Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Amendons le texte, alors !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je l’ai déjà dit, notre intention n’est pas de créer un Far West – je vous rassure, mes chers collègues, nous en sommes loin !
D’autre part, une place attractive n’est pas non plus une place « surrégulée ». À cet égard, il nous semble que certaines entreprises sont aujourd’hui prises en tenaille entre les exigences très élevées que pose le régulateur et leur incapacité à se mettre en conformité avec ces exigences, ce qui les expose au risque permanent de s’auto-incriminer.
En somme, nous souhaitons instaurer non pas une place juridique dérégulée, mais un dialogue de conformité plus nourri entre le régulateur et le régulé, le premier ayant vocation à accompagner vers la conformité davantage qu’à sanctionner la moindre irrégularité.
J’ajoute quelques précisions complémentaires.
L’amendement n° 2 tend à rendre inopposable la confidentialité en toute matière, administrative, mais également civile et commerciale. L’adopter reviendrait à vider le dispositif de tout intérêt : il serait paradoxal de consacrer l’insaisissabilité de certains documents tout en prévoyant que la confidentialité est inopposable dans à peu près toute procédure.
Par ailleurs, limiter l’appréhension des procédures administratives aux autorités administratives et publiques indépendantes signifierait désavantager toute autre autorité administrative, telle la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Les amendements identiques nos 1, 4 rectifié bis et 8 rectifié tendent à rendre inopposable la confidentialité aux seules AMF, ACPR et ADLC. Outre les arguments précédemment développés, l’on pourrait s’interroger sur la pertinence du champ retenu : pourquoi ne pas inclure l’Agence française anticorruption ou toute autre autorité administrative ?
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si ces amendements font l’objet d’une discussion commune, c’est parce qu’ils ont en commun de vider de son intérêt, totalement ou partiellement, le mécanisme mis en place par la proposition de loi.
S’il est vrai, monsieur le sénateur Raynal, que l’on peut toujours changer d’avis, je rappelle tout de même que ce texte a été voté il y a quatre mois – et on parlait tout à l’heure de loi bavarde… (Sourires.)
L’amendement n° 2 de Mme Vogel vise à rendre inopposable le dispositif de confidentialité en matière civile, commerciale, fiscale, pénale ou en cas de demande d’une autorité publique ou administrative indépendante. Autrement dit, il s’agit de facto d’écarter le principe de confidentialité pour toutes les matières dans lesquelles un contrôle est envisageable. S’il était adopté, le dispositif serait vidé de toute substance ; il n’en resterait plus rien. Vous me l’accorderez, aménager un système de confidentialité qui ne serait opposable à aucune autorité de contrôle n’a pas beaucoup de sens !
Les amendements identiques nos 1, 4 rectifié bis et 8 rectifié visent quant à eux à rendre inopposable le dispositif à certaines autorités publiques et administratives indépendantes dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs de contrôle et de sanction. Là encore, leur adoption viderait de son intérêt le dispositif qui vous est soumis.
Je l’ai rappelé, le mécanisme de confidentialité mis en place dans cette proposition de loi vise à répondre aux soucis conjugués de l’attractivité de notre droit et de la vitalité de notre économie. Derrière le choix du droit applicable, il y a évidemment des emplois…
Notre volonté est de permettre aux juristes d’entreprise qui conseillent au quotidien leur employeur, notamment dans les nombreuses matières imposant des obligations de conformité, de faire leur travail sans autocensure. Ils deviendront ainsi de véritables relais internes pour les autorités de contrôle en diffusant les bonnes pratiques et les attentes. Nous souhaitons, ce faisant, enclencher un processus vertueux au sein de l’entreprise et favoriser l’attractivité économique et juridique de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends et je partage votre souci de préserver l’efficacité des enquêtes et des contrôles conduits par les autorités publiques et administratives indépendantes ; cette préoccupation a du reste guidé tous les travaux qui ont été menés sur ce sujet.
Je rappelle, tout d’abord, que le bénéfice de la confidentialité est écarté pour toutes les procédures pénales ou fiscales et, ensuite, que la confidentialité ne portera que sur l’analyse juridique produite par le juriste, sur son travail intellectuel, et sur aucun autre document de l’entreprise. Les autorités de régulation pourront donc saisir l’ensemble des documents sur lesquels le juriste a fondé sa consultation juridique. Il ne fait aucun doute que l’Autorité de la concurrence, dont on connaît la grande expertise, saura analyser les documents concernés et en tirer, le cas échéant, toutes les conclusions qui s’imposent.
Par ailleurs, des conditions formelles sont prévues quant au champ des destinataires du document protégé ; à l’apposition d’une mention obligatoire ; à l’identification, à la qualification et à la formation du rédacteur ; à l’archivage spécifique de la consultation juridique protégée dans les dossiers numériques de l’entreprise.
En outre, le dispositif prévoit le recours à un juge, qui pourra prononcer la levée de la confidentialité dans le cadre d’une procédure contradictoire.
Enfin – et ce n’est pas rien ! –, toute utilisation frauduleuse de la mention « confidentiel » sera pénalement répréhensible.
Toutes ces mesures sont autant de précautions qui nous protègent du dévoiement du mécanisme et garantissent le maintien de l’efficacité des mesures de contrôle des autorités administratives et publiques indépendantes. Réduire encore le champ d’application de la confidentialité empêcherait d’atteindre l’objectif de cette réforme, à savoir – j’y insiste – renforcer l’attractivité de la France et faire de nos juristes de véritables acteurs de la politique de conformité de leur entreprise.
Pour ces raisons, vous l’avez d’ores et déjà compris, l’avis du Gouvernement est défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure, vous ne m’avez pas convaincu du tout ; cela mérite bien une explication de vote !
Pour éviter toute méprise, je commencerai par rappeler qu’aux termes des amendements identiques nos 1, 4 rectifié bis et 8 rectifié la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise resterait opposable en cas de litige commercial ou civil, dans le cadre d’une procédure administrative autre que celles qui sont conduites par les trois autorités visées ou lorsque la demande émane d’une autorité administrative étrangère. En aucune façon ces amendements ne vident donc le texte de tout intérêt !
Pour ce qui concerne les autorités administratives étrangères, permettez-moi néanmoins de vous faire part de mon scepticisme. Je ne suis pas certain qu’une entreprise puisse s’opposer aux demandes des autorités américaines, en tout cas si elle veut éviter une amende de plusieurs centaines de millions de dollars et continuer d’exercer ses activités sur le territoire des États-Unis… Trêve de plaisanterie, donc !
Il est également essentiel que nos autorités de supervision disposent de prérogatives fortes, si l’on veut éviter que nos entreprises ne fassent l’objet de poursuites à l’étranger.
Je rappelle à cet égard que, lors de la création de l’Agence française anticorruption, notre collègue Philippe Bas, alors président de notre commission des lois, avait indiqué que les entreprises françaises devaient pouvoir prouver à l’international qu’elles respectent les standards de lutte contre la corruption afin d’éviter d’être pénalisées dans des pays étrangers. La même observation vaut pour le droit de la concurrence, pour les délits boursiers ou encore pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Enfin, je veux répondre à un argument qui n’a été que trop entendu – curieusement, je l’ai même lu dans L’Essentiel relatif au texte qui nous occupe –, qui n’est rien d’autre qu’une idée reçue. Non, la France n’est pas – à vrai dire, pas du tout ! – l’un des seuls pays européens à ne pas reconnaître la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise dans le cadre des procédures administratives.
Du reste – cette distinction a été faite sur d’autres travées –, il ne faut pas confondre les juristes d’entreprise avec les avocats en entreprise, dont les consultations sont protégées dans plusieurs pays de l’OCDE ; mais il s’agit, dans ces pays, de professions réglementées !
Si l’on veut être juridiquement précis et ne pas s’attacher aux seules dispositions relatives aux juristes d’entreprise, alors il convient d’admettre que trois pays européens seulement prévoient la confidentialité des consultations juridiques ; encore faut-il répéter que, en pareil cas, les activités concernées relèvent de professions réglementées. (M. Guy Benarroche acquiesce.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 121 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 260 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 4 rectifié bis et 8 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 122 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 199 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots :
et par les lanceurs d’alerte mentionnées au I de l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et par les personnes mentionnées à l’article 6-1 de la même loi
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement vise à garantir que cette proposition de loi ne porte pas démesurément atteinte à la protection des lanceurs d’alerte, laquelle a été consacrée en France par la loi Sapin 2 et par la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, dite loi Waserman, qui transpose en droit français la directive européenne relative à la protection des lanceurs d’alerte.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est susceptible de faire reculer la protection des lanceuses et des lanceurs d’alerte, pour une raison simple.
Prenons l’exemple d’un lanceur d’alerte qui transmettrait à un journaliste des documents démontrant qu’une entreprise agroalimentaire ferme les yeux sur de graves cas de maltraitance animale dont elle a pris connaissance. Le journaliste rend l’affaire publique, sans révéler ses sources, mais l’entreprise identifie le lanceur d’alerte et, dès lors, peut être tentée de déposer plainte pour diffamation. Or les lois Sapin 2 et Waserman précitées protègent les lanceurs d’alerte contre les procédures bâillons.
La confidentialité qu’il s’agit ici de mettre en place mettrait précisément à mal la protection acquise, interdisant au lanceur d’alerte de produire, y compris pour sa propre défense, les travaux de juristes d’entreprise, et ce même s’il en est lui-même l’auteur ! Il s’agit d’un recul dangereux qui porte atteinte à la protection des lanceurs d’alerte ; sa concrétisation découragerait, à l’avenir, toute initiative de cette espèce, à rebours de toutes les législations que nous avons adoptées sur ce sujet depuis des années.
Il faut au contraire permettre aux lanceurs d’alerte de produire en justice des consultations de juristes d’entreprise, y compris des documents couverts par la confidentialité.
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots :
et par le lanceur d’alerte conformément au chapitre II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Il s’agit, dans le même esprit, de faire en sorte que la loi, au lieu de fragiliser les lanceurs d’alerte, les protège.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La disposition proposée semble superfétatoire, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise ne figurant pas, aux termes de la présente proposition de loi, dans la liste des exclusions du régime de l’alerte prévues à l’article 6 de la loi dite Sapin 2.
Les lanceurs d’alerte peuvent donc bénéficier du régime de l’alerte lorsqu’ils lèvent la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.
Ces amendements étant satisfaits, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis, pour les mêmes raisons – elles viennent d’être clairement exposées par Mme la rapporteure.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous sommes tous ici très soucieux de protéger les lanceurs d’alerte.
De la même manière que nous avons estimé, tout à l’heure, qu’il pouvait être utile d’introduire dans la proposition de loi une disposition qui est par ailleurs d’ores et déjà inscrite dans notre droit, il me paraît très important, en l’espèce, que la protection des lanceurs d’alerte soit expressément garantie dans ce texte.
Nous voterons donc pour ces deux amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Les titulaires d’une maîtrise en droit qui justifient, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, d’au moins huit ans de pratique professionnelle au sein du service juridique d’une ou de plusieurs entreprises sont considérés, aux termes de la présente loi, comme titulaires d’un master en droit.
Les juristes d’entreprise qui justifient, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, de l’achèvement de leur formation initiale sont considérés, aux termes de la présente loi, avoir suivi une formation initiale dont le contenu est conforme aux exigences prévues par la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, sur l’article.
M. Francis Szpiner. Marie-Pierre de La Gontrie demandait ce qu’est un juriste d’entreprise. À l’issue de ces débats, le mystère restera entier. Nous n’avons toujours pas de définition.
D’après le texte, il s’agit des titulaires d’une maîtrise en droit. Et d’y ajouter, par la grâce de la loi, ceux qui justifient de huit ans de pratique professionnelle, qui seront désormais considérés comme titulaires d’un master en droit. En matière de validation de l’expérience professionnelle, je n’avais jamais vu cela… c’est formidable ! Monsieur Vogel, voilà qui m’étonne de la part d’un ancien président d’université. (Sourires.) Ainsi, les juristes d’entreprise seront donc titulaires d’un master en droit, sans l’avoir obtenu, s’ils ont travaillé pendant huit ans.
Je continue : « Les juristes d’entreprise qui justifient, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, de l’achèvement de leur formation initiale – j’aimerais savoir laquelle – sont considérés, aux termes de la présente loi, avoir suivi une formation initiale dont le contenu est conforme aux exigences prévues par la présente loi. » C’est un chef-d’œuvre de loi totalement illisible !
Ces deux alinéas n’ont pas de sens, mais peut-être finira-t-on par savoir ce qu’est un juriste d’entreprise…
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
1° Après le mot :
entreprises
insérer les mots :
ou administrations publiques
2° Remplacer les mots :
aux termes
par les mots :
pour l’application
II. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
aux termes
par les mots :
pour l’application
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par MM. Le Gleut et Belin, Mme Berthet, MM. J.-B. Blanc, Brisson et Bruyen, Mme Dumont, M. Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mme Gosselin, M. Gremillet, Mme Joseph, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mme Lopez, M. Meignen, Mme M. Mercier, MM. Panunzi, Paul, Pernot, Rapin et Saury, Mme Belrhiti et M. Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les personnes inscrites sur la liste mentionnée à l’article L. 421-1 du code de la propriété intellectuelle qui exercent à titre de salarié d’une entreprise sont réputées satisfaire à la condition prévue au 1° du I de l’article 58-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans sa rédaction résultant de la présente loi.
La parole est à M. Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut. Les enjeux liés aux brevets d’invention touchent à un élément fondamental de la compétitivité de nos entreprises, à savoir la capacité d’innovation. Pourtant, aujourd’hui, un juge américain, dans le cadre d’une procédure dite de discovery, peut ordonner une saisie-contrefaçon sur le territoire français dans les locaux d’une entreprise française. Notre législation ne protège pas correctement nos intérêts nationaux, parfois vitaux pour une entreprise française innovante.
Je vous rappelle la décision du 27 avril 1999 rendue par une juridiction de New York dans l’affaire qui opposa Rhône-Poulenc à Bristol-Myers Squibb. Un juge américain a ordonné une procédure dite de discovery, c’est-à-dire comparable à la procédure de saisie-contrefaçon en France, contre les intérêts de Rhône-Poulenc, sur le territoire français. Ce ne fut possible que parce qu’il n’existait pas de confidentialité des consultations juridiques en matière de brevets d’invention.
En conséquence, et depuis ce jour, dans la pratique, afin d’éviter les ingérences étrangères, les conseils juridiques en entreprise en matière de brevets et de contrefaçons n’exercent plus leur profession qu’à l’oral, afin de ne plus laisser d’écrits susceptibles d’être saisis. Cette aberration dessert nos intérêts industriels, en particulier dans nos entreprises innovantes.
Cet amendement vise donc à corriger cette hérésie. Toutefois, les salariés en entreprise qui exercent cette profession de conseil n’entrent pas dans le champ de la proposition de loi, dans la mesure où ils sont titulaires non pas d’un master en droit, mais d’un diplôme d’ingénieur, d’un diplôme universitaire en propriété intellectuelle, délivré par le Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (Ceipi) de l’université de droit de Strasbourg, et d’un examen de qualification obtenu devant l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
En insérant cet article additionnel après l’article 2, ces salariés seront considérés comme satisfaisant à la condition prévue à l’article 58 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Ainsi, nous protégerons nos entreprises françaises et nos intérêts nationaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous comprenons parfaitement le souhait exprimé par l’auteur de cet amendement. Malheureusement, celui-ci arrive en séance alors que nous n’avons pas pu interroger sur ce point les personnes que nous avons auditionnées.
La commission émettra, pour le moment, un avis défavorable. Au cours de la navette, l’Assemblée nationale pourra se saisir de la question ; et j’espère que nous en discuterons à nouveau lors de la deuxième lecture au Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’objet de la proposition de loi est de garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, dont tout le monde sait qui ils sont, comme j’ai pu le constater lors d’un précédent vote – ou plutôt presque tout le monde… (Sourires.)
Comme j’ai déjà eu l’honneur de l’expliquer, la confidentialité est attachée au document et non à la personne. Ainsi, les conseillers en propriété industrielle visés à l’article L. 421-1 du code la propriété intellectuelle, objets de votre amendement, exercent une activité réglementée. Ils ne sauraient se voir étendre le bénéfice de la confidentialité au seul motif de cette activité réglementée.
Je suis donc, monsieur le sénateur, défavorable à l’amendement que vous avez déposé.
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour explication de vote.
M. Ronan Le Gleut. Tenant compte des arguments de Mme la rapporteure, notamment du fait que des auditions supplémentaires seront nécessaires lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié ter est retiré.
Article 3 (nouveau)
La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le premier jour du douzième mois suivant sa promulgation. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. J’avais indiqué au nom de mon groupe, au cours de la discussion générale, que notre position dépendrait du sort qui serait réservé à notre amendement portant sur les autorités de régulation.
Je note que le Sénat n’a pas estimé devoir prendre en compte les attentes de ces autorités et la fonction qu’elles remplissent. Pour nous, cela représente un danger. Visiblement, nous n’avons pas réussi à convaincre. En tout état de cause, nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Compte tenu de la non-prise en compte des trois amendements identiques déjà évoqués, et en cohérence avec la position arrêtée par la Conférence des bâtonniers, d’une part, et le Conseil national des barreaux, d’autre part, quelques collègues du groupe Union Centriste et moi-même voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour explication de vote.
M. Louis Vogel. Je souhaiterais remercier Mme la rapporteure et tous les membres de la commission des lois, qui ont participé avec ardeur à ces travaux très intéressants, ainsi que l’ensemble de mes collègues.
Je remercie également mon confrère, maître Francis Szpiner – nous avons eu des explications à plusieurs reprises –, même si l’on ne peut pas le convaincre facilement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous changez d’avis ?
M. Louis Vogel. Madame de La Gontrie, c’était un raisonnement d’avocat : nous voterons pour ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 123 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 220 |
Contre | 111 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. - M. Francis Szpiner applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-neuf, est reprise à dix-huit heures quarante-deux.)