M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver cet après-midi pour ce débat sur la réforme du marché de l’électricité.
Je souhaite profiter de cette occasion pour saluer le travail remarquable effectué par Agnès Pannier-Runacher comme ministre de la transition énergétique, en particulier pour l’obtention d’un accord décisif sur le marché européen de l’énergie.
Pour débuter cette première intervention, je tiens à vous faire part d’une conviction forte : l’énergie est le grand défi économique du XXIe siècle, celui qui doit nous permettre de renforcer notre indépendance, d’offrir à nos concitoyens comme à nos entreprises une énergie décarbonée au coût le plus bas possible, et d’accélérer la décarbonation de la France pour faire de notre Nation la première économie décarbonée en Europe à l’horizon 2040. Cela suppose de disposer d’une stratégie cohérente, globale, dans le prolongement de ce qu’a défini le Président de la République à Belfort et que je rappellerai brièvement ici.
Le premier pilier de cette stratégie est la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous dépendons encore d’énergies fossiles à hauteur de 60 % de notre consommation énergétique, alors que nous ne produisons plus rien dans ce domaine – ni gaz ni pétrole – sur notre territoire.
Nous sommes donc largement dépendants en matière énergétique. Cela engendre une vulnérabilité climatique, car il s’agit d’énergies fossiles, ainsi qu’une vulnérabilité géopolitique, comme nous l’avons vu depuis l’invasion russe en Ukraine ; nous risquons de la constater aussi du fait des blocages en mer Rouge et des difficultés d’approvisionnement qui en résulteront.
Cette dépendance entraîne enfin une vulnérabilité économique et financière de tous les instants, car nous sommes – consommateurs et entreprises – exposés aux risques d’envolée du prix du baril ou du gaz.
Nous devons donc, par souci de renforcer notre indépendance, réduire au strict minimum la part des énergies fossiles dans notre économie et viser la neutralité carbone.
Pour cela – il faut être conscient des chiffres et des enjeux –, il faut doubler la part de l’électricité dans notre mix énergétique en la faisant passer de 27 à 55 % d’ici à 2050.
Ce doublement des capacités électriques de la Nation en une vingtaine d’années est la condition pour tenir nos objectifs de neutralité carbone et d’indépendance énergétique. Il s’agit aussi d’un défi industriel et financier tel que la France n’en a pas connu depuis quarante ans.
Ce défi industriel suppose d’accélérer le déploiement de l’éolien terrestre et de l’éolien offshore, d’accélérer le déploiement des panneaux solaires, de réussir la construction des six nouveaux EPR, alors même que nous n’avons pas réalisé, depuis plusieurs décennies, de chantier industriel de cette ampleur, d’investir dans l’hydrogène et dans le réseau électrique – il faudrait installer entre 15 000 et 25 000 kilomètres de lignes à haute tension pour réussir l’électrification de notre pays.
Toutes ces énergies sont complémentaires, et jamais je n’opposerai les énergies les unes aux autres. Quoi qu’il en soit, ce défi industriel est absolument considérable.
Il s’agit aussi d’un défi financier, dont les coûts ont été largement évalués. Le budget de la Nation est mis à contribution : 7 milliards d’euros supplémentaires y sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2024. Il convient également de mieux mobiliser l’épargne privée, et de mettre en place l’union des marchés des capitaux au niveau européen, sans laquelle nous ne parviendrons pas à lever les sommes nécessaires.
L’indépendance électrique de la Nation française est donc un défi industriel tel que la France n’en a pas connu depuis un demi-siècle.
Le deuxième pilier de cette stratégie est la réindustrialisation.
L’électrification ne doit pas nous conduire à acheter à l’étranger ce dont nous avons besoin. Nous devons au contraire nous en servir comme d’un levier pour produire en France davantage de pales d’éoliennes, de panneaux solaires, de réacteurs nucléaires et de turbines, autant d’éléments nécessaires au parc électrique national.
Climat et réindustrialisation ont partie liée. J’ai la conviction profonde que la transition climatique nous offre une occasion unique dans l’histoire récente de notre Nation d’effacer quarante années de désindustrialisation et de réindustrialiser le pays. De fait, la transition climatique représente des usines et des emplois. Nous devons saisir cette occasion.
Dans cette perspective, nous avons voté une loi relative à l’industrie verte – d’ailleurs largement soutenue par le Sénat, ce dont je le remercie – qui met en place, pour la première fois en Europe, un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte. La France est la seule nation en Europe à demander aux industriels, à l’instar des États-Unis avec l’Inflation Reduction Act, de produire des panneaux solaires, des pales et des mâts d’éoliennes, des pompes à chaleur et des batteries électriques, et à leur accorder un crédit d’impôt, afin qu’ils le fassent sur le sol français avec des technologies françaises. Ce dispositif permettra d’accélérer la production nationale.
Examinons les faits et uniquement les faits dans le domaine industriel : la transition climatique nous a permis, pour la première fois depuis plusieurs décennies, d’ouvrir une nouvelle chaîne de valeur industrielle en France. L’industrie française comprend désormais, outre la chimie, l’aéronautique et l’automobile, la filière des batteries électriques.
Cette filière est probablement l’une des plus performantes d’Europe, grâce à ses quatre gigafactories, à la recherche et à l’innovation françaises. Notre pays sera ainsi l’un des premiers à maîtriser la fabrication des batteries à état solide, et pas uniquement celle des batteries lithium-ion.
Nous avons également mis en place des instruments financiers : le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 5 milliards d’euros de prêts participatifs verts et d’obligations vertes.
Nous avons en outre multiplié par treize les soutiens à l’export des énergies renouvelables entre 2018 et 2022.
Vous le voyez, notre mobilisation est pleine et entière pour faire de la transition climatique un enjeu industriel et le moyen de réindustrialiser enfin la nation française. Et nous obtenons des résultats !
Désormais que l’énergie est dans le périmètre du ministère de l’économie et des finances, nous comptons accélérer la décarbonation industrielle du pays, renforcer notre souveraineté industrielle et relever le défi de l’électrification du mix énergétique national.
Le troisième pilier de cette stratégie repose sur la sobriété et l’efficacité énergétiques.
Je tiens à rassurer tous ceux qui ont émis des critiques : nous sommes en démocratie et toutes les critiques sont les bienvenues.
M. Fabien Gay. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour autant, je veux dire à tous ceux qui prétendent que nous aurions tout d’un coup, parce que l’énergie relève désormais du ministère de l’économie et des finances, abandonné les principes de sobriété et d’efficacité qu’ils se trompent ! J’ai la conviction absolue que ces deux principes doivent impérativement faire partie de notre stratégie énergétique.
Sobriété et efficacité sont des moyens indispensables pour atteindre notre objectif de réduire de 40 à 50 % notre consommation d’énergie par rapport à 2021.
Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
La sobriété consiste à lutter contre le gaspillage d’énergie en adoptant de nouvelles habitudes. Nous avons commencé à le faire à l’automne 2022 avec le grand plan de sobriété énergétique. Nous avons d’ailleurs obtenu des résultats, et j’en remercie nos compatriotes : sur les douze derniers mois, la consommation de gaz et d’électricité a diminué d’environ 12 %.
J’en viens à l’efficacité. Personne ne peut se satisfaire que la chaleur émise par des usines ne soit pas récupérée à des fins énergétiques. Le meilleur exemple que je puis vous citer, c’est le site d’ArcelorMittal sur lequel je me suis rendu hier : il permet à lui seul d’approvisionner 40 % de la chaleur du réseau urbain de Dunkerque.
Quant au quatrième pilier, j’y tiens beaucoup, mais on en entend moins parler…
M. Fabien Gay. Le marché ! (Sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit en effet, monsieur le sénateur, du marché européen ; les communistes et les gaullistes auront toujours partie liée… (Rires.)
Rien ne sert de décarboner notre économie si l’on doit exposer nos industries à des conditions de marché qui, elles, ne visent pas cet objectif de décarbonation.
M. Laurent Duplomb. C’est pourtant ce que l’on fait !
M. Bruno Le Maire, ministre. Lorsqu’en France on produit des éoliennes, de l’hydrogène, ou de l’acier décarboné, comme nous venons de le décider pour le site d’ArcelorMittal en investissant près de 2 milliards d’euros, il est évident que cela coûte plus cher, même si c’est plus vertueux. C’est meilleur pour le climat, mais moins bon pour les finances !
Pour résoudre cette équation, il faut que le marché européen se protège : j’emploie ce mot à dessein, car les États-Unis et la Chine n’hésitent pas à le faire.
Le marché européen doit tout d’abord se protéger grâce au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui sera mis en place dans quelques années pour compenser les écarts de tarifs entre une production vertueuse d’un point de vue environnemental et une production moins coûteuse, mais moins vertueuse.
Il doit ensuite se protéger grâce au Net-Zero Industry Act,…
M. le président. Il faut penser à conclure, monsieur le ministre, car vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole.
M. Bruno Le Maire, ministre. Permettez-moi d’achever mon propos sur la politique européenne pour ne pas froisser mes amis communistes, monsieur le président.
M. le président. Je vous en prie.
M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Net-Zero Industry Act, j’insiste sur la nécessité d’imposer une primauté européenne dans les appels d’offres et les marchés publics, que ce soit pour l’énergie photovoltaïque, les batteries ou l’hydrogène. Je sais que ce sujet reste un tabou, mais la France doit le briser. Ainsi, il ne faudrait pas que l’on attribue plus de 50 % d’un marché public à des États tiers à l’Union européenne. Autrement dit, au moins 50 % des commandes publiques devraient revenir exclusivement à des pays européens qui respectent les normes environnementales les plus strictes et qui acceptent les coûts supplémentaires, autant de raisons qui justifient qu’on les privilégie et qu’on protège leur marché.
Je ne serai pas plus long, monsieur le président. Merci de votre mansuétude !
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’automne 2021, notre économie est confrontée à une hausse particulièrement importante du coût des énergies fossiles, ce qui a donné lieu à une crise énergétique qu’est venu aggraver le conflit en Ukraine, dans la mesure où l’Union européenne était très dépendante du gaz provenant de Russie.
Par conséquent, depuis plusieurs mois, qu’il s’agisse des entreprises, des particuliers ou des collectivités, les consommateurs ont dû bien souvent faire face à une augmentation des prix figurant en bas de leur facture.
Rappelons néanmoins que la situation aurait été bien pire sans le bouclier tarifaire et le chèque énergie déployés par le Gouvernement.
Toujours est-il que la crise énergétique a mis en lumière nos vulnérabilités. Une réforme du marché de l’électricité s’est donc révélée indispensable.
Comme nous le savons, depuis la fin de l’année 2023, après plusieurs mois d’intenses négociations, l’Union européenne s’est enfin accordée sur une réforme du marché de l’électricité. Il s’agit d’une réforme urgente, nécessaire, et dont les effets sont très attendus par nos concitoyens.
Cette réforme – on le comprend déjà – favorisera les investissements dans les énergies décarbonées, notamment l’énergie nucléaire. Tant mieux, puisque cela correspond à l’un des piliers de la stratégie française.
Toutefois, si les Français s’inquiètent du défi climatique, ils se préoccupent également de leur pouvoir d’achat et des factures à la fin du mois.
Je souhaite donc interroger le Gouvernement sur les effets de cette réforme du marché de l’électricité pour nos concitoyens. Autrement dit, monsieur le ministre, dans quelle mesure cette réforme permettra-t-elle de mieux protéger les consommateurs français, notamment face à la volatilité des prix ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme du marché européen de l’électricité était indispensable. En effet, au moment de la crise énergétique, les consommateurs, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, ont été exposés à une flambée insupportable de leur facture. Nous les avons protégés, en particulier les petits commerçants, grâce au bouclier tarifaire – je vous remercie de l’avoir rappelé, monsieur le sénateur.
Cela étant, nous ne pourrons pas continuer de mettre des dizaines de milliards d’euros sur la table à chaque fois que les prix de l’énergie augmenteront.
La réforme que nous avons obtenue – je salue une fois encore le travail effectué par Agnès Pannier-Runacher – repose sur trois principes : la visibilité, la stabilité et la compétitivité.
Visibilité, parce que nous aurons désormais la possibilité d’étendre, notamment aux plus petites entreprises, le tarif régulé dont peuvent déjà bénéficier les particuliers.
Oublié, le seuil de 36 kilovoltampères qui tracassait beaucoup les patrons des très petites entreprises, les boulangers et les commerçants redoutant sans cesse de ne plus être éligibles au tarif réglementé de vente. Toutes les petites entreprises de moins de dix salariés pourront désormais avoir un tarif régulé.
Stabilité, parce qu’il n’y aura plus d’explosion du prix de l’électricité. En effet, si cela se produisait, nous aurions le droit de récupérer l’argent gagné par EDF et de le redistribuer intégralement aux consommateurs comme aux entreprises. Là encore, c’est un changement majeur par rapport à la situation antérieure.
Compétitivité enfin, puisque nous avons conclu avec EDF des contrats de long terme pour garantir un prix moyen de l’électricité autour de 70 euros par mégawattheure, ce qui assurera aux très grandes entreprises consommatrices d’énergie, comme aux entreprises industrielles de plus petite taille, un tarif stable et raisonnable dans les années qui viennent. La France gardera ainsi un atout compétitif décisif.
À ceux que j’entends exprimer des doutes, je répondrai simplement en leur rappelant l’exemple récent d’ArcelorMittal. Alors que M. Mittal avait le choix entre cinq sites pour investir, dont quatre en Europe et un aux États-Unis, il a choisi la France. Croyez-moi, ce n’est certainement pas par philanthropie, mais parce que notre énergie est moins chère.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, jusqu’à présent le Gouvernement n’a pas ou peu abordé la question importante du financement des nouveaux réacteurs nucléaires. Or il faudra plus de 50 milliards d’euros pour financer les six premiers réacteurs et plus de 150 milliards d’euros si l’on veut en construire quatorze, comme l’a annoncé le Président de la République.
Compte tenu de sa situation actuelle, qui résulte des règles européennes, EDF ne peut pas recourir à l’autofinancement, et la capacité de l’entreprise à s’endetter est très limitée.
Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire quels sont les dispositifs régulés et contractuels permis par l’Union européenne que le Gouvernement entend privilégier en complément du financement public sous forme de subventions ou de dotations en capital ?
L’Union européenne promeut les contracts for difference (CFD) ou « contrats pour la différence », et les power purchase agreements (PPA) ou accords d’achat d’énergie. Dans quelle mesure y aurez-vous recours pour financer les investissements dans le nucléaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. On évalue à plus de 55 milliards d’euros le coût total de la réalisation des six nouveaux EPR. La montée en charge se fera progressivement, puisque l’on estime que, d’ici à 2027, les investissements nécessaires ne dépasseront pas 1 ou 2 milliards d’euros.
Bien évidemment, l’État apportera son soutien, mais le meilleur moyen de financer ces EPR reste de garantir la rentabilité d’EDF. D’où la position que j’ai adoptée pendant toute la durée des négociations entre EDF et l’État sur la réforme des tarifs : il fallait non seulement garantir la compétitivité des tarifs pour l’industrie, mais également veiller à la rentabilité d’EDF, car l’entreprise doit réduire sa dette, qui s’élève à 65 milliards d’euros, et renouer avec la rentabilité, ce qui lui permettra de dégager des moyens financiers pour investir aussi dans le nouveau programme nucléaire.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, vous n’avez, hélas ! pas tout à fait répondu à ma question.
En réalité, le coût définitif du mégawattheure produit par le nouveau nucléaire découlera de la construction des centrales, de leur pilotage et leur maintenance, du cycle complet du combustible, ainsi que des démantèlements.
Le Gouvernement peut utiliser différents dispositifs de financement, parmi lesquels les emprunts souverains indexés sur les obligations assimilables du Trésor (OAT), ou bien encore une base d’actifs régulés. Ces techniques de financement sont plus ou moins dépendantes des marchés et plus ou moins liées à certaines catégories de consommateurs. Il en résulte des coûts d’emprunt plus ou moins élevés.
Un arbitrage politique du Gouvernement est nécessaire : il faut choisir entre la contribution sur le long terme de l’État et, donc, des contribuables, la contribution des partenaires financiers potentiels du nucléaire et celle des consommateurs.
Dans le cadre européen défini par le market design et la taxonomie verte, les modalités de financement du nucléaire auront un impact fort sur le prix payé par le consommateur français.
Or nous voulons que ce prix soit le plus régulé possible pour protéger nos compatriotes. La compétitivité de notre industrie en sera aussi affectée. Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne tarde pas à s’expliquer sur ce point et qu’il engage un débat de fond avec le Parlement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, les enjeux d’une réforme du marché de l’électricité ne sont pas des moindres et, comme vous l’avez dit, l’énergie est le grand défi du XXIe siècle, un défi industriel.
Il s’agit, d’une part, d’offrir une électricité à un prix stable et abordable pour stimuler la compétitivité et garantir la viabilité des investissements de notre industrie et de nos entreprises ; d’autre part, nous devons nous donner les moyens de répondre à une demande en électricité sans cesse plus forte dans un contexte de réindustrialisation et de décarbonation de notre économie.
Alors que nous manquons de visibilité sur les prix, que nous peinons à sortir de la crise énergétique et que la concurrence internationale se fait de plus en plus agressive, l’Union européenne est parvenue à un accord pour réformer le marché de l’électricité. Nous pouvons nous en réjouir, mais certaines interrogations demeurent.
Ainsi, l’instauration de contrats de long terme, les power purchase agreements, conclus de gré à gré, directement entre un producteur et un client, est une bonne chose. Ils constitueront un réel soutien pour nos industries, en particulier les entreprises « électro-intensives » qui attendaient ces contrats d’achat depuis longtemps.
Néanmoins, s’il est indispensable de soutenir les acteurs industriels les plus énergivores, il semble juste que ce mécanisme puisse être appliqué à l’ensemble du tissu industriel de notre territoire, en particulier aux manufactures textiles et aux entreprises agroalimentaires et chimiques qui consomment, elles aussi, beaucoup d’électricité.
On éviterait ainsi des distorsions de concurrence ; on permettrait aussi à notre industrie de gagner en compétitivité et d’aborder plus sereinement la transition énergétique. J’en veux pour preuve l’industrie chimique, qui prévoit de réduire de 41 % à 49 % ses émissions annuelles de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Un tel objectif ne peut être atteint que si l’on garantit l’accès à des volumes suffisants d’électricité, et à des prix stables.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de généraliser les contrats de long terme en cours de négociation aux industries non électro-intensives. C’est une question de souveraineté et de compétitivité pour nos entreprises.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, cher Guillaume Chevrollier, ces contrats s’étendront à l’ensemble des entreprises.
Les entreprises électro-intensives bénéficieront de contrats de très long terme, d’une durée d’environ quinze ans – le premier d’entre eux, celui entre ArcelorMittal et EDF, vient d’être signé.
Ce type de contrat est réservé à de très grosses entreprises pour la simple raison qu’il nécessite de mettre en place une contrepartie, dite « avance en tête », c’est-à-dire une avance de trésorerie que la très grande entreprise fait à EDF pour lui permettre de garantir la soutenabilité de sa production sur quinze ans.
Le dispositif est particulièrement vertueux : l’entreprise concernée est engagée et participe à la rentabilité d’EDF qui, en retour, lui garantit le tarif de l’électricité le plus compétitif de l’Union européenne. Je le répète, c’est ce qui explique la décision prise par ArcelorMittal, lundi dernier, d’investir 1,8 milliard d’euros dans un site français.
Pour les autres entreprises industrielles, le contrat sera moins long, d’une durée de l’ordre de trois à cinq ans. On leur permettra ainsi d’échapper à des difficultés de trésorerie, tout en conservant le même objectif, celui de parvenir à un prix moyen de l’électricité d’environ 70 euros par mégawattheure, soit l’un des tarifs les plus compétitifs en Europe.
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le marché européen de l’électricité mis en place depuis la fin des années 1990 constitue une atteinte déterminante à la souveraineté de la France et au pouvoir d’achat de nos compatriotes.
La France, grâce à une politique ambitieuse engagée par les gouvernements gaullistes, avait pourtant su développer un système énergétique cohérent, fondé sur l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité, qui lui avait permis d’obtenir une indépendance énergétique totale en moins de trente ans et de disposer de l’énergie la plus décarbonée de l’Union européenne.
Face aux dogmes européens de l’ultralibéralisme et de la concurrence, nous avons dû intégrer notre système de gouvernance énergétique dans un marché européen technocratique et incompréhensible pour de nombreuses personnes.
Alors que l’on nous avait promis une énergie bon marché et un investissement continu dans les énergies décarbonées, l’inflation et les crises énergétiques des dernières années ont démontré les vices de conception rédhibitoires de ce système.
Le Gouvernement s’est félicité de l’accord trouvé au forceps entre nos partenaires européens sur la réforme du marché de l’électricité, mais cela n’empêchera pas la hausse de 10 % du tarif de l’électricité que nos compatriotes, déjà étranglés de toute part, subiront au mois de février prochain.
À l’heure où le Portugal et l’Espagne ont su décrocher temporairement du marché européen de l’électricité pour protéger leurs citoyens, avec un effet positif immédiat et une baisse des tarifs entre 10 % et 20 %, il semble que le Gouvernement s’entête.
Monsieur le ministre, pourquoi rechignez-vous tant à accepter un décrochage temporaire du marché européen de l’électricité, qui constituerait une bouffée d’oxygène sociale et rendrait un peu de pouvoir d’achat aux Français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J’entends les critiques émises sur le marché européen de l’électricité ; nous en avons d’ailleurs tiré les conclusions, puisque nous l’avons réformé.
Toutefois, il faut distinguer le marché de gros et le marché de détail. La réforme que nous avons défendue portait sur le marché de détail pour en garantir la visibilité, la stabilité et la compétitivité en matière de prix. Nous l’avons obtenue au prix d’une bataille difficile.
S’agissant du marché de gros, l’intérêt de la France est de rester un État membre de l’Union européenne. En effet, lorsque nous produisons beaucoup d’électricité, nous l’exportons. Or c’est le cas aujourd’hui, non seulement parce que nos réacteurs nucléaires ont retrouvé leur niveau normal de production, mais aussi parce que nous avons produit beaucoup d’électricité décarbonée à partir des énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous exportons de l’électricité, ce qui est une bonne chose, car, vous en conviendrez, nous avions bien besoin de rééquilibrer notre balance commerciale.
En revanche, lorsque nous sommes en défaut de production, comme cela a été le cas il y a quelques mois à cause des difficultés qu’ont rencontrées nos réacteurs, nous sommes bien contents de pouvoir importer de l’électricité. Si nous ne l’avions pas fait, nous aurions subi un blackout l’hiver dernier. Notre appartenance au marché européen, me semble-t-il, nous protège.
Quant à l’Espagne, je rappelle que la situation de ce pays est totalement différente, puisqu’il n’est pas interconnecté et constitue en quelque sorte une île énergétique.
Par conséquent, ma conviction est que notre intérêt est de rester dans le marché européen, à condition qu’il soit réformé selon les principes que je viens de rappeler.