Mme la présidente. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble de la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie.
Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l’y laisser jusqu’au vote.
Si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 250 |
Pour l’adoption | 233 |
Contre | 17 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. - Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, mes premières paroles seront pour M. le président de la commission, ainsi que pour Mme Jocelyne Guidez et M. Jean Sol, les rapporteurs de ce texte. Je les remercie de leur engagement.
Le travail du Sénat permet d’aboutir à l’adoption de ce texte dont on peut relever quelques éléments : la généralisation progressive du service public départemental de l’autonomie, l’introduction de mesures visant à lutter contre l’isolement social, l’expérimentation du dispositif Icope qui concerne le repérage précoce des fragilités liées à l’âge, la protection renforcée contre la maltraitance des personnes vulnérables et l’expérimentation d’une nouvelle tarification forfaitaire au sein des services d’aide à domicile.
J’ai pris note de votre volonté d’aller plus loin en matière de prévention, en particulier par le sport. Je salue, enfin, l’amendement appelant à prendre en compte les difficultés liées à la continuité territoriale dans nos territoires insulaires et ultramarins.
Arrivée il y a à peine quatre semaines au Gouvernement, je mesure l’enjeu démographique auquel notre pays est confronté – c’est bien là notre sujet. Il s’agit là d’un défi à la fois sociétal et structurel. Devant cette assemblée, je réaffirme la nécessité impérieuse de déterminer conjointement une stratégie, une gouvernance et des modalités de financement adaptées pour le relever. Nous le devons à celles et à ceux qui nous ont permis d’être ce que nous sommes ; nous le devons également à tous les professionnels qui, chaque jour, prennent soin de nos aînés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à exprimer brièvement mes remerciements à nos deux rapporteurs, Jocelyne Guidez et Jean Sol, pour leur mobilisation et la qualité de leurs travaux dans un contexte difficile. J’inclus dans ces remerciements les services du Sénat.
Je tiens aussi à vous rendre hommage, madame la ministre, pour la qualité des échanges que nous avons eus. C’est un bon démarrage ; puissions-nous poursuivre dans cette voie ! (Mme Françoise Gatel s’en amuse.)
L’article 2 bis B, dont vous avez accepté l’introduction dans le texte, engage en quelque sorte le Gouvernement, qui devra revenir devant le Parlement avant le 31 décembre 2024 avec un texte de programmation ou d’orientation, selon ce que le Conseil d’État décidera.
Il s’agira à tout le moins de définir une vision pour notre pays concernant le vieillissement de la population, laquelle devra inclure les orientations à suivre, les partenariats à établir et les ressources financières à allouer. Cet article vous oblige, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi.
M. Jean-Jacques Panunzi. Lors du scrutin n° 43, sur l’ensemble du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, je souhaitais voter pour.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
7
Violences intrafamiliales
Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (proposition n° 98, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne saurai jamais d’où viennent ces « Ah ! », non plus s’il s’agit de marques d’encouragement ou de désapprobation… (Sourires.)
MM. Philippe Bas, Laurent Somon et Francis Szpiner. D’encouragement, bien sûr ! (Mêmes mouvements.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, l’enfance a été placée par le Président de la République au nombre de nos priorités et la protection des droits de l’enfant est au cœur de la feuille de route du Gouvernement, qui en a fait un engagement prioritaire.
C’est la raison pour laquelle je me réjouis que la proposition de loi visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales soit discutée en deuxième lecture aujourd’hui par la Haute Assemblée.
Au fil des lectures, le texte arrive peu à peu à maturité. Les points sur lesquels les deux assemblées se rejoignent apparaissent aujourd’hui clairement, ainsi que ceux sur lesquels un consensus s’est naturellement dégagé, ces derniers étant très majoritaires.
En réalité, le seul article faisant encore l’objet de débats est l’article 1er, lequel modifie l’article 378-2 du code civil afin d’étendre le mécanisme de suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné.
La rédaction votée par la commission des lois du Sénat s’inscrit dans la continuité des travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui a rendu son rapport final en novembre dernier ; elle limite cette extension au cas de la poursuite ou de la condamnation d’un parent pour crime commis sur la personne de l’autre parent ou pour agression sexuelle incestueuse ou crime commis sur la personne de l’enfant.
Cette rédaction ne manque pas d’intérêt et je veux ici saluer chaleureusement le travail de la rapporteure, Mme Marie Mercier.
Tout d’abord, il aurait été impensable d’introduire une hiérarchie entre les crimes dont un enfant peut être victime et de prévoir la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite pour certains d’entre ceux-ci et non pour d’autres. Nous pouvons nous féliciter que la nécessité de viser tous les crimes commis sur l’enfant ait été entendue lors des débats parlementaires et de nouveau par la commission des lois du Sénat.
Inversement, il me semble qu’il aurait été tout aussi inopportun de viser n’importe quel délit. La suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale dès le stade des poursuites, et alors que le parent est présumé innocent, doit être réservée aux infractions les plus graves. Il y va de la constitutionnalité et de la conventionnalité du dispositif. Il est donc cohérent de limiter celui-ci aux agressions sexuelles incestueuses.
À cet égard, il me semble tout à fait utile, dès lors que la simple décision de poursuivre permet de déclencher ce mécanisme, de préciser que les actes de poursuite émanent du procureur de la République ou du juge d’instruction. Une telle règle procédurale permet de prévenir les constitutions de partie civile ou les citations directes abusives par l’autre parent.
Ces éléments, fondamentaux pour l’équilibre du dispositif, font d’ailleurs consensus entre les deux assemblées, ce dont je me réjouis.
En revanche, la rédaction votée par votre commission a maintenu le caractère provisoire du mécanisme de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale. Elle prévoit que cette suspension opère jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales (JAF) et pour une durée maximale de six mois.
Il y a là un premier point de débat entre les deux chambres, l’Assemblée nationale ayant souhaité que la suspension se poursuive non pas pour une durée maximale de six mois, mais jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, le cas échéant saisi par la personne poursuivie, jusqu’à la décision de non-lieu du juge d’instruction, ou encore jusqu’à la décision ou l’arrêt pénal.
Ces deux approches traduisent la recherche d’équilibre entre les droits du parent et la protection des enfants. Des amendements posent ce débat, avec des rédactions préservant, à mon sens, la protection maximale de l’enfant, dans la mesure où nous entendons laisser aux parents la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales.
Par ailleurs, votre commission a supprimé l’alinéa 2 de l’article 1er, lequel vise à créer un dispositif de suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent condamné pour violence conjugale ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, lorsque les faits se sont déroulés en présence de l’enfant. Ce dispositif étant réservé aux faits les plus graves commis en présence de l’enfant, nous avions atteint, à mon sens, un équilibre proportionné pour conserver un maximum de garanties aux bénéfices de ce dernier.
Telles sont finalement les deux seules dispositions qui ne recueillent pas, à cette heure, l’accord de vos deux assemblées et qui seront évidemment au cœur de nos débats cet après-midi.
L’article 2 fait désormais consensus, dans une rédaction qui constitue, à n’en pas douter, une avancée indéniable en matière de protection des enfants, puisque le juge pénal aura l’obligation – et non plus la simple faculté, comme cela est actuellement le cas – de retirer l’autorité parentale ou son exercice, en cas de condamnation du parent pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent.
L’article 2 ter, qui semble lui aussi faire consensus, puisque votre commission ne l’a pas modifié, prévoit que le parent privé de l’exercice de l’autorité parentale et de ses droits de visite et d’hébergement à la suite d’une condamnation pénale ne pourra pas saisir le juge aux affaires familiales afin de se voir restituer cet exercice et ses droits de visite et d’hébergement avant l’expiration d’un délai de six mois. Cet article est conforme à l’esprit de cette proposition de loi : renforcer la protection de l’enfant.
Enfin, l’article 3, qui fait lui aussi consensus, a pour objectif simple de simplifier le code pénal, par l’introduction d’un article unique regroupant toutes les dispositions applicables en matière de retrait de l’autorité parentale d’un contenu identique aux dispositions figurant dans le code civil.
Tel est donc le texte qui vous est présenté aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs. Au-delà des quelques divergences qui demeurent entre les deux chambres, ce texte - n’en doutons pas - est très attendu par nos concitoyens, parce qu’il renforce la protection des plus vulnérables d’entre nous, parce qu’il est de notre devoir de protéger l’enfant victime de son parent agresseur, et, enfin, parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l’enfant peut grandir en paix et en sécurité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur et M. Francis Szpiner applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un esprit de compromis, la navette a déjà permis l’adoption conforme de quatre articles de la présente proposition de loi.
La commission des lois vous propose d’en adopter quatre supplémentaires afin de concentrer les débats sur l’article 1er, qui pose l’importante question de l’intervention du juge pour apprécier l’intérêt de l’enfant.
L’article 2 de la proposition de loi tend à modifier l’article 378 du code civil pour rendre plus automatique, mais sans l’imposer au juge – ce qui est important –, le retrait de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l’enfant ou pour crime sur l’autre parent.
Les députés ont conservé la réécriture que nous avions adoptée. Afin de rendre la disposition plus intelligible, celle-ci distingue trois types de situation. Les députés ont toutefois durci l’incitation faite aux juridictions pénales d’ordonner le retrait total de l’autorité parentale.
La commission a accepté cette formulation, dans la mesure où les juridictions conserveraient malgré tout le choix de moduler leurs décisions en fonction de l’intérêt de l’enfant, apprécié in concreto, à charge pour elles de le motiver spécialement.
Pour ce qui concerne l’article 3, les députés ont repris notre idée de rassembler en un seul article du code pénal l’ensemble des dispositions relatives au retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales, ce qui devrait en faciliter l’application. Ils ont choisi d’en faire une disposition miroir de l’article 378 du code civil sans procéder par renvoi, ce qui ne semble pas nuire à l’intelligibilité et à l’effectivité recherchées.
L’article 2 ter institue une période de stabilité minimale de six mois à l’enfant après une décision de retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement. Nous sommes attachés à cette idée de répit, mes chers collègues, car le temps de l’enfant n’est pas le temps de l’adulte, or c’est bien l’enfant qui est au cœur du présent texte.
Dans ce même esprit de concorde, nous avons renoncé à supprimer l’article 4, bien qu’il prévoie la remise d’un rapport, ainsi qu’à modifier l’intitulé de la proposition de loi.
J’en viens à présent à l’article 1er de la proposition de loi, que les députés ont adopté dans les mêmes termes que leur texte de première lecture.
Cet article modifie l’article 378-2 du code civil pour élargir les cas de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement aux cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant, tout en modifiant le régime. C’est sur ce dernier point que nous avons un désaccord.
Il est en effet proposé que, en cas de poursuites, de mise en examen ou de condamnation pour un crime commis sur l’autre parent ou de crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant, l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement soient suspendus automatiquement, donc sans limite de temps, jusqu’à la décision du JAF ou jusqu’à la décision de la juridiction pénale.
Le JAF ne serait plus saisi systématiquement par le procureur de la République dans les huit jours, mais pourrait éventuellement l’être par le parent poursuivi.
Les députés ont également prévu un régime spécifique en cas de condamnation pour des violences volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits. Comme en première lecture, nous avons accepté d’étendre le mécanisme de suspension provisoire avant tout jugement au cas de crime ou d’agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant.
Il convient en effet de remédier au véritable défaut de l’article 378 du code civil en la matière. Je félicite donc Isabelle Santiago de cette initiative.
Nous avons toutefois souhaité maintenir le caractère provisoire de la suspension dans les conditions actuelles, c’est-à-dire pour une durée maximale de six mois, jusqu’à la décision du JAF, qui doit être saisi par le procureur de la République dans les huit jours.
Nous savons bien que les JAF sont débordés, mais puisque vous avez alloué des moyens supplémentaires à la justice, monsieur le garde des sceaux, il convient à présent de continuer de le faire au bénéfice des chambres de la famille. (Sourires.)
Ce mécanisme présente selon nous le mérite de ménager un équilibre satisfaisant entre la nécessité de protéger, d’une part, et le respect de la présomption d’innocence et le droit de l’enfant de maintenir des relations avec ses deux parents, d’autre part. À ce titre, un délai de six mois de suspension automatique avant l’intervention d’un JAF nous a semblé constituer la bonne mesure.
Nous avons enfin écarté le dispositif spécifique proposé en cas de condamnation pour violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté au fait.
Les juridictions doivent déjà se prononcer sur l’autorité parentale en cas de condamnation au titre de cette infraction, les enfants témoins étant des covictimes, ainsi que les désigne l’intitulé de la proposition de loi.
Mes chers collègues, c’est bien sur une question d’équilibre que nous aurons à nous prononcer lors de l’examen des différents amendements qui nous sont soumis. Contrairement à ce que certains tentent de faire croire de façon assez simpliste, il ne s’agit pas seulement de choisir le camp des enfants victimes contre celui des bourreaux. Il serait notamment dommage de prendre le risque de non-protection des enfants, qui ont le droit d’être reçus par un juge aux affaires familiales rapidement.
Nous partageons le même but, la même priorité, mes chers collègues : la protection absolue des enfants, car chacun d’entre nous est le reflet de l’enfant qu’il a été. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi nécessaire, dont l’ancien président de la Ciivise, Édouard Durand, disait qu’elle était à la fois conforme aux principes et à la raison.
Les chiffres sont édifiants, et nous ne pouvons pas dire que nous ne les connaissons pas : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales de manière permanente ; 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles.
Dans mon département, La Réunion, chaque jour, sept enfants sont identifiés comme étant en danger par la cellule de recueil des informations préoccupantes, et les signalements directs ont augmenté de 60 % depuis 2019.
Cette proposition de loi comble un vide juridique en matière d’autorité parentale des parents coupables de violences criminelles.
Parce que la saisine du juge aux affaires familiales n’est pas toujours effective, parce que les délais pour obtenir une date d’audience du juge aux affaires familiales sont trop longs, le retrait et la suspension de l’autorité parentale restent aujourd’hui des possibilités trop peu appliquées. Il est donc urgent de rappeler dans la loi que tout enfant doit être protégé, y compris de ses parents quand il le faut.
La certitude selon laquelle le lien entre l’enfant et son parent doit être maintenu à tout prix irrigue encore trop souvent la pensée des magistrats.
Oui, cette certitude doit être remise en question. Non, un parent qui viole son enfant ne peut pas continuer à avoir l’autorité parentale sur lui.
L’intérêt supérieur de l’enfant doit l’emporter sur le droit des parents d’influer sur la vie de cet enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant et sa protection doivent nous guider, mes chers collègues.
C’est ce que nous enseignent les très nombreux témoignages recueillis par la Ciivise, notamment de mères s’inquiétant de laisser leur enfant repartir chez le père incestueux. Un enfant obligé d’aller chez le parent violent en attendant le jugement continuera d’y subir violences, emprise, influences et menaces. Il cessera alors d’un coup d’en parler.
La suspension de l’autorité parentale n’est pas seulement nécessaire à la libération de la parole : elle l’est aussi pour protéger les enfants. Plus qu’écouter, il faut protéger des conséquences dramatiques qu’ont les violences sur le développement, sur la construction et la scolarité des enfants.
On sait ce qu’engendrent les violences en termes de chocs traumatiques, de phénomènes de dissociation, de troubles de la mémoire et de conduites à risque. On sait que l’exposition précoce à ces violences constitue le premier facteur de risque de suicide, de dépression, de précarité et qu’elle accroît le risque de subir de nouvelles violences ou d’en faire subir à son tour.
Une étude de l’ONU montre qu’une femme qui a subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance a dix-neuf fois plus de risques de subir des violences conjugales ou sexuelles à l’âge adulte par rapport à une femme qui n’en a pas connu ; et qu’un homme qui a connu le même type de violences a quatorze fois plus de risques d’en commettre à son tour.
En définitive, tout plaide pour une mise en sécurité rapide et automatique des enfants victimes, pour une prise en charge plus précoce afin de limiter les conséquences sur la santé des victimes.
Nous devons garder en tête que tout retard dans cette mise en sécurité, tout retard dans cette prise en charge équivaut à une perte de chance pour chaque enfant concerné.
Le groupe CRCE-K soutient donc cette proposition de loi, tout en regrettant que la commission en ait affaibli le texte en revenant sur son article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans son rapport rendu en novembre dernier, Violences sexuelles faites aux enfants : « On vous croit », la Ciivise souligne la difficulté des victimes à être entendues. Seule une victime sur dix révèle les violences au moment des faits, et sur 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, seuls 19 % des cas donnent lieu à une plainte, cette proportion n’étant que de 12 % en cas d’inceste.
Concernant les violences sexuelles faites aux femmes, ça ne va pas mieux. Une étude du ministère de l’intérieur dévoilée en décembre 2023 indique que seulement 5 % des femmes se déclarant victimes de violences sexuelles, dont la moitié connaissait leur agresseur, avaient déposé plainte en 2021.
Il ne s’agit pas de dresser un bilan à charge tant sont réelles les difficultés que rencontrent les acteurs de la lutte contre les violences intrafamiliales à identifier les cas et à protéger les victimes, qui, souvent, craignent pour leur sécurité, celle de leurs enfants, voire celle de leurs agresseurs.
Il nous faut saluer l’action du législateur et des pouvoirs publics tout en gardant à l’esprit l’ampleur des travaux que nous devons continuer à mener.
La réponse pénale est l’un de ces chantiers. Elle doit en effet évoluer et s’adapter afin de toujours mieux protéger les victimes. Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à prolonger cette politique volontariste d’aide et de protection des victimes.
Je me réjouis que, sur la quasi-totalité des articles, la navette parlementaire ait permis d’aboutir à un texte commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Toutes ces mesures vont dans la bonne direction. Je salue le travail de notre rapporteure, que je remercie, ainsi que le travail de ceux qui sont à l’origine de ce texte.
Le groupe RDSE émet toutefois une réserve importante quant à la version de l’article 1er adoptée par la commission des lois du Sénat. Je crains que notre Haute Assemblée ne se méprenne si elle décidait de maintenir cette version.
Chacun, dans cette assemblée, cherche à défendre l’intérêt des enfants. Si nous discutons le dispositif de l’article 1er, nous ne remettons nullement en cause le dévouement de notre rapporteure sur ce sujet ô combien difficile. Nous n’en demeurons pas moins favorables à la rédaction proposée par l’Assemblée nationale. Nathalie Delattre défendra donc tout à l’heure un amendement visant à rétablir cette rédaction.
De fait, je ne vois pas de difficulté à ce que la suspension de l’autorité parentale soit effective jusqu’à l’obtention d’un jugement définitif sur les faits incriminés, dès lors qu’un recours auprès du juge aux affaires familiales reste possible pour le parent mis en examen.
Je comprends l’inquiétude de notre rapporteure quant à la longueur des procédures pénales, mais le délai maximal de six mois ne me paraît pas pertinent au regard des faits dont le parent est soupçonné d’être l’auteur, et dont la gravité emporte une possible mise en examen.
Le groupe RDSE attendra l’examen des amendements pour arrêter définitivement sa position, mais il pourrait être favorable à cette proposition de loi qui rejoint et complète l’arsenal législatif protégeant les victimes de violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, des chiffres effrayants, un constat largement partagé et une volonté commune de changer les choses : voilà ce qui nous réunit de nouveau pour l’examen, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.
Ce texte consensuel a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, en première lecture tout d’abord, après avoir fait l’objet d’une réécriture transpartisane réalisée en lien avec le ministère de la justice, et le 13 novembre dernier, lors de son deuxième examen.
Les députés ont recherché l’équilibre en reprenant des apports importants du Sénat tels que l’exonération du parent bénéficiaire d’une ordonnance de protection de communiquer tout changement de résidence à l’autre parent, l’interdiction de présenter une demande en rétablissement de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement avant la fin d’un délai de six mois suivant le jugement de retrait devenu irrévocable ou encore l’obligation, pour le juge, de motiver spécialement sa décision en cas de non-suspension du droit de visite et d’hébergement d’un enfant dans le cadre d’un contrôle judiciaire prononcé pour violences intrafamiliales.
La commission des lois du Sénat, par la voix de sa rapporteure, dont je tiens à souligner le travail de qualité, a quant à elle également fait un pas en direction de nos collègues députés en adoptant quatre articles sans modification.
En revanche, et fort malheureusement, subsiste entre nos deux assemblées un point de désaccord majeur, puisqu’il porte sur l’article 1er de la présente proposition de loi, qui élargit aux faits d’agression sexuelle ou de crime commis sur son enfant les principes et les modalités de suspension de l’autorité parentale et de ses attributs en cas de poursuite par le ministère public, de mise en examen par le juge d’instruction ou de condamnation, même non définitive, pour violences volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.
Cette suspension provisoire, telle que l’ont souhaitée les députés, serait effective jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales, éventuellement saisi par le parent poursuivi, ou jusqu’à la décision de non-lieu ou jusqu’à la décision de la juridiction de jugement.
La commission a considéré que l’absence de limite dans le temps posait problème au regard de la présomption d’innocence et du droit de chacun de mener une vie normale.
Un vote conforme aurait pourtant permis une adoption rapide et définitive de ces dispositions par le Parlement, ce que nous ne pouvons que regretter.
Comme le groupe RDPI le recommandait en première lecture, il semble indispensable de sécuriser la situation de l’enfant. Le retour au texte issu de l’Assemblée nationale, qui conditionne le maintien de cette suspension à une décision du juge, nous semble répondre à cet impératif. Nous vous présenterons un amendement dans ce sens, mes chers collègues.
Le Président de la République a fait de la protection de l’enfance une cause majeure de son second quinquennat. Le groupe RDPI estime que l’urgence à compléter la législation en vigueur pour protéger ces enfants nous oblige, et que la mobilisation de chacun d’entre nous est un impératif qui mène au vote de ce texte, mes chers collègues. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)