M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, sur l’article.
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, aujourd’hui, pour la deuxième fois en quelques mois, nous discutons de l’opportunité de garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.
Il me semble dès lors utile de clarifier le débat en répondant à deux questions simples.
Première question : que cherchons-nous à faire avec ce texte ? Nous cherchons, cela a été dit, à protéger nos entreprises contre les ingérences étrangères et à éviter qu’elles ne s’auto-incriminent dans le cadre de procédures lancées à leur encontre. Il est essentiel que ces objectifs soient atteints. Aussi le travail des juristes d’entreprise doit-il être reconnu : ceux-ci jouent un rôle majeur pour prévenir les risques et guider nos entreprises.
Cela étant dit, il nous faut veiller à ce que le dispositif que nous allons adopter soit adéquat, respectueux de nos principes juridiques fondamentaux et garant d’un juste équilibre.
D’où ma deuxième question : à quoi devons-nous faire attention et que voulons-nous éviter ? Nous ne voulons ni créer des régimes probatoires différents ni entraver les pouvoirs d’enquête et de contrôle des autorités indépendantes de supervision.
À cet égard, nous devons éviter de nous placer en situation de non-conformité au droit européen, notamment pour ce qui relève du droit de la concurrence.
Nous voulons également éviter d’engorger encore les juges des libertés et de la détention, qui ploient déjà sous le poids de leurs dossiers et des multiples requêtes qui leur sont adressées.
Il ne faut pas non plus envoyer un signal contradictoire quant aux engagements de la France en matière de lutte antiblanchiment au moment où elle défend sa candidature pour accueillir l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Je présenterai donc tout à l’heure, en tant que président de la commission des finances et au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un amendement dont l’objet est que la confidentialité ne soit pas opposable à l’Autorité des marchés financiers, à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et à l’Autorité de la concurrence dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction.
Les intentions des auteurs de ce texte sont louables, mais soyons attentifs à les traduire de la bonne manière : ne remettons pas en cause un système de supervision et de contrôle que nous envient de nombreux pays !
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, sur l’article.
M. Francis Szpiner. Je suis ravi d’apprendre que nos entreprises vont enfin pouvoir bénéficier de la croissance qui leur est refusée parce que le legal privilege n’est pas reconnu aux juristes… C’est une fable ! Quant à dire que la place de Paris est pénalisée… Le directeur juridique d’une petite entreprise comme Total est un ancien avocat, installé en France ! Et je mets au défi les partisans de ce texte de me donner la liste des entreprises qui ont délocalisé leur direction juridique !
La vraie question est la suivante : qu’est-ce qu’un juriste d’entreprise ? Or il n’en existe tout simplement pas de définition !
Le texte instaure une condition de diplôme, mais j’attire l’attention du Sénat sur un point : le juriste doit être titulaire d’un master en droit… ou d’un master – je ne sais dans quel domaine ! –, ou d’un diplôme étranger équivalent.
Mes chers collègues, dans votre grande générosité, vous allez même jusqu’à accorder au titulaire d’une simple maîtrise, et non d’un master, au bout de huit ans de pratique, le bénéfice d’une équivalence, alors même que, je le répète, il n’a jamais obtenu de master !
En tout état de cause, je ne sais pas ce qu’est un juriste d’entreprise.
C’est bel et bien une sous-profession réglementée que vous allez créer. Certes, vous avez modifié la condition de formation pour en supprimer la notion de « déontologie ». Vous voulez néanmoins que les futurs juristes soient formés, je ne sais par qui ni selon quelles modalités. La loi, si loi il y a, disposera qu’ils seront formés conformément à un référentiel défini par arrêté ; mais, s’ils sont juristes, on doit supposer qu’ils ont déjà été formés à la rédaction de consultations juridiques !
En réalité, vous créez la profession de juriste d’entreprise.
J’en reviens à la question que posait notre collègue Claude Raynal : pourquoi fait-on cette loi ? Je partage tout à fait sa réponse ; aussi voterai-je son amendement, car le secret ne saurait être le paravent de turpitudes. En matière de lutte contre le blanchiment, nous devons être aussi transparents que possible ; ne truffons pas d’obstacles le parcours des juges !
Quel est ici le but véritable ? Mes chers collègues, vous nous dites qu’il faut se conformer à ce que font les autres pays. Or qu’ont fait ceux que vous prenez en exemple ? Ils ont tout simplement institué le statut d’avocat en entreprise !
Ayez le courage de proposer la création de la profession d’avocat en entreprise ; au moins les choses seront-elles claires ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Elsa Schalck et MM. Jean-Baptiste Blanc et Michel Canévet applaudissent également.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Les avocats ne veulent pas ! (M. le garde des sceaux renchérit.)
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Supprimer les mots :
au profit de son employeur
II. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
et d’une traçabilité particulières
par les mots :
du rédacteur et d’un classement particulier
III. – Alinéa 31
Après le mot :
procédures
insérer le mot :
judiciaires
La parole est à Mme la rapporteure.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle d’avocats
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement tend à confier la formation des juristes d’entreprise, non pas à l’école vétérinaire, monsieur le sénateur Szpiner (Sourires.),…
M. Francis Szpiner. Merci de cette précision ! (Nouveaux sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … mais aux centres régionaux de formation professionnelle d’avocats (CRFPA). Voilà qui devrait vous plaire !
M. Francis Szpiner. Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah bon ? Que voulez-vous que je vous dise…
Quant à la création de la profession d’avocat en entreprise, les avocats n’en veulent pas : il faut le dire !
M. Francis Szpiner. J’ignorais, monsieur le garde des sceaux, que vous obéissiez aux avocats ! Et l’intérêt général ? (Nouveaux sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis un homme de concertation, monsieur le sénateur. Je me suis efforcé de réunir tout le monde autour d’une même table.
Vous savez bien que les avocats, du moins une partie d’entre eux, n’en veulent pas, de l’avocat en entreprise. À ce sujet comme à propos du legal privilege, ils ne sont pas tous d’accord.
M. Francis Szpiner. Gouverner, c’est trancher !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’entends ce que vous dites ; vous êtes un avocat, pas n’importe lequel, certes, mais un avocat parmi d’autres.
En cette matière, j’ai mené depuis longtemps des consultations. Je le rappelle, le présent texte a déjà fait l’objet de deux votes, devant les deux assemblées.
Je profite d’avoir la parole pour faire un bref rappel.
M. le président. Très bref, monsieur le garde des sceaux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Naturellement, monsieur le président.
Madame de La Gontrie, pour nourrir le débat – je ne puis croire que ce fût pour une autre raison –, vous avez cédé à la mode consistant à aller chercher de vieilles – très vieilles – déclarations d’untel ou untel pour les opposer à ses positions actuelles supposées.
Aussi, je vous invite à relire une interview de 2017, dans laquelle le Président de la République rappelle avoir été corapporteur de la commission Darrois sur les professions du droit. Dès 2009, cette commission recommandait d’aller dans le sens d’une protection de la confidentialité des correspondances des juristes d’entreprise. Je tiens cette interview à votre disposition, car il n’est pas vrai de dire que le Président de la République a changé de pied, si vous me permettez l’expression.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas son genre ! (Sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout le monde peut changer d’avis, y compris vous et moi, madame la sénatrice ; mais, en l’espèce, il n’est tout simplement pas juste de dire que le Président de la République a changé d’avis.
C’est la grande mode, je le sais : « ah, mais en 1900… » – ni vous ni moi n’y étions, je crois ;…
M. François Patriat. Moi, j’y étais ! (Sourires.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … « en 2012, vous avez dit que… ». Très bien, mais les termes de la situation peuvent changer !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Le présent amendement tend à préciser la condition de formation applicable à l’ouverture du bénéfice de la confidentialité aux juristes d’entreprise : il s’agit de prévoir que les formations relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques seront dispensées par les CRFPA.
Il me semble qu’une telle disposition permet de lever l’une des inquiétudes qu’a soulevées Maître Szpiner.
M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission. « Monsieur » Szpiner…
M. Francis Szpiner. Ici, ce n’est pas « Maître » Szpiner. Je m’exprime en tant que membre du Sénat et non en tant qu’avocat !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Je dis « Maître », car j’ai clairement entendu l’avocat s’exprimer.
M. Francis Szpiner. Pas du tout !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Voilà une disposition qui devrait vous satisfaire, mon cher collègue : vous êtes bien placé pour savoir que les formations dispensées par les CRFPA sont très bonnes !
Avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour explication de vote.
M. Francis Szpiner. Je tiens à rappeler qu’ici j’interviens non comme avocat, mais en tant que sénateur, élu à part entière, et qu’aucun esprit corporatiste ne m’anime, ma chère collègue !
Simplement, si les juristes d’entreprise sont si bons, pourquoi voulez-vous qu’ils suivent une formation spécifique… dispensée par les avocats ? (Sourires sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Je ne comprends pas, ou je crains de trop bien comprendre… (Mme Elsa Schalck acquiesce.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La discussion que nous avons à propos de cet amendement montre en tout cas qu’il y a bien un problème de formation et qu’à tout le moins la première des observations qu’a faites Francis Szpiner est fondée.
À relire l’exposé des motifs, je ne sais plus très bien pourquoi il incomberait aux centres de formation professionnelle d’avocats de dispenser les formations visées. Tout est mélangé, et même on nage dans la plus grande confusion : il est question d’indépendance, d’éthique, de déontologie, mais là n’est pas le sujet ! C’est la confidentialité qui nous intéresse.
Lorsque j’ai entamé l’analyse de ce texte, j’ai commencé par me dire que je ne comprenais pas ce qu’est un juriste d’entreprise ; je suis donc rassurée de constater que Francis Szpiner pense comme moi. J’ai d’abord cherché à comprendre, craignant d’être insuffisamment formée – c’est le cas de le dire –, avant de saisir qu’en réalité personne ne sait ce que recouvre une telle notion !
Un juriste d’entreprise, en définitive, c’est simplement quelqu’un qui, après avoir rédigé un document, y tamponne la mention « juriste d’entreprise – confidentiel ».
Quoi qu’il en soit, j’ignore quel est précisément l’objet de cette formation. Il est question, dans l’objet de l’amendement, de la grande expertise des avocats en matière d’indépendance – pas de chance, les juristes d’entreprise n’ont absolument aucune vocation à l’indépendance ! –, d’éthique et de déontologie ; mais la confidentialité n’apparaît jamais !
On le voit, on est dans le flou ; or, comme disait l’autre, quand c’est flou,…
Des voix sur les travées du groupe SER. … il y a un loup !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est tout de même extraordinaire ! On m’objecte un défaut de formation ; dans l’esprit de coconstruction qui est toujours le mien (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.), je propose – pourquoi pas ? – le principe d’une formation dispensée par le CRFPA.
D’ailleurs, je voudrais vous rassurer, madame la sénatrice – ce n’est pas facile ! –, la pratique de la rédaction de consultations juridiques fait partie intégrante de la formation de l’avocat dispensée par le CRFPA.
On nous oppose qu’il faudrait qu’une formation soit prévue, le Gouvernement y pourvoit : tout le monde devrait en être ravi !
Je ne saurais entendre – du reste, je ne l’ai pas entendu – que les centres régionaux de formation professionnelle d’avocats ne seraient pas de bons centres de formation.
Voilà qui devrait être de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur Szpiner.
M. Francis Szpiner. Y aura-t-il un examen pour sanctionner la réussite de la formation ? Qui s’en chargera ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il faudrait déjà une formation ! Jusqu’à présent, il n’y en avait pas.
Monsieur le sénateur Szpiner, ce texte a déjà été voté, je l’ai dit, à un moment où vous n’étiez pas sénateur, et je me félicite de l’éclairage que vous nous apportez : vous êtes en quelque sorte le phare de la pensée juridique de ce texte !
Vous déplorez qu’aucune formation ne s’attache à l’activité de juriste d’entreprise ? Je vous en propose une, et des plus sérieuses.
M. Louis Vogel et Mme Nicole Duranton. Bravo !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après les mots :
Sous réserve
insérer les mots :
de leur pouvoir de contrôle par les autorités de l’Union européenne et
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement vise à rappeler que le dispositif envisagé demeure soumis aux pouvoirs de contrôle des autorités de l’Union européenne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cet amendement me semble satisfait, la hiérarchie des normes s’appliquant naturellement, mais cela va mieux en le disant : avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mes chers collègues, il faut se réjouir que Philippe Bas ne soit pas parmi nous cet après-midi : nous aurions eu une déclaration sur la loi bavarde ! (Sourires.)
Je m’étonne que le Gouvernement et la commission s’accommodent d’un amendement qui ne sert à rien !
Il est vrai qu’il ne gâche rien – et je ne parle pas de libertés garanties ! –, mais je trouve cela très étrange.
Nous allons le voter, bien sûr, mais, j’y insiste, tout est très étrange dans ce texte… (Marques d’amusement sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Agnès Canayer lève les bras au ciel.)
M. Jean-Claude Tissot. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10, première phrase
Supprimer les mots :
y compris à une autorité administrative, française ou étrangère
II. – Alinéa 14, deuxième phrase
Supprimer les mots :
ou l’autorité administrative ayant engagé la procédure
et les mots :
ou de l’autorité administrative
III. – Alinéas 16 à 18
Supprimer ces alinéas.
IV. – Alinéa 21, première phrase
Supprimer les mots :
ou l’autorité administrative
V. – Alinéas 25 à 29
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Nous l’avons dit, nous nous inquiétons fortement de l’impact de cette proposition de loi sur les missions des autorités administratives indépendantes.
Les consultations et les avis des juristes d’entreprise sont une mine d’informations là où il s’agit de dénicher les abus de certaines entreprises et toute autre atteinte aux droits des consommateurs et des citoyens.
Pourtant, l’adoption de cette proposition de loi aurait bel et bien pour conséquence d’empêcher les autorités administratives indépendantes d’exercer leur mission de contrôle et de régulation.
En effet, les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers, de l’Agence française anticorruption, de l’Autorité de la concurrence ou encore de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution se verront interdire l’accès aux documents produits par les juristes des entreprises concernées.
En protégeant outrancièrement le secret des grandes entreprises, ce texte met en place une forme d’opacité au profit des multinationales.
Notre groupe s’y oppose et donne l’alerte devant de tels dangers, comme l’ont fait, du reste, l’Autorité de la concurrence ou l’Autorité des marchés financiers.
C’est pourquoi il convient de supprimer les mentions par lesquelles sont visées les autorités administratives, afin que la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise ne leur soit pas opposée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Sur le fond, je suis défavorable à une telle exemption pour les autorités administratives. Je sais que nous aurons à nouveau ce débat sur les amendements suivants, mais il me semble que l’inopposabilité de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise doit se borner aux matières pénale et fiscale.
En outre, l’adoption de cet amendement reviendrait à maintenir l’insaisissabilité des documents en matière administrative tout en supprimant la procédure de levée de la confidentialité. Il en résulterait un équilibre encore plus défavorable aux autorités administratives, ce qui serait dommage, car, pour notre part, nous leur avons garanti une procédure robuste de contestation et de levée de la confidentialité.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
pénale ou fiscale
par les mots :
en matière civile, commerciale, fiscale, ou pénale ou en cas d’une demande par une autorité publique indépendante ou d’une autorité administrative indépendante
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement va dans le même sens que celui de mon collègue Ian Brossat.
Cette discussion que nous avons sur le statut, la formation et les diplômes des juristes d’entreprise est très intéressante ; mais tout cela recouvre un autre problème ! Il est des documents dont la communication à un certain nombre d’autorités est absolument indispensable pour que celles-ci puissent faire leur travail de vérification de l’activité des entreprises ; or, cette proposition de loi étant adoptée, ces documents pourront ne plus être transmis aux autorités judiciaires et aux autorités publiques et administratives indépendantes compétentes.
C’est un problème, que nous souhaitons résoudre : tel est l’objet de cet amendement.
Il s’agit de faire en sorte que le pouvoir judiciaire et les autorités indépendantes puissent continuer de se voir communiquer les pièces qu’elles demandent aux entreprises qu’elles sont chargées de contrôler.
Qu’après le secret des affaires, qui est d’ores et déjà largement protégé en France et dans l’Union européenne, la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise puisse désormais être systématiquement opposée aux demandes des autorités indépendantes dont la mission est de contrôler l’activité des entreprises, voilà qui réduirait abusivement le champ d’intervention de ces instances.
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par M. Raynal, Mme de La Gontrie, MM. Bourgi, Chaillou et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 4 rectifié bis est présenté par Mme Duranton, MM. Bitz, Buis et Buval, Mme Cazebonne, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger et M. Théophile.
L’amendement n° 8 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, M. Masset, Mme M. Carrère, MM. Bilhac, Daubet et Fialaire, Mme Girardin, M. Guérini, Mme Pantel et MM. Roux et Gold.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La confidentialité n’est pas opposable aux autorités visées aux articles L. 612-1 et L. 621-1 du code monétaire et financier et à l’article L. 461-1 du code de commerce dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction.
La parole est à M. Claude Raynal, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Claude Raynal. J’ai déjà défendu cet amendement en intervenant sur l’article, mais j’y reviens.
Il s’agit de prévoir que la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise ne soit pas opposable à l’AMF, à l’ACPR et à l’ADLC dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction.
Conformément aux objectifs des auteurs de la proposition de loi, une telle dérogation ne remettrait pas en cause la volonté affichée de lutter contre les ingérences étrangères. La confidentialité demeurerait notamment applicable en cas de litige civil et commercial et pour les procédures administratives autres que celles qui sont menées par les autorités que j’ai mentionnées ; ainsi, en ces matières, toute auto-incrimination des entreprises continuerait d’être évitée.
Par ailleurs, le ministre argue que ce texte relatif aux juristes d’entreprise a déjà fait l’objet d’un vote favorable. J’en conviens, mais – c’est heureux – le Parlement peut très bien décider de changer de position ; ce ne serait pas la première fois ! Une seule réponse valable, donc : errare humanum est, perseverare diabolicum.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié bis.
Mme Nicole Duranton. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié.
M. Michel Masset. Cet amendement tend à prévoir l’inopposabilité de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise aux autorités indépendantes que sont l’AMF, l’ACPR et l’ADLC lorsqu’elles agissent dans le cadre de leurs pouvoirs d’enquête et de sanction, et non aux seules autorités pénales et fiscales.
Pour ce qui est de l’Autorité des marchés financiers, il s’agit de supprimer l’atteinte à l’efficacité de ses enquêtes et de ses contrôles, qui ne serait pas sans conséquence sur les enquêtes pénales du parquet national financier (PNF) en matière d’abus de marché.
Pour ce qui est de l’Autorité de la concurrence, la protection de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise est contraire à la jurisprudence européenne en matière de droit de la concurrence.
Pour ce qui est de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, il s’agit de faire en sorte qu’elle puisse continuer d’exercer, via la surveillance prudentielle, ses missions de préservation de la stabilité financière, de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de protection de la clientèle, tout en se conformant aux droits constitutionnel et européen.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous sommes là au cœur du dispositif. Je m’apprête à développer mon avis, mais je ne laisse aucune place au suspense : l’avis de la commission est défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Tous tendent en effet à étendre le périmètre de l’inopposabilité de la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise, en particulier aux procédures conduites par des autorités telles que l’AMF, l’ACPR ou l’Autorité de la concurrence.
J’y suis opposée : j’estime que le périmètre que nous avons retenu est le bon et qu’il ne saurait être davantage étendu, à moins de dévitaliser le dispositif. Je vais tâcher de répondre aux arguments mobilisés à l’appui de ces amendements.
Je tiens à rappeler tout d’abord que nous avons amélioré la rédaction du texte initial.
Nous avons en effet prévu une procédure de saisie faisant appel à un tiers de confiance, un commissaire de justice. Je réponds, entre autres, à Mélanie Vogel : le coffre-fort sera saisi et mis de côté : on pourra savoir ce qu’il y a dedans, contrairement à ce que craignait initialement l’AMF. À cette attente, nous avons répondu.
Nous avons également introduit une procédure de contestation ou de levée de la confidentialité lorsque les autorités administratives exercent un droit de communication, ce que la proposition de loi ne prévoyait pas initialement.
Nous traitons ainsi deux cas qui auraient pu poser des difficultés : d’une part, le comportement non coopératif d’une entreprise alléguant la confidentialité d’un document pour l’altérer ; d’autre part, une entreprise contournant son devoir de communication en alléguant pour tout document demandé sa confidentialité, sans que l’autorité administrative demanderesse puisse la contester.
Ces difficultés étant réglées, notre dispositif apparaît robuste et les craintes des autorités administratives sont partiellement apaisées, à moins de ne pas faire confiance au juge qui devra statuer.
J’en viens aux arguments constitutionnels.
Il est tout à fait exact que la protection de l’ordre public économique et la recherche des auteurs d’infractions sont deux objectifs à valeur constitutionnelle, comme le rappelle Claude Raynal dans l’objet de son amendement. Rien n’empêche néanmoins le législateur d’en assurer la conciliation avec d’autres principes à valeur constitutionnelle si cette conciliation est justifiée par un objectif d’intérêt général. À défaut, il faudrait que nous abolissions toute forme de secret, y compris le secret professionnel de l’avocat, ce que personne ne souhaite, me semble-t-il !
La limitation ainsi apportée à l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public économique nous paraît proportionnée à l’objectif visé, en particulier grâce à l’édiction de conditions à remplir pour bénéficier de cette confidentialité, mais aussi grâce aux procédures de levée et de contestation de la confidentialité que j’ai précédemment détaillées. La possibilité de contester la confidentialité paraît éviter toute entrave excessive aux pouvoirs de contrôle et d’enquête des autorités de régulation.
Pour ce qui concerne la conformité au droit européen, ensuite, les échanges que nous avons eus avec la direction générale du Trésor et la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) nous ont rassurés sur la conformité au droit européen du dispositif, au regard de la jurisprudence dite Akzo. En effet, celle-ci ne fait pas obstacle à ce que les États membres prévoient, pour les procédures nationales, un encadrement particulier des modes d’action de ces autorités, en vertu du principe d’autonomie procédurale.
Par ailleurs, si, au regard de la rédaction retenue, des difficultés relatives à l’application du droit européen devaient perdurer, nous serions ouverts, dans le cadre de la navette parlementaire, à consolider – à rendre plus robuste – la procédure de contestation ou de levée de la confidentialité. Je relève d’ailleurs que la Belgique n’a fait l’objet d’aucun recours en manquement, alors même que ses autorités administratives indépendantes se voient opposer, y compris en droit de la concurrence, la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise.
Un mot, maintenant, sur l’attractivité de la place de Paris : il est vrai qu’une place attractive est une place correctement régulée. Néanmoins, ne soyons pas naïfs, mes chers collègues.
D’une part, ce dispositif n’a rien à voir avec la dérégulation massive qui est dépeinte dans l’objet de certains amendements. Nos autorités conserveront de réels moyens d’action et, si nous devons consolider la procédure dans le cadre de la navette parlementaire, nous y sommes prêts.