M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il est bien un enseignement majeur à tirer de l’agression de la Russie de Poutine contre l’Ukraine, c’est que l’électricité est une arme de géopolitique. L’Europe s’est fait peur : ce conflit aura au moins eu l’avantage de mettre au cœur du débat le sujet crucial de la réforme du marché de l’électricité.
Le raccordement en urgence de l’Ukraine au réseau européen, quelques semaines seulement après l’agression russe, nous rappelle la nécessité de travailler sur nos interconnexions. Nous avions déjà eu un aperçu de cet enjeu au moment du Brexit, quand nous nous sommes rendu compte que l’Irlande n’était pas directement raccordée au continent européen. Je salue au passage le travail en cours sur le projet Celtic Interconnector entre notre pays et l’Irlande.
Ces deux dossiers, de manière bien différente, nous exhortent à repenser notre sécurité énergétique, ainsi que notre souveraineté et notre indépendance. Je me réjouis donc, monsieur le ministre, des efforts que vous avez déployés durant les négociations sur la réforme du marché de l’électricité pour défendre le nucléaire – je souscris aux propos que vous avez tenus, car j’ai moi aussi, à titre personnel, toujours défendu cette énergie. Je salue également le travail réalisé par la ministre Agnès Pannier-Runacher.
L’énergie nucléaire, à l’heure où la planète se décarbone, est une chance : elle est fiable, sûre et puissante. Le travail qui est fait autour de l’atome, du cycle du combustible et du traitement des déchets est porteur d’espoir, même si, bien entendu, tout cela a un coût.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous expliquiez le plus précisément possible ce que contient l’article 19b de l’accord qui a été conclu et en quoi il facilitera nos investissements dans le nucléaire. Les négociations européennes sont longues et parfois pleines de rebondissements – on pourrait même dire « fastidieuses ». Sommes-nous sûrs que les régimes d’aides directes seront favorables au développement et à l’innovation dans le domaine du nucléaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous confirme que l’article 19b s’appliquera à la fois aux installations nucléaires existantes et aux futures installations.
Les débats sur la possible mise en œuvre de ce dispositif pour les installations nucléaires existantes ont été extrêmement rudes – je peux en témoigner –, y compris avec nos partenaires allemands. Nous avons eu gain de cause sur ce point essentiel.
Un autre enjeu concernait la possibilité de redistribuer la rente, lorsque les prix sont très élevés, à l’ensemble des consommateurs, particuliers comme entreprises. Là encore, nous avons eu gain de cause. Telles sont les deux victoires majeures que nous avons obtenues : étendre les CFD aux installations nucléaires existantes, qui sont par définition déjà amorties, et redistribuer la rente à tous.
Quant aux interconnexions, je suis tout comme vous très favorable à leur développement. Des projets existent déjà vers l’Espagne et vers l’Irlande. Et si d’autres initiatives voyaient le jour, elles seraient bienvenues. En effet, si l’on se projette dans vingt ans, la France sera l’une des seules nations européennes qui pourra disposer, grâce à son énergie nucléaire, de capacités électriques massives. Exporter notre électricité décarbonée sera, dans les années à venir, un moyen – peut-être le seul – de rééquilibrer notre balance commerciale.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord conclu entre l’État français et EDF le 14 novembre dernier pose les fondations du futur cadre de la régulation du prix de l’électricité d’origine nucléaire, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2026, date d’expiration du dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).
Au lieu du tarif actuel de 42 euros par mégawattheure, qui s’applique pour une partie de la production d’EDF dans le cadre de l’Arenh, cet accord garantit un prix moyen de 70 euros par mégawattheure pour l’ensemble de la production d’électricité d’origine nucléaire. Comment ce niveau de prix a-t-il été fixé ? Sur quelles données et sur quels paramètres s’est-on fondé pour le définir ?
On peut lire dans la presse que ce niveau de prix est le reflet d’un « engagement d’EDF sur sa politique commerciale dans les années à venir ». Monsieur le ministre, vous avez précisé que « le respect de cet engagement ne pourra de fait être constaté qu’a posteriori », actant donc la possibilité qu’un tel niveau de prix ne soit pas adapté aux réalités du marché.
Quelles sont les clauses de revoyure qui ont été imaginées pour modifier ce prix moyen s’il était mal calibré ? De quelles garanties disposons-nous en la matière ? Par ailleurs, un tel prix est-il équitable vis-à-vis des autres acteurs du marché de l’énergie ?
Enfin, où en sont les discussions avec la Commission européenne pour valider l’accord au regard du droit de la concurrence et de la régulation ?
Monsieur le ministre, ces questions sont cruciales, car elles doivent nous permettre, avec objectivité et transparence, de bien appréhender le cadre de cet accord qui est décisif pour l’avenir de notre pays.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Sans révéler de grand secret, la négociation entre EDF et l’État a certes été respectueuse, mais elle a été aussi longue et difficile. Il fallait en effet concilier les intérêts d’EDF, c’est-à-dire sa rentabilité, et ceux des entreprises industrielles. Je me suis battu personnellement pour que nous gardions cet équilibre.
Certains me disaient qu’il fallait un prix garanti à 60 euros par mégawattheure, et tant pis pour la rentabilité d’EDF ! Pourquoi pas ? Mais cela aurait eu pour conséquence que l’État aurait été contraint de venir à la rescousse, de recapitaliser EDF, dont la dette aurait augmenté, de sorte que le système n’aurait finalement pas tenu financièrement.
En définitive, il me semble que nous avons trouvé le bon équilibre. Pour déterminer le juste prix, nous nous sommes intéressés au coût moyen de production de l’électricité par les centrales existantes auquel nous avons ajouté celui de la construction des nouveaux réacteurs. C’est ainsi que nous sommes arrivés au prix moyen de 70 euros par mégawattheure.
Ces éléments ont déjà été transmis à la Commission européenne, et nous estimons qu’ils sont parfaitement conformes à l’accord qui a été conclu dans le cadre du nouveau marché européen.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’énergie est un bien commun essentiel à notre société. La crise énergétique que nous connaissons et les spéculations qu’elle a engendrées ont des effets économiques et sociaux délétères, à la fois pour notre tissu économique et, a fortiori, pour les plus vulnérables de nos concitoyens.
Dans ce contexte, les réformes du marché de l’électricité doivent garantir un accès généralisé à l’énergie permettant de couvrir les besoins à un coût abordable.
Or, avec la politique que vous menez, vous ne semblez pas emprunter cette voie, alors que vous avez, depuis la mi-novembre 2023, commencé à dessiner les contours de la future régulation du marché dans le secteur du nucléaire.
L’objectif affiché par le Gouvernement est clair : il faut à la fois que « les consommateurs français puissent bénéficier de prix stables » et qu’EDF ait « les moyens d’investir pour son avenir ».
En réalité, votre politique nous semble avoir pour principal objectif de garantir le financement coûte que coûte de la relance du nucléaire. Dans cette perspective, votre stratégie française pour l’énergie et le climat prévoit un cadre post-Arenh dans lequel les consommateurs paieront une part supposée juste du préfinancement de notre futur mix énergétique.
Mais que s’agit-il de préfinancer et pour combien ? Le coût de cette relance du nucléaire est plus qu’incertain et risque de peser fortement dans les portefeuilles des consommateurs.
Rappelons qu’EDF est déjà endettée à hauteur de 65 milliards à 70 milliards d’euros et que les besoins en matière d’investissement semblent infinis : je pense au vieillissement des cinquante-six réacteurs en service, qui doivent faire l’objet d’une quatrième visite décennale et qui entrent dans le programme du grand carénage, au coût de l’EPR de Flamanville qui n’en finit pas de déraper, aux dépenses supplémentaires nécessaires pour financer les nouveaux EPR2, les hypothétiques petits réacteurs modulaires (SMR), ainsi que le centre de La Hague et le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) – la liste longue et je m’arrêterai là.
Dans le même temps, le coût des énergies renouvelables baisse, et leur production ne cesse d’augmenter partout dans le monde. Notons qu’en 2023 les nouvelles installations photovoltaïques ont permis d’atteindre une puissance cumulée de 510 gigawatts, ce qui constitue un record.
Au-delà de nos désaccords sur la sécurité et l’impact environnemental du nucléaire, pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure cette relance du nucléaire pèsera sur le prix de l’énergie fournie aux consommateurs, dès lors que le tarif post-Arenh semble devoir être fixé à 70 euros par mégawattheure ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je reviens à la question précédente pour préciser, en ce qui concerne les clauses de révision, qu’un premier rendez-vous est prévu après six mois, puis que d’autres rendez-vous seront planifiés tous les trois ans pour réexaminer les deux seuils qui ont été définis, à savoir celui de 78 euros, au-dessus duquel 50 % de la rente est redistribuée, et celui de 110 euros, à partir duquel 90 % de la rente est redistribuée aux consommateurs, particuliers comme entreprises. Nous pourrons ainsi nous assurer que ces seuils sont les bons.
En effet, monsieur le sénateur, 55 milliards d’euros pour le nucléaire, c’est beaucoup d’argent, mais, en réalité, c’est toute l’électricité qui coûte cher. Voilà ce dont chacun doit prendre conscience. Il s’agit là de l’investissement le plus important dont la France ait besoin aujourd’hui.
Depuis 2010, je le rappelle, quelque 75 milliards d’euros ont dû être investis dans les énergies renouvelables (EnR). Les réseaux, un sujet que tout le monde a fini par oublier à force de penser aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques ou aux réacteurs, nécessiteront un investissement qui dépassera les 100 milliards d’euros d’ici à 2040.
Quant au nucléaire, je persiste et je signe : la France dispose là d’un atout compétitif majeur, qui lui garantit une énergie stable. Notre objectif n’a jamais été de passer au tout nucléaire, mais de réaffirmer qu’il s’agit d’un avantage compétitif que nous devrons renforcer en développant les énergies renouvelables, d’une part, et en favorisant la sobriété et l’efficacité énergétiques, d’autre part.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est la différence entre le coût, le tarif et le prix de l’électricité ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Le coût de l’électricité, c’est ce que cela coûte à EDF de la produire ; le tarif, c’est ce que doivent payer les gens ; et l’ensemble, c’est ce qui fait la régulation.
Tout d’abord, notre objectif qui, je le crois, a été atteint aussi bien à l’échelle européenne que nationale, était de préserver un équilibre entre les intérêts de chacun, au nom de l’intérêt général.
Il faut qu’EDF soit rentable. Hier encore, sur le site de Gravelines, j’ai rencontré les représentants des syndicats de l’entreprise et j’ai pu constater à quel point ils étaient attachés à la rentabilité de celle-ci.
Cela devrait vous plaire : avec le Président de la République, nous avons nationalisé EDF…
M. Fabien Gay. Étatisé !
M. Bruno Le Maire, ministre. … et rendu l’entreprise publique à 100 %. EDF ne doit pas pour autant faire faillite. Il ne s’agit pas que le contribuable doive sans cesse remettre de l’argent dans l’entreprise. Même si elle est publique, car elle l’est désormais, EDF reste une entreprise dont nous devons garantir la rentabilité.
Ensuite, il faut offrir les tarifs les plus compétitifs aux entreprises industrielles. La démonstration en a été faite lundi. Voilà un an que je négocie avec MM. Mittal, père et fils, Lakshmi comme Aditya, pour qu’ils investissent en France. Alors que nous nous trouvions en concurrence avec la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne et les États-Unis, ils ont fini par choisir le site industriel français. Quel meilleur exemple de la compétitivité de notre pays en matière de coût de l’énergie ? Je le redis, croyez-moi, les grands industriels ne font de cadeaux à personne et à aucun État.
Enfin, nous garantissons à nos concitoyens un prix de l’énergie parmi les plus bas de tous les pays européens. Certes, les factures sont toujours trop chères, mais l’électricité est un bien qui est rare, cher et difficile à produire.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous le savez, nous avons des désaccords : vous croyez au marché, quand nous pensons que l’énergie est un bien commun, qui doit être géré comme un monopole public par une entreprise publique.
Pour ce qui est du coût de l’électricité, vous avez raison : c’est ce que cela coûte concrètement à l’entreprise EDF ou à d’autres énergéticiens.
En revanche, le tarif, ce n’est pas tout à fait ce que vous dites. C’est ce qui permettait jusqu’à présent à chacun d’avoir accès à l’énergie au prix le plus bas et en collant le plus possible aux coûts de production. C’est ce qu’on appelait le tarif réglementé. Et, à l’époque, tout le monde y avait droit, non seulement les usagers et les ménages, mais aussi les collectivités et toutes les entreprises !
Or, dans le cadre de la renégociation, il est certes prévu que les petites entreprises continueront d’y avoir droit, mais le problème se posera pour les collectivités territoriales et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Quant aux grands groupes, ils préfèrent en effet les PPA, c’est-à-dire des contrats de long terme, sur quinze ans, passés directement, avec un prix garanti – grand bien leur fasse.
Enfin, le prix de l’électricité – c’est ce qui a dysfonctionné – a été complètement décorrélé des coûts de production et, donc, du marché. C’est bien là le problème ! Vous n’avez fait que poser un pansement sur une jambe de bois, car, en réalité, dans les négociations que vous avez menées sur la réforme du marché européen, nous avons certes arraché quelques petites avancées, mais nous avons surtout contribué à préserver la compétitivité des entreprises allemandes. Voilà la réalité !
Je le répète, le mécanisme a dysfonctionné, au point que le prix a atteint 1 000 euros du mégawattheure. C’est cela, l’Europe du trading, et cela coûte cher à l’ensemble des usagers de l’électricité.
En définitive, monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question : que faire de tout notre tissu industriel, qui ne se résume pas aux grandes entreprises, et de nos collectivités territoriales ?
Pour notre part, nous plaidons pour le rétablissement d’un grand service public.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour l’intérêt du débat, sachez, monsieur le sénateur, que si l’Allemagne était plus compétitive que la France, ArcelorMittal ne lui aurait pas préféré notre pays pour faire l’un des investissements industriels les plus importants de la décennie.
La raison de ce choix est simple : il tient à la présence de la centrale de Gravelines, qui, à quelques kilomètres du site d’ArcelorMittal, fournit une électricité décarbonée à un tarif imbattable. Aucune autre nation européenne ne peut apporter cela. C’est un atout compétitif majeur.
J’en viens à la réforme du précédent système, celui de l’Arenh. En tant que ministre de l’économie, l’un de mes objectifs est de garantir la compétitivité des industriels. Je leur ai donc mis les cartes en main.
Il était possible de maintenir un tarif régulé semblable à l’Arenh, dont je rappelle qu’il ne s’appliquait qu’à 100 térawattheures sur les 300 térawattheures que nous produisons, soit un tiers, les deux tiers restants étant soumis au marché. En cas d’explosion des prix, je n’aurais pas pu protéger de nouveau les industriels.
L’autre solution était le système de contrat pour différence qui a été retenu, avec des seuils fixés à 78 euros et à 110 euros. Ce système s’appliquant à 100 % de la production, il est plus protecteur pour les industriels, qui ont préféré cette option.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais vous citez le cas d’une entreprise, quand je vous parle, moi, d’un tissu industriel qui en compte des dizaines, et même des centaines.
Vous pouvez tenter de contourner les faits, mais la réalité est que, avec cette réforme, vous continuez à lier le prix du gaz à celui de l’électricité, et partant, à soutenir la compétitivité allemande au détriment de la nôtre.
Pour terminer sur le sujet du post-Arenh, cela fait quinze ans que l’on biberonne les acteurs alternatifs. Il reste deux ans à tenir. C’est long. Pour les boulangers de nos circonscriptions, les renégociations en cours sont si difficiles que certains ne verront pas l’application de la réforme de 2026 et le post-Arenh.
En tout état de cause, comme vous êtes le nouveau ministre de l’énergie, nous aurons bientôt la possibilité, dans le cadre d’un prochain projet de loi sur l’énergie et le climat, de débattre de manière plus éclairée, en disposant de davantage de temps.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Monsieur le ministre, si la France bénéficie d’une électricité qui a été voulue nucléaire et décarbonée, nous avons toutefois subi la crise énergétique de plein fouet, si bien qu’une double réforme, européenne et nationale, du marché de l’électricité est en cours.
Nos objectifs doivent être clairs : il convient, d’une part, de préserver les prix pour les usagers, de sorte que ces derniers bénéficient vraiment de nos choix historiques, et, d’autre part, de garantir notre souveraineté énergétique et industrielle, ainsi que la pérennité d’EDF.
Nous constatons l’échec de la libéralisation menée depuis les années 1990, dont nous cherchons aujourd’hui à contenir les effets.
Les questions fondamentales sont celles de la planification et de l’anticipation. Alors que nous pouvons nous fonder sur un coût de production de l’électricité nucléaire situé entre 60 et 78 euros du mégawattheure et que nous pouvons anticiper les besoins des usagers, nous sommes seulement en mesure de cibler un tarif et de prévoir une redistribution éventuelle de certains profits.
La hausse des prix – c’est mathématique – affecte davantage les ménages les plus modestes. Dans le Lot-et-Garonne, 20 % des ménages sont ainsi concernés par la précarité énergétique. Sont également touchés les artisans, les commerçants, les agriculteurs – très fortement –, ainsi que les collectivités territoriales.
La politique menée doit urgemment intégrer les impératifs de justice sociale, ainsi que les enjeux industriels et d’enseignement supérieur pour préserver l’excellence française.
Alors que le portefeuille de l’énergie vient d’intégrer Bercy, cette réforme prend-elle en compte les besoins qu’emporte la transition écologique, monsieur le ministre ? Au-delà de la logique comptable, la nécessité d’une garantie des tarifs dans le temps est-elle prise en compte ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme intègre effectivement les autres aspects de la politique énergétique. Vous pouvez être rassuré sur ce point, monsieur le sénateur.
Le chèque énergie, dont le montant moyen s’établit à 150 euros, est actuellement versé à 6 millions de personnes. Il est évident que cette politique sociale sera préservée.
Par ailleurs, je me suis battu pour que les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRV) concernent, non pas les seules entreprises dont la consommation n’excède pas un certain seuil de kilovoltampères, mais toutes les petites entreprises de moins de dix salariés.
Cet élément de simplification et de protection des plus petites entreprises montre que ce n’est pas parce que l’énergie passe à Bercy que nous perdrons de vue les objectifs sociaux et environnementaux. Bien au contraire, ceux-ci restent au cœur de notre politique énergétique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.
M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le ministre, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié jeudi dernier ses calculs relatifs à l’augmentation au 1er février du tarif réglementé de vente de l’électricité, tarif qui concerne 21 millions de ménages et 2 millions de petites entreprises.
Je rappelle que le tarif réglementé de vente de l’électricité prend en compte les coûts de production et les prix de vente sur les marchés de gros, le Gouvernement y ajoutant les taxes. La Commission de régulation de l’énergie a ainsi proposé au Gouvernement une baisse de 0,35 % sur le tarif réglementé de l’électricité hors taxes.
Alors que les tarifs sur les marchés ont diminué durant les six derniers mois, notamment grâce aux efforts de sobriété des ménages et des entreprises, l’augmentation du 1er février est uniquement due à la décision du Gouvernement d’augmenter la pression fiscale.
Le Gouvernement a ainsi décidé de diminuer le bouclier tarifaire sur l’électricité en réintroduisant, en plus de la TVA, la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE).
Une hausse de 10 % des prix de l’électricité au 1er février serait un mauvais coup porté au pouvoir d’achat des Français !
Cette hausse du tarif réglementé est aussi une bien mauvaise nouvelle pour nos petites entreprises et nos territoires.
Monsieur le ministre, le Gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des riches, mais il augmente les taxes qui touchent tout le monde, quels que soient les revenus, avec, à la clé, une hausse des tarifs réglementés d’un bien de première nécessité.
Il faut absolument éviter que nos concitoyens soient contraints de réduire leur niveau de chauffage, au détriment de leur bien-être et de leur qualité de vie. Comment comptez-vous protéger nos concitoyens en cette période de grand froid face à des dépenses de chauffage incompressibles, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J’estime, monsieur le sénateur, que l’un des drames français, au cours des dernières décennies, tient à notre incapacité à supprimer les dispositifs exceptionnels lorsque la situation ne les impose plus. Nous avons empilé sans cesse de nouvelles dépenses sur de la dépense sans jamais en retirer aucune. C’est sans doute très populaire, mais c’est totalement irresponsable. Je préfère pour ma part gagner le respect de mes compatriotes plutôt que de la popularité.
Je n’ai qu’une seule parole. J’ai toujours dit que les dispositifs de bouclier étaient des dispositifs exceptionnels. J’ai toujours dit que, le moment venu, je les retirerai. Je tiens parole.
J’ai dit qu’il y avait un bouclier sur le gaz et qu’à partir de l’été, nous retirerions ce dispositif, mais que nous garantirions un prix stable du gaz. Cet engagement a été tenu, si bien que les factures de gaz n’augmenteront pas et resteront stables par rapport au prix du gaz en sortie du bouclier.
J’ai dit aussi que nous sortirions du bouclier sur l’électricité. Après avoir, pendant deux ans, payé la moitié de la facture des Français, ce qui a coûté 40 milliards d’euros, nous revenons à la normale.
Si nous maintenions le bouclier sur l’électricité, ce serait la fin des finances publiques françaises. Nous assisterions à une accélération de l’endettement et des déficits.
M. Michel Savin. On y est déjà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Président de la République et la Première ministre Élisabeth Borne, j’ai choisi une politique radicalement différente, visant à accélérer le désendettement et la réduction des déficits.
Oui, cela demande des décisions courageuses, mais ce sont aussi des décisions légitimes, qui ont de plus été présentées en toute transparence à nos compatriotes.
J’ai dit que nous retirerions progressivement les boucliers sur l’électricité. Je les retire progressivement.
Il n’y aura pas d’explosion de la facture pour autant. Je suis ainsi en mesure de confirmer qu’il n’y aura pas d’augmentation de plus de 10 % de la facture d’électricité à la rentrée. C’est la seule chose qui compte pour les Français !
Il faut avoir le courage de revenir à la normale. On ne le fait jamais, et c’est ce qui explique la situation de nos finances publiques.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, je vous poserai trois questions relatives au mécanisme qui succédera à l’Arenh en 2026, décrit dans le chapitre III du projet de loi qui a été transmis au Conseil d’État et dont j’ai eu connaissance, monsieur le ministre.
Étant donné que tout change, pourquoi avoir privilégié la filière nucléaire au sein du mécanisme garantissant une électricité de base bon marché ? En effet, il existe en France une filière qui, certes, produit moins, mais qui présente les mêmes caractéristiques d’un point de vue environnemental, puisqu’elle est décarbonée, comme du point de vue du réseau, puisqu’elle est très utile en base : je veux parler de l’électricité hydraulique, une filière qui aurait permis d’avoir un volume plus important d’électricité bon marché. Telle est ma première question.
Ma deuxième question porte sur le mécanisme de prix qui a été fixé, selon lequel il n’y a pas de redistribution des recettes par EDF tant que le prix de l’électricité sur les marchés de gros est inférieur à 78 euros du mégawattheure, un reversement de 50 % des recettes à l’État lorsque ce prix s’établit entre 78 et 100 euros du mégawattheure et un reversement à l’État, c’est-à-dire en fait aux consommateurs, de 90 % lorsque ce prix s’élève à plus de 110 euros du mégawattheure.
Ce reversement aux consommateurs sera-t-il différencié selon les profils de consommateurs – particuliers ou industriels –, et en fonction de la manière dont ces consommateurs utilisent le réseau ?
J’en viens enfin à ma troisième question, de nature prospective. Le mécanisme repose largement sur des prix de gros qui seraient supérieurs à 70 ou 78 euros du mégawattheure. Si cela correspond à ce que nous observons dans le monde d’aujourd’hui, n’oublions pas que ces prix ont pu s’établir durablement par le passé à des niveaux inférieurs. Dans ce cas, EDF ne serait plus capable de couvrir les coûts du nucléaire. Que se passerait-il alors, monsieur le ministre ? L’État viendrait-il à son secours ?