Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le sénateur, le programme Petites Villes de demain est très important pour revitaliser l’ensemble de nos territoires, y compris nos territoires ultramarins. Il concerne trente-cinq des cent vingt-neuf communes des cinq départements et régions d’outre-mer : sept en Guadeloupe, dix chez vous en Martinique, quatre en Guyane, onze à La Réunion et trois à Mayotte.
Nous passons maintenant à une phase plus opérationnelle de ce programme. Il s’agit notamment de financer les postes de chef de projet qui sont déployés directement auprès des collectivités et qui sont pris en charge à hauteur de 75 % par l’État jusqu’en 2026 – cette contribution peut être majorée dans les territoires ultramarins.
Près de 29 millions d’euros ont d’ores et déjà été déployés en outre-mer et quinze opérations de revitalisation de territoire ont été signées.
L’autre programme que vous évoquez, Villages d’avenir, qui est plus récent, concerne aussi les territoires ultramarins : quinze communes ont ainsi été labellisées, dont cinq en Martinique.
Vous le voyez, l’engagement de l’État est très fort tant pour l’ingénierie – par exemple, les postes que j’ai évoqués – que pour le financement de projets concrets, qu’il s’agisse de projets de logement, de commerces ou dans les services publics.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Buval, pour la réplique.
M. Frédéric Buval. Je vous remercie de ces précisions et j’espère pouvoir compter sur le Gouvernement, car il est urgent d’adapter les programmes Petites Villes de demain et Villages d’avenir.
Les collectivités d’outre-mer qui veulent investir dans des projets structurants pour leur territoire, comme CAP Nord, font face à des contraintes spécifiques, différentes de celles des collectivités de l’Hexagone.
continuité territoriale dans les outre-mer
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, auteure de la question n° 1030, transmise à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Mme Solanges Nadille. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur un sujet d’une importance capitale pour les territoires ultramarins, à savoir la continuité territoriale, qui est un principe du service public.
Elle vise à faciliter le déplacement de 2,7 millions de citoyens ultramarins entre les territoires, en compensant les obstacles liés à leur éloignement. Elle est fondée sur les principes d’égalité des droits, de solidarité nationale et d’unité de la République.
La hausse brutale du prix des billets d’avion et du fret maritime depuis la fin de la crise sanitaire entraîne des difficultés majeures pour le déplacement des Ultramarins.
Surtout, la politique de continuité territoriale est souvent envisagée sous le seul angle des liaisons directes entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone. Or plusieurs territoires souffrent d’un double, voire d’un triple enclavement.
Ainsi, outre l’enclavement vis-à-vis de l’Hexagone, sous l’effet de la cherté des billets d’avion, il ne faut pas oublier l’enclavement régional, lié au faible nombre de connexions entre les territoires ultramarins et les États voisins, non plus que, dans certains territoires, l’enclavement intérieur, en raison d’une desserte interîles peu diversifiée et onéreuse.
En Guadeloupe, les îles du Sud, dont je suis originaire, sont reliées par bateau audit continent, que forment les îles de Basse-Terre et de Grande-Terre, au moyen de traversées qui durent de trente minutes à une heure.
Des aérodromes permettent aussi de relier ces îles, mais aucune compagnie ou presque n’exploite les liaisons entre la Guadeloupe « continentale » et les îles du Sud.
Les coûts de transport sont dissuasifs pour beaucoup de personnes, mais certaines d’entre elles sont malgré tout obligées de faire la navette quotidiennement.
Les fréquences limitées des navettes compliquent la vie des habitants des îles de Marie-Galante, des Saintes et de la Désirade, qui doivent se rendre sur ledit continent pour réaliser un examen médical, suivre un traitement, accomplir une démarche administrative, ou encore prendre un vol vers l’Hexagone.
La politique de continuité territoriale a certes connu des progrès indéniables depuis ses débuts, voilà vingt ans. Néanmoins, elle reste très insuffisante pour répondre aux enjeux d’équité, d’égalité des chances et d’indivisibilité de la République.
Madame la ministre, que compte faire le Gouvernement pour donner – enfin ! – une véritable ambition à cette politique, en particulier en matière de desserte interîles ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice, la politique de continuité territoriale vise à assurer l’équité territoriale entre l’ensemble de nos concitoyens – c’est un enjeu majeur –, et notamment ceux qui vivent dans nos territoires ultramarins.
Vous le savez, il existe un comité interministériel des outre-mer (Ciom), qui se réunit régulièrement non par plaisir de se réunir, mais pour agir sur les différents points que vous avez mentionnés. Ainsi, il cherche à faciliter la mobilité non pas simplement entre l’outre-mer et l’Hexagone ou entre les outre-mer, mais également au sein même des territoires, comme vous l’avez évoqué.
Aussi, je rappellerai un certain nombre des mesures issues de ses travaux : le passeport pour le retour, le passeport pour la mobilité des actifs salariés, ou encore le passeport pour la mobilité des entreprises innovantes.
Il s’agit aussi de l’élargissement des publics pouvant bénéficier d’un certain nombre d’aides. Ainsi, les montants de l’aide à la continuité territoriale ont été revalorisés en mars 2023. De même, le plafond de ressources pour percevoir cette aide a été nettement revalorisé, puisque le quotient familial est passé de 12 000 euros à 18 000 euros. Désormais, un peu plus des trois quarts des foyers des départements et des régions d’outre-mer sont couverts par ce dispositif. Il s’agit bien d’une politique très large, qui aide aussi les classes moyennes.
De plus, le passeport pour la mobilité des études couvre à présent la totalité du prix du billet d’avion, tant pour les boursiers que pour ceux qui ne le sont pas, afin de ne pas exclure les classes moyennes. Les étudiants de première année peuvent demander un deuxième passeport mobilité pour faciliter l’entrée dans la vie étudiante.
L’État investit dans la continuité territoriale. Le nombre de bénéficiaires des aides augmente d’année en année, vous le savez, et c’est pour le mieux.
En revanche, la continuité territoriale intérieure aux collectivités et aux territoires ultramarins relève justement de la compétence des collectivités. Un certain nombre d’entre elles ont mis en place des aides, notamment le conseil régional de la Guadeloupe.
Peut-être faut-il poursuivre les efforts de sorte que la continuité territoire s’exerce non pas simplement entre nos outre-mer et l’Hexagone, mais aussi au sein des territoires ultramarins.
Vous le voyez, l’État, au travers du comité interministériel des outre-mer, est parfaitement mobilisé sur cette question.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Brigitte Bout, qui fut sénateur du Pas-de-Calais de 2002 à 2011.
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Société du bien-vieillir en France
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France (proposition n° 147, texte de la commission n° 253 rectifié, rapport n° 252, avis n° 240).
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Anne Souyris. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a institué une cinquième branche de la sécurité sociale consacrée à l’autonomie.
Alors que les enjeux liés à l’autonomie sont majeurs notamment sous l’effet du vieillissement de la population, le texte qui nous est soumis ne nous permet pas d’y apporter une réponse structurelle.
Nous escomptions examiner un projet de loi sur l’autonomie et le grand âge, attendu par les actrices et les acteurs du secteur. Au lieu de cela, nous avons eu à examiner une proposition de loi circonscrite au bien-vieillir.
Encore une fois, nous regrettons que le Gouvernement ne prenne pas la mesure des défis à venir. Nous déplorons également qu’il ne légifère pas par projet de loi, lequel fait toujours l’objet d’un avis du Conseil d’État et d’une large concertation des acteurs concernés, au premier rang desquels les collectivités locales et les fédérations du médico-social.
Nous désapprouvons par ailleurs le périmètre de cette proposition. Où sont les mesures pour le handicap, lequel est exclu de ce texte et invisibilisé par ses auteurs ? Pourtant, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) est bien chargée des enjeux relatifs au soutien aux personnes âgées en perte d’autonomie et aux personnes handicapées.
Soyons clairs, ce texte ne comporte aucune réponse aux problèmes structurels auxquels se heurte le secteur du grand âge et de l’autonomie ! Il n’y a rien à propos du recrutement de personnel soignant ; rien de significatif sur l’attractivité des métiers du grand âge ; rien sur l’amélioration de l’accueil dans les Ehpad ; rien non plus sur l’adaptation globale de la société au vieillissement ; rien, enfin, pour trouver une nouvelle source de financement de la branche !
Cela dit, le texte transmis par l’Assemblée nationale comportait quelques avancées, certes mineures et sans cohérence d’ensemble, mais concrètes et utiles, telles que l’instauration d’un droit de visite pour les proches ou l’accès des animaux de compagnie aux Ehpad.
Vous en conviendrez, la commission a supprimé une grande partie des mesures ajoutées par l’Assemblée nationale, telles que l’élaboration d’un projet d’accueil et d’accompagnement personnalisé, la remise aux personnes admises dans une structure médico-sociale d’un livret d’accueil dans un format facile à lire et à comprendre, ou encore l’obligation pour les Ehpad privés lucratifs de réserver une part de leurs bénéfices au financement d’actions pour l’hébergement et l’accueil des résidents. Encore une fois, nous le regrettons.
Examiné quelques années après le scandale Orpea et les rapports de la Défenseure des droits, ce texte ne nous donne toujours pas les moyens de lutter contre la maltraitance institutionnelle, de traiter les dérives du privé lucratif en matière d’optimisation fiscale – grâce au renforcement des contrôles –, le manque de personnel, le turn over, la sinistralité dans le secteur des Ehpad et le virage domiciliaire.
Pourtant, pour affronter ces défis, nous avions proposé, avec notre collègue Raymonde Poncet Monge – sans être entendues – des amendements qui avaient notamment pour objet de pérenniser immédiatement la tarification globale des services d’autonomie à domicile, plutôt que de l’expérimenter jusqu’en 2026. L’ensemble des acteurs du secteur soutenait cette proposition. Quel dommage !
Nous attendons désormais d’examiner la loi de programmation pluriannuelle, grande avancée de cette proposition. Cependant, nous aurions souhaité qu’elle porte sur l’autonomie en général et pas seulement sur le grand âge.
Comme l’a indiqué Dominique Libault dans le rapport qu’il a remis au Gouvernement en 2019, le besoin de financement s’élève à près de 6 milliards d’euros d’ici à 2024 ; or nous sommes en 2024 et nous discutons à peine d’un projet de loi de financement ! C’est un peu tard ; mais comme l’on dit, mieux vaut tard que jamais…
En résumé, malgré quelques maigres mesures qui vont dans le bon sens, cette proposition de loi n’est pas satisfaisante au regard des enjeux. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Annie Le Houerou et Émilienne Poumirol applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2017, nous attendons impatiemment une loi sur le grand âge.
Le 22 novembre 2023, la Première ministre, Élisabeth Borne, s’était engagée à présenter un projet de loi de programmation d’ici à l’été 2024.
La ministre des solidarités et des familles, Aurore Bergé, qui avait annoncé un changement de méthode, a proposé d’engager une véritable coconstruction avec les parlementaires, les élus locaux et les responsables du secteur.
Le 5 janvier dernier, les fédérations du secteur ont été reçues par la ministre pour échanger sur la rédaction de ce projet de loi.
Coup de théâtre, lors de la discussion générale mardi dernier, madame la ministre, vous avez annoncé que « l’article 34 de notre Constitution ne retient pas la notion de loi de programmation pour le secteur médico-social ». Et vous avez ajouté : « Je prends l’engagement devant vous de faire une loi pour le grand âge et qu’elle soit faite et votée d’ici la fin de cette année. » (Mme la ministre le confirme.)
Vous et vos prédécesseurs avez trop bafoué la parole publique ! Désormais, seule nous importe l’adoption d’une loi de programmation pour bâtir cette fameuse société du bien-vieillir !
Nous savons qu’une telle loi de programmation ne vous engage en rien et qu’il vous faudra trouver au moins 10 milliards d’euros pour financer l’adaptation de la société au vieillissement.
Pour réaliser ces investissements, il suffit de mettre à contribution les plus hauts revenus, les revenus financiers, et les groupes qui réalisent des profits sur le dos nos aînés.
Ce n’est certainement pas au travers de ce texte, qui ne prévoit que 200 millions d’euros, soit seulement 2 % des dépenses à réaliser, que nous atteindrons cet objectif.
Cette proposition de loi est un coup de com’ du Gouvernement pour donner l’illusion d’avancer sur ce dossier alors qu’il n’en est rien.
Pis, la majorité sénatoriale a réussi à introduire des mesures régressives dans un texte complètement creux.
Cette proposition de loi, qui reprend des mesures déjà inscrites dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2022-2026 entre l’État et la branche autonomie de la sécurité sociale, ne prévoit rien de novateur.
La création d’une carte professionnelle pour les aides à domicile ne résoudra ni le manque d’attractivité de la filière, ni l’absence de revalorisation kilométrique, ni l’absence de revalorisation des salaires.
Madame la ministre, nous vous avions proposé d’indexer les salaires sur le Smic pour tenir compte de l’inflation, mais vous avez refusé.
Vous ne tirez aucune conclusion de l’enquête de Victor Castanet pour les Ehpad. Là encore, vous avez rejeté le renforcement des contrôles et refusé de veiller au bon usage des deniers publics.
En 2006, le plan Solidarité-Grand Âge prévoyait que, en 2012, il y aurait huit professionnels pour dix résidents dans le budget de l’établissement. Aujourd’hui, nous en sommes toujours à six professionnels pour dix résidents ! Résultat, on demande aux salariés d’aller toujours plus vite, ce qui finit par épuiser le personnel.
S’il y avait plus de professionnels, on réduirait les accidents du travail et on améliorerait les conditions de séjour des résidents. C’est pourquoi nous sommes convaincus de la nécessité d’augmenter les moyens en faveur de l’aide à domicile.
Pour notre part, nous défendons l’objectif de recruter 200 000 personnes en Ehpad et 100 000 personnes pour le secteur de l’aide à domicile.
Le plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge 2020-2024, rédigé par l’ancienne ministre de la casse du droit du travail, Myriam El Khomri, recommandait, en 2019, de créer 92 300 postes en cinq ans et d’augmenter les salaires.
Vous proposez aujourd’hui d’en créer seulement 50 000 en six ans, et sans augmenter les salaires !
La majorité sénatoriale a supprimé la publication du taux d’encadrement dans les Ehpad au motif qu’ils rencontrent des difficultés de recrutement.
Mais pourquoi les Ehpad rencontrent-ils des difficultés de recrutement ? Eh bien ! la pénibilité du métier, le manque de reconnaissance et un salaire moyen de 930 euros pour les aides à domicile n’attirent malheureusement pas grand monde !
En 2014, mes collègues Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe avaient publié un rapport d’information intitulé L’aide à domicile auprès des publics fragiles : un système à bout de souffle à réformer d’urgence. L’une de leurs préconisations consistait à fixer un tarif national de l’aide à domicile à 24 euros de l’heure.
Dix ans plus tard, le Gouvernement se félicite d’avoir imposé aux départements un tarif plancher à 23 euros. Or en dix ans l’inflation a fait exploser les prix. Aussi, il faudrait financer l’heure d’aide à domicile à hauteur de 30 euros, compensée intégralement par l’État.
M. Mickaël Vallet. Bien dit !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Dans mon département, le Pas-de-Calais, personne ne me dit souhaiter finir ses jours en Ehpad ! Mais, en l’absence d’aide pour maintenir les personnes à domicile, les familles se trouvent contraintes de chercher une place en Ehpad pour leurs proches.
Elles ont deux possibilités : soit elles attendent plusieurs mois dans l’espoir d’avoir une place dans un établissement public, soit elles acceptent de payer une place hors de prix dans un établissement privé.
L’affaire Orpea a pourtant mis en lumière les dysfonctionnements de certains Ehpad, notamment du secteur privé lucratif, et plus largement de l’accueil des personnes âgées en situation de perte d’autonomie.
En autorisant les Ehpad habilités à l’aide sociale à fixer un tarif d’hébergement différencié pour les résidents non bénéficiaires de l’aide, la majorité sénatoriale a ouvert la boîte de Pandore, et c’est extrêmement grave ! Désormais, les Ehpad habilités pourront moduler leurs tarifs selon les ressources des résidents et ainsi réduire davantage le nombre de places réservées aux bénéficiaires de l’aide sociale.
Vous remettez en cause l’accès des familles les plus précaires à un service pourtant indispensable.
En conclusion, à l’opposé du projet du Gouvernement et de la droite sénatoriale, nous défendons un véritable projet de justice sociale, visant à créer un service public de l’autonomie, financé à 100 % par la sécurité sociale, et à supprimer les exonérations de cotisations patronales.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne soutiendrons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. - M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’horloge démographique de la France est implacable : la part des plus de 85 ans va croître de près de 90 % entre 2030 et 2050.
En 2030, c’est-à-dire demain, la France comptera déjà 4 millions de personnes en perte d’autonomie. Ce défi, qui concernera très intimement des millions de Français et peut-être chacun d’entre nous, est compliqué par la crise d’attractivité qui frappe les métiers du soin, dans un système hospitalier déjà à bout de souffle.
Face à ce choc démographique, c’est d’un choc d’attractivité que nous avons besoin : sur la formation, les rémunérations des soignants, les conditions de travail et la pénibilité, que ce soit en Ehpad, à l’hôpital ou à domicile. Concernant le maintien à domicile, il faudra prendre en compte la rénovation des bâtiments, leur adaptation au grand âge, voire, la domotique.
Vieillir à domicile, c’est le souhait de la très grande majorité des personnes âgées, ce que l’on peut comprendre.
Ce virage domiciliaire a l’avantage d’un coût financier moindre, mais il implique une révolution : celle de la politique nationale de prévention de la perte d’autonomie, domaine dans lequel nous avons des progrès à faire. En effet, 45 % des plus de 65 ans sont en bonne santé en France, contre 77 % en Suède.
L’ampleur de ce défi est immense. C’est précisément pour cette raison qu’il est impératif de s’y préparer et d’engager sans tarder la loi Grand Âge, une réforme indispensable, plusieurs fois reportée. Nous restons optimistes sur sa présentation dans le courant de l’année, conformément à vos engagements, madame la ministre.
En attendant, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de dimension plus modeste. Après un grand nettoyage de printemps en commission, nous ressortons de nos débats avec quarante articles au service de nos aînés.
En réponse à la violence des situations d’isolement pendant la crise covid, le texte garantit un droit de visite quotidien dans les établissements et services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS), reprenant une initiative sénatoriale. Ces dispositions garantissent un équilibre indispensable en réservant tout de même la possibilité au directeur de l’établissement de s’opposer à une visite si elle constitue une menace pour l’ordre public ou pour la santé des résidents. Mon groupe y est favorable.
Le débat qui a porté sur la présence des animaux de compagnie est loin d’être anecdotique, tant les bienfaits de la présence animale sont connus. Permettre aux établissements d’accueillir des animaux dans le cadre d’un projet d’établissement est une excellente mesure. Toutefois, l’inscription dans la loi du droit à un animal de compagnie me semble, à titre personnel, peu réaliste au vu des contraintes.
Nous saluons le financement, par la dotation soins, d’actions de prévention de la perte d’autonomie, ainsi que la généralisation de l’outil de dépistage de la perte d’autonomie Integrated Care for Older People (Icope). Promu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et déjà expérimenté, il permet de repérer les facteurs de risque et de mettre en place un plan d’action, en s’adossant aux professionnels de santé et, désormais, aux nouveaux rendez-vous de prévention proposés aux plus de 60 ans.
C’est une excellente mesure, mais ne relâchons pas nos efforts : la prévention est un levier puissant de transformation de notre système de santé.
Pour cette même raison, nous regrettons la suppression du référent prévention de l’établissement, jugé peu utile par les rapporteurs. À l’image du référent nutrition dans les Ehpad, celui-ci aurait pu jouer un rôle moteur pour déclencher des actions de prévention dans les établissements.
Nous regrettons également que notre amendement prévoyant le remboursement de l’activité physique adaptée (APA) pour les personnes en perte d’autonomie ait été déclaré irrecevable. Nous avons récemment voté, grâce au soutien du Gouvernement, la prise en charge par l’assurance maladie de l’APA pour les patients atteints de cancer. Pourquoi ne pas envisager la même mesure pour les personnes âgées, en prévention de la perte d’autonomie ? Madame la ministre, profitons de cette année olympique où le sport a été décrété grande cause nationale pour nous engager sur la question du sport-santé et de l’activité physique adaptée au service des plus fragiles.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. Ce texte contient par ailleurs des mesures intéressantes pour prévenir la maltraitance des personnes vulnérables, des maltraitances organisées, comme le scandale Orpea nous en a révélé, mais aussi des maltraitances plus institutionnelles, par manque de soignants, de formation, ou encore par épuisement professionnel.
Ainsi, nous saluons la création d’une cellule départementale de recueil et de suivi des signalements, ainsi que l’élargissement de la Conférence nationale de santé (CNS) à la question de la maltraitance.
J’en viens maintenant à l’organisation territoriale de l’offre. Un service public départemental de l’autonomie (SPDA) sera créé pour mieux orienter les personnes, faciliter leurs démarches et coordonner les services. Nous insistons sur l’importance de laisser de la souplesse à cet outil pour mieux l’adapter aux réalités locales. La version adoptée convient à notre groupe, avec un plan trisannuel et la possibilité de définir des territoires de l’autonomie à l’échelon infradépartemental. Au risque de me répéter, la décentralisation en matière de santé est un chantier indispensable et urgent à mener, tant les besoins et les réalités varient d’un bassin de vie à l’autre.
Je conclus sur le nerf de la guerre, l’attractivité des métiers. Si les revalorisations salariales ne peuvent figurer dans une proposition de loi, quelques mesures intéressantes sont à saluer. Je pense notamment à l’expérimentation de la tarification forfaitaire des services autonomie à domicile (SAD). Conformément à notre amendement et au souhait des départements, cette expérimentation débutera en 2025 et pour deux ans, avant une possible généralisation.
La question de la mobilité n’est pas oubliée, et c’est heureux. Une aide annuelle sera versée par l’État aux départements qui soutiennent les aides à domicile dans l’obtention du permis de conduire, dans leurs déplacements, mais aussi dans des temps collectifs d’échanges entre professionnels, ainsi que l’attendait la profession. Ces 100 millions d’euros amélioreront le quotidien des professionnels – qui le méritent, tant leur présence auprès de nos aînés est essentielle.
Enfin, je n’insisterai pas sur la nouvelle carte pour les intervenants à domicile. Elle était attendue, mais elle revêt un caractère essentiellement symbolique et ne répondra pas aux besoins du secteur, à moins qu’un décret ne vienne effectivement l’assortir d’avantages concrets, notamment en matière de mobilité.
En conclusion, si elle n’est pas la grande loi attendue pour adapter notre société aux immenses défis du vieillissement, cette proposition de loi contient de bonnes idées auxquelles le groupe RDSE apportera sa voix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)