivrance dématérialisée a fait l’objet d’un examen détaillé de la part des inspections générales des affaires étrangères et de la justice, dont le rapport d’évaluation vous a été remis au début de l’année 2024.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez souligné et je vous en remercie : ce bilan est sans appel.
Tout d’abord, cette expérimentation a permis à l’administration de dégager d’importantes économies, dans une période de forte contrainte budgétaire.
La diminution du recours au courrier pour transmettre les documents aux usagers a permis de dégager onze postes de travail au service du courrier. Elle a aussi engendré des économies pour l’achat de papier et d’enveloppes ainsi que pour l’affranchissement. Au total, ces économies sont aujourd’hui évaluées à plus de 1,3 million d’euros par an.
Surtout, le bilan est sans appel pour l’usager. Avant cette expérimentation, si votre acte se trouvait au service central d’état civil, vous demandiez votre document en ligne et vous le receviez par courrier. Si vous résidiez en France, l’envoi postal arrivait à destination en cinq jours ; mais si vous résidiez à l’étranger, c’était une tout autre histoire… Tout dépendait du lieu d’habitation : souvent, l’acheminement du courrier exigeait quinze jours au minimum ; dans certains cas, c’était même un mois ; et parfois, malheureusement, le courrier n’arrivait jamais, pour différentes raisons.
Avec la solution développée et mise en œuvre par le ministère, tout est beaucoup plus simple : la dématérialisation de la délivrance permet désormais d’assurer une égalité de traitement entre tous les usagers concernés. Qu’ils résident en ville ou à la campagne, en Europe ou à l’autre bout du monde, nos concitoyens reçoivent leur document dans les mêmes conditions et dans les mêmes délais.
Les Français de l’étranger bénéficient ainsi d’une procédure unique et rapide. Elle prend trois jours en moyenne, soit un délai plus court que ce que la plupart des mairies de France sont en mesure de proposer pour la délivrance de leurs actes.
Les usagers ont bien saisi l’intérêt de cette démarche : en 2023, plus de 93 % d’entre eux ont opté pour la dématérialisation. Depuis 2021, ce sont ainsi plus de 2,5 millions de documents signés électroniquement qui leur ont été délivrés.
Bien sûr, nous avons laissé et nous laisserons la possibilité aux usagers, notamment à ceux qui sont les plus éloignés du numérique, de demander leur acte par courrier. Mais – on le constate – l’immense majorité d’entre eux sollicitent à présent leurs documents sous forme dématérialisée. Quant aux équipes du service central d’état civil, que l’envoi des documents accaparait, elles ont gagné un temps considérable.
L’entrée dans le droit commun qu’assure le premier article de la proposition de loi apparaît dès lors comme une nécessité : il faut conserver et pérenniser ces bénéfices, tant pour l’administration que pour les usagers.
Le bilan était sans appel pour le premier volet de l’expérimentation ; il est aujourd’hui prometteur pour son second volet. En effet, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a établi en janvier 2024 les premiers actes d’état civil électroniques. Mais – il faut l’avouer – cinq années n’ont pas été suffisantes pour faire aboutir ce chantier. D’importants développements applicatifs sont encore nécessaires pour généraliser la création et la mise à jour électroniques des actes. En outre, nous devons disposer d’un recul suffisant pour être certains que le registre d’état civil électronique doit devenir la solution de droit commun.
Le chantier a été plus long que prévu pour plusieurs raisons. Tout en soulignant, si besoin en était, la pertinence dudit chantier, la crise sanitaire a ralenti les développements informatiques. De plus, la grande complexité technique du dossier et la sensibilité des données d’état civil nous ont conduits à renforcer nos standards de sécurité.
Les mesures prises pour protéger ces données sont multiples, qu’il s’agisse du cloisonnement, de la réplication des sauvegardes dans un système d’archivage électronique sécurisé ou encore du traçage des accès et des modifications apportées. Ces processus sont coûteux, mais ils permettent aujourd’hui d’offrir toutes les garanties nécessaires pour protéger les données à des niveaux très élevés, peut-être jamais atteints avec le papier.
Finir l’expérimentation de dématérialisation de l’état civil est un objectif majeur du chantier « Améliorer la qualité du service rendu aux Français de l’étranger », mené par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans le cadre des projets prioritaires du Gouvernement.
À cette fin, le présent texte accorde trois années supplémentaires aux services compétents : nous en sommes convaincus, ce délai sera suffisant. Les développements applicatifs pourront ainsi être achevés et déployés dans l’ensemble de notre réseau consulaire. Les agents disposeront d’un outil performant ; ce dernier leur assurera une productivité à même de permettre, à terme, de nouveaux redéploiements d’effectifs au sein du ministère.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le vote de cette proposition de loi est une étape nécessaire afin de poursuivre au-delà du 10 juillet prochain cette expérimentation ambitieuse, suivie de près par M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Il nous évitera de perdre tous les bénéfices déjà constatés, tant par nos administrations que par les usagers eux-mêmes.
En menant à terme cette expérimentation, nous achèverons le vaste chantier de modernisation de notre état civil. Le travail accompli à ce titre répondra pleinement à l’ambition du Président de la République et du Premier ministre d’accélérer la simplification des démarches administratives pour tous les Français ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et UC. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)